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Les juifs en Europe dans l’Antiquité

Les juifs en Europe dans l’Antiquité

Entretien de France 2 avec Mireille Hadas-Lebel, professeure à Paris IV et spécialiste de l’histoire du judaïsme dans le monde antique. Elle a récemment écrit "Rome, la Judée et les Juifs" (Picard, 2009)

Pourquoi la présence juive en Europe de l’Antiquité à la fin du Moyen-Age est elle aussi mal connue ? Peut-on parler, comme le font certains, d’une « réécriture strictement chrétienne de l’Histoire » ?

On connaît certains vestiges depuis très longtemps. Dans le même temps, on n’a pas forcément cherché à en découvrir davantage. Pourtant, les traces existent : il y a ainsi des rues aux Juifs un peu partout en France et en Europe.

D’une manière générale, l’histoire des communautés juives est bien connue des spécialistes. Mais elle ne l’est pas forcément du grand public, même si les choses commencent à changer grâce au travail d’institutions comme le Musée d’art et d’histoire du judaïsme ou d’équipes comme la Nouvelle Gallia Judaica animée par Danièle Iancu-Agou, du CNRS. La situation évolue aussi grâce à l’action de l’archéologie préventive et de l’INRAP qui ont permis de faire de nombreuses découvertes au cours des 20 dernières années. Précisons au passage que les monuments et les objets juifs que l’on exhume aujourd’hui remontent, pour la plupart, à l’époque médiévale.

Pour autant, le passé juif a-t-il été occulté ? Je pense que les choses sont plus compliquées. Pour l’historien du Moyen-Age, l’aspect juif est négligeable car les juifs ne sont pas à cette époque des acteurs de l’Histoire. Il dispose de très peu de documents sur ce passé. Et quand ceux-ci existent, ils sont souvent en hébreu, langue que les spécialistes ne dominent généralement pas.

A quand remontent les premières traces des communautés juives en Europe ?

Il n’est pas inutile de préciser l’étymologie du terme « juif ». Il vient du mot latin Judaeus qui renvoie à une origine géographique (Jérusalem et les montagnes de Judée), à un cadre politique (le royaume de Judée), puis à une religion, le judaïsme. Les communautés juives d’Europe correspondent à cette troisième définition. La diaspora européenne est composée de descendants d’habitants de Judée, de personnes venues de diasporas orientales plus anciennes (Asie mineure, Egypte et Syrie) et de convertis au judaïsme, des « prosélytes » au sens étymologique du terme. A ce niveau, il faut insister sur l’importance des prosélytes : à Rome, nombreux sont ceux qui se sont convertis au judaïsme.

Chronologiquement, c’est en Méditerranée orientale que l’on retrouve les premières traces de présence juive. On a ainsi identifié sur l’île grecque de Délos ce qui semble être une synagogue datant du IIe siècle avant notre ère. Les communautés se répartissent ensuite tout autour du bassin méditerranéen avec l’avènement de l’empire romain. Il s’agit de populations parlant grec, comme par exemple l’importante communauté d’Alexandrie en Egypte. On connaît leur existence notamment par les Actes des apôtres qui évoquent les prédications de de Paul de Tarse (saint Paul pour les Chrétiens, né en 10 de notre ère) dans les synagogues de Grèce et d’Asie mineure.

La diaspora est donc ensuite partie vers la Méditerranée occidentale…

On trouve les traces les plus importantes en Italie, notamment à Rome, dans les premiers siècles de notre ère. Certaines estimations évaluent à 50.000 le nombre de juifs habitant au Ier siècle dans la capitale de l’Empire. Soit 10 % de la population !

Les écrits latins témoignent de cette présence. Le célèbre Cicéron se plaint qu’en 59 avant notre ère, l’une de ses plaidoiries sur le Forum ait été perturbée par des personnes de confession juive. L’orateur était intervenu pour défendre un gouverneur d’Asie accusé de malversations à qui les manifestants reprochaient d’avoir empêché l’acheminement à Jérusalem de leur contribution au Temple. Et jusqu’au II siècle de notre ère, certains auteurs satiriques, comme Juvénal, présentent les juifs comme des mendiants ou des diseuses de bonne aventure.

