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Dracha de Kippour 5767

Dracha de Kippour 5767

Chers amis

Je dois vous avouer que j’entame cette nouvelle année juive avec de grandes appréhensions mêlées d’espoir, deux dimensions contraires mais complémentaires que nourrit notre tradition.

Il m’est arrivé par le passé de lire certains passages de la liturgie de Kippour en me disant : Tout de même, les juifs de l’Antiquité et du moyen âge ont dû bien souffrir pour écrire des propos aussi terrifiants que :
« Notre Père et Roi, réduis à néant les conspirations de ceux qui nous haïssent.
Notre Père et Roi, retourne contre nos ennemis le mauvais conseil qui les inspire.
Notre Père et Roi, écarte tout malheur et calamité qui nous menacent.
Notre Père et Roi, protège ceux qui ont fait alliance avec Toi, des dangers de la guerre, de la captivité, de l’anéantissement, du crime et de la persécution… »

Les appréhensions

Les appréhensions ? C’est le fait que ces paroles sont redevenues d’une actualité immédiate, y compris la menace de chemad, d’anéantissement.
Je pense, vous l’aurez compris, aux déclarations répétées du président iranien et à ses intentions de se doter de l’arme nucléaire. La dernière guerre du Liban a montré à qui ne l’avait pas encore vu, que le Hezbollah est le bras armé de l’Iran. Ahmadinejad n’a donc pas besoin de construire son super-missile à longue portée. Un seul missile à tête nucléaire qui – qu’à Dieu ne plaise – atteindrait la banlieue de Tel Aviv et les 2/3 de la population israélienne serait immédiatement décimée, l’État d’Israël anéanti... Pendant la guerre, j’ai reçu par e-mail une formule simple et juste : « Si le Hezbollah dépose les armes, il n’y a plus de guerre au Liban. Si Israël dépose les armes, il n’y a plus d’Israël. » Voilà où résidait, et où réside encore, la « disproportion » fondamentale entre les acteurs de ce conflit. Si Israël ne parvient pas à faire désarmer le Hezbollah et s’il n’inquiète pas ses voisins dans les réactions puissantes qu’il pourrait développer lorsqu’il est frappé, c’en est fini de sa dissuasion. Israël ne survit que parce que la forteresse paraît imprenable ou indestructible. La plupart des grands médias français, suivant en cela le Quai d’Orsay, ignorent superbement cette donnée fondamentale.

Le problème de la colonisation

Un mot sur la colonisation des territoires palestiniens. Oui, c’est un abcès de fixation. Oui, elle a quelque chose d’immoral. Mais elle n’est pas née du hasard, ni du seul fait d’Israël ou de par la soit disante fièvre messianique dite au « grand Israël » qui ne concerne en réalité qu’une petite faction des israéliens. Elle est le fruit de la menace existentielle qui pèse sur Israël. Non, le nœud gordien du conflit israélo-arabe n’est pas la colonisation même si celle-ci a un effet délétère. La preuve : chaque fois qu’il y a eu un accord de paix ou une concession territoriale unilatérale d’Israël, le terrorisme fait tout capoter. Et maintenant, le gouvernement palestinien préfère la misère de son peuple plutôt que de céder à la reconnaissance du droit d’Israël à exister en paix et d’entériner avec lui les accords de paix déjà signés !
Pour le monde musulman, très largement, c’est l’État d’Israël tout entier qui est perçu comme une colonie de l’Occident. Et ce refus est alimenté par un fond théologique qui est l’injure, le « blasphème » qui serait fait à l’islam qu’un État juif se soit édifié en plein Dar âl islam, territoire sacramentalisé par l’Islam. La place du juif n’est-elle pas à tout jamais dans la dhimmitude, comme jadis en terre chrétienne, la place du juif était dans le rôle du témoin maudit ? Partout dans le monde musulman, dans une mesure ou une autre, sur les écrans de télé, sur Internet, dans les manuels d’école, dans les prêches des mosquées, dans les journaux, dans les librairies, dans les discours des dirigeants politiques, les juifs sont démonisés et animalisés (théorie du complot, Protocoles des Sages   de Sion, etc.), et l’éradication de l’État d’Israël est dès plus que jamais un objectif de « salubrité publique ».

Les ambivalences du discours devant le négationnisme et l’antisémitisme

Quelle est la position en Europe, en France devant la déferlante consternante qui voit le monde musulman partout encourager le négationnisme et l’antisémitisme ? Que disent les Églises catholiques et protestantes ? Les silences sur ce sujet me sont assourdissants ! Nous comptons en leur sein aujourd’hui de grands amis. Mais pourquoi alors ne clame-t-on pas haut et fort que cette haine radicale rappelle « l’enseignement du mépris » sur lequel les Églises ont fait d’elles-mêmes « repentance », « techouva », selon le terme hébraïque, et que de tels propos ne peuvent être tolérés davantage ?

