Les différences entre sionistes-religieux progressistes et juifs massortis ont tendance à s’effacer, et parfois le passage au "mouvement Massorti " apparaît comme une continuation logique de l’éducation au "Bné Akiva".
Tamar Elad-Applebaum, 33 ans, aujourd’hui rabbin Massorti , a grandi dans une famille sioniste religieuse dans le quartier de Ramat-Eshkol à Jérusalem.
Son parcours est classique pour une jeune fille de son milieu : études secondaires au lycée religieux "Pelekh", membre actif puis cadre dans le mouvement "Bné Akiva", service militaire, université, enseignement.
Le changement dans sa vie par rapport à ses amies est dû à des convictions féministes qui bouillonnent en elles depuis toujours, et dans son refus de tout compromis avec l’égalité entre les sexes : "Je me suis toujours sentie féministe. Mon groupe du Bné Akiva a justement été un des premiers à proposer des leçons de Talmud aux filles par des filles, et je me sentais prendre part à un grand changement. D’un autre côté, je me suis aussi confronté à un "plafond de verre" : ces mêmes femmes érudites se retrouvaient après le cours derrière la mehitsa, et j’y voyais une profonde injustice, un "crime religieux".
En classe de première j’ai décidé de commencer à prier trois fois par jour (comme les garçons) mais j’avais du mal à trouver un endroit où les femmes pouvaient prier, et j’éprouvais une grande solitude. J’ai toujours senti que je ne pouvais me permettre de prier à voix haute, que je ne connaissais pas les secrets des règles de la liturgie ou de la lecture dans la Torah, et cela me dérangeait beaucoup".
Mais de là à rejoindre les massortis, la route était encore longue. "Lors de mon service militaire j’ai bien côtoyé quelques groupes de massortis ou de libéraux, mais je me sentais étrangère à eux, ils étaient pour moi un groupe d’américains étranges".
Après l’armée elle s’inscrit à l’université pour étudier la pensée juive et seulement après –sur le conseil d’un ami orthodoxe - elle commençe à étudier au séminaire rabbinique massorti .
Le rabbin Avi Deutsch, 37 ans, a lui aussi un parcours proche. Il grandit dans le quartier de Kiryat Moché à Jérusalem, est membre du "Bné Akiva", "et à l’âge de 8 ans j’ai même milité contre le retrait du Sinaï", dit-il avec un sourire. Après ses études secondaires au lycée religieux "Himmelfarb" il étudie à la yéchiva du mouvement des Kibboutz religieux. "Je voulais vraiment être rabbin , et quelqu’un m’a conseillé d’aller étudier au séminaire massorti . Puisque je ne voyais pas beaucoup de différence entre le monde dans lequel j’ai grandi et les massortis, je me suis dit "pourquoi pas ?"
Mon épouse a grandi dans une famille massorti , et cela a aussi contribué à ma décision." Après ses études il officie pendant 5 ans et demi comme rabbin de communauté à Jérusalem. Parallèlement il est membre actif de l’association "shomré mishpat"- association de rabbins de toutes les tendances qui apportent un soutien humaniste aux palestiniens.
Le parcours biographique n’est pas le seul point commun de Tamar Elad-Applelbaum et d’Avi Deutsch. Pour les deux, ce qui peut paraître à certains comme un changement drastique n’est que la continuation naturelle du milieu dans lequel ils ont grandi. "Le vocabulaire théologique de la yéchiva du kibboutz religieux n’est pas fondamentalement différent de celui des massortis. Seule la pratique quotidienne change" dit Avi Deutsch.
Le seul dilemme qui les taraudait avant faire le pas n’était pas de nature idéologique ou religieuse mais tout simplement sociale : comment les proches vont-ils réagir ?
Pour Avi, l’accueil fut presque parfait : "ma seule crainte était d’ordre sociale, et après m’être assuré que cela n’influerait pas sur mes liens sociaux, je n’ai pas eu beaucoup de difficulté pour entamer le processus. En fait, même certaines personnes desquelles je ne m’y attendais pas, comme certains rabbins qui m’étaient proches, m’ont soutenu dans cette démarche.
A dire vrai, je ne me suis pas confronté à une seule réaction hostile dans tout mon cercle de connaissance. Il y eu bien une mauvaise expérience aux milouïm, lorsqu’un des camarades a refusé que je lise dans la Torah. Dans ce cas je me suis levé et j’ai quitté la synagogue. Une autre fois un ami proche a refusé de dire une bénédiction à mon mariage. Ce n’étaient que des cas isolés, même si je reconnais que j’ai eu du mal à les digérer."
Pour Tamar, les réactions furent plus mitigées :"ma famille a certes eu des craintes sur mon avenir dans le milieu religieux, mais elle a bien reçue la démarche, puisqu’ils comprenaient que ce n’était que la continuation de mon cheminement personnel. Mais chez certains amis il y eut un éloignement, qui m’a beaucoup déçue et isolée. Les amis ne m’ont pas abandonné, mais un fossé s’est creusé avec le temps jusqu’à devenir un abîme."
Tamar et Avi sont représentatifs d’un phénomène intéressant de la dernière décennie : des jeunes se situant dans l’aile libérale du mouvement sioniste religieux trouvent finalement leur place dans le mouvement massorti . Ce mouvement leur convient car son idéologie correspond à celle qu’ils avaient lorsqu’ils étaient encore considérés "orthodoxes ".
Autrement dit, la recherche d’une vie comportant une certaine fidélité à la tradition, dans laquelle la halakha tient une place centrale, (à la différence des libéraux qui ont abandonné la halakha ), à côté d’une volonté d’"actualisation" de la halakha en conformité avec les valeurs de la vie modernes en lesquelles ils croient aussi (féminisme, droits de l’homme etc.)
Il faut néanmoins préciser qu’il ne s’agit pas d’un phénomène de masse, et que les religieux ne se précipitent pas par milliers vers les communautés massorties. D’autre part, ici et là il y eut toujours des gens qui changèrent de bord, et pas seulement des jeunes. Le cas le plus célèbre de ces dernières décennies est celui du professeur Alice Shalvi, ancienne directrice du lycée "Pelekh" à Jérusalem et présidente du lobby des femmes d’Israël, qui il y a 12 ans a surpris toutes ses élèves et amis en annonçant son passage au mouvement massorti .
Alice Shalvi vécut sa révolution intérieure à l’âge de 70 ans.
Aujourd’hui elle dit : "il m’arrive souvent de me demander si je le referais aujourd’hui, après qu’il y ait eu nombre d’avancées féministes dans l’orthodoxie moderne, mais il me semble qu’il reste encore malgré tout une certaine différence entre le niveau d’égalité qui existe même dans une synagogue comme "Shira Hadasha" (la synagogue la plus féministe de l’orthodoxie hiérosolomytaine, dans laquelle les femmes montent à la Torah et dirigent les offices pour certaines prières, bien que les hommes et les femmes soient séparés) et entre ce que je recherche."
Malgré cela, on peut constater un changement profond dans le rapport entre l’orthodoxie libérale et le mouvement massorti . "Je rencontre beaucoup de jeunes couples, vivant à Jérusalem, qui ne veulent plus que leurs enfants grandissent avec le fossé qui existe dans l’orthodoxie libérale entre le niveau d’égalité à la maison et les normes de la synagogue", dit Tamar Elad-Applebaum. "Pour eux, les synagogues massortis sont une possibilité de plus."
Le principal changement n’est pas dans le nombre de membres des communautés massorties, mais dans la large légitimité que le mouvement acquiert de plus en plus dans le milieu sioniste religieux. Cela arrive, par exemple, à l’institut Schechter .
De plus en plus d’anciens du Bné Akiva viennent y étudier, malgré l’identification massorti .
Le rabbin professeur David Golinkin, président de l’institut Schechter et responsable du comité de halakha du mouvement massorti israélien, témoigne que "nombre des membres de l’orthodoxie libérale utilisent mon livre sur le statut de la femme dans la halakha ".
Certaines personnes qui n’iraient pas régulièrement dans une synagogue massorti ne ressentent plus de problème à y prier de temps en temps, si l’occasion se présente. "Le chabbat avant mon mariage je suis monté à la Torah dans une synagogue massorti ", raconte Avi Deutsch, et tous mes amis orthodoxes sont venus. C’était un office égalitaire, avec des femmes dirigeant les prières, et aucun n’en a fait grand cas." Tamar de son côté témoigne : certains amis orthodoxes sont venus en visite chez moi à Omer et m’ont découvert dans ma fonction de rabbin ."
