(Yoreh De’ah 151 :12 et 335:6, 9)
Question d’un rabbin Israëlien :
Une dame, membre de ma communauté est rentrée d’un voyage à l’étranger où elle avait retrouvé l’un de ses amis Pasteur Protestant atteint de cancer. Cette dame, lui a proposé d’ajouter son nom à la liste de Mee Sheberakh (prière pour les malades avec rappel du nom des malades) de notre communauté, et le Pasteur a été très touché par cette suggestion. Je sais que son initiative est louable, mais je ne sais pas exactement comment la mettre en œuvre pratiquement. Comment mentionne-t-on un non-Juif dans la liste de Mee Sheberakh ? Avez-vous connaissance de responsa à ce sujet ?
Responsum :
Pour répondre à cette question, il est souhaitable de la diviser en deux questions :
I) Est-il permis de prier pour un non-Juif ?
II) Si oui, est-ce qu’un non-Juif peut être inclus dans la prière de Mee Sheberakh standard avec les Juifs ?
I) Est-il permis de prier pour un non-Juif ?
La réponse simple et sans équivoque est oui. Depuis les temps Bibliques, les Juifs ont prié pour la santé et le bien-être de non-Juifs.
A) Temps Bibliques :
1. Moïse a prié pour les Egyptiens à trois reprises. Premièrement, il a prié pour que Dieu fasse cesser la plaie des grenouilles infligée aux Egyptiens et Dieu a exaucé sa prière (Exode 8:8-9). Puis il a prié pour que Dieu fasse cesser la plaie de Arov(2) et Dieu a exaucé sa prière (Exode 8 :26-27) Enfin, Moïse a prié pour que Dieu fasse cesser la plaie des sauterelles et Dieu a exaucé sa prière (Exode 10 :18-19).
2. Dans sa longue prière récitée lors de la consécration du Premier Temple, le roi Salomon dit que lorsqu’un non-Israëlite étranger vient prier au Temple, « Oh, entends en ta demeure céleste et accorde tout ce que Te demande cet étranger » (I Rois 8 : 41-43) Autrement dit, le Roi Salomon prie pour que Dieu exauce les prières de non-Juifs.
3. Dans II Rois chap5, nous pouvons lire l’histoire de Na’aman, le général d’Aram, qui va voir le roi d’Israël pour être guéri de la lèpre. Le prophète Elisha alors, guérit Na’aman de la lèpre en lui disant de se baigner sept fois dans le Jourdan (v.10-14). Si un prophète Juif peut guérir un non-Juif, alors, il peut certainement prier pour un non-Juif malade. En fait, il ne faut pas oublier que Dieu est mentionné, entre autres, comme « celui qui a le guéri Na’aman de la lèpre » dans la prière pour les malades Mee Sheberakh à Worms en 1190 (Ya’ari, No38) et à Halberstadt en 1695. (Cohen , No27)
B) Prières pour le Roi ou pour le Gouvernement
Comme je l’ai montré dans un autre article, de 594 Avant l’ère Chrétienne à nos jours, les Juifs ont offert des sacrifices ou prié pour des Rois non-juifs ou pour des Gouvernements non-Juifs. (3)
C) L’Epoque Rabbinique
1. Un baraita trouvé dans les deux Talmuds (Yerushalmi Gittin 5 :9, fol.47c et parallèles et Bavli Gittin 61a) relatent que les Juifs rendaient visite à des non-Juifs malades en même temps qu’à des Juifs malades (mipne Darke Shalom) pour favoriser la paix. (4). Cela implique aussi la prière, car à l’époque Talmudique, quand on rendait visite à des personnes souffrantes, on priait aussi pour elles (cf par exemple, Berakhot 54b à la fin, Shabbat 12a-b, Nedarim 40a). De toute façon, le baraita du Gittin 61a fut codifié dans le Shulkhan Arukh (Yoreh De’ah 151 : 12 ; 335 :9)
2. Un Midrach relate (Bereshit Rabbah 39 :6. ed Theodor-Albeck p.368-3D, Vayikra Rabbah 10 :1, éd Margoliot pp 195-196) qu’Abraham pria pour le peuple de Sodome.