J’y reviens dans un instant non sans évoquer d’abord un point très sensible. J’observe un double phénomène apparemment sans lien mais qui fait résonance l’un à l’autre. D’une part, il devient de plus en plus difficile de perpétuer la mémoire de la Choa. Certes, en France, nous n’avons pas globalement lieu de nous plaindre. Mais ici et là, j’entends de plus en plus des réactions négatives au « devoir de mémoire ». Il est possible, et j’ai déjà eu l’occasion de le dire, qu’en effet, il y a trop de commémorations, trop de convocations, et qu’à force d’insister sur le message, parce que cela est fondamental à nos yeux, et ça l’est je crois pour l’Europe entière, cela n’est plus entendu ou pire, cela finit par provoquer saturation et exaspération, soit l’effet contraire escompté ! À vrai dire, je crois que certains n’ont jamais eu trop envie de s’embarrasser des discours de mauvaise conscience à l’égard du peuple juif, et nous savons que les vieux stéréotypes antisémites sont prompts à ressurgir dès que l’on baisse un peu la garde. En ce moment, dans le quartier de notre synagogue, l’école publique est en émoi parce qu’il est prévu d’y poser prochainement une plaque commémorative à la mémoire des enfants déportés parce que juifs. Une partie des parents y est favorable, l’autre indifférente, et une autre encore très opposée et très active, pour toutes sortes de motifs dont certains sont franchement peu honorables, selon les témoignages que j’ai pu recueillir. Au fond, j’ai le sentiment ou disons la crainte que le verrou pourrait bientôt sauter, comme il est tombé depuis déjà longtemps au sujet de l’État d’Israël, que l’on se lâche de plus en plus à dire des choses odieuses sur ces juifs qui tirent tout la couverture à eux et tirent profit de la mauvaise conscience… Autrement dit, que les inhibitions se mettent à tomber pour redonner place à de tristes atavismes. Voyez le paradoxe : la mémoire de la Choa sert maintenant à réveiller les pires animosités contre les juifs !

Inhibition et autocensure vis à vis du fondamentalisme musulman

Et tout cela, pendant que ce passe le phénomène inverse à l’égard du fondamentalisme musulman. Pour le coup, c’est l’inhibition qui gagne et conduit à l’autocensure. Si les juifs globalement agacent, les musulmans globalement font peur. À Berlin, le Deutsche Opera, a décidé cette semaine de sa propre initiative de censurer une production, Idoménée de Mozart, jugeant qu’une scène pourrait lui attirer des ennuis. Dans la mise en scène, le roi de Crète, naufragé, dépose en sacrifice quatre têtes sur des chaises : celles de Poséidon, de Jésus, de Bouddha et de Mahomet. C’est au moins une tête de trop. Là c’est l’éditeur de Contre-prêches recueil de chroniques de France Culture de l’écrivain Abdelwahab Meddeb, qui lui censure la couverture prévue car elle comporte une iconographie qui ose mettre en parallèle le prophète Muhammad qui reçoit la première révélation de l’ange Gabriel et d’autre part l’Annonciation faite à Marie de la naissance immaculée de Jésus. Cela pourrait irriter et offusquer un certain public... Il faut dire qu’après Salman Rushdie et les accélérations de des derniers mois, l’affaire des caricatures de Mahomet au Danemark, le tollé soulevé par les récents propos du pape, et maintenant ce professeur de lycée, Robert Redeker, qui est menacé de mort après une chronique anti-musulmane dans le Figaro, et bien d’autres affaires encore – qui du fait de l’autocensure ne seront jamais connues du public – tout cela donne désormais à bien réfléchir avant de dire un mot de travers sur les dérives de l’islam.
Je voudrais que l’on comprenne bien la nature de mon propos. Les musulmans ont parfaitement le droit d’être indignés de tel propos ou de telle image qui peut être donnée de leur prophète et de leur religion. J’ai déjà eu l’occasion de dire aussi que l’on se permet parfois les pires amalgames, que l’on démonise et réduit l’islam à la caricature car l’Occident se montre incapable de percevoir des différences de mentalité avec l’Orient. Et il est et serait normal que des musulmans protestent et contestent. Mais faut-il confisquer tout débat, faut-il contester l’accusation de violence en employant justement la menace et la violence ? Les musulmans n’ont-ils pas pour devoir de contester avec virulence les dérives de l’islamisme et la mise en cause de la liberté d’expression ?

L’intégrisme musulman une minorité ? est-ce rassurant pour autant ?

