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Commentaires sur Pessah

Commentaires sur Pessah

Voici quelques réflexions sur le sens de la fête de Pessah.

Chabbat haGadol

Nous nous rapprochons de la fête de Pessah, un moment qui nous est très cher, tant il est dense de souvenirs familiaux, de douceur, de partage.

Comme toujours en ce moment de l’année, notre esprit est très occupé par les préparatifs, notamment l’élimination du Hametz et l’organisation des Sedarim. Il s’agit là d’aspects sans doute importants, mais qui parfois peuvent nous éloigner d’autres dimensions également essentielles.

Pessah est une fête complexe, et ce serait bien dommage de ne pas en approfondir le sens en nous contentant de bien nettoyer la maison et de suivre plus ou moins attentivement les instructions impriméees dans la Haggadah. Car peut-être aura-t-on bien fait attention à se pencher au bon moment pour boire, ou à couvrir et découvrir les Matzot quand il le faut, mais allons-nous ressortir de tout cela avec une compréhension agrandie de notre Judaïsme, et de notre responsabilité en tant qu’héritiers spirituels des faits relatés dans la Haggadah ? Rien n’est moins sûr.

Quand nous parlons de Pessah, nous parlons de sortie d’Egypte. Mais ceci n’est qu’une partie de la fête. La Torah, et la Haggadah qui est basée sur le récit biblique, parle de sortie de Mitzraim. Cela signifie « étroitesses », au pluriel. La Haggadah ne raconte donc pas simplement le passé de notre peuple, mais elle ne prend de sens que lorsque nous sommes en mesure de nous considérer personnellement sortis de Mitzraim, comme le texte même de la Haggadah le dit si bien : « A chaque génération, l’homme est tenu de se considérer comme s’il était sorti d’Egypte ». Sortir des étroitesses signifie, entre autre, redonner du souffle à notre identité juive. Car le processus de sortie de Mitzraim est bien une naissance, parallèle avec la renaissance de la nature au printemps (Pessah est aussi appelé Hag ha-Aviv, la fête des épis mûrs). Sauf que, tandis que la renaissance de la nature est un phénomène que nous percevons comme normal dans le monde physique, la naissance d’Israël s’oppose à la nature. Il est dans la nature des choses que le puissant écrase le faible, que le grand domine le petit, alors qu’à Pessah le petit, le faible, celui qui n’aurait pas pu affirmer son identité dans l’état « naturel » des choses, y arrive par le fait d’être libéré, presque miraculeusement, des étroitesses qui l’empêchent de le faire. Pourquoi « presque miraculeusement » ? Car les Bené Israël se préparent à cet événement par la circoncision et le rite de l’agneau et de la Mezouzah, même si leur Mezouzah, la première de l’histoire juive, est faite du sang de l’agneau. Or, par ces gestes, les juifs sortent de l’apathie et de leur état « naturel » d’esclaves, naturel car c’est le seul que leur génération ait connu. Par ces gestes, ils prennent conscience de la valeur de leur identité, et de la nécessité de savoir l’exprimer et la transmettre.

Un Pessah réussi nous demande donc un effort pour en faire une occasion de sortie de nos étroitesses, des limitations que nous imposons à nous-mêmes et à notre Judaisme. Ce n’est que par la connaissance et la prise de conscience que nous pouvons renaître à un judaïsme eclairé et profond, qui ne soit pas une simple répétition de gestes, répétition qui, comme toute habitude, peut devenir expression d’un état de Mitzarim/étroitesses. Ce n’est pas que dans nos maisons que nous devons éliminer le Hametz, mais aussi dans notre façon d’être, de voir et de concevoir les choses, qui devrait être « nettoyée » et renouvelée en ce moment qui marque le début véritable de l’année juive.

