Aujourd’hui, son ombre est partout. Dans les colloques sur la drogue ou sur Paris, les débats sur le marxisme ou le judaïsme. Au fil des recherches sur Baudelaire ou Kafka, le surréalisme ou la Kabbale. Au cœur des études sur la poésie, la littérature ou le cinéma.
Son nom est entouré de dévotion, son intuition prémonitoire célébrée, son destin tragique salué. Benjamin aura poussé l’errance juive au désarroi et au génie, nous laissant de lumineuses bribes qu’on ne cesse de retourner et de commenter. Il est parti comme il est venu. Dans un mystère.
La pensée de Walter Benjamin est un signe de contradiction posé sur notre temps. Personne ne peut s’en approcher sans en éprouver la fascination, mais ce sentiment se double aussitôt du désir impossible d’en réduire les paradoxes et les tensions. Sa biographie illustre le destin d’un intellectuel juif, coincé entre les exigences du marxisme révolutionnaire et l’appel de la tradition messianique. Quel espoir est permis dans le monde de la marchandise et de la reproduction ? La vie de Benjamin nous met en présence d’une tragédie : une succession de petits et grands échecs, de cruelles impasses, de projets fulgurants et inaccomplis, conduisant à un suicide que tout annonçait mais qui, dans les circonstances de son arrestation sur la frontière espagnole à la fin de septembre 1940, apparaît plus comme l’expression d’une lassitude que comme celle d’un désespoir. Or cette vie privée de reconnaissance fut remplie de travail patient, de dévotion à l’écriture, de labeur intellectuel méticuleux, dont chacune de ses oeuvres, et surtout peut-être celles qui sont les moins achevées, comme les Passages, porte la trace lumineuse.
Les livres ne manquent pas pour pénétrer dans ce monde crypté, où la théologie imprègne les efforts les plus humbles de saisir le langage à sa source et de proposer une doctrine de l’écriture susceptible de relever l’expérience du siècle. L’oeuvre de Benjamin est faite d’abord d’essais et de fragments, dont les objets vont de Baudelaire à la photographie, des contes d’enfants à la philosophie de l’histoire. Mais derrière cette diversité se profile une obsession fondamentale : comment lire la culture du présent ? Dans un essai qu’on peut lire comme une introduction sans prétention, Ami Bouganim propose une reconstruction de l’atelier de création de Benjamin. Le parcours emprunte beaucoup à la biographie et s’amorce avec la relecture d’Enfance berlinoise, pour revoir ensuite les années de formation et les premiers travaux. Mais au-delà de ce récit des grandes étapes de la vie de Benjamin, ce livre en montre surtout les passions et les crises : l’impossibilité de s’attacher, la pratique de l’errance, l’ambivalence constitutive et, en dépit de tant d’obstacles, la persistance d’une méthode qui est le contraire de l’esprit de système, l’attention au singulier, au détail qui révèle et illumine.
Walter Benjamin
Le rêve de vivre
Ami Bouganim
Albin Michel, « Présences du judaïsme »
Paris, 2007, 257 pages
Ami Bouganim, écrivain et philosophe, pratique dans cet essai brillant et original l’art du montage, préconisé par Walter Benjamin, pour explorer l’œuvre et la personnalité de celui qui reste l’une des figures les plus inspirées et les plus attachantes du judaïsme européen.