On se rassure en se disant que l’intégrisme musulman ne touche qu’une petite minorité… Est-ce vraiment rassurant ? Ce sont toujours de petites minorités qui un jour, dans l’histoire, ont pris de grands pouvoirs. L’Europe est tétanisée et risque de s’enfoncer dans une autocensure qui caractérise les régimes totalitaires. Qui est prêt à lancer un vrai débat sur l’islam ? « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente » comme disait Brassens… S’il est vrai que nous devons nous interdire d’amalgamer islam et islamisme, les musulmans et les intégristes, il est aussi vrai que nous avons besoin que les musulmans éclairés se lèvent et clament haut et fort, arguments à l’appui, que ce n’est pas ainsi qu’il convient de présenter l’islam et d’échanger idées et critiques avec ses représentants. Et si des intellectuels musulmans étaient de bonne volonté mais qu’ils étaient eux aussi sous le régime de la terreur, craignant pour leur vie ? Tout cela craint le pire. Et si les réactions épidermiques de l’Occident, dont la nôtre, nous les juifs, n’étaient pas la meilleure manière et qu’elles provoquaient à leur tour l’incompréhension ? Je m’interroge en cette veille de Kippour.

Amorcer un dialogue avec l’Islam

Idéalement, je sais à quoi il faudrait arriver. La meilleure manière d’amorcer un dialogue avec une religion avec laquelle il existe des frictions, c’est non de la critiquer mais de l’interroger. Et la meilleure manière de donner confiance dans ce type de dialogue, c’est de s’autocritiquer et par là inviter l’autre à en faire de même. Rien de pire que l’escalade des reproches. Mais comment arriver à ce climat de confiance s’il est interdit d’exprimer ses angoisses, si les tabous interdisent la liberté de parole, si l’autre en face n’a pas les même dispositions au dialogue ?

Je pense en cette veille de Kippour que ce que je dis là du dialogue interreligieux, vaut d’abord pour nos relations interpersonnelles. La meilleure manière d’apaiser les tensions qui existent à l’intérieur de soi, d’un couple, d’une famille, d’une communauté, n’est-ce pas de s’interroger mutuellement et de s’autocritiquer au lieu de se critiquer. C’est notamment en osant la démarche de réconciliation, de demande de pardon que l’on incite le mieux l’autre à en faire de même ! Tout le rituel de Kippour est fondé sur l’introspection, sur ce que chacun en son for intérieur peut et doit décider, s’améliorer soi-même pour améliorer le monde. Mais la tradition pose une limite. Si celui qui est en face refuse tout dialogue, toute démarche introspective, rejette la réconciliation, ou le pardon, on ne peut aller plus loin. Dieu ne nous tient plus alors pour responsable. Car il faut être au moins deux pour dialoguer et réapprendre l’estime de l’autre. N’est-ce pas d’ailleurs le drame fondamental que connaît le Créateur face à Sa création ?

Je suis conscient que le terme « repentance » a été beaucoup galvaudé et qu’il existe désormais autour de ce terme saturation et exaspération. Mais quand il dénote une véritable prise de conscience et de responsabilité, il conserve toute sa noblesse. La repentance n’induit pas tant une dette qu’un devoir de vigilance. Les églises, je le rappelais tout à l’heure, ont fait « repentance » à l’égard du peuple juif et je crois profondément en la sincérité de leurs élites. En ce sens, tirer les conséquences de la condamnation de la théologie de la substitution et de la négation, par les Églises, cela devrait impliquer pour elles non pas d’entretenir une culpabilité morbide compensée par un soutien aveugle et inconditionnel à la politique d’Israël, mais sûrement un devoir de lutter contre les atavismes, la reproduction de schémas mentaux de la détestation et du mépris d’un judaïsme et du peuple juif. C’est notamment aujourd’hui faire barrage à tout ce qui dans le monde musulman met en cause le droit fondamental à l’existence de l’État d’Israël et la dignité du peuple juif ; c’est prendre la véritable mesure des menaces qui plus que jamais pèsent sur eux. Il faut entendre ici la définition que donne Maïmonide   de la véritable repentance : « C’est lorsque quelqu’un se retrouve en une situation de tentation identique à celle dans laquelle il a failli par le passé, mais cette fois s’en écarte » (Hil. techouva. 2:1).

Etre fort à l’égard du fondamentalisme musulman... sans fermer les portes du dialogue

Pour finir, je dirai que le monde occidental doit se montrer fort à l’égard de la montée du fondamentalisme musulman, en s’efforçant de ne pas fermer les portes du dialogue. J’ajouterais au devoir de défense du droit d’Israël et du peuple juif, celui de la coexistence ; car en effet, il ne faut pas défendre Israël contre les arabes ou contre l’islam en tant que tel mais lutter pour que toutes les dénégations soient dépassées par la recherche et l’encouragement à une paix négociée juste et durable entre palestiniens et israéliens et plus globalement, sur un plan théologique par un travail d’harmonie entre les trois religions. Que l’Éternel, chomèr Israël, qui malgré toutes les vicissitudes, les pogroms et la Shoa, a permis et assuré la pérennité du peuple juif à travers l’histoire, entende nos prières, notre volonté de paix et de fraternité, et écarte bien vite les menaces qui pèsent sur Israël et sur la planète entière.

Ossé chalom bi-meromav hou yaassé chalom aleinou ve-âl kol Israël, ve âl kol yochevé tèvèl, ve-nomar amèn.

Rivon Krygier, rabbin   de la communauté Adath Shalom  

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