Nous savons que l’être humain n’aime pas le changement, c’est pourquoi il a tendance à s’accrocher à ce qu’il connait. C’est bien ce qui arrivait aux juifs en Egypte/Mitzraim/étroitesses, lorsqu’ils refusaient d’entendre la parole de Moshé. Car sortir de quelque chose pour aller vers l’inconnu n’est pas facile. On préfère toujours ce qui est connu, même si c’est désagréable. Pour cette raison, selon certaines sources, seul un cinquième des juifs sortirent de Mitzraim/étroitesses. Car Pessah signifie « saut », et la sortie du territoire connu est un saut. A la base du rite agricole de l’abstention du vieux blé, il y a aussi une idée de saut. L’idée était en fait d’arrêter de produire du pain par le vieux levain, une pâte qui venait de l’ancienne récolte et dont une partie était régulièrement conservée pour préparer le pain suivant. A ce moment de l’année, pour se préparer à la nouvelle récolte, on cessait de faire cela, pour s’ouvrir au nouveau, à l’espoir de la récolte à venir, malgré l’incertitude que cela engendrait nécessairement. Or, cette incertitude est la base de tout saut, dont le début est connu, mais dont le point d’arrivée est incertain. Cela vaut pour nous, mais encore avant pour ha-Shem, dont il est dit qu’il sauta sur les maisons d’Israël (Exode 12 :27), et cela signifie aussi qu’il sut mettre de côté toutes les réserves envers ce peuple si peu à la hauteur de la situation, et accomplir un saut aussi bien en arrière, en se basant sur la promesse faites aux patriarches, qu’en avant, en accordant sa confiance à Israël.

En tous ces aspects, Pessah est une naissance, qui est source de joie mais aussi de doutes et d’appréhensions quant au devenir de l’être ou du projet qui nait. Un Pessah réussi est donc aussi un Pessah où l’on sait se défaire de certaines façons de penser pour en expérimenter d’autres. Voici quelques petites suggestions et réflexions très simples, parmi les nombreuses possibles, à cet égard.

  La vente du Hametz par une autorité rabbinique est pensée pour les commerçants, car il n’était pas concevable de leur demander de se défaire de toutes leurs réserves, ce qui aurait comporté un préjudice économique grave. Un particulier ne devrait pas se baser sur ce qui souvent devient un subterfuge. Le Hametz doit être consommé, ce qui ne l’est pas doit être donné, par exemple à des gens dans le besoin (des non-juifs, bien sûr...). Par contre il ne doit jamais être jeté, car la loi juive interdit sévèrement de jeter quoi que ce soit (bal tachhit). Pendant les jours de la fête, le Hametz ne doit pas être « vendu » et enfermé dans un endroit, mais définitivement éliminé.

  Souvent on entend qu’il est interdit d’inviter des non juifs au Seder. Cela n’est pas correct. Ne vous privez pas de la compagnie de vos amis non juifs ou des membres non juifs de la famille. A la rigueur, on pourrait leur demander de ne pas consommer l’Afikoman, le dernier morceau de Matzah symbolisant l’agneau de Pessah, qui a un caractère très spécifique au peuple juif. Mais, puisqu’aujourd’hui il n’y a plus de sacrifice de l’agneau, même cette limitation est optionnelle, et nous la déconseillons. Au contraire, il est de l’ordre de la Mitzva d’inviter des non juifs qui sont en couple avec des juifs, pour permettre à ces couples de célébrer la fête correctement et de les garder proches de la vie juive. De même, il est noble et important de partager ces moments si beaux avec ceux, parmi les membres d’autres communautés religieuses, qui désirent le faire par affection envers le peuple juif. Il est aujourd’hui impératif de communiquer avec ces gens, et la connaissance réciproque passe aussi à travers le fait de partager ces moments. Sans oublier la phrase par laquelle on ouvre le Seder : Kol dikhfine yété v’yékhol. Kol ditsrikh yété v’yifsah ! « Quiconque a faim, qu’il vienne et mange, Quiconque a besoin, qu’il vienne et fête Pessah ! » « Quiconque », c’est bien tout ceux qui souhaitent partager notre Seder, sans exception…

  Certaines céréales dites « légumineuses » (kitniot) ont été interdites selon les coutumes ashkénazes, à cause du risque de confusion de farine (maïs, riz, et autres). En milieu séfarade également, il existe des traditions de ce genre. Mais déjà au Moyen-âge des sources rabbiniques critiquent cela, car il y a un risque réel que ces restrictions supplémentaires diminuent la joie de la fête. Il y a déjà suffisamment d’interdits à Pessah pour ne pas en rajouter. Le rabbin   David Golinkin, important décisionnaire Massorti  , permet donc les kitniot, d’autant plus que nos jours le risque de confusion de farine n’a pas lieu d’être dans les pays industrialisés.

