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Convention Nationale du CRIF 2011

Convention Nationale du CRIF 2011

Demain les Juifs de France -

Compte rendu de la journée et textes des interventions des rabbins   Gilles Berheim et Rivon Krygier et l’analyse de Dov Maimon sur l’avenir des Juifs de France.

Voici des réflexions qui vont dans le sens des valeurs du mouvement Massorti   et de ce qu’il essai de proposer en France avec ses faibles moyens.

Ce sont quelque 1000 personnes qui ont assisté à tout ou partie des huit tables rondes et aux deux grands oraux organisés par le CRIF le dimanche 20 novembre à Paris. Succès plein de cette Convention qui a atteint les buts que s’était fixés Richard Prasquier : « représenter un judaïsme pluriel et ouvert avec des opinions différentes, sortir d’une réactivité à court terme et évaluer les incertitudes, les inquiétudes... »

Beaucoup de sujets furent abordés, voici ceux qui nous préoccupent ici :

A propos des défis communautaires :

Ne pas tomber dans le « séparatisme », sortir d’une « logique binaire avec deux pôles, le ghetto et l’assimilation, » tels sont les « défis communautaires, » auquel est confrontée une « communauté juive qui n’a pas à rougir alors qu’il y a déliquescence dans certains endroits » estimait Rivon Krygier.

« Le monde religieux juif est en pleine effervescence, » notait Dov Maimon pour qui « l’avenir des Juifs de France est d’abord et avant tout lié à l’avenir de la France. » Or, « il n’y a pas de réflexion sur le long terme, » dans le contexte actuel, ajoutait-il, recommandant « un processus pour définir un projet fédérateur. »

La collaboration entre Raphy Marciano et le Collège des Bernardins était donnée en exemple. Le Président du Centre communautaire de Paris se disait d’ailleurs en faveur « d’une unité dans la pluralité à l’instar du CRIF. »

A propos du Consistoire   :

La jeunesse juive représente « le défi principal, » pour Elie Korchia, qui représentait le Consistoire  . Il y eut toutefois nombre de réactions assez incrédules et même hostiles dans la salle lorsqu’il affirma que le sort des enfants nés de mariages mixtes était pris en compte.

Une question fut évoquée plusieurs fois, comme celle des femmes, face aux difficultés d’obtenir le « Guet, » par exemple.

Très applaudi, Gilles Bernheim dans son discours a prôné « le respect réel de la femme juive » tout en expliquant que des changements majeurs, aussi nécessaires soient-ils, prennent du temps.

Nous répondrons que décidément, le mouvement Massorti   n’est qu’un judaïsme consistorial qui tout simplement 50 ou 100 ans d’avance... Mais les femmes (comme les hommes) n’ont qu’une vie, alors à quoi bon attendre ?

Intervention de Gilles Bernheim

Cette allocution prononcée par le Grand Rabbin   de France clôturait la Convention du CRIF et vient en écho des préoccupations et projets qui sont les notres.

Quels nouveaux défis pour les Juifs de France ?

Un défi, c’est un appel à un combat singulier. Parmi les nombreux combats qui sont les miens – les nôtres – : la question des unions mixtes, dont les enfants ont peu de chance d’être élevés dans le judaïsme, mais aussi le fait que nombre de juifs sont sans aucune attache communautaire, sans aucun contact avec la Torah.

Et aussi une certaine déperdition du sens des responsabilités vis-à-vis des institutions : trop peu s’inscrivent, cotisent, participent aux assemblées ou veulent assumer des responsabilités ; effets de l’individualisme de notre temps ou attentes non satisfaites ?

Autre préoccupation et défi à relever, des maux sociaux qui sont aussi ceux de la société environnante : précarité des mariages et des situations, solitudes et pauvretés. Il y a là beaucoup à réfléchir et à travailler pour les responsables laïcs ou rabbiniques.

Et puisque nous sommes ici pour réfléchir, deux questions se posent à nous. La question des mariages mixtes, elle est diverse. Certains enfants de mère juive sont juifs, parfois sans le savoir ; il faut aider à l’assumer. Certains autres, de père juif, ne le sont pas ; il faut le leur enseigner sans les blesser, leur permettre de l’accepter, éventuellement les orienter dans la toujours longue démarche de conversion s’ils le souhaitent.

S’agissant des conjoints, les choses sont encore plus difficiles : que va faire celui ou celle qui fait retour au judaïsme du compagnon de sa vie, et que va-t-il faire de sa propre vie antérieure ?

Que fait le conjoint non juif, qui n’est pas une non personne dans cette affaire ?

Vous ne croirez pas, je pense, que c’est une échappatoire si je ne vous livre pas la solution toute faite ! Il n’y a que des cas particuliers, du travail, de l’écoute, de la parole.

