A la demande de membres de la Communauté libérale qu’elle anime à Paris, celle qui fut, en 1990, la première femme ordonnée Rabbin sur le Continent européen, a réuni vingt ans de Sermons prononcés lors des Grandes Fêtes de Rosh Hashana et Yom Kippour. Le but premier était évidemment de ne pas abandonner ces textes écrits-parlés à l’aspect éphémère du discours oral. Mais surtout, l’idée était de réunir ces textes par écrit, afin qu’ils pussent être en partage pour le plus grand nombre. Pauline Bebe exprime ceci, à ce sujet, en Ouverture, p.9 : « J’ai vu ces textes comme un bras tendu vers l’autre, pour affirmer que le dialogue et la connaissance de l’autre sont le fondement de l’humanité ».
Pari gagné ! Loin d’être une collection de Drashot réunies seulement pour la forme, nous nous trouvons en présence d’un véritable Livre. La citation ci-dessus exprime d’ailleurs bien comment l’acte de publication, et l’intention qui le sous-tend, sont homogènes à la philosophie de l’auteur, à une vocation tournée vers la préservation de l’humain. En ce sens, ce livre s’inscrit concrètement, et spirituellement, dans une philosophie juive de la vie : agir et concevoir n’y sont aucunement séparés. On pourrait dire : « Dont acte !... »
De quoi nous parle ce livre ?
Essentiellement, c’est une réflexion sur la joie et sur la nécessité du questionnement : sans cesse, au fil des pages, et des années (le lecteur ne pourra pas, sauf exception, dater ces textes qui ont leur ordre propre dans le livre), Pauline Bebe nous invite à réfléchir sur le libre arbitre, la capacité de décision, et la responsabilité face à nos actions.
Dans ce « livre de vie », des questions traditionnelles sont remises en mouvement : qu’est-ce que le judaïsme ? que signifient la vie, le bonheur, le rire, et encore l’injustice ? que signifient : être un homme ?, aimer ?, être libre ?, être responsable ? Face à ces questions, l’auteur convie le lecteur à une sorte de voyage initiatique : non pas recevoir des réponses toutes faites, mais cheminer en compagnie de quelqu’un qui s’exprime avec authenticité devant vous. En ce sens, ce livre concerne tout le monde : aussi bien ceux qui se croient ignorants, que ceux qui s’imaginent savants. Et, comme il nous arrive parfois au contact de certaines personnes, pour peu nous nous sentirions devenir intelligents, et modestes aussi, à la lecture de l’ouvrage.
Ces textes ayant trouvé leur occasion dans les Fêtes de Tishri , le lecteur trouvera de nombreuses réflexions sur la difficile exigence de la Teshouva , du retour sur soi. Il s’agit ici d’une éthique de l’honnêteté vis-à-vis de soi, d’être responsable, ne pas se défausser sur l’autre ou sur les circonstances. On l’a compris, Pauline Bebe définit le judaïsme comme vie éthique. Les origines du mouvement de la Réforme et du « libéralisme » en Allemagne au XIXème Siècle nous semblent trouver en ce livre une continuation et un développement pour le temps présent.
Citons deux passages, centrés sur la notion de teshouva et de liberté. Page 29, on peut lire : « l’être humain est libre et indépendant. Il est même indépendant de Dieu. Par conséquent sa transgression est sa transgression et son retour est son retour et il n’y a aucune place pour une soumission auto-accusatrice./…/ La teshouva est un ressort extraordinaire d’humanité. Elle implique que rien n’est jamais scellé, qu’il existe toujours une deuxième chance pour ceux qui souhaitent la saisir. Elle est la garantie du renouvellement éthique de l’humanité. Le processus de la teshouva n’est jamais terminé et c’est ainsi que les rabbins disent que les portes de la teshouva restent toujours ouvertes ». Et, page 49 : « Le judaïsme est fondé sur cette idée de liberté humaine.