Le rabbin Dr. Benyamin Lau, un des représentants les plus connus de l’orthodoxie ouverte, reconnaît lui-même un changement dans l’attitude vis-à-vis des massortis : "Il est vrai qu’ils sont devenus une option pour une partie de notre public, particulièrement à Jérusalem. Je pense que cela est dû justement aux changements intervenus dans le milieu sioniste religieux dans les domaines du féminisme et du rapport aux tribunaux rabbiniques. Chez certaines personnes s’est créé un sentiment de frustration du fait que le résultat est encore loin des espérances. Ils n’ont pas de patience pour le processus continu, évolutif, et ils veulent déjà aller là où le processus leur semble achevé."
A propos de la centralisation du phénomène à Jérusalem : justement la ville qui devient de plus en plus ultra-orthodoxe centralise les courants les plus libéraux du monde sioniste religieux : que ce soit "Betzet", les célibataires adultes (qui servent de référence à la série TV "Serouguim"), dont quelques uns ont des rapports sexuels ou des enfants hors mariage, ou que ce soit la légitimation des massorti .
Tamar explique cette situation par le fait qu’à Jérusalem s’est développé une communauté religieuse intellectuelle, avec une certaine ouverture de pensée, et avec le temps le sentiment s’est développé que cette ouverture n’avait pas d’expression pratique dans la vie religieuse. A Jérusalem sont aussi arrivés de nombreuses familles de conservatives américains, qui envoyaient leurs enfants dans des écoles religieuses, et c’est ainsi que les religieux "tsabarim" ont fait connaissance avec eux et ont vu que le "démon" n’est pas si terrible, qu’il s’agit de gens qui cherchent une vie religieuse sincère.
Cependant, le phénomène n’est pas réservé à Jérusalem. Le rabbin Roberto Arbiv, qui dirige depuis 17 ans la communauté Sinaï à Tel Aviv, représente en lui-même ce processus. "Monté" en Israël après une éducation dans une famille religieuse en Italie, c’est en Israël qu’a débuté son cheminement vers le mouvement massorti : "En arrivant en Israël on m’a envoyé dans un internat religieux, j’étais très observant. J’étais même parmi les rares qui osaient faire sortir leurs tsitsit . Mais je ne me sentais pas à l’aise avec l’institution religieuse et je cherchais une yéchiva qui me convienne. Lorsque la possibilité d’étudier au séminaire rabbinique massorti s’est offerte, j’ai décidé de rejoindre ce cursus."
La majorité des personnes interrogées pour cet article considèrent qu’il n’y a presque aucune différence entre les visions "orthodoxes libérales" ou "massorti ".
Comme le dit Golinkin, "dans l’affaire des femmes à qui on refuse le guèt, l’association "Kolekh" (association orthodoxe féministe), a proposé un texte d’accord prémarital qui résout le problème des refus de guèt, alors que nous avons proposé un texte un tout petit peu différent. C’est-à-dire que l’outil "halakhique" de base est identique.
En fait, la principale différence entre les communautés est dans le domaine de la synagogue : dans les communautés massorti l’égalité entre hommes et femmes est totale, alors que les communautés orthodoxes , même les plus libérales, ne permettent pas une telle égalité, car il n’y a aucun décisionnaire orthodoxe qui le permette."
Est-ce que les massorti issus des communautés sionistes religieuses sont parmi les plus conservateurs du mouvement massorti ?
Roberto Arbiv affirme que dans son cas la réponse est positive : "dans ma communauté les offices sont totalement égalitaires, mais pour tout ce qui concerne les autres questions de halakha je suis sans aucun doute du côté des plus conservateurs. Chez nous pas d’instruments de musique à chabbat, le respect de la cacherout est total, et même le sidour que nous employons est un sidour orthodoxe classique."
Pour Avi Deutsch, la réponse est plus complexe : "pour certaines choses je suis plus proches des réformés, notamment car je suis prêt à marier les couples homosexuels, et par certains aspects je suis plus proche de l’orthodoxie , comme le respect du chabbat et de tous les jeûnes, même ceux dont le statut "halakhique" est douteux."
Qu’est-ce qui empêche l’option massorti de devenir une voie de masse pour les orthodoxes libéraux ?
Golinkin pense que la raison est principalement une question de lignes : "tant que vous vous définissez comme "orthodoxe " vous êtes "des nôtres", mais si vous allez dans une synagogue massorti vous avez "dépassé les bornes".
Mais si vous posez la question à Méa Shéarim, ou même dans la plupart des communautés sionistes religieuses en Israël, personne ne verra en "Shira Hadasha" une communauté orthodoxe ."
Pour Alice Shalvi, "la représentation déformée en Israël place massortis et libéraux dans le même sac. On attribue aux deux mouvements une seule et même position, anti-halakhique, alors que notre mouvement est vraiment beaucoup plus proche de l’orthodoxie moderne que des libéraux."
Le rabbin Lau affirme qu’il existe suffisamment de bonnes raisons pour que l’aile gauche de l’orthodoxie libérale ne change pas de camp : "Premièrement, je pense qu’il y a certaines différences conceptuelles non négligeables, principalement sur la question fondamentale de la Torah révélée ou résultant d’un développement historique, et c’est une différence essentielle même si la conclusion en matière de halakha pratique peut-être proche.
Deuxièmement, il y a aussi la question de qui est apte à publier des avis dans les questions de société. Les critères du mouvement massorti sur ce point me semblent trop légers. Et je n’ai pas honte de dire que l’argument public est aussi important. La majorité du public israélien, surtout oriental et traditionnaliste, identifie vie religieuse et communauté orthodoxe . Le fait de se rendre dans une synagogue massorti signifie une rupture d’avec le courant central pas seulement du milieu religieux mais surtout de l’identité religieuse israélienne, et un éloignement vers une direction marginale. Je pense qu’il est important que les changements qui doivent être fait le soient à l’intérieur de ce courant central, même si c’est une voie évolutive longue."
Sur le long terme, l’accès au mouvement massorti en particulier, et la formation d’un camp religieux libéral en général, sont des points importants dans l’histoire du sionisme religieux.
Dans les premières décennies de l’Etat d’Israël, le sionisme religieux était un mouvement qui marchait sur deux plates-bandes : d’un côté il se déclarait mouvement orthodoxe dont la fidélité à la halakha était identique à celle de l’ultra-orthodoxie , mais d’un autre il se permettait des comportements qui n’étaient pas admissibles par les standards de halakha de ses propres dirigeants (danses mixtes, consommation d’une culture populaire de masse laïque etc.).
Les premiers qui tentèrent de mettre fin à cette contradiction intérieure furent les gens des yéchivot, appelés hardalim (haredim léoumim), qui exigèrent du mouvement sioniste religieux de corriger ses comportements pour les mettre en accord avec ses déclarations officielles.
Face à cette exigence les orthodoxes libéraux adoptèrent une position apologétique et cherchèrent à légitimer leurs comportements par des décisions halakhiques orthodoxes . Ainsi, ils proposent eux même de résoudre la contradiction non dans le sens d’un changement de comportement, mais d’un changement de la halakha .
Quel est l’avenir de ce processus ? Le rabbin Lau estime que "l’orthodoxie va bientôt se diviser officiellement. Il y aura un camp orthodoxe conservateur dont le centre sera occupé par les ultra-orthodoxes , en face d’un camp orthodoxe moderne, qui probablement devra se choisir un nouveau nom, et ils ne pourront plus continuer à exister sous la même dénomination commune. Les dernières confrontations au sujet de l’année sabbatique (shmita ) et de la conversion, et l’intention d’organiser des tribunaux rabbiniques alternatifs pour ceux dont les institutions sont dominées par les ultra-orthodoxes , annoncent ce futur éclatement. D’un autre côté, je pense qu’il restera toujours une différence entre le courant "orthodoxe moderne" et le courant "massorti ", puisqu’il y a des différences essentielles entre les deux."
Golinkin décrit un scénario différent, dans lequel les massortis eux-mêmes, notamment aux Etats-Unis, s’apprêtent à se diviser, particulièrement à la suite de la décision d’autoriser les unions et les rabbins homosexuels.
A son avis, il y a une chance pour que les massortis conservateurs et les orthodoxes libéraux commencent à s’associer et à fonder des synagogues communes.
D’après lui, il se peut que le problème de sensibilité sur l’appellation "conservative " se résoudra par le fait que ces communautés ne sentiront pas le besoin de se définir autrement que "attachées aux mitsvot" : "la tendance à éviter de s’identifier clairement avec un courant spécifique se propage actuellement aux Etats-Unis, et il se peut vraisemblablement que le même processus ait lieu ici."