Deuxième question : il n’y aura pas de frein à l’assimilation, sans respect réel de la femme juive. Comment ne pas être heurté par le fait que, trop souvent, dans nos synagogues, le respect de la séparation entre les sexes pendant la prière selon la Halakha   se traduise par un inutile confinement des femmes dans des locaux trop exigus, où elles voient mal, entendent mal, alors que dans le même temps elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir vivre leur vie religieuse de manière active, responsable, instruite, dans la compréhension et l’approfondissement de leurs valeurs et de leur foi, dans la dignité ? Seule une prise en compte de la dignité et du respect réel de la femme juive peut garantir une transmission d’un judaïsme de qualité, dans une société où plus rien ne se transmet d’une génération à l’autre comme « autrefois » par la seule injonction du : « parce que c’est comme ça et que ça a toujours été comme ça ».

Comment comprendre qu’en certains lieux soit barré aux femmes l’accès véritable au texte, à la connaissance et à l’autonomie dans l’étude de la Torah, alors qu’elles sont appelées à l’excellence dans la vie intellectuelle profane ? Seraient-elles majeures dans la vie profane, mineures dans la vie religieuse ? Je ne vous parle même pas ici de l’humiliation faite aux femmes dans les problèmes de « agounot   » ?

Comment admettre que puisse leur être adressés trop souvent des propos infantilisants ou des enseignements au rabais sans qu’on craigne que ne soit ternie à leurs yeux la couronne de la Torah ?

Comment comprendre que des juifs, voire certains rabbins  , peu nombreux je l’espère, puissent à ce point être obscurcis par une misogynie qui ne doit rien à la Torah ni à la Halakha  , pour méconnaître à ce point la réalité intime sociale, professionnelle de la femme qui est en face d’eux, sans qu’ils aient à en rougir ?

Il importe donc que naisse une vraie parole de vie : je veux dire par là une parole non seulement vécue par celui qui l’a dite, mais encore qui porte vie à celui qui l’entend. Il faut donc que les véritables questions et inquiétudes que posent la culture, la société et la religion soient formulées dans les catégories de la modernité et dans celles de la Tradition. Pour notre part, au sein du Consistoire   et pour tous les Juifs de France, par la parole, par l’action et par l’écriture, nous nous y employons chaque jour.

J’en reviens aux défis des Juifs de France. Permettez-moi dans le temps très court qui nous est imparti, Bernard-Henri Levy et moi, de citer quatre défis : celui de la laïcité, celui des religions facteurs de paix ou de guerre, celui du devoir de mémoire et celui du sionisme ; sans pour autant répéter des choses déjà dites tout au long de cette riche journée.

 Premier défi, celui de la laïcité. Pour récuser d’abord le laïcisme mou ou militant qui se revendique d’une idée simpliste, à savoir que tous les gens sont pareils et tous les gens sont comme nous, comment dessiner les voies d’une laïcité de paix, à l’opposé de ce laïcisme mou ou de combat ? Permettez-moi de mentionner une anecdote rapportée et commentée par le Professeur Claude Riveline dans son ouvrage La laïcité dépassée. Un journaliste demanda un jour à Marcel Pagnol comment il expliquait le triomphe de sa pièce Marius au Japon.

« Qu’est-ce qu’on peut comprendre là-bas des petites soucis domestiques du vieux port de Marseille ? » « Monsieur, lui a répondu Pagnol, je pense que pour être de partout, il faut d’abord être de quelque part ».

Bien loin de souhaiter que tous les hommes se ressemblent, il convient de les aider à s’installer dans leurs paysages, leurs histoires, leurs fratries, mais en leur apprenant à souhaiter le même épanouissement à ceux qui n’ont pas le même paysage ni la même histoire.

C’est aussi cela le combat pour une laïcité de paix.

Pour Claude Riveline, il y a une autre façon de le dire : au siècle des Lumières, on croyait que les hommes avaient des problèmes différents mais que les bonnes réponses, fruit de la raison universelle, étaient partout les mêmes. Les mésaventures de la raison et de la montée des revendications identitaires font apparaître une conclusion inverse : les hommes ont partout les mêmes problèmes, mais les solutions adaptées sont locales. Une laïcité de paix est une société où chacun est encouragé à trouver ses réponses et à aider les autres à trouver les leurs. A l’image de Joseph en Egypte…

Permettez-moi ici une courte parenthèse. Dans le cadre de la société française, et aussi en Europe, on parle beaucoup de la souffrance des animaux lors de l’abattage rituel (« shehita ») et des restrictions que l’on se doit d’apporter à l’abattage rituel par l’étourdissement de l’animal en vue de diminuer sa souffrance, ce qui peut conduire à terme à l’interdiction de la « shehita ».

