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De l’usage du mot « goy »

De l’usage du mot « goy »

Parfois entendu comme péjoratif, le terme goï ou goy   qui désigne dans le langage courant un non juif, ne devrait pas l’être, encore faut-il l’utiliser correctement.

Question :

Un ami m’envoie une sorte de pamphlet dans lequel il propose d’expurger le terme « goï » du vocabulaire courant au sein du peuple juif, en raison de son caractère péjoratif. Qu’en pensez-vous ?

Réponse :

1. le terme "goï" (goy  ) en tant que tel, dans son usage biblique et premier, n’a rien de péjoratif. Il signifie "nation". Dieu fait la promesse à Abraham qu’il deviendra un grand goï (Genèse 12 et 18) et que par lui seront bénis tous les « goïm » de la terre (Genèse 18) ! Le peuple d’Israël reçoit pour vocation de devenir un "goï" saint, une nation sainte (Exode 19).


בראשית יח יח
וְאַבְרָהָם הָיוֹ יִהְיֶה לְגוֹי גָּדוֹל וְעָצוּם וְנִבְרְכוּ בוֹ כֹּל גּוֹיֵי הָאָרֶץ :

« puisque Abraham doit certainement devenir une nation grande et forte, et qu’en lui seront bénies toutes les nations de la terre ? »

(Genèse 18,18).

Dans Dt 4,6-8 ce sont les goïm qui, au final, reconnaissent la « goïté » d’Israël, incarnant une nation exemplaire pour les autres :


דברים ד

ו) וּשְׁמַרְתֶּם וַעֲשִׂיתֶם כִּי הִוא חָכְמַתְכֶם וּבִינַתְכֶם לְעֵינֵי הָעַמִּים אֲשֶׁר יִשְׁמְעוּן אֵת כָּל הַחֻקִּים הָאֵלֶּה וְאָמְרוּ רַק עַם חָכָם וְנָבוֹן הַגּוֹי הַגָּדוֹל הַזֶּה : (ז) כִּי מִי גוֹי גָּדוֹל אֲשֶׁר לוֹ אֱלֹהִים קְרֹבִים אֵלָיו כַּיקֹוָק אֱלֹהֵינוּ בְּכָל קָרְאֵנוּ אֵלָיו : (ח) וּמִי גּוֹי גָּדוֹל אֲשֶׁר לוֹ חֻקִּים וּמִשְׁפָּטִים צַדִּיקִם כְּכֹל הַתּוֹרָה הַזֹּאת אֲשֶׁר אָנֹכִי נֹתֵן לִפְנֵיכֶם הַיּוֹם :

« Et vous les garderez et les pratiquerez ; car ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples qui entendront tous ces statuts et diront : Quel peuple sage et intelligent que cette grande nation ! Car quelle est la grande nation qui ait Dieu près d’elle, comme l’Éternel, notre Dieu, [est près de nous], dans tout ce pour quoi nous l’invoquons ? Et quelle est la grande nation qui ait des statuts et des ordonnances justes, comme toute cette loi que je mets aujourd’hui devant vous ? »

(Deutéronome 4,6-8)

2. En raison de l’hostilité développée au cours de l’histoire entre les minorités juives et les peuples environnants, notamment l’antisémitisme virulent, on ne peut ignorer le fait que le terme "goï" a pris très souvent une connotation négative. Le phénomène est identique avec les gitans/romanichels/Tziganes. Ceux qui n’en sont pas sont dénommés par eux (souvent péjorativement, par différenciation) : "gadjos", "payos". "Todo lo que no es gitano es payo". Mais le "goï" ou "payo" de biens des peuples sont les juifs ou les romanichels... Dans le genre sobriquet, on a envie de dire qu’à « gadjo » correspond « goï » et à « payo », « patos » (qui vient de l’espagnol d’Afrique du Nord) . En fait le goï", le "gadjo" ou le "feuj" ou le "yahoud", c’est tout simplement "l’autre", "l’étranger", "celui qui n’est pas comme nous".

3. Je suis d’avis comme l’auteur de ce pamphlet qu’il faut bannir de notre vocabulaire courant le terme de "goï" pour désigner les gens qui ne sont pas juifs, car toute dénomination au titre de sobriquet est humiliante ou méprisante. Le terme "non-juif" n’a pas historiquement cette connotation. C’est pourquoi, il doit lui être préféré, mais seulement à défaut de désignations positives préférables : chrétiens, musulmans, etc. Il vaut toujours mieux appeler une personne ou un groupe humain par la désignation qu’il se donne lui-même. La halakha   interdit d’utiliser des sobriquets pour désigner des personnes, c’est au cœur de l’éthique juive . Le judaïsme doit être une religion/civilisation qui respecte toutes les autres identités fondées sur le respect de valeurs morales fondamentales.

4. Il y a une connotation "raciale" dans l’usage du mot "goï" qui est inadmissible. Parfois certaines personnes se rattachent à une ethnicité distincte pour faire valoir leur identité, à défaut d’une réelle identité développée sur un plan culturel. C’est l’aveu d’une vacuité profonde. Quand on n’a plus rien à faire valoir, il reste le racisme...