D) L’époque Médiévale
Sefer Hassidim, le livre des Pieux, attribué à Rabbi Judah Hehassid (1217) eut un large impact sur les croyances et pratiques Juives. (5) Le §257 (éd margaliot p 222) relate qu’un Juif peut prier pour qu’un non-Juif qu’il a envoyé dans un lieu éloigné puisse revenir sain et sauf car s’il ne revenait pas, les non-Juifs calomnieraient les Juifs. (cf aussi les § 746 3D 982).
E) La Responsa – Littérature.
1) Un Juif demanda à Rabbi Hayim Palache (1788-1869) d’Izmir en Turquie : Sachant qu’un non-juif avec qui il était en affaires, était malade, s’il était permis de prier pour lui, pour qu’il vive et aussi de donner la Tsedaka à des érudits afin qu’ils apprennent à sa place à le guérir. Rabbi Palache répondit que c’était « mutar gamur » parfaitement autorisé. Il se basait sur le Sefer Hassidim et sur l’histoire d’Elisha et Na’aman.
Il se basait aussi sur Rabbi Yehuda Katzin qui savait comment murmurer des incantations (lilhosh). (6) On lui amena un bébé non-Juif qui était très malade, mourant et il murmura et dit une berakhah et l’enfant fut instantanément guéri ce qui fut une grande Kiddush Hashem (sanctification du Nom Divin).
Il raconte aussi qu’il autorisa son fils, Rabbi Ya’akov Palache, à écrire une amulette pour un ami non-Juif malade, mais sans mentionner les habituels Noms Sacrés de Dieu. (7)
Il raconte ensuite qu’un Juif lui avait demandé de prier pour un non-Juif mortellement malade, car si l’homme mourrait, cela lui causerait des pertes financières. Rabbi Palache réunit un minyan d’érudits pour étudier des Psaumes, et « ce fut une grande kiddush Hashem car il guérit et reconnut la grandeur du peuple Juif. »
« Et un Anglo-Turc mortellement malade, me demanda de prier pour lui, ce que je fis, et il guérit et s’imagina que ma prière avait marché. »
2) Rabbi Amram Bloom (1834-1907) décréta lui aussi, qu’il était permis de prier pour un non-Juif malade. Il s’appuie sur Rabbi Yossef Karo dans son Kesef Mishneh (A Maïmonides, Hilkhot Avodah Zarah 10 :2), disant que moyennant émoluments, il est permis de soigner un non-Juif qui n’est pas un idolâtre. Rabbi Bloom ajoute que de nos jours, les non-Juifs ne sont plus des idolâtres. « Surtout quand ils demandent que nous priions pour eux, ce qui semble indiquer qu’ils croient dans le Dieu d’Israël. »
3) Rabbi Ephraïm Oshry (1914-2003) qui était rabbin à Kovno, Lithuanie pendant l’Holocauste, écrivit des douzaines de responsa pendant et après la Shoah. Il raconte qu’une femme non-Juive sauva un garçon prénommé Yehuda en le cachant, puis le rendit à la communauté Juive après la Shoah. Il vit maintenant à New-York. Elle vint plus tard voir Rabbi Oshry et lui dit qu’elle était très malade et lui demanda si les Juifs pouvaient prier pour elle, « elle était certaine que comme elle avait sauvé le garçon, la prière serait acceptée (au ciel) et elle guérirait. »
Rabbi Oshry décida qu’ « il était permis de prier pour elle et de réciter le mee sheberakh pour elle, en conséquence, je donnais l’ordre d’en faire ainsi ». Il s’appuie pour cela sur Gittin et Yoreh Deah stipulant que nous rendons visite aux non-Juifs malades, cf Rabbi Hayyim Palache et dans Sefer Hassidim.