Je suis impressionné par les confusions de langage et l’usage totalement dévoyé qui est fait de la souffrance animale. La douleur animale existe – sans doute – lors de la « shehita », mais nous devons savoir en même temps que l’animal peut très peu souffrir ou ne pas souffrir du tout.

Là est le paradoxe car il n’y a peut-être pas de conscience de la souffrance chez l’animal.

D’où l’obligation de différencier l’animal de l’homme. Les animaux sont capables de s’automutiler mais ne sont pas capables de comprendre pourquoi ils ont mal, ils ne savent pas où ils ont mal, ni si ça va s’arrêter ou continuer. Contrairement à l’homme, l’animal n’a pas peut-être pas conscience de sa souffrance même si il y a douleur. Il nous appartient de ne pas galvauder l’expression souffrance animale, ni d’employer des mots à tort et à travers.

Je crois que la première fonction sociale que nous devons assigner à notre société, c’est la surveillance du langage dont l’impropriété n’est que le symptôme d’une crise culturelle ou religieuse, d’une dégradation de la société ou de la communauté, et de toute façon des valeurs.

 Deuxième défi : les religions, facteurs de paix ou de guerre ? La contribution des religions à la paix dépend d’abord de la paix entre les religions et de l’hospitalité qu’elles s’accordent les unes aux autres. C’est vrai que dans toutes les religions, l’hospitalité est sacrée. Cependant l’histoire nous enseigne qu’entre les religions les lois de l’hospitalité sont souvent abolies, et c’est alors le rejet qui est sacré. Pourquoi ce blocage ? Et surtout : comment dépasser les interdits doctrinaux et les peurs invétérées, pour permettre que la force et la saveur de l’hospitalité irriguent (enfin) la pratique du dialogue entre les religions ? Il faut d’abord insister sur le fait que le dialogue interreligieux est lui-même un acte religieux. Cela implique que l’expérience que nous faisons de notre propre religion nous ouvre sur un mystère dont nous n’avons pas la propriété exclusive. Même si nous sommes convaincus de toucher la vérité, nous ne l’épuisons pas. Pour exprimer cela d’une autre manière encore, je dirais que pour connaître une religion (et donc pour pouvoir en parler), il faut partager la vie de ceux qui croient en cette religion, comme nous y invite l’Amitié Judéo-Musulmane en ce jour. Or, un autre mot pour traduire ce que veut dire « partager la vie » est précisément le mot hospitalité. Cette démarche est une vertu juive fondamentale. Mais elle n’est pas une spécialité juive. Elle fait partie d’autres cultures religieuses. L’hospitalité entre les religions exige toujours l’action. D’où son importance pour le dialogue mais aussi comme modèle pour la paix entre tous les hommes. Et ça, c’est un vrai défi.

 Troisième défi : comment transmettre ce qui s’est passé à Auschwitz ? La réponse semble simple, c’est à l’enseignement de l’histoire d’assurer cette transmission. C’est ce que souhaitent survivants, associations de déportés, parents d’élèves, homme politiques. Et tous veulent que cet enseignement empêche le retour de pareille catastrophe. Alors si on veut « éduquer contre Auschwitz », l’extrême compassion pour les victimes est indispensable, incontournable. C’est vrai. Mais elle n’aide pas à comprendre et à faire comprendre comment on devient bourreau, pas plus que la bonne conscience ne prémunit contre les dérives des « hommes ordinaires ». Pour être efficace et dépasser la déploration morale, l’enseignement d’Auschwitz doit déboucher sur les questions suivantes : « Comment est-ce arrivé ? Quelles sont les circonstances politiques et historiques les plus précises qui ont rendu cela possible ? »

Disons le autrement – comme sait si bien le dire Georges Bensoussan : « si le discours sur Auschwitz reste cantonné au domaine de la morale, si le lien n’est pas fait à une réalité quotidienne qui permet d’éclairer comment des “hommes ordinaires” peuvent, le jour venu, se transformer en salauds, alors la leçon tourne à vide. Nous nous confortons dans l’idée que le “devoir de mémoire”, à l’instar des pieuses édifications, nous a rendus vertueux, quand nous savons, en réalité, que si notre cadre de vie devait un jour être bouleversé, la digue qui nous protégerait de la banalisation du mal est bien frêle. »

 Quatrième et dernier défi : qu’est-ce que le sionisme, dont nous sommes à juste titre si fiers ? C’est la seule utopie du XXe siècle qui ait réussi, la seule à avoir suscité un homme nouveau sans produire un monstre. Mais c’est aussi un humanisme qui offre à tous les peuples des raisons de croire en eux-mêmes. Le sionisme atteste, par l’exemple, qu’aucune oppression n’est irrémédiable, qu’aucun désert n’est stérile à jamais et que l’espoir est toujours justifié. Il est une région de l’esprit autant que de l’espace : idée de l’Homme et de ses droits, patiemment bâtie en Orient au moment même où, dans ces tragiques années 1930 et 40, elle s’effondrait en Occident.