5. Au demeurant, la distinction entre juifs et non-juifs appartient à la volonté du peuple juif de maintenir sa spécificité et sa vocation propre dans un environnement assimilateur. Il y va de sa survie de ne pas gommer ces catégories et en conséquence, de conserver et entretenir une structure sociale spécifique, différenciée et privilégiée. Cela n’implique pas le développement d’une solidarité contre les « autres ». Le fait d’appartenir à une communauté particulière n’est pas exclusif d’autres appartenances et solidarités telle la cité, la nation, l’humanité au sens global. Au contraire aujourd’hui plus que jamais, l’avenir des communautés juives dépend des liens harmonieux avec les autres identités et spiritualités. Il faut développer le dialogue et l’enseignement de l’estime mutuelle.

Rivon Krygier

Messages

De l’usage du mot « goï »

Shalom Rav Krygier,

Je comprends votre position mais je pense pour ma part qu’il serait une erreur de supprimer "goy  " de notre vocabulaire : ce serait donner raison à ceux qui l’utilisent de façon péjorative.

Vous écrivez qu’il faut définir les gens comme ils se définissent eux : c’est vrai mais un chrétien ou un musulman ne se définit pas comme "non-juif", il se définira comme "chrétien", "musulman" ou "être humain" ou d’autres définitions, ou peut-être encore ne se définira-t-il pas du tout.
De plus la Halakha   ne suit pas votre avis en ce qui concerne les Juifs (pourquoi alors faire une règle différente pour Juifs et non-Juifs ?) : ainsi il y a des gens - j’en connais plusieurs - dont la mère est juive mais qui ne se définissent pas comme juifs - et pourtant vous en tant que rabbin   êtes plus ou moins obligé de leur conférer ce statut ; inversement, on pourra trouver quelqu’un qui s’appelle Cohen   et qui se définit profondément comme juif même si sa mère n’est pas juive et qu’il ne s’est pas converti, donc pour vous en tant qu’homme de Halakha   il est non-juif.

Si un rabbin   dans une drasha dit "il est préférable qu’un Juif n’épouse pas une ....... parce que s’il le fait les enfants ne seront pas juifs", quel terme utiliser si "goy  " et "non-juif" sont à proscrire comme nous venons de le voir ? Faudra-t-il que le rabbin   énumère la liste de toutes les religions autres que le judaïsme ? Ce serait absurde

Donc je pense que "goy  " reste approprié, par exemple dans une discussion talmudique en plein effervescence où on veut utiliser des termes précis, hébraïques, et ne pas à chaque fois utiliser la traduction qui trahit (tradutore traditore) et pollue le texte. Par exemple sur Kiddoushin chapitre quatre (assara yo’hasin), il vaut mieux utiliser des termes hébraïques (guer, Israël, mamzer, etc...) sinon en traduisant ça donne "étranger, Juif, bâtard" laissant entendre à tort qu’un prosélyte et un mamzer ne sont pas juifs avec en plus connotation faussée des termes "bâtard" et "étranger"...

Je pense que plus que le mot, l’étiquette, ce qui compte vraiment, c’est le sens et le contenu qu’on donne aux termes utilisés. De nos jours, certains (pour ne pas dire beaucoup) de nos coreligionnaires, y compris des Rabbanim, confondent encore musulman et Arabe (or le plus grand pays musulman du monde, l’Indonésie, n’est pas arabe et beaucoup d’Arabes ne sont pas musulmans...), goy   et guer tsedek, libéral et massorti  , Talmud   et Halakha  . Je pense que c’est sur l’éclaircissement du sens de tous ces mots qu’il faut concentrer notre effort, et pas leur emploi en tant que tel.

Shavouah tov et lag baomer sameah

De l’usage du mot « goï »

cher Monsieur,

Merci de votre intérêt pour cet article. Vous avez sûrement raison sur le fait qu’il faut être précis autant que possible dans les termes que l’on utilise, et ne pas englober tout le monde dans des catégories confuses ou des stéréotypes. Mais hormis cet aspect, le fait de veiller à ne pas dénigrer des identités, à ne pas qualifier des personnes par des termes qui ont pris des connotations péjoratives, doit être une préoccupation majeure de notre éthique. Tout mot du vocabulaire n’a pas seulement un sens mais aussi une charge émotive dans une société donnée, et cela ne doit pas être ignoré.

cordial chalom

Rivon Krygier

De l’usage du mot « goï »

Débat intéressant car je le lis en tant que "goy  ".

Au départ, ce mot, je l’ai rencontré dans les livres de Philip Roth, donc directement dans une acception péjorative. Le fille goy  , c’est celle dont la mère juive ne veut pas comme épouse pour son fils...
Je trouvais ça un peu communautariste, c’est vrai.

Puis, après m’être intéressée au Judaïsme, notemment dans son épaisseur historique, (et donc avec une admiration pour sa résistance en tant qu’identité religieuse et culturelle large) j’ai fini par comprendre que le terme ne l’était pas forcément. Je me le suis approprié, même, car il m’arrive souvent de me caractériser comme ça. C’est un peu un jeu de ma part d’ailleurs, car en tant que baptisée je n’ai pas à me définir par rapport à une autre identité. Mais il est vrai que je me sens attirée par le judaïsme, et que j’aimerais me convertir. Du coup, quand j’utilise le mot goy  , c’est sous entendu "hélas". Je suis goy  , "hélas". Et là encore, je perçois le comique de la situation. Comment peut on se lamenter d’être ce qu’on est ?

Et pour finir sur le chapitre de l’autodérision, je vous fais part d’un néologisme de ma façon, et que je trouve drôle (là encore, à chacun son humour) relatif au goy   en cours de conversion mais non encore converti : on pourrait parler d’un shabbaptisé ? Bon, c’est pour rire....

Nathalie

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