Cependant, est-ce vraiment du tourisme qu’allait faire ces douze délégués du peuple ?
Si en langue française on a l’habitude d’utiliser le mot "explorateur" pour désigner ces envoyés partis en observation vers la terre d’Israël, la tradition juive est accoutumée à les désigner sous le nom de "meraglim", ce qui signifie "espion".
Le terme est ainsi utilisé par Joseph, vice-roi d’Egypte, lorsqu’il accuse ses frères d’être des espions venus découvrir les faiblesses de l’Egypte. Tel est en effet le but d’un espion à cette époque : trouver les moyens pour faciliter la conquête d’un pays. Le même mot est utilisé dans le livre de Josué à propos des deux espions envoyés à Jéricho.
Or, si nous examinons soigneusement le texte de notre parasha , nous nous apercevons que ce terme d’espionnage en est absent. La tradition juive ne l’a pas puisé de notre récit, mais du deuxième récit des explorateurs, qui se trouve dans le premier chapitre du livre du deutéronome. Pourquoi existe-t-il un second récit ?
C’est que le livre du deutéronome est écrit trente huit ans après le livre des nombres. Le premier récit, celui de notre Parasha , est comme un reportage pris sur le vif. Le second appartient au discours que Moïse fait à la génération des enfants, ceux qui étaient trop jeunes ou bien sont nés après la faute des explorateurs, et c’est pourquoi ils ont le droit, eux, de rentrer en terre promise. Mais, pour mieux les armer, notamment spirituellement, Moïse se doit de leur rappeler les tribulations de leurs pères, afin qu’ils en tirent des leçons pour eux-mêmes. Le deuxième récit est donc un récit édifiant et dont le but n’est pas de décrire historiquement ce qui s’est passé (reconstitution des événements en essayant de ne pas tenir compte de leur aboutissement), mais de tirer une morale de l’histoire, en la lisant en fonction de ses résultats.
Par conséquent, si Moïse désigne les explorateurs sous le nom "d’espion" ce n’est pas parce qu’ils ont été envoyés en mission d’espionnage, mais parce qu’ils ont accomplis finalement leur mission comme une mission d’espionnage !
Si nous voulons donc comprendre leur mission, [*il nous faut donc chercher dans le texte de notre parasha de cette semaine quel est le mot clé. Celui-ci apparaît immédiatement : il s’agit du verbe "latour", qui signifie explorer, ou encore se promener en observant.*] Les envoyés étaient donc bien des "explorateurs", et pour comprendre leur vraie mission, il nous suffit sans doute d’aller voir à quel moment il apparaît pour la première fois dans la Torah. Nous l’avons en fait rencontré dans la parasha de la semaine dernière, au verset 33 du chapitre 10 : "Et ils ont voyagé depuis la montagne de Dieu pendant une route de trois jours, et l’arche d’alliance de l’Eternel voyage devant eux pendant trois jours pour leur explorer (un lieu) de repos".
Après le long arrêt au pied du mont Sinaï, les Hébreux se mettent en route à travers le désert vers les frontières de la terre d’Israël. Tant qu’ils sont dans le désert, Dieu explore pour eux en avant, pour leur trouver l’endroit qui sera le plus agréable pour camper. La mission des envoyés était donc d’imiter Dieu, mais cette fois-ci en terre d’Israël. En franchissant les frontières, les enfants d’Israël deviennent en effet responsables entièrement de leurs actes, et ce n’est plus la bonté de Dieu qui les guide, mais leur propre aptitude à poursuivre dans la même direction. [*La faute des explorateurs, on le voit, est d’abord et avant tout une erreur d’interprétation de leur mission. Celle-ci devait être géographique et pratique, or ils l’ont transformé en une mission politique.*] On leur demandait de vérifier quels étaient les endroits les plus aptes pour s’installer, ils ont cru qu’il fallait vérifier si l’on pouvait s’installer. Or cette question ne se pose pas : en promettant cette terre aux patriarches, il nous a fait obligation de nous y installer. Mais cette installation demande à être préparée convenablement, et là était la mission des explorateurs, pas plus, mais pas moins.
Nous voyons à quel point nous pouvons retranscrire cet épisode dans les préoccupations de notre époque. Il ne s’agit pas de savoir s’il faut ou non réaliser son Alyah, son immigration en Israël, mais quand et dans quelles conditions. Préparer son Alyah ne doit donc être, en aucun cas, de l’espionnage. Mais celle-ci ne doit pas être non-plus une improvisation. De ce point de vue le tourisme de nos coreligionnaires de l’étranger est donc un pas dans la bonne direction, et une sorte de réparation de la faute des explorateurs qui n’ont pas compris, à l’époque, ce qu’était le tourisme de la Torah.
Rabbin Alain Michel – Rabbin Massorti à Jérusalem et historien
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