Il n’est pas possible de conclure un questionnement aussi exigeant que celui qui nous a été confié par le CRIF. Le seul défi que nous puissions relever, c’est de ne pas éluder ces nombreux défis. A l’image du Patriarche Jacob, qui n’a été appelé Israël que parce qu’il a lutté avec l’ange, toute la nuit, et qu’il n’a pas cédé sur son identité.

Ce qui nous est demandé ici, et pour demain, c’est de ne pas céder sur notre identité.

Gilles Bernheim Grand Rabbin   de France

Intervention du rabbin   Rivon Krygier.

Sept minutes pour saisir les grands défis de la communauté juive de France, autant vouloir créer le monde en 7 jours ! C’est un défi en soi, sinon une gageure. Allons donc droit au but, au risque d’être un peu brutal. À dresser d’abord un bilan général, je suis d’avis que la communauté juive de France n’a pas à rougir de sa situation, en tout cas en comparaison à ce qui se passe en plein d’autres endroits de la diaspora, où la vie juive est en pleine déliquescence.

Globalement, même si de grandes institutions connaissent des tensions (et je m’abstiendrai de m’immiscer dans les querelles internes), on doit se féliciter du formidable dynamisme de nombreux organismes et associations dont la vitalité est due à la qualité de certains professionnels et au dévouement exceptionnel de nombreux bénévoles de l’ombre. Je n’en donnerai qu’un trop bref et trop partiel aperçu, mais emblématique.

Mesurons le rôle novateur que remplit désormais Akadem, le Campus numérique juif qui diffuse en audio ou vidéo des conférences et magazines sur les sujets les plus variés de la vie juive. Il se déploie jusque dans les foyers lointains de la province. Il permet à des juifs assimilés ou laissés pour compte d’avoir une vision diversifiée de la communauté et de ses expressions culturelles. Il donne à des personnes qui ne sont pas seulement juives d’entendre ce que notre communauté peut produire de pensée, de culture et de sensibilité.

Et là où le dialogue entre juifs est absent, voire impossible, embourbé dans des préjugés, des interdits et anathèmes, il s’impose au moins, a minima, par juxtaposition des divers courants d’opinion et de conviction.

Sur le paradigme qu’Akadem représente, j’aimerais fonder le cœur de mon argumentation. Car on doit y voir, à mon humble avis, la voie dans laquelle la communauté juive de France doit s’engager résolument.

Ce défi, j’aimerais le figurer à partir d’une formule cinglante que nous devons au rabbin   Léon Askénazi, « Manitou », dont j’ai été moi-même un élève proche. Voici ce qu’il déclarait dans le magazine Information juive (avril 1993), avec l’humour qu’on lui connaissait :

« Tout juif est juif, même les juifs pieux et y compris les juifs ¬non-sionistes, les juifs enrhumés et les juifs philatélistes… »

Mieux intégrer la pluralité est la clef ! Il convient en effet de se souvenir qu’une grande partie des juifs de France, et de la jeunesse en particulier, est en totale déshérence par rapport à leur identité juive. Il y a un tas de raisons à cette dilution (que je ne peux énumérer ici). La plus évidente mais contre laquelle il n’est pas question de lutter, c’est que dans une société ouverte et démocratique, les choix des individus ne sont plus dictés par le clan ou la famille mais selon les choix d’intérêt ou de conscience.

Et là-dessus se greffe le fait qu’il est objectivement difficile de vivre au rythme et à l’heure du judaïsme, en tant que minorité, dans une société qui vous happe sans cesse, tant sur un plan culturel que professionnel, pour le meilleur et pour le pire. Autrement dit, si l’on veut lutter efficacement contre cette déperdition centrifuge, c’est sur nous, responsables communautaires, que pèse la charge de nous montrer convaincants et inventifs, de démultiplier les efforts pour rendre la vie juive plus stimulante et plus inclusive.

Ce n’est pas avec la bonne vieille culpabilisation et la mise au ban des couples mixtes et de leurs enfants, hors des synagogues et des écoles juives, que l’on y parviendra ! Et ce n’est pas non plus, en cherchant à imposer une forme unique de judaïsme, qui plus est de plus en plus radicale, hors de laquelle il n’y aurait point de salut.

Ne pas avoir compris cela, comme c’est hélas encore souvent le cas, est tout simplement un désastre. C’est se tirer une balle dans le pied.