Haaretz traduction David Touboul
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הגבולות בין הדתיים הליברליים לקונסרווטיווים מיטשטשים והולכים באחרונה, ולפעמים המעבר ל"תנועה המסורתית" נראה המשך טבעי לדרך של "בני עקיבא". נותרה בעיקר בעיית התווית
מאת יאיר שלג
תמר אלעד-אפלבום, בת 33, כיום רבה קונסרווטיווית, גדלה בבית ציוני-דתי בשכונת רמות אשכול בירושלים. המסלול שלה היה מסלול דתי-לאומי קלאסי : לימודים בתיכון הדתי "פלך", חברות מסורה (כולל הדרכה) בתנועת "בני עקיבא", שירות צבאי, אוניברסיטה, תפקידי חינוך. את השינוי במסלול חייה לעומת שאר חברותיה היא תולה בפמיניזם שבער בה, בחוסר היכולת להתפשר על נקודה כלשהי של אי-שוויון בין גברים לנשים : "מאז שאני זוכרת את עצמי אני פמיניסטית. הסניף שלנו בבני עקיבא דווקא נחשב אחד המקומות הראשונים בתנועה שהעבירו שיעורים בתלמוד גם לבנות, ועל ידי נשים, והרגשתי שאני נוטלת חלק במהפיכה. מצד שני, הרגשתי גם את תקרת הזכוכית : אותן נשים למדניות מצאו את עצמן בסוף השיעור מאחורי מחיצה, ואני ראיתי בזה עלבון עמוק, ממש פשע דתי. בכיתה י"א החלטתי להקפיד להתפלל שלוש תפילות ביום, אבל היה לי קשה למצוא מקום שבו נשים מתפללות, ואני זוכרת ממש תחושת בדידות גדולה. תמיד הרגשתי שאני לא יכולה להרשות לעצמי להתפלל בקול, שאני לא מכירה את רזי הגבאות והקריאה בתורה, וזה הפריע לי מאוד".
הדרך עוד היתה רחוקה מהצטרפות ממשית לקונסרווטיווים. "בשירות הצבאי שלי אמנם נחשפתי לקבוצות של קונסרווטיווים ורפורמים, אבל הרגשתי מנוכרת אליהם, כאילו הם משהו אמריקאי זר". אחרי הצבא למדה מחשבת ישראל באוניברסיטה ואחר כך - דווקא בעצת חבר אורתודוקסי - החלה ללמוד רבנות בתנועה המסורתית (שמה הישראלי של התנועה הקונסרווטיווית).
גם הרב אבי דויטש, בן 37, עבר מסלול דומה. הוא גדל בשכונת קרית משה בירושלים, היה חבר בבני עקיבא, "וכשהייתי בן שמונה אפילו נלחמתי נגד הנסיגה מסיני", הוא אומר בחיוך. אחרי לימודים בתיכון הדתי "הימלפרב" הלך ללמוד בישיבת הקיבוץ הדתי. "רציתי מאוד להיות רב, ומישהו הציע לי ללכת ללמוד רבנות אצל הקונסרווטיווים. מכיוון שלא ראיתי הרבה הבדל בין העולם שגדלתי בו לבין הקונסרווטיווים, אמרתי : למה לא ? אשתי גדלה בבית קונסרווטיווי, וגם זה סייע להחלטה", הוא מספר. לאחר לימודיו כיהן במשך חמש שנים וחצי כרב קהילה בירושלים. במקביל הוא חבר בארגון "שומרי משפט" - ארגון רבנים מכל הזרמים המתמקדים בסיוע הומניטרי לפלשתינאים.
לא רק הסיפור הביוגרפי של אלעד-אפלבום ודויטש דומה. בעיני שניהם, מה שנראה מבחוץ כחציית קווים היה למעשה המשך טבעי של המסלול שבו גדלו. "השפה התיאולוגית בישיבת הקיבוץ הדתי לא שונה מהותית מהשפה התיאולוגית של הקונסרווטיווים. רק הפרקטיקה שונה", אומר דויטש. הדילמה האמיתית שליוותה את שניהם לפני "חציית הקווים" לא היתה אפוא דילמה אידיאולוגית או דתית אלא, בפשטות, דילמה חברתית : איך תקבל זאת הסביבה - המשפחה, החברים.
דויטש מדווח על קבלה כמעט מושלמת : "החשש האמיתי שלי היה חשש חברתי, ומאחר שהיה לי די ברור שזה לא ישפיע על אופי הקשרים החברתיים שלי, לא היה לי קשה מאוד לעשות את המהלך. למעשה, אפילו אנשים שלא ציפיתי מהם, כמו כמה רבנים שהיו קרובים אלי, נתנו לי גיבוי וחיזקו אותי. בעצם, גם בסביבה הרחוקה יותר כמעט שלא נתקלתי בתגובות עוינות. היתה חוויה אחת קשה במילואים, כאשר אחד החבר’ה הדתיים התנגד שאקרא בתורה וטען שאני לא מוציא אותו ידי חובה. במקרה הזה פשוט קמתי ועזבתי את בית הכנסת. היה גם מקרה אחר של חבר שסירב לומר ברכה מתחת לחופה שלי. אלה היו מקרים בודדים, אבל אני מודה שקיבלתי אותם קשה".
אצל אלעד-אפלבום היו התגובות מורכבות יותר : "המשפחה אמנם חששה לעתידי בחברה הדתית, אבל את הצעד עצמו הם קיבלו בצורה יפה, גם משום שהם הבינו שזה בעצם המשך טבעי לדרך שממילא הלכתי בה. אבל אצל חלק מהחברים היתה התרחקות, שיצרה אכזבה ותחושת בדידות גדולה. החברים לא נטשו אותי, אבל נוצר פער שהלך וגדל עם השנים ולפעמים יכול היה להגיע לתחושה חריפה של תהום".
אלעד-אפלבום ודויטש מייצגים תופעה מעניינת של העשור האחרון : צעירים הנמצאים עמוק באגף הליברלי של הציונות הדתית מוצאים בסופו של דבר את ביתם ואת מקומם בתנועה הקונסרווטיווית. היא מתאימה להם משום שהאידיאולוגיה שלה, כמו שמעידים דויטש ואלעד-אפלבום, היא האידיאולוגיה שבה החזיקו עוד כשנחשבו "אורתודוקסים". כלומר, הרצון בחיים שיש בהם נאמנות למסורת, ובכלל זה גם ראיית ההלכה כערך מרכזי (להבדיל מהרפורמים, שאצלם אין מערכת הלכתית), לצד רצון ב"עדכון" ההלכה בהתאם לערכי החיים המודרניים שהם מאמינים גם בהם (פמיניזם, זכויות אדם וכדומה).
חשוב להדגיש : לא מדובר בתופעה המונית, ורבבות חובשי כיפות סרוגות אינם הולכים ומציפים את הקהילות הקונסרווטיוויות. דגש נוסף : פה ושם, תמיד היו אנשים שחצו כך את הקווים, ולאו דווקא צעירים. המקרה הידוע ביותר בעשורים האחרונים הוא זה של פרופ’ אליס שלוי, בשעתה מנהלת תיכון "פלך" בירושלים ויו"ר שדולת הנשים בישראל, שלפני כ-12 שנים הפתיעה את תלמידותיה וחברותיה והודיעה על המעבר לתנועה הקונסרווטיווית.
שלוי עשתה את המהפך שלה כשכבר היתה בת שבעים. כיום היא אומרת : "לא פעם אני שואלת את עצמי אם הייתי עושה את זה היום, לאחר שחלו הרבה שינויים פמיניסטיים גם בתוך האורתודוקסיה המודרנית, אבל נדמה לי שבסך הכל עדיין יש מרחק משמעותי בין רמת השוויון שקיימת אפילו בבית כנסת כמו ’שירה חדשה’ (המניין הפמיניסטי ביותר של האורתודוקסיה הירושלמית, שבו נשים עולות לתורה ומתפללות כחזניות לפחות חלק מן התפילה, אם כי הישיבה נפרדת) לבין מה שאני הייתי מצפה".
ואף על פי כן, ניכר שינוי מובהק ביחס של האורתודוקסיה הליברלית לתנועה הקונסרווטיווית. "אני פוגשת הרבה זוגות צעירים, במיוחד ירושלמים, שכבר לא מוכנים שהילדים שלהם יגדלו בפער שקיים ברוב האורתודוקסיה הליברלית - בין השוויון בבית לנורמות של בית הכנסת", אומרת אלעד-אפלבום. "בשבילם, בתי הכנסת הקונסרווטיוויים נעשים אפשרות נוספת".
