" Chaque endroit où il est marqué "élé" (voici) cela vient neutraliser les précédents, par contre "véélé" (et voici) vient rajouter aux précédents, et comme les précédents ont été donnés au Sinaï, ceux-là également. Et pourquoi le sujet des lois a été placé conjointement au sujet de la construction de l’autel des sacrifices ? C’est pour te dire de placer le tribunal du Sanhedrin là où se trouve l’autel".
De prime abord, Rashi ne nous apporte pas de grandes révélations. Il y a une évidence du récit de la Torah qui indique que les différentes lois qui composent notre parasha (cinquante-trois au total) ont été données au Mont Sinaï. On peut donc se demander ce que Rashi vient nous rajouter ? De même, en quoi ce supplément concernant la continuité du texte d’une parasha à l’autre est-il lié au fait que ces lois de "mishpatim" ont été données au mont Sinaï ?
En réalité Rashi , s’appuyant sur la tradition juive, vient nous signaler un fait extrêmement important : "les jugements que tu mettras devant eux" ne sont pas ceux donné par Dieu lors de la révélation du Sinaï. Ce sont les jugements émis par les maîtres de la loi pendant toutes les générations, ce que l’on nomme, de manière globale, la Loi orale. Pour souligner l’origine divine de cette Loi orale, Rashi explique que la plus haute instance juridique de décision, le Sanhedrin, tenait ses sessions dans l’endroit du lien direct avec Dieu, là où l’on effectuait les sacrifices.
Certain diront sans doute : mais c’est là une évidence ! Tout le monde sait bien que la Loi orale comme la Loi écrite sont d’origine divine. La Torah orale n’est-elle pas le commentaire de la Torah écrite ? C’est là, justement, la difficulté que vient signaler Rashi .
[*Contrairement à ce que nombre de gens pensent, la Torah orale n’est pas un commentaire de la Torah écrite. Elle est un développement parallèle et indépendant qui prend sa source directement au Mont Sinaï. Parfois elle appuie ses décisions et ses enseignements sur le texte de la Torah elle-même, mais parfois non. Et parfois, elle est même en contradiction avec la Torah orale, et notre parasha de cette semaine en est truffée d’exemples.*]
Examinons-en un :
notre parasha commence par exposer le cas de l’esclave, qui doit sortir libre au bout de sept années. Mais si celui-ci refuse sa liberté, il est écrit : "Et son maître le présentera à Dieu et l’amènera près de la porte ou près du montant, son maître lui percera l’oreille avec le poinçon et il servira son maître perpétuellement".
Or la Loi orale a fixé que l’on utilisera la porte mais pas le montant. Le Gaon Elyaou de Vilna, sans doute l’autorité la plus grande du 17ème siècle, écrit à ce propos : "D’après la lettre du verset, le montant est également autorisé, mais la halakha (la Loi orale) ôte ce qui est (okeret) dans la Torah, et c’est ainsi dans la majorité de cette parasha , et ainsi dans quelques parashiot qui sont dans la Torah, et c’est la grandeur de notre Torah orale, qui est une loi de Moïse depuis le Sinaï, de pouvoir inverser comme le tampon à imprimer".
Le professeur Leibovitch explique l’exemple pris par le Gaon du tampon à imprimer (qui est tiré du livre de Job, 38, 14) par le fait qu’y sont inscrits à l’envers les mots qui vont être imprimés à l’endroit, en concluant : "et ceci est l’essence de notre croyance dans la Loi orale comme issue de Moïse au Mont Sinaï, et parfois elle inverse les propos de la Torah écrite" (Al parashat hashavoua, P ; 341).
[*A travers les siècles, depuis les Saducéens jusqu’aux Chrétiens et en passant par les Karaïtes, on a reproché aux Juifs de déformer le texte de la Torah écrite. Mais c’est parce que nous savons qu’une autre Torah nous a été donné par Dieu au Sinaï que nous avons persisté dans notre voie, celle de la tradition rabbinique qui veille sur les Ecritures (la Torah écrite) grâce à l’encadrement de la Lecture (la Torah orale).*]
Rabbin Alain Michel – Rabbin Massorti à Jérusalem et historien
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