On érige soi-disant une grande muraille pour former un rempart contre l’assimilation et, la vue masquée, on ne voit pas que plein de juifs sont au dehors et qu’ils ne peuvent rentrer chez eux à cause de cette forteresse, pour ne pas dire un château digne de Kafka !

On observe d’après certaines études sociologiques une polarisation inquiétante de la communauté juive.

D’un côté la déshérence grandissante dont je parlais, de l’autre, une tendance à la radicalisation identitaire. Il est dans l’air du temps, dans cette génération en perte de repères – et pas seulement chez les juifs – de nourrir une fascination pour les identités pures et dures… Chez nous, c’est ce que l’on appelle la vague de « retour » à la religion qui s’accompagne bien souvent d’une crispation identitaire, d’une intransigeance mentale, affective et intellectuelle, réfractaire aux idées républicaines des Lumières qui ont fondé les vraies démocraties.

Au final, des idées chères encore à de nombreux juifs que sont le dialogue et le respect des autres identités, cultures et religions, l’égalité des sexes, l’engagement dans la cité, la prise en compte des acquis des découvertes modernes et des méthodes universitaires dans la pensée juive, autant d’idées-phares jadis défendues par la Haskala  , sont battues en brèche, sous couvert de l’autorité d’une interprétation radicale de la Halakha   comme d’autres ailleurs invoquent la Charia immuable.

Comprenez que ce n’est pas une question purement intellectuelle. Pour rester juif aujourd’hui, il faut aimer et désirer ardemment l’être.

Et cela n’est le cas que si l’on y trouve une richesse exaltante et non un carcan où vous vous sentez déjugés ou incompris. Il faut urgemment sortir de la logique binaire. Quand de jeunes juifs se sentent sommés de choisir leur clan entre ces deux pôles, ghetto ou assimilation – pour faire simple…– beaucoup d’entre eux votent avec leurs pieds, comme on dit, et même sur la pointe des pieds : ils disparaissaient du champ de la vie juive, car tout simplement, ils ne s’y retrouvent pas.

L’ultra-orthodoxie   peut sans nul doute convenir à certains tempéraments et, pour ma part, je n’en conteste ni la richesse, ni la légitimité, tant qu’elle ne sombre pas dans le fondamentalisme et le mépris de l’autre. Mais, elle ne peut ni ne doit s’imposer comme le modèle unique de judaïsme, comme d’aucuns voudraient nous le faire croire. Je ne dis pas que pour rendre le judaïsme attractif qu’il faille le diluer, le décolorer ou l’édulcorer.

Mon argument est au contraire que la solution face à cette déperdition est la démultiplication des couleurs, ce que nous appelons le pluralisme. Montrer que le judaïsme est plus qu’une religion. Il est une civilisation, une culture, des langues. Que la religion est plus que du rite ou du dogme. Il est aussi de la discussion, de l’émotion, du partage fraternel.

Le judaïsme gagnera par sa force de conviction, de délibération, non d’intimidation. Il lui faut maintenir un visage ouvert, éclairé et humain. Il ne doit pas perdre le sens critique ni sur les questions politiques ni sur les questions religieuses. Il doit retrouver la culture du dialogue dans le respect et la bienveillance, à l’image du débat talmudique.

Heureusement Akadem n’est pas le seul cadre pluraliste existant. Je pense aussi au Centre communautaire de Paris, à Limoud  , grand forum annuel de culture juive mobilisant des jeunes, qui fournissent l’un et l’autre cette pluralité d’expressions et de débats.

La Convention présente du CRIF va évidemment également dans ce sens.

Je pense aussi à l’École Juive Moderne qui accueille des enfants issus de familles de religiosité diverse, y compris de couples mixtes. On y délivre un enseignement qui place le respect et le dialogue des cultures au centre, tout en donnant aux enfants des connaissances profondes de l’hébreu et de la tradition juive.

Ma conclusion est que toutes ces réalisations, la plupart récentes et pionnières, doivent se généraliser, devenir la norme. Tel est le grand défi, le grand chantier : ouvrir de nouvelles écoles juives du vivre-ensemble, développer les espaces de dialogue, en donnant plus large légitimité au débat d’idées dans tous les domaines de la vie juive, sans exclusive.

La France ne voudrait pas perdre ses trois A… La communauté juive de France doit, quant à elle, les conquérir, en revigorant son judaïsme : A comme Accueillant, A comme Attrayant, A comme Adéquat !

Rivon Krygier (rabbin   Massorti   à Paris)

Les Juifs de France en 2030

« Les Juifs de France en 2030 » - Communication de Dov Maimon, directeur de recherche au Jewish People Policy Institute (JPPI)

Chers amis,

C’est un grand honneur d’être avec vous ici pour entamer une discussion approfondie sur l’avenir des juifs de France. Je remercie Monsieur Richard Prasquier de m’avoir convié à ce débat qui commence aujourd’hui et qui, j’espère, débouchera sur un processus structuré de réflexion stratégique, rassemblant leaders communautaires et acteurs de la société civile pour apporter ensemble des réponses pragmatiques et originales aux enjeux internes et externes auxquels seront confrontés les juifs de France dans les années à venir.