השינוי העיקרי אינו במספר האנשים שפוקדים את בתי הכנסת הקונסרווטיוויים, אלא בלגיטימציה הרחבה שהתנועה מקבלת במחוזות הציונות הדתית הליברלית. זה קורה, למשל, במכון שכטר ; יותר ויותר בוגרות ובוגרים של בני עקיבא באים ללמוד שם, למרות הזיהוי הקונסרווטיווי. הרב פרופ’ דוד גולינקין, נשיא מכון שכטר ויו"ר ועד ההלכה של התנועה המסורתית בישראל, מעיד ש"רבים מחברי הקהילות האורתודוקסיות-ליברליות משתמשים בספרי על מעמד האשה בהלכה". אפילו אנשים שלא יילכו בקביעות לבית כנסת קונסרווטיווי כבר אינם מרגישים בעיה להתפלל בו מדי פעם בפעם, אם הנסיבות מזדמנות. "בשבת שלפני החתונה שלי עליתי לתורה בבית כנסת קונסרווטיווי", מספר דויטש, "וכל החברים האורתודוקסים שלי באו לשם. זו היתה תפילה מעורבת, עם חזניות, ואף אחד לא עשה מזה עניין". גם אלעד-אפלבום מעידה : "היו חברים אורתודוקסים שבאו להיות אתי בשבתות בעומר ונחשפו לתפקוד שלי כרבה".
הרב ד"ר בני לאו, אחד הנציגים המוכרים של רבנות אורתודוקסית פתוחה, מזהה אף הוא שינוי ביחס לקונסרווטיווים : "זה נכון שהם הפכו להיות אופציה לחלק מהציבור, במיוחד בירושלים. אני חושב שהסיבה לכך היא דווקא השינויים שהחלו בתוך הציונות הדתית בתחום הפמיניסטי וביחס לבתי הדין. אצל חלק מהאנשים נוצר תסכול שהתוצאה עדיין רחוקה מהציפיות. אין להם סבלנות לתהליך המתמשך, האבולוציוני, והם רוצים כבר להיות במקום שהם חשים שהתהליך הושלם".
אגב, בעניין הירושלמיות של התופעה : דווקא העיר המתחרדת כביכול הביאה לעולם הדתי-לאומי את הכיוונים היותר ליברליים שלו : גם את "בצת" הרווקים המבוגרים (המתוארת בסדרת הטלוויזיה "סרוגים"), שכמה מחבריה מקיימים יחסי מין או מביאים ילדים לעולם גם ללא נישואים, וגם את הלגיטימציה לקונסרווטיווים. אלעד-אפלבום מסבירה זאת בכך ש"בירושלים התפתחה קהילה דתית אינטלקטואלית, עם פתיחות מחשבתית, וככל שעבר הזמן התחדדה ההכרה שלפתיחות הזאת אין ביטוי מעשי בחיים הדתיים שלנו. לירושלים הגיעו גם הרבה משפחות של קונסרווטיווים מארצות הברית, ששלחו את הילדים שלהם לבתי ספר דתיים, וכך גם הדתיים הצברים נפגשו בהם וראו שה’שד’ לא כל כך נורא ומדובר באנשים שרוצים חיים דתיים משמעותיים".
עם זאת, התופעה קיימת לא רק בירושלים. כך, למשל, הרב רוברטו ארביב, זה 17 שנה רב הקהילה הקונסרווטיווית "סיני" בתל אביב, מייצג בעצמו את התהליך. הוא עלה לישראל מבית דתי-לאומי באיטליה, וכאן החל את מסעו אל התנועה הקונסרווטיווית : "כשהגעתי לארץ נשלחתי לפנימייה דתית והקפדתי מאוד במצוות. אפילו הייתי בין היחידים שהוציאו ציציות. אבל לא הרגשתי בנוח עם הממסד הדתי וחיפשתי ישיבה שתתאים לי. כשנפתחה האפשרות ללמוד רבנות בתנועה המסורתית, החלטתי ללכת על המסלול הזה".
רוב המרואיינים לכתבה סבורים שאין כמעט הבדל בין תפישת העולם המכונה "אורתודוקסית ליברלית" לזו המכונה "קונסרווטיווית". כמו שאומר גולינקין, "בסוגיית מסורבות הגט, ארגון ’קולך’ (הארגון האורתודוקסי-פמיניסטי) הציע נוסח של הסכם קדם-נישואים שיפתור את בעיית המסורבות, ואנחנו הצענו נוסח קצת שונה. כלומר, הכלי ההלכתי העקרוני זהה". למעשה, ההבדל העיקרי בין הקהילות הוא בתחום בית הכנסת : בקהילות הקונסרווטיוויות קיים שוויון מלא בין המינים, ואילו הקהילות האורתודוקסיות, גם הליברליות ביותר, אינן מחילות שוויון כזה, משום שלא נמצא שום פוסק אורתודוקסי שיתיר זאת.
האם הקונסרווטיווים שבאו ממחוזות הציונות הדתית נמנים בדרך כלל עם האגף השמרני של התנועה המסורתית ? ארביב מעיד שבמקרה שלו התשובה חיובית : "בקהילה שלי יש תפילה מעורבת ושוויון מלא בין המינים, אבל בכל הנוגע לשאלות הלכתיות אחרות אני בהחלט בין השמרנים. אצלנו לא מנגנים בשבת, יש הקפדה מלאה על הלכות כשרות , ואפילו סידור התפילה הוא סידור אורתודוקסי רגיל". בעיני דויטש, התשובה מורכבת יותר : "יש דברים שבהם אני יותר קרוב לרפורמים, כמו למשל בנכונות שלי לחתן גם זוגות הומוסקסואלים, ויש דברים שבהם אני יותר קרוב לאורתודוקסיה, כמו שמירת שבת או הקפדה מלאה על כל הצומות, כולל אלה שבאמת יש ספק הלכתי גדול אם הם עוד רלוונטיים".
מה מונע מהאופציה הקונסרווטיווית להיהפך לאופציה המונית של הדתיים הליברלים ? גולינקין חושב שהסיבה נעוצה בתווית : "כל עוד אתה קורא לעצמך אורתודוקסי, אתה נחשב ’בתוך המחנה’, ואם הלכת לבית כנסת קונסרווטיווי כבר ’חצית את הקווים’. אבל אם תשאל במאה שערים, או אפילו ברוב הקהילות של הציונות הדתית בארץ, אף אחד לא יראה בקהילת ’שירה חדשה’ קהילה אורתודוקסית". בעיני שלוי, "הדימוי הישראלי המסולף כורך את הקונסרווטיווים והרפורמים באותה חבילה. מייחסים לשתי התנועות עמדה דומה, אנטי-הלכתית, אף שבפועל התנועה שלנו באמת הרבה יותר קרובה לאורתודוקסיה המודרנית מאשר לרפורמים".
לאו מאמין שיש מספיק סיבות טובות גם לקצה השמאלי של האורתודוקסיה הליברלית לא לחצות את הקווים אל הקונסרווטיווים : "ראשית, אני חושב שיש כמה הבדלים מהותיים בין תפישות העולם, בעיקר בשאלה העקרונית של תורה מן השמים מול תפישת התורה כהתפתחות היסטורית, וזה הבדל משמעותי גם אם התוצאה ההלכתית המעשית יכולה להיות קרובה. שנית, יש גם השאלה מי מוסמך לפסוק בשאלות ציבוריות מכריעות. הקריטריונים של התנועה הקונסרווטיווית בעניין הזה נראים לי מקלים מדי. ואני לא מתבייש לומר שגם השיקול הציבורי משמעותי. רוב הציבור הישראלי, בוודאי המזרחי והמסורתי, מזהה חיים דתיים עם הקהילה האורתודוקסית. הליכה לבית כנסת קונסרווטיווי פירושה פרישה מהזרם המרכזי לא רק של המגזר הדתי אלא של הזהות הדתית הישראלית, והליכה לכיוון שולי. אני חושב שגם את השינויים שצריכים להיעשות חשוב לעשות בתוך הזרם המרכזי הזה, גם אם מדובר במסלול אבולוציוני וממושך".