  Un premier-né (que ce soit de mère ou de père) se doit en principe de jeûner la veille de Pessah en commémoration de la sortie d’Égypte pour se souvenir que les premiers-nés hébreux avaient échappé à la dernière plaie. Souvent seuls les hommes respectent ce jeûne, mais il est approprié que les femmes aussi le fassent (sauf les femmes enceintes ou qui allaitent), car telle est l’opinion exprimée dans des sources traditionnelles diverses. La raison du jeûne est le fait que les premiers-nés juifs aient été épargnés, mais il s’agit aussi d’une forme de respect envers ce qui ont péri. Dans les deux cas, rien ne justifie que les femmes ne jeûnent pas.

  Le Seder est une cérémonie très particulière. Certains rites qui accompagnent les moments forts de l’année juive sont basés sur un langage non verbal (pensons au Chofar, ou au Loulav), d’autres sur l’idée de prière et d’invocation. Mais le Seder se veut essentiellement pédagogique, plus semblable à une soirée d’étude qu’à une soirée de prière. Un Seder réussi demande d’être préparé, et pas seulement en cuisine. A Judaïca, nous avons tenu un cours, « L’au-delà de la miette » dont le but était de fournir du materiel de réflexion à amener à la table du Seder. En aucun cas la simple lecture de la Haggadah est suffisante. Il est important d’introduire des études, des léctures, des questions. Une possibilité est celle de demander à plusieurs participants de préparer cela en amont. Il existe de très nombreux commentaires et articles sur Internet ou dans des livres. Tout Seder devrait être personnalisé et enrichi en ce sens.

Que nous tous puissions avoir le mérite d’aller au-delà de la miette, dans l’espoir de motiver nous-mêmes et les autres autour de nous à poser, et à se poser, encore beaucoup de questions.

Haim Cipriani

Pessah

Parlez à toute la communauté d’Israël pour dire : Le dix de cette lunaison, qu’ils prennent, chaque homme, un agneau par famille paternelle, un agneau par maison.(Exode 12 :3)

Et Moshé prend de l’huile d’onction et du sang qui est sur l’autel ; il asperge Aharon, ses habits, ses enfants, et les habits de ses enfants avec lui. Il consacre Aharon, ses habits, ses enfants, et les habits de ses enfants avec lui. (Lévitique 8 :30)

Voici, je vous envoie Elie le prophète, avant le jour de YHVH, le grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères sur les enfants, et le cœur des enfants sur leurs pères, afin que je ne vienne pour frapper le pays de destruction. (Malachie 3 :23-24)

Le premier passage est extrait de l’Exode, il s’agit d’un passage qui est lu pendant l’avant-dernier Chabbat de préparation à Pessah, le Chabbat haHòdesh. Dans ce texte l’agneau de la fête, qui est appelé le Pessah, doit être préparé et mangé en famille, restreinte ou élargie selon le nombre de personnes, mais toujours en famille.

Le deuxième passage n’est pas lié directement à Pessah, mais il est toujours lu dans le cycle courant de lectures chabbatiques, peu avant la fête, dans la Sidra Tzav. Aharon y est consacré à la kéhuna, la prêtrise, avec ses enfants, et à chaque fois que son prénom est cité, il est toujours accompagné de l’expression « et ses enfants », ce qui est répété à maintes reprises.

Le troisième texte est celui que nous avons lu dans la Haftarah   le Chabbat dernier à la synagogue lors de la célébration du Chabbat haGadol, “le grand Chabbat”, qui précède immédiatement Pessah. La prophétie de Malachie souligne la nécessité d’un messager divin, Elie, pour restaurer la communication entre les générations, ce qui donne à cela une dimension messianique.

Un point qui ressort de ces textes est la centralité de la dimension familiale dans la préparation et dans la célébration de la fête même. Cela pourrait paraitre étrange, car Pessah évoque les origines d’Israël en tant que peuple.