D’emblée, je tiens à vous dire que ma perspective est quelque peu différente des autres participants à cette table ronde. En effet, étant directeur de recherche d’un centre d’étude stratégique, basé à Jérusalem, qui se consacre aux problématiques liées à l’avenir du peuple juif dans sa globalité, mes perspectives sur la communauté juive de France sont d’abord et avant tout historiques, comparatives et internationales.

Ce que je voudrais évoquer avec vous aujourd’hui est le fruit d’un travail long et réfléchi fait par le JPPI. A la demande du premier ministre israélien, nous avons rédigé, après de nombreuses interviews d’acteurs majeurs juifs issus du monde entier, un rapport pour essayer de voir ce que pourrait être en 2030 le peuple juif en général et le judaïsme européen aujourd’hui. Vous pouvez trouver ce rapport et sa méthodologie, ce qui peut être utile, sur le site internet du JPPI.

Ce travail n’aurait bien sûr jamais pu être accompli sans la confiance des dirigeants communautaires des différents pays qui nous ont ouvert leurs portes et leurs cœurs, sont venus à nos séminaires internationaux de brainstorming à Jérusalem et aux USA.

C’est parce que la crise institutionnelle française se répercute nécessairement sur les institutions juives, qu’il nous paraît nécessaire dans un premier temps de dresser un tableau de la situation - la polarisation - pour ensuite proposer des orientations.

Commençons par un état des lieux :

Les Juifs de France sont la troisième plus importante communauté juive au monde, après Israël et les Etats-Unis. La culture juive semble avoir une place importante dans le monde intellectuel français, que ce soit au niveau littéraire, philosophique, cinématographique ou musical, et Paris s’est imposé comme un lieu de créativité juive. De plus, le monde religieux juif est en pleine effervescence. Nous trouvons tous les soirs plus de cent cours de Torah et de Talmud  . Le 17e arrondissement à lui seul est le plus grand rassemblement de juifs d’Europe. Enfin Francité oblige, Paris est devenu en vingt ans la capitale mondiale de la gastronomie cachère. Ce dernier point illustre mon premier constat :

1. l’avenir des juifs de France est d’abord et avant tout lié à l’avenir de la France

La préparation de notre rapport nous a montré de manière assez surprenante une différence majeure entre les dirigeants français et les dirigeants américains, australiens ou anglais. Alors que ces derniers ont des équipes indépendantes, observent les développements majeurs, construisent des scénarios et proposent des plans d’intervention intégrés, les Juifs français sont inquiets pour le futur, se plaignent et critiquent les dirigeants, mais ne prennent que peu d’initiatives personnelles pour lancer des projets novateurs.

En bref, les Français pensent que les plus belles années sont derrière eux (je me réfère à différentes études et notamment à la grande étude de l’INSEAD eLab sur "l’état de la France"), et sont inquiets sur leur avenir. Par delà la crise de l’Europe qui auront un impact déterminant sur les communautés juives, personne ne sait si la France va faire le choix du métissage et de la société multiculturelle ou si au contraire, elle va, comme plusieurs de ses voisins, revenir à une identité nationale forte et exclusive. Dans un tel contexte, les juifs choisissent la prudence, ne prennent pas position dans ce débat national essentiel. Malheureusement, quand on ne prend pas de décision, les choses se font quand même et cette stratégie du laisser-faire n’est pas forcément la meilleure.

La fracture sociale qui caractérise la politique française se retrouve dans la communauté, une majorité des juifs ne se reconnaissent pas dans ses institutions et ont fini par ne plus y mettre les pieds. Leur judaïté s’affirmera par des lectures, l’écoute de la fréquence juive, la vision de quelques programmes d’Akadem et au mieux par des voyages en Israël. Il n’est pas facile d’assumer publiquement son identité juive tout seul en France et on ne peut pas attendre de nos adolescents qu’ils affirment une identité juive dans les universités sans accompagnement.

Selon les études statistiques précitées, les Français en général, et les juifs français en particulier, ne se pensent pas dans 20 ans et un grand nombre n’est pas convaincu que leurs enfants continueront à vivre ici. Dans un tel contexte, il n’y a bien entendu pas de réflexion sur le long terme, pas de plans de carrière pour les cadres communautaires, pour les rabbins   - et cela n’encourage pas les vocations des plus brillants de nos jeunes – et les organisations – toutes bien intentionnées – n’ont pas de projet commun.