L’influence du judaïsme se fait surtout sentir au Ier siècle. A cette époque, les Romains se mettent parfois à observer le repos du Shabbat et la semaine de sept jours qui en découle.

Nombre de juifs installés dans la ville étaient alors probablement des réfugiés, dans certains cas des esclaves affranchis. Ils avaient quitté l’Orient et la province romaine de Judée à la suite des guerres et des massacres liés notamment à trois révoltes durement réprimées (66-73 de notre ère, 115-117, 132-135).

Par la suite, entre le II et le Ve siècle, on a retrouvé des traces des communautés juives grâce aux inscriptions, notamment celles de six catacombes retrouvées à Rome entre 1602 et 1919. 75 % de ces inscriptions funéraires sont en grec, 23 % en latin et 2 % en hébreu. Elles sont souvent accompagnées du motif du chandelier à sept branches du Temple de Jérusalem, la menora. Celui-ci peut s’interpréter comme une marque de fidélité au Temple mais aussi comme le symbole de la lumière promise aux justes dans un monde futur.

A cette époque, l’étoile de David n’était donc pas le symbole du judaïsme ?

Elle ne le deviendra qu’au début du XIXe siècle, quand les communautés seront autorisées à construire des synagogues. Leurs responsables chercheront alors un symbole géométrique, déjà connu à l’extérieur du judaïsme, pouvant faire pendant à la croix chrétienne.

Vous avez parlé de la présence juive à Rome. Qu’en est-il en France et dans le reste de l’Europe ?

Les communautés ont essaimé à partir de l’Italie, et de ses ports. Sur le territoire de la Gaule, les premiers vestiges archéologiques d’une présence juive remontent aux premiers siècles de notre ère. On a ainsi retrouvé une épitaphe du IIe siècle à Antibes et une lampe à huile du IIIe, décorée d’une menora, près de Cognac. Pour le reste, les autres témoignages sont plus tardifs. A Narbonne, par exemple, on a découvert une inscription, datant de 688, en latin, avec quelques mots en hébreu. Elle porte la signature d’un certain Paragorus, un nom grec latinisé, et évoque la perte de trois enfants, morts en même temps, peut-être lors d’une épidémie.

Et qu’en est-il ailleurs qu’en Gaule ?

C’est un peu la même chose. Les premières traces tangibles remontent au IIIe et surtout au IVe siècle de notre ère, notamment en Espagne, territoire très tôt christianisé.

Les populations juives de l’Antiquité ont-elles subi de nombreuses persécutions ?

Il y a eu des expulsions, comme à Rome sous Tibère en l’an 19 de notre ère. C’est alors que des jeunes juifs furent envoyés dans les mines de sel de Sardaigne où ils moururent en nombre. Mais on ne peut pas parler d’antisémitisme : l’idée de race est totalement absente de l’Antiquité. Sous l’empire chrétien (IVe siècle), il faut plutôt évoquer des rivalités entre religions juive et chrétienne, qui pouvaient, c’est vrai, prendre des accès terribles et ont conduit à une législation discriminatoire contre les juifs.

Des rivalités ?

J’évoquais ainsi tout à l’heure la fréquence des conversions à la religion juive, bien attestées au Ie siècle, et encore au IIIe. Dans le Talmud  , il est dit que « le peuple juif n’a été dispersé que pour faire des prosélytes ».

L’existence de ces rivalités apparaît dans les nombreux traités contre les juifs rédigés par les pères de l’Eglise et dans les décisions des conciles. Comme celui qui s’est tenu en 303 à Elvire (Espagne). Les décisions de ce concile fournissent d’ailleurs a contrario un précieux témoignage sur les bonnes relations de voisinage entre juifs et chrétiens. Il rappelle l’interdiction faite à ces derniers de donner une jeune fille en mariage à un juif ou un hérétique, de manger à la même table qu’un juif. Ou d’accepter la bénédiction des juifs sur les récoltes.

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