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Un juge législateur

Un juge législateur

Parashat shoftim -

La parasha   de cette semaine est souvent considérée comme "la constitution" du peuple hébreu telle que définie dans la Torah.

En effet, une bonne première moitié de cette section shabbatique est consacrée aux quatre pouvoirs prescrits pour la société idéale proposée par la Torah, et qui sont, dans l’ordre : le pouvoir judiciaire (shofet, le juge), le pouvoir exécutif (melekh, le roi) le pouvoir cultuel (cohen  , le prêtre), et enfin le pouvoir prophétique (navi, le prophète).

Les habitués des sciences politiques, ou tout simplement ceux qui se souviennent d’avoir étudié Montesquieu au lycée, constateront immédiatement l’absence d’une composante fondamentale de nos démocraties modernes : le pouvoir législatif. Peut-on imaginer l’Etat d’Israël sans la Knesset et ses débats, la France sans l’Assemblée Nationale ou les Etats-Unis sans le Congrès ? Comment expliquer cette absence ?

La réponse la plus simple semble également la plus évidente : la Torah étant une "législation révélée", nul corps législatif ne peut se substituer à Dieu. Dans la "cité idéale" juive, Celui qui a parlé au mont Sinaï et a transmis à Israël la Loi est le seul qui peut élaborer les commandements. Cependant, une difficulté surgit immédiatement devant nous : la force de la nouveauté. La vie, telle qu’elle a été mise en place par la bénédiction du créateur, est quelque chose de dynamique, qui sans cesse apporte de nouvelles questions, des interrogations et des découvertes. Or la révélation a été un événement unique, et la législation de la Torah a été transmise au peuple d’Israël une fois pour toute. Le rappel de cet événement, à plusieurs reprises dans les chapitres précédents du Deutéronome, est venu renforcer le caractère fixé, déterminé, de l’Alliance que Dieu a passée avec nous. Pourtant, c’est cette même Torah du Sinaï qui nous demande de choisir la vie et son dynamisme, et non l’immobilisme de la mort.

Notre parasha   nous fournit deux possibles solutions à cette contradiction. Abordons rapidement la seconde. Elle se trouve au verset 18 du chapitre XVIII : "Je leur susciterai un prophète du milieu de leurs frères, comme toi, je donnerai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je leur ordonnerai". Nous apprenons par ce passage l’existence d’une révélation post-sinaïtique. Non seulement Dieu continue à se révéler aux enfants d’Israël par la bouche de Moïse, mais de plus, après la mort de celui-ci, il est annoncé que d’autres prophètes apparaîtront et continuerons à apporter les suppléments ou les modifications indispensables pour la continuation du Judaïsme. Cependant, nous savons que la prophétie est close depuis le début du second temple, et qu’il n’y a plus de révélation directe. La solution prophétique comme possibilité législative n’est donc plus actuelle depuis près de 2500 ans.

C’est sans doute pourquoi la Torah, dans sa prévoyante sagesse, nous fournit une autre possibilité, décrite dans les versets 8 à 13 du chapitre XVII :
"Lorsqu’une chose t’étonnera en ce qui concerne la justice, dans le domaine du meurtre, du droit civil, des coups et blessures, dans toutes les choses en litige dans ton tribunal local, tu te lèveras et tu monteras vers le lieu que choisira l’Eternel ton Dieu. Et tu viendras vers le prêtre issu de la famille de Lévy et vers le juge qu’il y aura dans ce temps là et tu demanderas et ils te diront la façon de juger. Tu agiras en fonction de la chose qu’ils t’auront dite dans ce lieu que l’Eternel choisira, et tu prendras garde d’exécuter tout ce qu’ils t’auront ordonné. En fonction de l’enseignement (Torah) qu’ils t’ordonneront et de la procédure judiciaire qu’ils te décriront tu agiras, tu ne t’éloigneras pas de ce qu’ils te diront ni vers la droite, ni vers la gauche. Quant à celui qui volontairement n’obéira pas au prêtre qui est établi là-bas afin de servir l’Eternel ton Dieu, ou n’obéira pas au juge, cet homme là mourra et tu feras disparaître le mal du milieu d’Israël. Et tout le peuple entendra, craindra et ne commettra plus volontairement des fautes".

Une double autorité, celle du prêtre et celle du juge, a donc pour rôle de trouver des réponses aux questions nouvelles, à "ce qui nous étonne" lorsque nous venons juger un cas et que nous ne trouvons pas la réponse de manière claire et évidente dans la Torah. Quand le Temple existait, l’un des rôles des prêtres était, effectivement, de trancher les questions de Halakha  . Nous en trouvons une claire allusion dans les prophéties de Hagaï. Mais, depuis près de 2000 ans, le Temple a été détruit, et les prêtres ne pratiquant plus le service de l’Eternel, nous ne pouvons plus les solliciter. La seule voie qui nous reste est donc celle du juge.

La parasha   de cette semaine nous explique, en quelque sorte, sur quelle base la Loi orale, la halakha  , s’est développée. Si le Judaïsme peut être encore actuel aujourd’hui, c’est grâce aux générations de juges, de décisionnaires de Halakha  , de Rabbins  , qui à travers les âges ont répondu aux questions des Juifs et ont pu leur permettre de continuer ainsi à être attaché à la Torah tout en leur donnant des solutions pour résoudre les nouvelles questions qui se posaient.

Notre section shabbatique ne donne qu’un seul critère pour définir ce juge-législateur : "le juge qu’il y aura dans ce temps là". A priori, cette remarque paraît être superflu : comment pourrais-je m’adresser à un juge qui vit dans une autre époque ? Rashi   explique ce passage de la manière suivante : "même s’il n’est pas comme le reste des juges qui existaient avant lui, tu dois l’écouter, tu n’as personne d’autre si ce n’est le juge qui est de ton temps". En bon connaisseur du tempérament humain, Rashi   sait que la tendance naturelle est de se rattacher au passé, à ce qui a été dit, fait ou décidé dans les générations précédentes, en pensant que la simple répétition de ce qui a été permet de se confronter à la réalité de nos jours. Or la caractéristique d’un juge "de son temps" est de proposer quelque chose de différent, une lecture adaptée aux nouvelles conditions de vie, et ce faisant, le juge "de son temps" se différencie de ceux qui l’on précédé, provoquant notre méfiance du fait de notre tendance à refuser ce qui est différent du passé. Pourtant, insiste Rashi  , c’est lui qu’il faut écouter, "tu n’as personne d’autre si ce n’est le juge de ton temps" c’est-à-dire, le juge capable d’être de ton temps. A travers les générations, les grands décisionnaires ont toujours été ceux qui ont su poursuivre la tradition tout en se confrontant avec les réalités qui n’avaient pas été celles de leurs prédécesseurs. Ce critère, définit dans notre parasha  , est celui qui a permis, à travers les âges, de préserver la Torah écrite grâce au dynamisme de la Torah orale, et de faire que, 3500 après, la Torah avec ses deux facettes peu continuer à être la véritable constitution du peuple juif.

Rabbin   Alain Michel – Rabbin   Massorti   à Jérusalem et historien

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