Il est, certes, parfois difficile de discerner l’humour de la provocation ou de l’insulte. Pourtant, nous savons que certains rabbins   ont pu répondre à l’humour (voire à la provocation) par l’humour. Notre tradition rejette l’humiliation en public et nous enjoint, selon le verset des psaumes que nous connaissons déjà : « Bakech chalom vérodféhou », « demande la paix et poursuis-là ». Une des façons de poursuivre la paix, est de désamorcer les situations conflictuelles et la tension qui les accompagne.

Nous connaissons l’histoire de ce non juif qui se présente pour se convertir mais n’accorde à son Rabbin   que « le temps pendant lequel il arrive à se tenir sur un pied ». Quand on connaît l’immensité de l’océan de la civilisation juive, on comprend combien une telle demande peut paraître insultante. Pourtant, si Chamaï réagira en fonction de l’insulte à la sagesse juive qui semble être contenue dans cette requête, Hillel répondra différemment. Il tiendra compte de l’ignorance du provocateur et surtout, proportionnelle à sa propre sagesse qui le place au-delà de l’insulte éventuelle.

Relisons ce célèbre passage du Talmud   du traité Sanhédrin qui précède l’épisode que nous venons de raconter :
« Les Rabbins   ont enseigné : c’est l’histoire d’un non juif qui se présente devant Chamaï. Il lui dit : « Combien d’enseignements (Torot ; תורות ) avez-vous ? » Il lui répond : « Deux, la Tora écrite ( תורה שבכתב ) et la Tora orale ( תורה שבעל פה ). » Le non juif lui dit : « En ce qui concerne la Tora écrite je te fais confiance, en ce qui concerne la Tora orale je ne te fais pas confiance. Convertis-moi en ne m’enseignant que la Tora écrite. »

Alors que Chamaï, encore une fois, le repousse, voici l’attitude de Hillel :
« Le premier jour, il lui a dit et lui a enseigné le aleph, le beit, le guimel, le dalet. Le lendemain, il lui a tout inversé (et lui a enseigné les lettres dans le désordre). Il (le non juif) lui a dit : « Hier tu ne m’avais pas enseigné cela ! » Il lui a répondu : « Et tu prétends ne pas me faire confiance ! Alors pour l’enseignement oral également fais-moi confiance ! » » (Babli sanhédrin 31a)

Tel est pris qui croyait prendre. Lorsqu’on énonce une vérité, ici celle de la nécessaire confiance au maître, elle doit apparaître d’elle-même. Ne pas s’affoler est la première qualité, celle qui permettra à la vérité de se faire jour, et à nous-mêmes de garder le recul nécessaire face aux difficultés de la vie, qui sont souvent plus passagères qu’il n’y parait. L’histoire ne dit pas si le non juif a été convaincu. En revanche, elle montre le flegme, l’humour et la fantaisie de Hillel.

Dans les histoires du Talmud  , Dieu lui-même rit. Lors de la fête de Pourim, rire et parodier sont des commandements ! Il est habituel à cette occasion de parodier tout le monde, et dans les yéchivot, cela inclut également le rabbin  . Un « Rabbin   de Pourim » est désigné spécialement pour cela. Cet enseignement de l’auto-dérision est comme une barrière destinée à nous empêcher de nous prendre trop au sérieux. Nos valeurs bien sûr sont intouchables, « kadoch », séparées. Mais pour cette raison, il n’est pas nécessaire de s’en prendre frontalement et brutalement à ceux qui prétendraient les salir. Très souvent d’ailleurs, la question de l’ « insulte » peut sembler très claire pour les uns et ambiguë pour les autres, très souvent une simple incompréhension est traduite comme une déclaration de guerre. La paix est solidaire de l’humour. Ainsi le prophète Elie annonce à Rabbi Broka que certaines personnes auront part au monde futur. Rabbi Broka se demande pourquoi et les questionne :

« Quelles sont vos occupations ? » « Nous sommes des bouffons. Lorsque nous voyons des gens tristes, nous les égayons : et aussi quand nous voyons des personnes qui se querellent, nous faisons tout pour les réconcilier. » (Taanit 22a)

Notre paracha   s’appelle Ytro. Elle contient les 10 commandements, ce qui lui donne une grande importance, et donne aussi une grande importance aux autres éléments qui la composent.

On y prévoit justement, qu’aucun autel, destiné aux korbanot, au rapprochement entre l’Homme et Dieu, ne puisse être fabriqué en utilisant des pierres taillées, car utiliser des instruments de guerre empêche la construction d’une relation avec Dieu.

Elle porte justement le nom d’un personnage qui n’est pas juif, et qui ose pourtant proposer ses conseils au prophète inégalé qu’est Moïse ! La réaction de Moïse bien sûr, n’est pas de s’offusquer mais d’accepter ce conseil judicieux.

Le midrach   qui l’accompagne s’ouvre par la comparaison entre Jéthro, Ytro, le beau-père de Moïse et Esaü, incitant ainsi à l’intelligence dans le jugement : tous les non juifs ne se valent pas. En cela, il est parallèle à notre histoire qui compare Hillel et Chamaï : Les rabbins   eux-mêmes ne sont pas équivalents, ils ont aussi bien des qualités que des défauts… et c’est une grande qualité du Talmud   lui-même que de pouvoir le reconnaître.

Ainsi va la vie, nous avons des qualités et des défauts, et le mieux est d’espérer que les autres rient de nos défaut au lieu de nous en vouloir. La première chose, pour cela, si nous en sommes capables, est de leur ouvrir la voie en commençant par en rire nous-mêmes.

En cette semaine de préparation de Pourim et en cette semaine de procès fait à Charlie Hebdo pour la reprise des publications de caricatures de Mahomet au Danemark, espérons que l’humour sera vainqueur, et, pour être vainqueur, qu’il soit partagé.

Rabbi Floriane Chinsky

Question à discuter :

Charlie Hebdo aura-t-il part au monde futur ?

Eléments de réponse :

le site http://unecharlie.canalblog.com/

Le Talmud  , Taanit 22a (voir plus haut)

Le midrach   sur Ytro

Voir également l’article "Faut-il avoir peur de mourir de rire ?" sur les carricatures
http://massorti.com/spip.php?article2