Les symptômes dont la rue juive se plaint (absence d’activités pour les 18-30 ans, manque de représentativité des institutions, guerres internes, absence de plans de carrière pour les professionnels, blocage des initiatives de terrain, désaffection de 70% des jeunes) témoignent d’une absence de projet.

Si nous constatons un manque de vision, notre première recommandation sera donc de mettre en place un processus pour définir un projet fédérateur capable de rassembler les vocations et les énergies qui sont loin de faire défaut dans la communauté juive française. Nous reviendrons sur ce point dans un instant.

2. Polarisation – deux publics juifs différents dont un seul trouve sa place dans les institutions

Le deuxième constat dont je parlerais aujourd’hui est celui qui est le plus critique pour l’avenir des juifs de France. Si les juifs qui étudient le talmud   et qui fréquentent les synagogues sont de plus en plus nombreux – et on ne peut que se réjouir de ce revivalisme – ils ne totalisent qu’une petite minorité des 700.000 ou 500.000 juifs de France. On estime, sur la base des chiffres du SPCJ, que le nombre de juifs qui ont un lien même ténu avec la synagogue, à savoir ceux qui viennent à la prière de la Ne’ila du jour de Kippour, s’élève à 150.000.

On observe donc en France, plus que partout ailleurs, un phénomène de polarisation. La minorité visible ne dépasse les 100.000 personnes et les 80% d’autres ne trouvent pas leur place dans les institutions.

Pour l’observateur extérieur, il semblerait que ce choix de privilégier le noyau communautaire au détriment des autres modes d’engagement juif constitue le principe organisationnel qui régit les institutions juives de France. Les institutions juives de France, s’inspirant du projet centralisateur hérité de Napoléon et développé après la guerre, n’est pas forcément approprié à la postmodernité.

Ce modèle où les enfants de mariage mixte sont les laissés pour compte des structures éducatives juives était probablement adapté quand le taux de mariage mixte était infinitésimal mais cette politique est-elle adaptée aujourd’hui ? Les solutions qui furent excellentes par le passé ne sont plus forcément pertinentes aujourd’hui.

3. Un choix entre quatre positionnements existentiels

Quatre grandes options s’offrent au judaïsme français et chacune de ces options présente des avantages et des inconvénients. Pour éviter les terminologies galvaudées, j’ai choisi d’utiliser des paradigmes bibliques tirés du Livre de la Genèse (que nous lisons actuellement dans les synagogues). Aucun choix n’est meilleur que l’autre dans l’absolu. Les juifs suisses et italiens choisissent la stratégie du profil bas, les juifs de Bnei Brak et de Mea Shearim l’arche de Noé et les juifs de Los Angeles la tente d’Abraham qu’ils appellent Tikkun Olam. J’ai décris comment le public associé avec l’arche de Noé est bien desservi en services par la communauté. Le noyau communautaire des juifs de France et ses institutions sont aujourd’hui dans l’arche de Noé.

Malheureusement, les autres 80% sont bien moins lotis et, pour des raisons historiques, on ne leur propose pas de services qui puissent les satisfaire. Nos études montrent qu’ils s’intéressent à leur identité mais veulent du judaïsme en environnement non-juif, ne veulent pas être séparés des non-juifs, et l’identité juive centrée sur le culte, la Shoah, l’antisémitisme et la défense d’Israël ne les motive que moyennement. Un grand nombre de jeunes juifs ont du mal avec ce modèle et à défaut d’une tente où on les accepterait tels qu’ils sont, ils choisissent par défaut ou par choix, l’assimilation.

Le judaïsme français va se trouver confronté dans les années à venir à des enjeux très sérieux qui concerneront en particulier les résidents de l’Arche. L’interdiction de l’abattage rituel en Hollande, de la circoncision en Scandinavie et les examens les jours de fêtes sont les prémices d’un phénomène plus large lié aux changements démographiques et socioculturels en Europe. Si demain les juifs de France ne sont plus que 150.000, car beaucoup se seront sentis à l’étroit dans l’arche et auront préféré choisir d’autres horizons, alors l’influence politique, électorale et morale d’un tel judaïsme qui s’intéresse surtout à lui-même et se désintéresse des questions sociétales sera réduite.

Les juifs ultra-orthodoxes   britanniques ont compris que s’ils ne s’alliaient pas avec les réformés et les juifs laïques, ils ne pourraient pas défendre les financements publics de leurs écoles et de leurs synagogues et ils ont formé le Jewish Leadership Council. L’histoire nous a appris que nous sommes tous dans un même bateau et que rien ne nous garantit que les résidents de l’arche seront mieux protégés que les autres des intempéries.