4) Rabbi Ovadia Yossef (né en 1920) se vit demander par un converti s’il pouvait prier pour son père non-Juif qui était malade. Le rabbin débatit longuement du passage dans le Shulkhan Arukh (Yoreh Deah 158 :1) qui dit que si un idolâtre est mourant, un Juif ne peut le sauver, ni même le soigner moyennant finance, sauf s’il craint pour eivah (crainte des non-Juifs). Rabbi Yossef démontre alors que cette loi ne s’applique pas aux Musulmans. Il prouve de surcroît qu’elle ne s’applique pas non plus aux Chrétiens qui ne sont pas considérés comme des idolâtres. (8)
Rabbi Yossef cite alors longuement Rabbi Hayyim Palache et Rabbi Amram Bloom et décide qu’il est permis à un converti de prier pour son père non-Juif.
II) Est-il permis d’inclure un non-Juif dans le Mee Sheberakh standard avec les juifs qui sont malades ?
Le Mee Sheberakh standard Ashkénaze demande à Dieu de guérir ploni ben plonit, etc, le fils de sa mère (9). « b’tokh she’ar holey Yisrael », « parmi les autres malades d’Israël ». En fait, le Shulkhan Arukh dit (Yoreh De’ah 335 :6) que lorsqu’on rend visite à un malade, on « devrait l’inclure (le malade) « b’tokh holey Yisrael » (parmi les malades d’Israël) Cette phrase semblerai exclure d’inclure un non-Juif dans le Mee Sheberakh standard à la synagogue.
On peut traiter ce problème de trois manières :
1. Un ou des non-Juifs peuvent être mentionnés dans un Mee Sheberakh séparé, sans la phrase « b’tokh she’ar holey Yisrael » et effectivement, la pluspart des sources et responsa mentionnées plus haut font référence à des prières séparées pour les non-Juifs qui sont malades.
2. On peut aussi omettre cette phrase. Le paragraphe dans le Shulkhan Arukh cité plus haut s’appuie sur les avis de Rabbi Yossi et rabbi Hanina dans le Talmud (Shabbat 12 a-b). Rabbi Yossi nous dit ce que nous devons réciter quand nous allons voir des malades un Shabbat, tandis que Rabbi Hanina dit ce qu’il faut demander à Dieu lorsqu’on a un malade à la maison. Aucun d’entre eux ne mentionne la prère du Mee Sheberakh à la synagogue, qui date d’une période bien plus récente dans l’histoire Juive. Il est donc possible qu’il n’y ait pas d’obligation talmudique d’utiliser cette phrase dans le Mee Sheberakh.
3. La phrase « b’tokh she’ar holey Yisrael » « parmi les malades d’Israël » peut être changée pour « im hole yisrael » « avec les malades d’Israël ».
Comme expliqué plus haut, la phrase « b’tokh » est basée surdes opinions de Rabbi Yossi et Rabbi Hanina dans le almud. En fait, cinq manuscrits ou versions imprimées de Shabbat 12b contiennent l’expression « b’tokh » dans leurs deux opinions. (10) mais un fragment de Geniza du Traité Shabbat (TS NS 329.429) ainsi que Nahamanides (Torat Ha’adam, ed Chavel, p18) et Rabbi Yossef Karo (Bet Yossef à Yoreh Deah 335) cite Rabbi Hanina qui a dit « tzarikh she’ye’arvenu im holey Yisrael », « il doit le mentionner avec les malades d’Israël » Rabbi Yaacov ben Asher (Tur Yoreh Deah 335) décide d’inclure la personne malade « im holey Yisrael » et il doit dire « bt’okh holey Yisrael » ce qui nous indique qu’il connaissait parfaitement les deux lectures dans le Talmud . Selon l’opinion de Rabbi Hanina, la lecture « im » est sans doute la version originale car il est probable que les copistes aient changé « im » pour « b’tokh » afin de rapprocher Rabbi Hanina de Rabbi Yossi. Qui plus est, la phrase « im » était en fait utilisée à la place de « b’tokh » dans la communauté de Konitz en 1729 (Ya’ari No.40) Et enfin, la lecture « im » concorde bien avec le baraita dans Gittin 61a déjà citée plus haut : « Mevakrin hole goyim im holey Yisrael » « On rend visite aux malades non-Juifs avec les malades d’Israël ».