בטווח הארוך, הפנייה לתנועה הקונסרווטיווית בפרט, והתגבשות המחנה הדתי-הליברלי בכלל, הן נקודת ציון משמעותית בסיפורה של הציונות הדתית. בעשורים הראשונים למדינה היא היתה תנועה שפסחה על שתי הסעפים : מצד אחד הכריזה על עצמה כתנועה אורתודוקסית שנאמנותה להלכה אינה נופלת כהוא זה מזו של החרדים, ומצד שני הרשתה לעצמה התנהגויות שלא עלו בקנה אחד עם פסיקות ההלכה המקובלות, גם לא של רבניה (ריקודים מעורבים, צריכת תרבות המונים חילונית וכדומה). הראשונים שביקשו להפסיק את הסתירה הפנימית הזאת היו אנשי הישיבות, המכונים חרד"לים (חרדים לאומיים), שדרשו מהציונות הדתית לתקן את התנהגותה בפועל בהתאם להצהרת הכוונות הרשמית שלה. מול התביעה הזאת עמדו הדתיים הליברלים בעמדה אפולוגטית וביקשו לשלב את התנהגותם בתוך הפסיקה הדתית האורתודוקסית. כעת, הם עצמם מפסיקים את האפולוגטיקה ומציעים להפסיק את הסתירה הפנימית לא בכיוון של שינוי ההתנהגות, אלא בשינוי ההלכה.
מה צופן העתיד לתהליך הזה ? לאו מעריך ש"האורתודוקסיה עומדת להתפצל באופן רשמי. יהיה מחנה אורתודוקסי שמרני שבמרכזו החרדים, ומולו מחנה אורתודוקסי מודרני, שמן הסתם יבחר לעצמו שם חדש, והם לא יוכלו לחיות עוד תחת קורת גג אחת של זרם משותף. העימותים האחרונים סביב השמיטה והגיור, והכוונה להקים בתי דין חלופיים לאלה של הרבנות הראשית שנשלטת בידי החרדים, מבשרים על הכיוון הזה. מצד שני, אני מעריך שעדיין יישמר בידול בין הזרם ה’אורתודוקסי מודרני’ לקונסרווטיווים, מכיוון שאכן יש הבדלים משמעותיים ביניהם".
גולינקין מתאר תסריט שונה, שבו גם הקונסרווטיווים עצמם, במיוחד בארצות הברית, עומדים לפני פיצול, במיוחד על רקע ההחלטה שם להכיר בנישואים וברבנים הומוסקסואלים. להערכתו, יש סיכוי שהקונסרווטיווים השמרנים והאורתודוקסים הליברלים יתחילו לשתף פעולה ויקימו קהילות משותפות. להערכתו, ייתכן שבעיית הרגישות ל"תווית הקונסרווטיווית" תיפתר בכך שאותן קהילות לא ירגישו כלל צורך להגדיר את עצמן מעבר להיותן "שומרי מצוות" : "המגמה של הסתייגות מהזדהות ברורה עם אחד הזרמים ממילא הולכת ומתפשטת עכשיו בארצות הברית, ובהחלט ייתכן שהתהליך יקרה גם כאן".
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Messages
Je comprends pas un mot d’hébreu comme sûrement beaucoup de vos lecteurs. Possible est-ce de traduire en français ?
Moi je voudrai une traduction en russe si c’est possible
Article très intéressant.
Je pense cependant que le phénomène est largement exagéré. L’auteur cherche à convaincre le lecteur religieux-sioniste qu’il est proche du judaïsme massorti . On agrandie les points communs tout en minimisant grandement les différences.
Un point est également oublié : le mouvement massorti israélien est bien plus "orthopraxe" que son cousin (je ne peux même pas dire frère) américain.
Aux USA, le JTS ordonne les rabbins gays et permet ouvertement aux juifs de prendre leur voiture Shabbat, choses qu’un rabbin massorti israélien ne permettrait pas.
Il est également vrai que le discours massorti israélien ressemble beaucoup au discours de certains rabbins appartenant à l’orthodoxie la plus libérales. Comme le souligne l’un des rabbins dans l’article, la principale différence est au niveau de la pratique. Mais la pratique, est-ce une si petite différence ?
Gabriel, quels sont les différences de pratique entre l ’ "orthodoxie la plus libérale" et les "Massorti " d’après vous ?
Bar plougta,
Je pense que les différences sont évidentes. Ce site internet représente, à mon sens, le courant plus stricte du mouvement massorti (le Rabbin Dalsace a été formé en Israël). Les différences avec l’orthodoxie , même libérale, sont cependant claires.
L’orthodoxie libérale prône une plus grande orthopraxie et moins d’égalitarisme dans la Halakha .
Les conséquences pratiques les plus frappantes sont la place de la femme au sein du culte (les massortis ont une approche égalitaire, les orthodoxes refusent tout grands changements), les conversions (beaucoup moins pointilleuses chez les massortis, mais certains diraient que c’est également le cas des conversions militaires, orthodoxes , en Israel), la poursuite de coutumes ayant perdues leur sens (je pense aux kitnyot mais aussi au couvre-chef pour les femmes mariées et à beaucoup d’autres détails qui ne sont plus respectés chez les massortis).
Je pense que cela représente les grandes lignes séparant l’ultra-massorti de l’orthodoxie libérale.
L’exemple des Kitniot est intéressant, je suis plutôt d’accord car ça relève une volonté générale de se couper d’un passé opposé au modernisme. J’ai lu les techouvot massorti sur yom tov shéni et il est vrai que le "minag" n’a pas une grande valeur chez eux et qu’ils rejettent assez vite tout argument halakhique basé sur le respect des minagim (al titoch torat imékha rapporté par certains richonim comme la base du minag ou Rambam hilkhot mamrim 2, 1, etc...).
Pour les autres exemples, certes la pratique différe mais eux vous répondront que leur pratique est aussi halakhique que la nôtre, mais qu’elle se base simplement sur d’autres décisionnaires. Comment leur expliquerez-vous alors que leur pratique n’est pas légitime d’un point de vue halakhique ?
Ne me faite pas dire ce que je n’ai pas écris. Je n’ai parlé nul part de "légitimité".
Les massortis et les orthodoxes ont une approche de la Halakha différente, cela est certains. Cependant, je ne veux débattre sur ce site de la légitimité de l’approche massorti . 1) je ne tiens pas à faire un débat idéologique, 2) je trouve fort malpolie de critiquer le mouvement massorti sur leur propre site internet... n’abusons pas de la liberté d’expression.
Je ne crois pas que ces différents points de la Halakha soient la différence réelle entre orthodoxie moderne et massorti . La différence est l’intégration ouverte ou pas de modes de pensée contemporaine et de savoir contemporain dans la réflexion juive.
La Halakha découle de cette intégration ou non. Il ne faut pas confondre raison et conséquences. La place de la femme est un bon exemple pour cela. C’est un point essentiel et profond.
Les kintiot ne sont pas un bon exemple, c’est un problème mineur et que des quantités de massorti respectent, moi le premier. C’est une relativisation de l’importance d’un minhag qui n’a pas grand sens face à la problématique du vivre ensemble. Manitou pensait la même chose et bien des orthodoxes aussi. Il vaudrait mieux prendre autre chose.
De même, il n’y a aucun rejet systématique du minhag, mais une relativisation de sa force.
Le couvre chef des femmes tiendra plutôt de la perception négative de celui-ci par les femmes elle-mêmes. C’est idéologique. Mais certaines le respectent.
La question première qui intéresse les massorti , c’est celle de la pertinence. Celle pour un Juif contemporain imprégné de connaissances juives vastes, aussi bien talmudiques qu’historiques. En cela le minhag est très honorable et celle pour un Juif lamda, occidentalisé, pour qui la tradition doit continuer à parler.
Le drame pour la pensée massorti c’est de sentir que le judaïsme n’aurait plus rien à dire aux Juifs modernisés. Que le discours de Tora serait rétrograde et décalé totalement. Mais c’est un point commun avec orthodoxie moderne. Nous en tirons plus vite les conséquences peut-être.
A mon avis, massorti c’est cela et modern orthodoxe est très proche avec une plus forte pointe de nostalgie et donc plus de freins idéologiques.
Yeshaya Dalsace
Cher Rabbin Dalsace,
Vous écrivez "La différence est l’intégration ouverte ou pas de modes de pensée contemporaine et de savoir contemporain dans la réflexion juive". Je suis d’accord avec vous si l’on parle des différences entre massorti et ultra-orthodoxie .
Mais le débat porté sur les différences entre massorti et orthodoxie moderne (le texte parlait d’orthodoxie libérale, je pense que cela désigne plutôt les courants très ouvert de l’orthodoxie , comme l’open orthodoxy du Rav Avi Weiss, qui a recemment ordonné Sara Hurwitz, cf. sur mon blog http://modernorthodox.over-blog.com/article-une-femme-rabbin-et-orthodoxe--40629809.html ).
A mon avis, et je pense que c’est un avis partagé, le monde modern orthodox (et encore plus l’orthodoxie liberale) n’a aucun problème a intégré des modes de pensée contemporain à la réflexion juive.