Or, c’est justement en Egypte qu’Israël passe de cette dimension familiale, celle du clan de Yaakov descendu en Egypte, à celle collective d’un peuple. C’est peut-être justement à cause de cela que la Torah accentue cet aspect au moment même où l’on célèbre la naissance du peuple. Pour nous rappeler qu’avant d’être peuple il est essentiel de garder le Judaïsme vivant dans le foyer familial. Cela ne se fait pas que par le rite, mais le rite est parfois un moyen puissant. La préparation de Pessah est axée sur la maison, on le sait bien.

Or, juste le soir avant le début de la fête, nous sommes appelés à la Bedikat Hamets, la vérification du hamets. La traduction littérale « vérification » est beaucoup plus parlante que celle, plus courante, de « recherche », car on vérifie pour s’assurer qu’il a bien encore du hamets ! C’est assez paradoxal, car après avoir travaillé dur pour nettoyer la maison, nous gardons exprès une petite quantité de hamets juste pour mettre en scène une recherche, vérifier que ce hamets est bien encore là, et le détruire. Entre autre, cela suggère qu’anciennement le nettoyage de Pessah ne durait qu’un soir, c’est pourquoi nos sages   ont institué ce rite accompagné par une bénédiction le soir avant le début de la fête.

Mais, au-delà de cela, le rite nous rappelle que le hamets est toujours là, il est impossible de s’en défaire réellement et définitivement, malgré nos multiples efforts. On ne peut que le limiter, le surveiller, vérifier régulièrement qu’il ne déborde pas. Le fait que la vérification se fasse pièce par pièce, et en famille, rajoute une dimension ultérieure. En chaque pièce de notre maison il y a bien du hamets qui pollue notre vie commune et les relations entre les membres de notre famille.

Arrogance, incapacité de laisser respirer les autres, de leur donner la liberté d’être eux-mêmes. On ne devrait donc pas oublier que cette vérification est aussi une sorte de thérapie familiale, dont le but est ce de « ramener le cœur des enfants vers celui des parents » et vice-versa, pour paraphraser le prophète Malachie. Cela constitue le début de la communication qui devra permettre la transmission, la cohésion et la connexion pendant la lecture de la Haggadah, mot dérivé de Gid, qui signifie justement nerf, tendon, connexion.

Ce n’est pas par hasard qu’à la table du Seder soient présents les « quatre enfants », plus ou moins loquaces, plus ou moins intelligents, plus ou moins sages  . Quel que soit leur degré de connexion, la faculté de les conserver autour de la même table est en soi un aspect de grande importance. Symboliquement il faudrait que tout Israël, dans ces différentes expressions, ce soir-là soit assis à la même table.

N’oublions donc pas qu’avant toute autre chose Pessah est le moment de créer, ou de maintenir, cette connexion. Connexion avec nous-mêmes, entre nous et nos enfants, entre notre histoire et notre avenir.

Rabbin   Haim Cipriani

Septième jour de Pessah

Il y a un passage, cité et commenté dans la Haggada, qui dit : « Et les Egyptiens nous firent du mal [vayaréou] … » (Deutéronome 26 :6)
Or, la racine du mot vayaréou, expression souvent traduite par « faire du mal », selon certains ne serait pas celle du mot rah, « mal », mais plutôt celle de réah, « ami », ou « proche », comme dans v’ahavta l’réaha camoha, « tu aimeras ton prochain [qui est] comme toi-même » (Levitique 19 :18).

Si on lit le passage dans ce sens, on pourrait comprendre qu’avant de passer à des manières plus violentes, les égyptiens auraient d’abord établi un contact doux et amical avec les hébreux, et ensuite ils l’auraient utilisé pour mieux manipuler les Bnei Israël.

Nous avons une certaine idée de l’Egypte. L’esclavage, le fouet, les enfants jetés dans le Nil. L’Egypte dans notre imaginaire devient parfois le mal absolu, un mal qui vient d’ailleurs, et que nous subissons en tant que victimes.