La tente d’Abraham est un modèle à développer dans le contexte français. Si aujourd’hui presque rien n’est fait pour les jeunes juifs de 18 à 35 ans, si l’on n’encourage pas ni ne finance les initiatives les plus audacieuses d’engagement juif – à l’exemple de Limmud, de Jhub, ROI, PresenTense, Kol dor et Moishe House qui ont transformé le judaïsme anglophone – nous avons toutes les chances de perdre les forces d’influence du judaïsme français. Je noterais simplement que les communautés qui ont fait le choix d’un judaïsme moins exclusif et plus diversifié ces quinze dernières années, celles qui ont fait le choix de diversifier l’offre d’engagement juif et de faire de la place aux jeunes, ont vu leur taux de mariage mixte baisser. Tel est le cas en Angleterre, au Canada et en Australie alors qu’en France tout semble indiquer que les mariages mixtes deviennent de plus en plus fréquents. Une des recommandations du JPPI se dénomme 35/35/35 : 35% des membres des comités centraux des organisations doivent être âgés de moins de 35 ans et que 35% des budgets doivent être dédiés à cette population. Tant en Angleterre qu’aux Etats-Unis, les jeunes ont montré que quand on leur fait confiance ils savent monter des projets novateurs qui correspondent à leurs besoins réels et à leur mode de vie.

Deux dernières remarques sur le choix que vous, et vous seuls pouvez faire :

 le choix par défaut – c’est à dire continuer par inertie ce qui a été fait par le passé, – est aussi un choix.

 il est fondamental que tous s’accordent sur un choix existentiel commun. Chaque vision porte en elle des implications institutionnelles, des priorités d’allocation de ressources et des modes de fonctionnement totalement différents. De même qu’on ne peut imaginer une armée victorieuse où l’infanterie irait vers le Nord, l’aviation vers le Sud et les tanks vers l’Est, il est fondamental que dans une communauté les objectifs du social, du religieux et du politique soient coordonnés autour d’une même vision existentielle.

En guise de conclusion : comment commencer le processus de réflexion stratégique.

Je souhaite partager avec vous quatre méthodes que j’ai eu la chance de suivre de près. Bien entendu les juifs de France devront choisir le modèle qui leur convient. L’important est que le groupe de réflexion stratégique, le thinktank ou la commission fonctionne selon un mode non-partisan, Indépendant et inclusif, qu’il s’impose comme une plateforme indépendante où tous se sentiront respectés et en confiance, où toutes les options seront pesées pareillement.

1. Le modèle britannique. L’ensemble des institutions juives anglaises ont mandaté une commission qui a interrogé les principaux acteurs et examiner les données existantes. Elle a identifié six enjeux majeurs et a publié un livre blanc qui est en fait un appel aux avis des uns et des autres. Au bout d’un an de travail, elle a proposé des solutions qui ont été soumises aux décideurs et à un débat public. Cette méthode consensuelle a eu un immense succès. Les propositions ont été adoptées par les institutions, des budgets ont été trouvés par delà le noyau communautaire et des institutions appropriées aux différents publics ont été créées. La fréquentation des écoles juives anglaises est passée de 25% à 85% et les initiatives se sont multipliées.

2. Le modèle américain. Le JPPI organise régulièrement des séminaires stratégiques avec les principaux acteurs. Le JPPI produit des documents de synthèses qui résument les enjeux et options d’intervention dans le domaine en question et les dirigeants américains et israéliens, accompagnés de quelques grands donateurs lancent des projets du futur ;

3. Le modèle italien. L’organisation UCEI, principale organisation juive nationale, a organisé au début du mois une série de quatre séminaires. Elle a décidé de faire travailler sur une vision du futur, dans un même lieu mais séparément dans quatre ateliers parallèles, l’ensemble des rabbins  , l’ensemble des présidents de communautés, l’ensemble des professionnels communautaire et l’ensemble des jeunes leaders. Pendant deux jours, en début novembre, j’ai animé la partie développement de vision selon une même méthodologie pour faire accoucher chaque groupe de sa propre vision du futur. J’ai ensuite rassemblé les différents groupes d’acteurs pour faire converger leurs visions. C’est un processus long mais très intéressant, qui est aussi essayé en ce moment au Brésil.

4. Le dernier modèle est celui d’un groupe de réflexion indépendant. Le JPPI accompagne dans plusieurs grandes capitales de tels exercices de prospectives et le groupe parisien qui se réunit depuis plusieurs mois s’annonce exceptionnel. Leurs premières analyses sont passionnantes et extrêmement prometteuses. Certains des membres de ce groupe sont dans la salle et je les invite à partager avec nous, quand nous ouvrirons le débat à l’assistance tout à l’heure, la nature de leur démarche passée et future, leur fonctionnement et leurs premières conclusions.

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