Vous concluez que la difference se porte à un niveau "nostalgique", qui provoquerait des "freins idéologiques". Je trouve que c’est un peu trop simplifié la complexité du monde orthodoxe .
Je ne pense pas qu’il s’agisse de nostalgie, mais d’un plus grand souci de continuité.
Une plaisanterie affirme que la différence entre massorti et orthodoxe c’est 50 ans. Je pense que cette plaisanterie est exacte s’il s’agit des évolutions cohérentes, un peu révolutionnaire mais pas en rupture avec la tradition. Ainsi, l’étude des femmes s’est envolé dans le monde modern orthodox ces dernières décennies.
Cependant, je pense que même 500 ans ne suffira pas au monde orthodoxe pour accepter des innovations ayant déjà cours au sein du monde massorti . Prenons les exemples les plus classiques : l’homosexualité et l’égalitarisme radicale (femme Hazan , shaliah’ tsibour, minyan ...).
Pourquoi ? Parce que l’approche halakhique entre orthodoxe (y compris moderne) et massorti diffère de beaucoup. Pour résoudre des conflits entre modernité et judaisme, le monde massorti accepte de se baser sur des avis ultra-minoritaires dans la halakha , voir de ré-interpréter les sources.
Je reviens sur mes exemples, c’est en se basant sur un Mordechai peu clair que le monde massorti a permis aux femmes de compter dans le minyan , chose qui n’avait jamais été ni accepté, ni envisagé par le passé. C’est en se basant sur une ré-interprétation des textes que le monde massorti tend de plus en plus à accepter l’homosexualité.
L’orthodoxie refuse cette approche (daat yah’id, ou ré-interpretation) et je pense que c’est cela la véritable différence.
Kol Touv
Excusez mon ignorance, je pose la question de façon très ingénue. Est ce que la halakha suit toujours l’avis de la majorité ?
Cher Gabriel,
Je suis d’accord avec ce que vous dites, mais c’est ce que j’appelle la "nostalgie". Weiss voudrait des femmes rabbins et comprend parfaitement la nécessité sociologique et morale d’en avoir, mais il n’est pas prêt à passer un certain saut qualitatif pour justifier pleinement la chose.
Il en est de même avec son approche de la critique biblique, il sait très bien intellectuellement que cette critique est justifié et juste, mais pour des raisons « nostalgiques » (ou peur de la rupture avec les autres orthodoxes ) il n’en tient pas compte et elle n’est pas enseignée chez lui.
C’est pourquoi je pense que la question est avant tout idéologique et pas seulement technique.
Il y a toujours eu des rabbins pour s’appuyer sur des opinions minoritaires et des raisonnements « fragiles » qui ont fini par faire l’unanimité. Tout simplement parce que cela correspondait a une nécessité idéologique et sociologique forte.
Le raisonnement technique sur la femme dans le minyane est certainement très fragile et peu convaincant si on s’arrête à la forme, il trouve une brèche et s’engouffre dedans. La question n’est pas technique, elle est de savoir si pour une grande masse de juifs, le fait qu’une femme ne compte pas dans le minyane risque-t-il de rendre le judaïsme impropre à les convaincre ? Un fossé se creuse entre la théorie qui ne prend pas compte des femmes présentes et ce que ressent le public. A un moment ce fossé peut conduire à la rupture en tout cas à l’éloignement. Le décisionnaire essaye ici de créer un pont et d’éviter la rupture. Je pense que c’est une évidence.
Le jour où la mentalité des juifs orthodoxes commencera à changer sérieusement sur toutes ces questions, les rabbins orthodoxes devront trouver des solutions et feront la même gymnastique.
De nos jours, on pourrait prouver techniquement la nécessité de faire des choses totalement incompatibles avec la mentalité juive actuelle, aucun orthodoxe sérieux ne s’engouffre dans ce piège.
C’est pourquoi je pense que la vraie différence, c’est que les penseurs massorti ont effectivement fait un saut qualitatif en considérant comme une urgence de survie pour le judaïsme que de changer le statut juridique de la femme. Je pense qu’ils ont franchi, avec certainement quelques maladresses, un pas historique très important pour l’histoire juive. Il n’y aura pas de retour en arrière à mon avis.
Je reconnais parfaitement la nouveauté et la nécessité de raisonnements techniquement critiquables. Mais ces raisonnements montrent justement la volonté de ne pas être en rupture pour autant et de faire les choses dans un cadre classique, même fragile.
Je pense personnellement qu’une religion qui considère l’inégalité juridique entre les hommes et les femmes et la soumission de celles –ci à la Gente masculine comme un de ses piliers n’a aucune pertinence aujourd’hui. Si les juifs et les juives acceptent cet état de fait, c’est seulement par un attachement au passé (par nostalgie et peur de la rupture) mais il me semble que objectivement très rares sont ceux qui adhèrent véritablement et sincèrement à ces valeurs d’inégalité, y compris chez les plus orthodoxes . On fait avec, on a l’habitude, mais dans le fond, cela nous dérange… Je fais personnellement partie du camp qui pense que c’est un problème essentiel et que le judaïsme doit être une religion avec un futur et pas seulement avec un passé. Cela ne veut pas dire qu’il faut mépriser le passé et le jeter par-dessus bord.
De même pour la théologie, la plupart des discours classiques ont sérieusement perdu de leur pertinence. Des penseurs aussi importants que Maimonide ne tiennent plus vraiment la route sur pas mal de points… Soit on refuse de regarder cette réalité en face et on continue à avoir le même discours, soit on explore autre chose, ce qui ne veut pas dire que l’on va réussir à produire la qualité nécessaire… N’est pas Maimonide qui veut…
A mon avis le grand mérite du mouvement massorti , c’est d’avoir accepté de regarder les problèmes du judaïsme contemporain en face en essayant de ménager au maximum le passé et en préservant le système de la halakha .
La modern orthodoxie tente également de le faire, mais de façon beaucoup plus timorée et avec des résultats pas toujours très convaincants.
Il me semble que sur le fond, une certaine part d’infidélité au passé est nécessaire pour la fidélité au futur. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du judaïsme que cela se produit et c’est exactement ce qui est arrivé à l’époque de la naissance du judaïsme rabbinique après la destruction du temple. C’est également ce qui s’est passé avec la pensée de Maimonide et l’école rationaliste aristotélicienne médiévale totalement novatrice pour son époque et en contradiction avec des quantités de textes de la tradition.
Dans ce genre de phénomènes historiques, il y a forcément de fortes tensions et pas mal de déchets.
Dans une telle perspective, avec des enjeux tellement importants et symboliquement forts (comme le fait de considérer une femme comme une âme à part entière dans un minyane d’âmes), la question technique de la pertinence et du poids d’une source minoritaire comme le Mordekhai, est vraiment secondaire, même si techniquement elle a sa raison d’être.
Le fait de dire à une femme que sa présence à la synagogue est nécessaire et qu’elle est un individu comme un autre, qui compte et peut changer la situation comme un autre, donne à des millions de femmes juives une pertinence à la vie synagogale et donc au judaïsme. Je pense que c’est essentiel. Personnellement je suis très mal à l’aise aujourd’hui dans les synagogues orthodoxes en voyant les femmes traitées comme des spectatrices inutiles d’une cérémonie qui ne les concerne qu’à peine (le plus souvent elle leur reste inaudible et de toute façon distante).
Pourquoi devrais –je croire que Dieu est misogyne ? Pourquoi mes filles devraient être éduquées dans un système qui leur apprend à se taire ? S’il existe la possibilité, même infime « suspendue à un cheveu » pour reprendre l’expression de la Mishna , de corriger cette situation sans pour autant casser le judaïsme, il me semble évident qu’il faut le faire.
Que la mode soit actuellement un retour à un certain fondamentalisme dont le discours séduit de toute évidence un large public ne change rien à l’affaire. Le fondamentalisme ne peut pas avoir de pertinence sur la durée… le souffle « messianique » actuel, les discours magiques sur la Tora s’épuiseront et la dure loi de la réalité fera retomber le vent des fantasmes actuels. La modern orthodoxie se trouve prise en tenaille entre ces cercles-là et son sentiment rationnel et humaniste. Très inconfortable à mon avis.
Pour Nathalie : Halakha et majorité.
Théoriquement la halakha est fixée d’après la majorité des sages . A l’époque talmudique, il y avait une assemblée de rabbins qui discutaient puis passaient au vote. En fait le problème est un peu théorique car cette assemblée n’a pas fonctionné longtemps et il n’est même pas certains qu’elle contrôlait véritablement le judaïsme de l’époque.
Dans le talmud lui-même, on ne voit que très rarement cette règle s’appliquer.
