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Henri Meschonnic

Henri Meschonnic

Traducteur de la Bible -

Ce 8 avril 2009, veille de Pessah, Henri Meschonnic nous a quitté.

Veille de Pessah, en pleine préparation de la fête des Matsot, de la fête de la liberté, ce grand esprit libre s’en va ! A l’heure où l’on change totalement de rythme pour mieux célébrer la liberté.

Pessah nous apprend à mettre du blanc, de la respiration, du langage dans la nourriture, nourriture qui joue de la temporalité orale. Pessah, « la bouche qui parle », pas pour ne rien dire, mais apporter du signifiant.

Henri Meschonnic est né à Paris en 1932. C’était un poète, un traducteur de grand talent, un critique, un théoricien du langage. Pour moi c’était également un ami, de loin, de ces amis qu’on ose déranger dans leur travail. C’était aussi un homme d’un formidable humour à la langue terriblement aiguisée et au tempérament trempé dans les vraies épreuves de la vie, de la survie (il fut un enfant caché). C’était aussi un juif debout, un juif du langage, un juif du verbe, ni du dogme et ni du baratin, mais de la pensée au plus prêt du texte.

Henri Meschonnic a notamment été lauréat des prix Max Jacob en 1972 et Mallarmé en 1986. Il a reçu en 2006 le Prix de littérature francophone Nathan Katz pour l’ensemble de son œuvre. Il fut président du Centre national des lettres.

Henri Meschonnic a proposé une anthropologie historique du langage qui engage la pensée du rythme. Dans une langue, ce qui fait sens, c’est le rythme. Le rythme est l’espace où la langue, soumise aux lois sociales et grammaticales, offre un espace de liberté au « sujet parlant ».

Une série d’essais, depuis Pour la poétique jusqu’à Politique du rythme, Poétique du rythme en passant par Critique du rythme, Anthropologie historique du langage ont engagé un chantier considérable.
Selon Meschonnic, le rythme est le mouvement de la parole dans l’écriture. Il traduira ses principes sur le rythme comme traducteur de la Bible et comme poète.

Il entreprit de traduire la Bible dans le souci, non seulement de trouver le mot juste, mais également, et c’est toute l’originalité de sa traduction, de transcrire le rythme si particulier de l’hébreu biblique qui ne connaît pas l’opposition vers/prose, en s’appuyant systématiquement sur les taamim, les signes de cantillation de la massora et en les remplaçant, en français, par des espaces. La démarche est absolument nouvelle. De plus il accompagna sa traduction d’un appareil de notes comparatives avec les autres traductions des plus instructif, reflet de son humour et de son érudition.

Juif non religieux, il choisit les textes bibliques les plus centraux de la liturgie juive. C’est-à-dire, ceux de la Tora, (hélas, cette traduction n’est pas encore publiée intégralement), lus chaque shabbat ; les cinq meguilot, lues à chaque fête juive ; Jonas lu à Kippour et enfin les Psaumes, qu’il nomma Gloires, accompagnant le juif en prière. Il faut espérer que l’ensemble de ces traductions au rythme de la liturgie juive sera un jour publié en un volume, accompagné de l’original hébreu, susceptible de servir dans les synagogues et de livre de référence au petit cercle de ceux qui aiment à mettre ces textes en bouche.

Il avait dit dans une interview : "L’hébreu ne dit pas "langue sainte", il dit "langue de la sainteté". Il y a la langue, et il y a la sainteté. Le paradoxe est que je traduis un texte écrit dans la langue de la sainteté, mais je ne le fais pas en religieux. Je le fais comme quelqu’un qui essaie de comprendre le rapport entre le divin et le langage."

Voici quelques citations de son œuvre multiple :

Citation :

« L’écriture, si elle est vraiment écriture, transforme. La poésie ne célèbre pas, elle transforme. Elle est un mode d’intervention. Non sur les choses, mais sur le sentiment des choses. C’est du sens de la vie qu’il s’agit avec le sens de ce qu’on dit, ou alors on parle pour ne rien dire. Si penser n’est pas intervenir, à quoi sert de penser ? Et le poème est bien un mode de pensée. Son rapport physique à la voix en fait une physique de la pensée. »

Henri Meschonnic, entretien avec Jacques Ancet.

Poème

Dans ce texte il évoque l’errance des hébreux au désert et l’errance par conséquent du verbe de Dieu.

« J’étais la voix des autres / j’admirais l’aridité / qui montrait ses fleurs rouges. / L’araignée des proverbes / marchait quarante années / derrière un fourneau. / Maintenant une parole me détruit pour naître / et transporte de moi ce qui de moi peut passer / du côté de ma parole / où je ne me connais pas encore. / J’ai toujours été de l’autre côté / un de l’autre côté. / Chaque mot déchire une peur / ce changement est ma voix / je me détourne je célèbre mon détour. / Maintenant toutes mes paroles / sont ensemble mon exil et mon pays / je passerai ma vie à ressembler à ma voix. »

