Mais c’est précisément cette capacité à évoluer et à ne pas rester ce qu’il est – en passant par un nombre impressionnant de déconvenues et de souffrances – qui va lui permettre de s’élever vers le nom Israël, qui pour lui comme pour nous reste encore un projet et un rêve plus qu’une réalité.
Jacob – le tortueux -, est celui qui doit devenir Israël – le lutteur ou le droit de Dieu – et même Yechouroun, c’est-à-dire le droit par excellence ! Il vit au cœur de cette tension perpétuelle entre la glaise souvent boueuse dont il provient, et le rêve resplendissant qu’il veut porter.
C’est tout l’inverse de son frère, qui naît « fait » des pieds à la tête : le mot Esaü peut en effet renvoyer à quelqu’un qui est totalement fait, achevé, parfait, et qui n’a donc plus d’avenir devant lui, sinon la mort… « A quoi me sert l’aînesse, puisque je vais mourir » ?
C’est à cet aveu que Jacob pousse son frère lorsqu’il vient lui demander de le nourrir : lui le grand chasseur est désespéré de sa chasse, de son pouvoir, de son emprise captatrice des choses et des êtres, il ne parvient plus à se projeter vers l’avenir, et demande à son frère (plutôt qu’à une des nombreuses servantes du clan) de devenir responsable de lui – c’est-à-dire qu’il renonce de facto à son aînesse, à sa responsabilité d’aîné, ce que Jacob lui demande d’officialiser par un acte de vente en bonne et due forme.
On comprend mieux alors cette phrase : « Voici je vais mourir, à quoi me sert l’aînesse » (Gen25, 32) ? Pourquoi faudrait-il être responsable (aîné), alors qu’on va mourir et que rien n’a de sens ?
C’est parce qu’on se reconnaît boiteux dans l’histoire qu’on peut rêver d’un avenir différent où l’on marche droit : sinon, on est « fait » comme un rat et on n’a plus qu’un seul souci, son être-pour-la-mort…
Yedidyah