L’enseignement de la Torah ne peut se concevoir que si nous sommes libres de l’observer ou non./…/ C’est sans doute l’essence de l’humanité qui reste non manifeste, secrète, mystérieuse, qui est fondatrice de la liberté./…/ Attentes et impromptu, sécurité et surprises, nécessité et liberté, telles sont les composantes de l’existence humaine./…/ La liberté humaine fait écho à la liberté divine, est son reflet - ce que Dieu et sa créature partagent c’est d’être libre. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle liberté, de la simple possibilité de faire ce qu’il nous plaît. C’est une liberté raisonnable, une liberté guidée par les notions de bien et de mal. Et si nous savons en faire bon usage, nous pourrons alors rire avec Dieu de la réalisation de nos projets. »
Cela étant dit, à l’occasion de ces Grandes Fêtes, tous les sujets qui concernent notre vie, personnelle ou collective et politique sont abordés. Il est impossible de résumer un tel parcours, qui interpelle le lecteur au plus intime de lui-même. L’essentiel, c’est le questionnement, et le re-questionnement qui s’expriment ainsi.
Le lecteur trouvera, au fil des pages, des merveilles de commentaires et d’interprétations, classiques et/ou nouvelles, toujours pertinentes, et qui se donnent à la lecture, non pas pour l’énoncé de dogmes, mais pour donner lieu à la méditation personnelle. En réalité, ce livre est, littéralement, le « Livre d’enseignement de Pauline Bebe » : comme tout Sefer Torah, le lecteur a plaisir à l’ouvrir… et à le ré-ouvrir. Ce livre est, pour ainsi dire, un lieu de travail. Il nous semble d’ailleurs qu’il pourrait très bien donner lieu à des travaux de petits groupes, aux fins de le discuter. Le lecteur y trouve un hymne à la joie et à la liberté de l’homme instruite par un judaïsme vivant et ouvert, dans un mélange harmonieux de douceur et de rigueur dans la démarche de la pensée. Ce livre est en quelque sorte un viatique : destiné à accompagner le lecteur dans son cheminement personnel, et collectif, de vie, l’auteur fait preuve, non seulement d’une érudition époustouflante, mais aussi d’un sens de la métaphore poétique et d’un bonheur de l’écriture qui suscitent spontanément… la joie de la lecture, laquelle facilite la difficulté de l’effort de réflexion. La qualité littéraire de ces textes est indéniable : il y a là la beauté d’une parole vivante, telle aussi la construction d’une œuvre d’art, sans cesse remise en mouvement. La reprise des Maîtres de la tradition juive y suscite des abords vivifiants.
On sent dans ce livre, l’expression d’une tendresse fondamentale pour l’être humain. Il ne s’agit pas ici d’une version « soft » de la réalité : Pauline Bebe sait exprimer, en des passages d’une grande retenue, ce qu’il y a d’atroce en ce monde, et le type de question que la réalité du monde pose à ceux qui ont confiance, la emouna . A cet égard, aucun détour ne nous est évité, en ce qui concerne une confrontation avec le monde tel qu’il est. Mais, c’est bien une philosophie de la vie qui s’exprime ici, où, pour le dire métaphoriquement, « le lait et le miel » nous sont donnés : le respect et l’amour de l’humanité de l’homme, dans sa relation avec Dieu et avec les autres hommes, voilà ce qui doit être préservé…
Une dernière citation, page 60, qui me semble exprimer de manière condensée le contenu et le projet de ce livre : « Un peu d’être, un peu d’avoir, beaucoup de faire, voici la recette du judaïsme pour une vie pleine de sens. Amalgamez le tout et vous obtiendrez un résultat délicieux, l’emouna , la confiance ».
Enfin, une remarque, pour conclure. Le livre contient 44 Sermons. On le sait, l’alphabet hébreu a 22 lettres… Nous y lisons ceci : l’effort vers de la vérité et du bonheur nécessite deux fois 22 lettres, c’est-à-dire 22 lettres exprimées du côté du féminin, et 22 lettres du côté du masculin. En d’autres termes, les réflexions de l’auteur sur le dialogue, et notamment sur la vie conjugale, ne peuvent, nous semble-t-il, s’exprimer mieux que dans le symbole d’une vérité qui ne se produit que dans le dialogue de ces deux versants de l’humanité, à égalité.
A l’ombre du tamaris de Pauline Bebe est, pour ainsi dire, lehaïm !, un livre à vivre…
Jean-Claude Giabicani, PhD , le 9 Décembre 2010.
Pauline Bebe. À l’ombre du tamaris. Une philosophie de la vie pour aujourd’hui. Presses de la Renaissance. Paris. 2010.