Langage et corps

« Le travail de la poésie, c’est peut-être de mettre le maximum du corps dans le langage. Ce que j’avançais dans La rime et la vie, en posant que l’oralité était l’inverse de l’hystérie - l’hystérie met le langage dans le corps, pour le lui faire mimer ; l’oralité met le corps dans le langage, elle fait une contre-hystérie. C’est le langage alors qui est hystérique, pas le corps. Cela n’étant en rien métaphorique, mais réalisé dans le rythme, la prosodie. En quoi le rythme est du sujet. »

Note de traduction

« Je garde la forme prononcée du tétragramme, adonaï. Les dévots disent « Hachem », le Nom, ce qui à mes yeux est de l’idolâtrie : l’interdit du nom ramenant le mot « Nom », donc un détour qui maintient la notion de nom, contre Exode 3,14. D’autres, « Yahvé », ce qui est une cuistrerie, et une insulte à la poétique du divin. D’autres gardent YHWH, ce qui ne veut rien dire, en français. D’autres disaient « l’Eternel ». Ce qui traduit le sens du nom. »

Je trouve cette note particulièrement éloquente.
Il avait à ce sujet un jeu de mot cinglant, « Yahvé ? Que dites-vous, il y a encore ! »

Contre Heidegger

Meschonnic a également mené une bataille véhémente contre Heidegger, dont il jugeait la pensée et la langue inséparables de son engagement nazi. Dans le langage Heidegger, paru en 1990, il pointe les tics qu’un courant de la philosophie française, autour de Derrida, aurait emprunté au philosophe allemand.

« J’ai voulu analyser l’implication réciproque entre l’essentialisation du langage, de la poésie, de l’art, et l’essentialisation de la politique ; montrer que c’était une seule et même chose ; qu’on pouvait en situer l’origine et l’effet de théorie sans tomber dans le sociologisme que Derrida et d’autres reprochaient (légitimement) à ceux qui se contentent de condamner le nazi en pensant par là disqualifier sa pensée. Mais sans tomber non plus dans le piège de ceux qui, en séparant les deux, et en laissant à son sort l’indéfendable, croient sauver la pensée. Et font de Heidegger le plus grand penseur de ce siècle. J’ai voulu montrer que c’étaient deux mystifications opposées.

Je me référerais ici à Kenneth Burke, en situant ce travail comme un travail de débusquage. Le débusquage d’une logologie. Dont les effets de pouvoir sont immenses. D’où le silence sur ce livre. Pour moi, j’ai mené une analyse aussi attentive au discours et à son enjeu que j’ai pu, pour la poétique. J’ai voulu faire à fond ce qu’Adorno avait seulement effleuré dans Jargon de l’authenticité. Montrer que Heidegger ne sait pas lire un poème, ne sait pas voir une peinture. Ce que beaucoup encore ne semblent pas comprendre.

Et pourquoi tant de philosophes français de gauche ont un discours heideggérien réactionnaire, sans le savoir, parce que le nihilisme de Heidegger permet de prendre pour une attitude critique une attitude de rejet. Rejet de la vérité en histoire, par exemple. Combien de temps durera l’illusion Heidegger ? Dans son texte posthume du Spiegel, il disait qu’il écrivait pour dans trois siècles. C’est aussi en pensant à ce lointain avenir, quand les horreurs de ce siècle toucheront autant que nous touche aujourd’hui la guerre de Cent Ans, que j’ai fait cette analyse. L’illusion Heidegger dure déjà depuis longtemps. Elle durera tant qu’on restera dupe, c’est-à-dire aussi complice et bénéficiaire de cette grande imposture de la pensée. Imposture par sa pauvreté dans la représentation du langage, dans Être et temps, l’admiration étant proportionnée à la carence de la théorie du langage chez les philosophes.

Le penseur d’aletheia (« vérité ») aura aussi été un maître du mensonge. Tout ce décapage nécessaire laissera un grand néo-scolastique, un artiste du réalisme logique.

Mais si la philosophie est grande par l’invention de nouvelles manières de penser et de questions nouvelles, Heidegger n’est pas du tout un inventeur de la pensée. Il me semble qu’il y en a bien plus chez Wittgenstein que chez Heidegger.

Heidegger, plus qu’une pensée nouvelle, représente une attitude intellectuelle. Cette attitude est mauvaise pour la poésie, pour l’éthique, pour la politique. Elle est faite de syncrétisme et de ruse. Plus elle fait de dupes, et de narcisses, plus il faut la combattre. Ce n’est en rien une position dogmatique. C’est une attitude critique. »

Traduction d’un "Gloire"

Voilà un exemple de ses traductions, le dernier Psaume en dernier hommage, avec toute mon admiration. (La casse, blanc de texte est marquée ici par un trait)

Gloire à Yah ____ gloire au dieu dans sa sainteté

— - Gloire à lui ____ dans le ciel déployé de sa puissance

Gloire à lui dans ses merveilles

— - Gloire à lui ____ selon l’immensité de sa grandeur

Gloire à lui ____ dans le son du chofar

Gloire à lui ____ dans la harpe et la cithare

Gloire à lui ____ dans le tambourin et la danse

— - Gloire à lui _____ dans le luth et dans la flûte

Gloire à lui dans les cymbales sonores

— - Gloire à lui ______ dans les cymbales de hourra

Tout souffle de vie _____ fait gloire à Yah _____gloire à Yah

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