Conclusion
En conclusion, il est permis de réciter le mee shebarakh pour un non-Juif en utilisant une des trois méthodes décrites plus haut. Que Dieu guérisse les Juifs et les non-Juifs et leur envoie à tous une Refuah Shleimah.
David Golinkin
Notes
1. Cette question fut posée sur Ravdibur le 16 Mai 2007 et entraina un débat animé. J’écrivis une brève Teshuvah sur Radvdibur le 18 mai 2007. Ceci est une version étendue de cette Teshuvah.
2. Arov peut signifier « plusieurs sortes de bêtes sauvages » ou « des nuages d’insectes » Voir par exemple, Nahum Sarna.The JPS Torah Commentary : Exodus, Philadelphia, New York 1991 p 42.
3. David Golinkin, Insight Israel : The view from Schechter , Second Series, Jerusalem 2006 chap 12 3D www.schter.edu, under “Insight Israel” May 2006.
4. Cf ma discussion de sa baraita dans Responsa of the Va’ad- Halakhah of the Rabbinical Assembly of Israel, Vol 6 (5755-5758) pp 287-288, qui estaussi sur www.responsafortoday.com
5. voir Louis Jacobs A tree of life, Oxford 1984 p 72 et p 80 note 19. Ce sujet mérite une étude approfondie.
6. A ce sujet, voir Julius Preuss Biblical and Talmudic Medicine, New York 1978 pp 144-146 et Joshua Trachtenberg. Jewish Magic and Superstitions, New York 1974 Index S.V. Incantations.
7. Voir Preuss pp 146-149 et Tachtenberg pp 132-152
8. Au sujet de savoir si les Musulmans et les Chrétiens sont des idolâtres, voir la discussion par Rabbi David Frankel dans Responsa (cf note 4) pp 211-230.
9. Pour une explication approfondie de cette coutume voir Golinkin, « The use of the Matronymic ».
10. La lecture b’tokh est trouvée deux fois dans Ms Munich 95 ; Oxford Opp. Add 23 éd Soncino ca 1490 et éd Vilna ; Seuls les fragments de Geniza JTS ENA 2069, 22-23 ont la lecture b’tokh selon les paroles de Rabbi Hanina, car ils ne contiennent pas lesparoles de Rabbi Yossi. J’ai trouvé ces lectures dans The Sol et Evelyn Henkind Talmud Text Databank CD produits par Saul Lieberman Institute of Talmudic Research du JTS .
Bibliographie
I) Général
Howard Addison. « The Theology of the Mi Shebeirakh, Does God Hear our Prayers ? » Proceedings of the Rabbinical Assembly 57 (1995) pp 133-134
Entziklopedia Talmudit Vol 4, cols 158-162 S.V. Bikur Holim.
David Golinkin “The Use of the Matronymic in prayers for the Sick” dans Aaron Demsky, éd. These Are the Names : Studies in Jewish Onomastics. Vol 3 (2002) pp 59-72.
Rabbi Eliezer Waldenberg. Responsa Tzit Eliezer, Vol 5 Jérusalem 1985 dans Ramat Rachel §17
Avrahaam Yaari, Tefillot Mee Sheberakh etc…
Kiryat Sefer 33 (5718) pp 118-130 ibid 36 (5721) pp 103-118 Nathan Fried ibid 37 (5722) pp 511-514 Daniel Cohen ibid 40, (5725) pp 542-559
Rabbi Yitzak Yosef. Sefer Yalkut Yosef : Hilhot Bikur Holim V’aveilut Jérusalem 5764 pp 37-65
II) Responsa
Rabbi Amram Bloom : Responsa Bet She’arim, Yoreh Deah, Grosswardein 1941 no 229
Rabbi Ephraim oshry She’elot Uteshuvot Meema’amakim Vol 4, New York 1976 No16
Rabbi Hayyim Palache Responsa Haayim Bayad Izmir 1873 No33
Rabbi Ovadia Yosef Responsa Yehaveh Da’at Vol 6 Jérusalem 1984 No60