Par la suite, c’est mis en place différentes écoles de décisionnaires qui ne fonctionnaient jamais en assemblée. Par contre les décisionnaires ont toujours tenu compte du travail des uns et des autres. Mais ce n’est pas la voix de la majorité.
De nos jours, chaque décisionnaire prend sa décision et son public le suit ou non… vox populi vox dei.
Il va de soi qu’un raisonnement qui se base sur un grand nombre d’autres décisionnaires ayant le même avis a beaucoup plus de poids qu’une opinion isolée. Mais cette opinion isolée reste cependant légitime.
Yeshaya Dalsace
Gabriel,
Votre attitude est assez hypocrite. Vous écrivez dans votre premier post :
"la principale différence est au niveau de la pratique. Mais la pratique, est-ce une si petite différence ?"
Cette phrase ne signifie-t-elle pas que le degré de "pratique" du mouvement massorti ne le rend pas légitime à vos yeux ?
Passons. Pour ma part, je voulais juste avoir votre avis sincère sur la question.
Lorsque je lis votre intervention et celle du Rabbin Dalsace, je remarque avant tout une différence d’approche.
– Pour massorti , il faut être moderne en tentant de préserver la Halakha tant que possible.
– Pour vous, il faut respecter la Halakha en tentant de suivre la modernité tant que possible.
Il me semble donc que vous faites passer des critères halakhiques avant les critères sociologiques alors que Massorti préfère donner la priorité aux premiers.
Etes-vous d’accord avec ce résumé assez bref des différences ?
A part ça, il me semble que ce n’est pas un hasard si des passerelles se crééent entre bné-akiva et massorti : il s’agit de deux mouvements juifs considérant que l’autorité est davantage dans les textes que dans les Rabbanim. C’est un point commun qui n’est pas négligeable.
Tout d’abord Gabriel n’est pas hypocrite, il cherche à comprendre et son blog n’a rien de l’hypocrisie. Mauvaise manie de ce forum de manier une langue dure…
Ensuite : « Pour massorti , il faut être moderne en tentant de préserver la Halakha tant que possible ». Votre formule est bonne mais fausse à mon avis. Je pense que ce qui est en jeu ici n’est pas là Halakha , mais la conception de la Halakha .
Pour le mouvement massorti , la Halakha ne peut pas être détachée du devenir juif, elle est forcément liée à celui –ci et elle est née en relation avec la destinée juive. N’oubliez pas que le mouvement massorti intègre à sa pensée les connaissances historiques sur le développement de la pensée juive et de la Halakha .
La Halakha n’est donc pas une entité indépendante et artificielle. La seule chose, c’est que son développement textuel de l’époque talmudique ne reflète pas une mentalité féministe. La talmudiste Judith Hauptman pense que les rabbins du talmud étaient déjà très progressistes pour leur époque (voir son livre « rereading the rabbis »).
Si effectivement la Halakha comme vous semblez le penser est un système bloqué, c’est alors un système déjà à l’agonie car n’apportant que bien peu de réponses aux juifs actuels (sinon sur le rituel et encore, les féministes ne s’y retrouvent plus). Du coup être « moderne » ce n’est pas tenter de préserver la Halakha , c’est chercher la modernité dans un principe de Halakha .
Mais cela oblige à une véritable créativité c’est vrai.
Pour celui qui voit la Halakha comme un système artificiel et indépendant, alors effectivement, nos initiatives sont males venues.
Question de concept donc, me semble-t-il.
Yeshaya Dalsace
Bonsoir M. Le Rabbin Dalsace,
En réalité je suis plutôt d’accord avec vous que la Halakha est loin d’être un processus figé.
Personne ne remet cela en cause.
J’essaye juste de comprendre où se situe la frontière entre "orthodoxes modernes" et massorti . C’est une nuance assez subtile il me semble.
Je vais donc reformuler mes questions à l’attention de Gabriel et de vous-même :
– Dans quelle mesure croyez-vous que des considérations méta-halakhiques peuvent-elles prendre le dessus sur des considérations purement juridiques ?
– Quels sont les critères de validité des considérations méta-halakhiques ?
Bonsoir, excusez moi si je m’explique de façon trop simpliste, en faisait d’énormes raccourcis et avec un certain manque de précision, je n’ai pas lu autant que les participants de ce forum. Ce que j’ai compris, en gros, en écoutant des conférences, c’est que entre le judaïsme originel, celui des deux premiers temples, avec sa caste de prêtres héréditaire, son temple, ses rituels basés sur le pur et l’impur etc, et le judaïsme d’aujourd’hui (oui, je simplifie beaucoup), il y a eu le judaïsme rabbinique qui, à partir d’un corpus utilisé par les prêtres (la Tora) a fabriqué quelque chose de totalement nouveau. Cela a pris quelques siècles, et la rédaction de la mishna et de la guémara est le resultat de cette "gestation", le judaïsme rabbinique étant au départ lié à l’oralité. Donc, la halakha , originellement, est ce qui a pu faire évuluer un système religieux ritualiste, hierarchisé, élitiste, vers une religiosité plus populaire, plus également partagée par toutes les couches sociales, plus proche du commun des mortels. Et en même temps, en développant un type de logique qui nécessitait une sorte de virtuosité (les dracha de l’époque, qui nécessitaient une gymnastique incroyable avec les versets de la Tora, et dont évidemment l’exégèse médiévale est l’héritière) et qui apparemment ne plaisait pas beaucoup à Jésus de nazareth et à d’autres, plus mystiques.
Bon, ce que je veux dire, c’est que, à mon sens, à cette époque, le travail des rabbins a été d’élargir l’assiette de compréhension et de participation de la population à la religiosité monothéiste. la foi n’était plus affaire de finance (le sacrifice, c’est une sorte de versement pécunier au temple, une bête ça coûte cher), mais religion du coeur. Avoda che ba lev. Prier ce n’est pas sacrifier du bétail, sociologiquement rien à voir.
Je ne pense pas que l’effort d’élargissement, aux femmes cette fois, des mouvements modernistes soit en contradiction avec ça. Seulement, à l’époque du 1er siècle, c’était juste impensable, l’égalité hommes femmes (exactement comme aujourd’hui c’est l’inégalité qui est impensable...). Mais les massortim ont le soucis de s’insérer dans le cadre réflexif halakhique parce qu’ils se revendiquent de cette tradition là, et qu’ils invoque l’autorité féconde des décisionnaires du passé pour justifier les mutations du présent. Rien de choquant, à mon sens. Le judaïsme rabbinique est né d’un forme de "réforme" originelle, et malgré tout ce qui laisse l’impression d’un cadre strict et traditionnel, je pense que cette dimension "réformatrice" est fondamentale.
Bien cordialement
Je pense que sans meta-halakha la halakha perd son sens. Cela dit des posskim massorti n’en débattent pas forcément (Golinkin le premier) mais je pense que c’est un manque.
Derrière toute halakha , il y a du meta qui se cache et au bout du compte c’est ce critère qui rendra ou non la halakha pertinente ou non au yeux d’un moderne.
Yeshaya Dalsace
A Bar Plougta,
Je ne vois pas en quoi affirmer qu’il existe une différence dans la pratique délégitimerais le monde massorti ?
Je parle d’un fait objectif : les massortis acceptent une halakha beaucoup plus évolutive et souple que le monde orthodoxe . Qui parle de légitimité ?
Il semble que vous même soyez fort enclin à dénoncer toutes "héresies" non-orthodoxe , ce n’est pas mon cas. Avoir une opinion (bien marqué) ne signifie pas forcement mépriser toutes opinions contraires.
Pour ce qui est de votre question (Dans quelle mesure croyez-vous que des considérations méta-halakhiques peuvent-elles prendre le dessus sur des considérations purement juridiques ?), je pense personnellement que la méta-halakha n’existe pas.
Je m’explique : certains ont tendance à penser que la halakha se résume à du juridique pur et que des considérations d’autres social, moral ou historique sont des considérations méta-halakhique (le premier à le penser, c’est Yeshayahou Leibowitz).
Personnellement, je pense que ces considérations sont également halakhiques. Je vous invite à vous imprégner des responsas du judaisme séfarade traditionnel (ex : Rabbi Chalom Messas, Rabbi Yossef Messas, Rabbi Barouch Toledano), vous y verrez que ces considérations occupent une place pas moins importante que des halakhot plus séches .
Des considérations comme "gséra shé-ein hatisbour yah’ol laamod bo" (un décret trop dur pour le peuple) ou "h’aslou h’ah’amim al mamona shel israel" (les sages ont voulu économiser l’argent des juifs) ne sont-elles pas des considérations à la fois sociales et halakhiques ?
