L’histoire est particulièrement étrange : pour combattre une invasion de serpents venimeux, Dieu ordonne à Moïse de construire un serpent de cuivre et de le placer en haut d’un mât. Toute personne qui regardera la statue du serpent sera guérie des morsures venimeuses qu’il aura subies.
Comment comprendre [*cette histoire qui paraît être absolument opposée au fameux texte des dix commandements : "tu ne feras point de statue, ni d’image de ce qui se trouve dans le ciel en haut, et sur la terre en dessous et dans les eaux qui sont sous la terre" ?*] Pourquoi Dieu autorise-t-il Moïse à construire quelque chose qui ressemble à s’y méprendre au culte des idoles : prendre une "force" du monde de la nature et lui demander sa protection. Le pire de tout est d’ailleurs que cela marche : "et si un serpent avait mordu quelqu’un et qu’il regardait le serpent et il vivait". [*Cela n’est pas sans nous rappeler le fameux caducée d’Esculape, le dieu de la médecine chez les grecs,*] lui également monté sur un bâton et qui est devenu le symbole des médecins en France.
Plus troublant encore : ceux qui ont visité le site de Timna, au nord d’Eilat, on pu voir [*les ruines de ce temple antique qui était consacré au "dieu-serpent"*]. Or c’est dans la région du nord d’Eilat qu’a lieu notre récit de la parasha , et il est difficile de ne pas faire un lien entre les deux. Difficulté supplémentaire : Dieu ordonne le culte du serpent pour sauver les Hébreux de la punition qu’il leur a lui-même infligé : face aux nouvelles plaintes de ceux-ci, Dieu a déclenché l’attaque des serpents. N’aurait-il pas mieux valu trouver une autre forme de punition dont le remède aurait paru moins contraire aux principes du Judaïsme ?
Les maîtres de la Mishna se sont interrogés sur cette question dans le traité Rosh Hashana : "Est-ce que c’est le serpent qui fait mourir, ou bien est-ce le serpent qui fait vivre ? Mais lorsqu’Israël regarde vers le haut et mettent leur cœur sous l’autorité de leur père qui est aux cieux, ils étaient guéris, et si non, ils mourraient".
Ce que nous expliquent les rabbins de la Mishna , c’est que le serpent n’était qu’un symbole : celui qui levait les yeux et voyait le serpent comprenait que de même qu’il avait été puni à cause de sa faute envers Dieu, de la même façon il pouvait être guéri en revenant vers Dieu.
Mais cette explication ne supprime pas notre problème : pourquoi avoir eu recours à un symbole qui ressemble tellement à de l’idolâtrie ? N’aurait-il pas été plus simple que Moïse leur dise : celui qui veut guérir, qu’il place sa confiance en Dieu et qu’il prie vers lui afin d’être exaucé.
Il nous semble que l’explication tient dans le fait que souvent [*les gens ont besoin d’un symbole, d’une sorte d’intermédiaire leur permettant de créer un contact entre eux et Dieu.*] Car tout le monde ne peut pas être Moïse et être capable de parler directement à la divinité. Rappelons-nous que les Hébreux eux-mêmes se sont montrés incapables d’écouter la voix de Dieu au Sinaï et ont demandé à Moïse d’être leur intermédiaire. C’est pourquoi le Judaïsme, en se développant, a créé toutes sortes de symboles qui nous aident à nous rapprocher de la sainteté. Cette situation est en soi positive, et l’exemple du serpent d’airain est là pour nous le rappeler.
Cependant, le danger existe que le symbole devienne l’essentiel et que l’on oublie qu’il n’est pas une finalité en soi : c’est là qu’apparaît le risque de l’idolâtrie. [*Cela s’est produit en ce qui concerne le serpent d’airain. Au chapitre dix-huit du second livre des rois, nous voyons comment Ezéchias, l’un des plus grands rois du peuple d’Israël, réduit en poudre le serpent d’airain qui avait été déposé dans le Temple.*] Il n’hésite pas à détruire ce souvenir de l’époque héroïque, un objet fabriqué à la demande de Dieu par Moïse, le plus grand des prophètes. C’est qu’entre temps l’objet symbole était devenu objet de culte, et qu’au lieu de rester un souvenir historique rappelant les fautes de nos ancêtres, il provoquait lui-même de nouvelles fautes. Ezéchias, comprenant qu’il n’y a pas d’autres possibilités, tranche dans le vif et supprime cet objet, supprimant ainsi l’idolâtrie qui lui était attachée. (voir 2Rois chap. 18) Cette attitude lui sera comptée comme un comportement positif par les rabbins de l’époque talmudique (Ber 10b).
Cet exemple du symbole et de ses dérapages éventuels devrait nous être aujourd’hui une base de réflexion par rapport à un certain nombre d’éléments du culte ou de la vie juive qui ont pris parfois en eux-mêmes une telle valeur qu’on peut se demander s’ils sont encore seulement un symbole, ou un intermédiaire, ou bien s’il n’y a pas une sorte de culte qui s’est développé autour d’eux, culte qui obscurcit finalement les voies pour se rapprocher de Dieu au lieu de les dévoiler.
Rabbin Alain Michel – Rabbin Massorti à Jérusalem et historien
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Merci pour cet excellent commentaire sur la signification du serpent pour les médecins qui se demandent d’où ça vient
et pour les croyants qui ne comprennent pas toujours Dieu ! ni si les symboles et les rites doivent persister ou être facultatifs maintenant
intéressant pour un non juif