Pharaon rêve. Mais son rêve reste enfoncé dans la nuit. Il ne parvient pas à se laisser inspirer par son rêve nocturne pour éclairer le jour de son action – et aucun de ses conseillers n’y parvient. Comment en effet traduire un rêve – et l’appel qu’il porte – en règle de conduite et en politique – en efficacité toute prosaïque ?
Il faut trouver celui qui est capable de préserver cette petite lumière fragile qui brille dans la nuit comme un signe et un signal, pour la traduire, l’interpréter, et qu’elle puisse ainsi éclairer de son éclat toujours particulier le grand soleil universel de l’Egypte.
Cet homme, c’est Joseph. Il a failli l’éteindre, cette lumière du rêve, en la confondant dans l’ardeur de sa jeunesse avec le soleil d’une évidence, qu’il a voulu telle quelle imposer à ses frères. Ceux-ci en furent presque brûlés – et en tout cas aveuglés au point de vouloir se débarrasser de ce rêveur impénitent.
Mais après ce dur apprentissage, Joseph sait maintenant que le rêve – comme toute parole prophétique – ne doit pas être confondu immédiatement avec une évidence diurne : il doit être travaillé et préservé en même temps (Genèse 2, 15), de manière à ce que cette source si fragile de lumière et de désir puisse être versée sans être altérée dans le vaste vase du monde et de ses besoins.
C’est ce qu’il va faire avec Pharaon, en interprétant ses rêves de manière politique. Mais c’est également ce qu’il va faire avec ses frères, lorsqu’il va les reconnaître et se souvenir de ses rêves (Genèse 42, 8-9). Il va les interpréter là dans un sens très précis : celui de la reconnaissance possible et du pardon.
Comment ? En s’arrangeant pour mettre ses frères exactement dans la même position que lorsqu’ils ont voulu s’en débarrasser - et voir alors s’ils ont toujours l’intention d’aller jusqu’au bout, ou sont prêts à amender leurs actions. Avec ce petit changement : à la place de Joseph, ce sera désormais Benjamin, l’autre fils de Rachel. Il ne s’agit pas donc de se faire simplement reconnaître, mais d’exercer une responsabilité réelle à l’encontre de ses frères – une responsabilité qui les amène à amender leurs actes – pour ainsi devenir réellement le centre, non plus comme un potentat, mais comme pleinement responsable de ses frères.
Et c’est lorsque Judah s’interposera pour libérer Benjamin et se faire otage – et esclave - à sa place, que Joseph saura qu’il peut se faire reconnaître de ses frères sans que la violence vienne encore entacher leur relation. La petite lumière du rêve sera ainsi devenue la grande lumière de la réconciliation et de sa condition – la responsabilité de chacun pour tous. C’est alors en nourrissant ses frères, son père et sa famille, que Joseph continuera d’être le centre réel du rêve qui l’avait porté.
La vraie mitsvah de hanoukah est peut-être là : c’est une lumière familiale, qui s’allume nécessairement à la maison ; la lumière qui doit éclairer l’extérieur, doit être une lumière qui vient de l’intérieur, une lumière qui refuse de se perdre dans l’extériorité et dans son éclat public. Car dans le monde public, il n’y a pas de miracle et pas de publicité possible du miracle : le miracle, c’est seulement la flamme de l’intériorité qui peut en témoigner, lorsqu’elle est portée par ceux qui s’en sentent responsables devant le monde entier – pour l’éclairer d’une lumière qui ne lui appartient pas, lui qui reste nécessairement enfoncé dans le souci de l’universel et de l’impersonnel.
Yedidiah Robberechts
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