"shaat hadh’ak" ou "letsorer shaah" (en temps difficile) représente aussi une considération tant historique qu’halakhique. Les exemples sont encore long.
Pour résumer, je suis intimement convaincu que la psika nord-africaine a toujours donné une place essentielle aux besoins de l’époque. Le leitmotive des rabbins marocains a toujours été "koah’ déétera adif". Le monde ashkenaze a transformé l’évolution de la halakha en guerre idéologique. Le monde conservative cherche à la faire évoluer à tout prix tandis que le monde orthodoxe cherche à la figer à tout prix. La piska marocaine prouve bien qu’une évolution est tout à fait envisageable dans une optique des plus traditionnelle. Je fait d’ailleurs remarqué que certaines shout sont très proches des avis massortis (cf. par exemple le heter de Rabbi Yossef Messas pour le couvre-chef des femmes) tandis que d’autres sont extrêmement orthodoxes (par exemple la non-acceptation de "tsourat hapetah’" comme eirouv valide).
Au rabbin Dalsace,
J’avoue avoir été un peu surpris par votre réponse. Plus que d’évolution, vous parlez de ré-écriture de la halakha . Je ne peux me permettre de vous contredire dans votre domaine, mais je tiens cependant à vous faire remarquer que les recueils de responsas massortis me paraissent accorder une place beaucoup plus grande à la Halakha que ce vous écrivez vous même.
Je pense nottament à Golinkin mais aussi au Prof. Louis Ginsburg qui, dans leurs responsas, n’utilisent quasiment que des arguments halakhiques classiques.
En lisant leurs shouts, je n’ai jamais eu l’impression d’une relecture des sources classiques. Je pense d’ailleurs que c’est la raison qui pousse le rabbin Golinkin a adopté une attitude plutôt orthodoxe face à l’homosexualité.
Qu’en pensez vous ?
Merci Gabriel,
Tout d’abord vous ne vous immiscez pas dans mon domaine, il est également le vôtre.
Sur la Meta halakha : ce que vous dites va dans le sens de ce que je dis, une décision halakhique contient toujours une certaine pensée sociale, spirituelle ou politique… cela peut être exprimé explicitement, ou rester implicite. Cela peut être pour autoriser ou interdire. Je ne pense pas qu’il y ait de différence sur ce point entre ashkénazes et sépharades.
Je suis d’accord avec vous que le monde ashkénaze s’est globalement crispé idéologiquement contrairement au monde sépharade. (voir les travaux d’Avi Sagui sur ce point – que vous devez connaître).
Je ne dis pas qu’il y a une réécriture systématique chez les décisionnaires massorti , le plus souvent ils sont tout à fait classiques et des quantités de sujets traités sont très proches, ou pour ne pas dire identiques aux décisions équivalentes dans le monde orthodoxe . Je dis que sur certains sujets révolutionnaires comme celui de la place de la femme, il n’y a pas d’autre solution qu’une créativité très grande. Comme il n’y a pas de précédents ou très rares, il faut forcément être créatif et ne pas avoir peur de s’appuyer sur daat yahid ou de pousser un peu loin le bouchon d’un argument favorable. C’est ce que fait Golinkin à plusieurs reprises.
Et je crois qu’il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que sur plusieurs points, la psika classique n’offre pas les réponses que nous attendons. Je ne vois pas d’autre solution que de reprendre certains sujets à la base et de parvenir à les repenser (ce que fait Golinkin avec la place de la femme). Il y a des cas où c’est très difficile. Il y a pour le monde juif contemporain de véritables problèmes qui obligent forcément à une grande créativité : place de la femme, statut de la femme (guet), mamzer, rapport aux non-Juifs, relations entre le politique et le religieux, démocratie, liberté de conscience (l’argument du rav Kook sur tinok shenishba qui sous-entend qu’un juif sécularisé ne sait pas de quoi il parle est peut-être excellent mais très spécieux et artificiel). On pourrait ainsi allonger la liste.
Je crois qu’il faut avoir l’honnêteté de dire que la Halakha classique n’a pas toujours le langage adéquat pour traiter ces problèmes… ce qui ne donne pas évidemment la solution, mais pose au moins vraiment la question.
Sur la question de l’homosexualité, je ne suis pas convaincu que la position conservatrice de Golinkin soit seulement mue part des raisons techniques. Je pense qu’il n’est pas convaincu du besoin de bouger là-dessus et que les homosexuels, contrairement aux femmes, ne représentent pas à son avis un enjeu suffisant. J’aurais tendance à être d’accord avec lui, même si je suis pour l’amélioration de la condition des homosexuels dans le judaïsme.
Dans les discussions sur ce forum, les différents orthodoxes qui interviennent ont tendance à se focaliser sur ce qui ressort (place de la femme, débat sur l’homosexualité) et fait une véritable différence avec l’orthodoxie . Ils ne se rendent pas compte qu’en dehors de cela tout est très proche. Ils partent pour la plupart d’un point de vue négatif a priori, comme vous l’avez dit, leur point de référence c’est ce qu’ils sont. En plus ils n’ont jamais pris la peine de lire une série de Teshouvot massorti et de peser sérieusement l’argumentaire, aussi bien social, éthique ou strictement halakhique.
C’est une des raisons pour lesquelles le forum reste de mauvaise qualité.
Shabbat shalom
Yeshaya Dalsace
Bonsoir,
Merci pour votre réponse.
Il me semble souvent que l’approche de nombreux décisionnaires massortis et de légitimer une pratique déjà adopté par le publique conservative . Par exemple, le massorti moyen vient en voiture à la synagogue, alors autorisons cela. Le massorti moyen ne voit pas l’homosexualité d’un mauvais oeil alors autorisons là.
On pourrait certes dire qu’il s’agit d’une jolie façon d’être "melamed zh’out al bné israel", mais je pense tout de même que cette attitude peut être destructrice pour la Halakha .
C’est pour cela que je trouve le monde massorti israélien bien plus intéressant que son cousin conservative américain. Le coté plus stricte des massortis israéliens leurs donnent un plus grand respect du monde orthodoxe . Cet article en est d’ailleurs la preuve, jamais on entendra parler de jeunes "modern orthodox" américains passer dans le camp "conservative " (chose qui était fréquente jusqu’au années 70, lorsque le monde conservative prit un tournant brutal).
Je pense qu’une des raisons de la focalisation orthodoxe sur le statut de la femme et l’homosexualité dans le monde massorti provient justement du manque de sources allant dans le sens des massortis. L’orthodoxie place la halakha en idéal, la halakha pure n’est jamais changé, seul les considérations sociales et historiques qui s’y sont rajoutées peuvent être modifier. Ainsi, qu’en on parle du statut de la femme dans le monde orthodoxe , on ne peut envisager que celle-ci puisse compter un jour dans le minyan , chose en parfaite rupture avec la halakha . Par contre, on peut envisager de la faire monter à la torah puisque cela n’est interdit que pour des raisons sociales discutables (kvod hatsibour).
L’homosexualité représente une opposition encore plus claire. Il n’existe pas, à ma connaissance, la moindre source envisageant de la façon la plus vague possible une quelconque autorisation d’une relation sexuelle entre deux hommes.
Pour ce qui est de la mauvaise qualité de ce forum, je pense qu’il s’agit d’un des meilleurs qui existe en langue française (après mon blog bien sur...). Le vrai problème, c’est que le juif français moyen vit son judaïsme de façon très primitive et préfere les discours apocalyptique à la philosophie juive (Ou sont passé les Manitou et les André Neher ?).
Kol Touv
Cher Gabriel,
Je réponds vite car en Israël en ce moment et sans ordi ni temps.
Je crois que votre jugement est faux. Si c’était vrai ce serait pitoyable.
La Halakha massorti ne suis pas les gens et leurs ‘lubies’. Elle cherche à répondre à une véritable situation et une vraie problématique.
Le cas de l’homosexualité est une question morale de fond. Pourquoi discriminer des gens qui sont par nature différents ?
Le cas de shabbat, faut il pousser le public à venir en transgressant ? Quelle est la nature de la transgression ? C’est un problème de survie communautaire.
Les massorti Israélien ne sont pas différents de ceux aux USA ; il y a de tout partout, plus stricte et moins. Lisez les teshouvot de Roth et bien d’autres. Attention aux clichés.
On peut discuter du bien fondé de la démarche halakhique et du raisonnement ; c’est le cas et houleux débat et critiques sur les deux cas cités au sein même du mouvement massorti . Mais votre raccourci est simplificateur et ne tient pas compte des enjeux véritables, ni de la démarche.
Pour le reste, plus tard...
Bien à vous
Yeshaya