Quand on voit les choses de cette façon, il est facile de développer une image un peu manichéenne de la fête de Pessah. Mais, comme cette lecture le suggère, la perte de la liberté ne se manifeste pas toujours par l’imposition violente. Bien au contraire, facilement elle se produit dans la douceur et le confort de l’habitude. Les résultats, en termes de réduction en esclavage, sont les mêmes. Avec la différence que la perte de la liberté nous est parfois douce, nous rend la vie plus simple. Ce n’est pas par hasard si la génération qui sort d’Egypte passera une grande partie du temps dans le désert à rêver de retourner en Egypte. Avons-nous tellement changé ?

Rabbin   Haim Cipriani

Après Pésah

Nous avons réintégré le Hamets dans nos repas. Le Hamets, on le sait bien, est une représentation symbolique d’un certain orgueil qui peut facilement se transformer en arrogance et ignorance de l’autre.

Cependant, Pessah n’est pas vraiment terminé, comme il serait facile de croire. Nous sommes censés ne pas réintégrer ce levain dans nos esprits de façon abrupte, mais doucement et par petites doses, de façon à ne pas en perdre la maîtrise. Cette réintégration progressive, une sorte de rééducation, se fait par le décompte progressif de l’Omer, qui relie Pessah à Shavouot. Pendant les sept semaines qui séparent Pessah de Shavouot, chaque soir le juif compte rituellement le nombre de jours et de semaines, en commençant par un, jusqu’à quarante-neuf.

L’Omer est une unité de poids, mais la racine dont le mot provient signifie « amoncèlement », et dans sa forme réfléchie (hit’amer) a le sens de « maltraiter » (cf. Deutéronome 21 :14 ; ibid. 24 :7).

Probablement parce qu’à l’origine, la racine indique le fait de compacter des choses ensemble, ce qui exerce une forme de poids et de pression. D’un côté nous sommes donc appelés à compter chaque jour de ce processus de lente réintégration de nos acquis, de notre orgueil, de notre assurance. Cela constitue une richesse, un « amoncèlement », dans le sens de la constitution d’un patrimoine. Mais si le processus n’est pas maîtrisé parfaitement, maîtrise qui est symbolisée par la supputation précise de chaque jour et semaine, cette « capitalisation » tournée sur nous-mêmes (le sens réfléchi, hit’amer) peut devenir une violence, une force destructrice et aliénatrice.

On comprend donc mieux que Shavouot, fête du don de la Torah, dans les textes rabbiniques soit appelée Atséreth, « clôture », car elle n’est rien d’autre que la conclusion et le couronnement de Pessah. La liberté, célébrée à Pessah, doit évoluer vers la capacité d’assumer les responsabilités qu’elle comporte, et vers l’acquisition d’une maîtrise de la liberté elle-même. Autrement elle peut devenir parfois plus dangereuse que l’esclavage.

Rabbin   Haim Cipriani

Chabat Pessah

Faut-il le rappeler ? La liberté n’existe pas sans un perpétuel travail de libération. C’est pourquoi nous ne pouvons arriver à cette fête de Pessah sans un dur travail de préparation physique et morale. Et pourtant, malgré ce dur travail, tout arrive toujours trop vite, et c’est à peine si nous avons le temps de souffler que déjà le Seder est là, et nous nous découvrons à nouveau non préparés – ou insuffisamment -, comme si la liberté ne pouvait se découvrir que dans une urgence où son émergence déjà nous dépasse et nous emporte vers des horizons que nous n’avions pas pu prévoir. C’est pourquoi le symbole de cette fête est la précipitation – bivhilou – et la matsa – qui n’a pas eu le temps de lever… Tout se passe toujours trop vite, car nous ne sommes jamais à la hauteur des événements de libérations qui nous requièrent, nous invitent et nous propulsent vers nous-mêmes.

Mais si l’événement de libération nous dépasse et nous surprend quelque part à notre insu, sommes-nous réellement libres ? Non, nous ne le sommes pas, ou pas encore, ou jamais complètement. Mais désormais, nous avons pris conscience que nous voulons le devenir, et qu’une vie qui ne serait pas orientée vers un tel but, vers un tel advenir de la liberté à travers la responsabilité, n’aurait plus de sens, nous laisserait dans un état infra-humain et vain, misérable comme un pain de misère. Et c’est de cela que nous voulons faire mémoire lors de cette fête, et dont nous voulons nous rappeler chaque jour durant l’année. Car nous sommes bien spontanément des esclaves de notre propre passé, de notre histoire, de nos parents, de nos habitudes, de notre formation, de notre lassitude, de notre désespoir, de nos euphories, de nos certitudes, de nos convictions… Mais ces aliénations multiples qui nous plombent, nous pouvons désormais les découvrir pour ce qu’elles sont grâce au rite, ce rite qui nous rappelle que le principal reste à venir, que la liberté reste à inventer, car nous nous y découvrons sollicités de l’extérieur par un appel qui nous invite à entrer dans un processus de libération, et à le vivre comme si c’était aujourd’hui.

N’est-ce pas d’ailleurs aujourd’hui – et non hier qui n’est plus, ni demain qui n’est pas encore – que tout se joue et que donc tout peut commencer, et prendre une autre couleur, un autre sens ? N’est-ce pas aujourd’hui réellement que le rite de Pessah nous donne l’occasion de sortir d’Egypte et de réinventer la liberté ? Pour plagier ce que disait Ben Gourion : « im tirtsou ein zo Agadah », si vous le voulez, ce ne sera pas seulement cette année la énième lecture de la Hagadah de Pessah, mais aujourd’hui vraiment le premier jour d’émergence de notre libération. A nous de nous laisser appeler par ce rite qui nous rappelle sans arrêt à nous-mêmes et à notre responsabilité dans l’histoire : faire advenir à travers nous l’inouï d’une présence humaine qui réponde à l’Infini et à son appel à la libération.

Yedidiah Robberechts

Pessah et Chabat

Nous sommes sortis d’Egypte, mais l’Egypte est-elle sortie de nous ?
La liberté ne peut s’inscrire dans un premier temps que comme rupture par rapport à un ordre du passé qui nous aliénait et nous empêchait d’avancer, d’évoluer, d’ouvrir notre propre chemin. Mais toute rupture reste fragile, car elle n’est que négative et laisse face à un vide qui peut très vite être résorbé. C’est ce que le passage de la mer des joncs nous rappelle en ce septième jour de Pessah : nous nous étions libérés de Pharaon, mais le modèle pharaonique risquait encore de nous rattraper et de nous noyer dans ses eaux. Ce modèle est si présent, que dès que Pharaon s’approche, les enfants d’Israël regrettent d’être sortis d’Egypte (Exode 14, 11-12). Il faudra donc une seconde rupture pour les libérer à nouveau de l’emprise des Egyptiens. Et ainsi de rupture en rupture…, mais jusqu’à quand ?

C’est parce que toute rupture est fragile dans sa négativité, que dès le lendemain de Pessah nous commençons à compter le Omer, chaque soir, et cela durant quarante-neuf jours, jusqu’au cinquantième jour, où nous recevons la Torah, à Chavouot. C’est seulement là en effet que la rupture reçoit son sens positif : nous ne sommes pas seulement libres pour être libres, dans le vide, mais pour construire cette liberté autour de la responsabilité qui l’innerve de l’intérieur et est seule à même de la faire grandir. La libération est un processus qui ne peut pas rester dans le vide : elle doit être appelée par un projet qui la précède et la relance sans arrêt de l’avant, sinon elle risque de s’aplatir et de retomber sur elle-même. C’est précisément ce que signifie le mot Torah : la racine « Yoreh » signifie lancer en avant, pro-jeter. La Torah, c’est le Projet que l’Infini propose à l’homme pour le tirer de l’avant et ainsi soutenir son désir de libération, le structurer et le rendre fécond, créatif. Le vide de la rupture devient alors l’occasion d’une ouverture à un au-delà qui rend ce vide dynamique et en fait le lieu d’une avancée possible de l’histoire.

C’est la fragilité des révolutions dans l’histoire, qui risquent de tomber de charybde en scylla, si elles ne se construisent pas autour d’un projet qui les portent au-delà de leur désir immédiat de libération, vers la construction dans le long terme d’une nouvelle civilisation, d’une nouvelle civilité qui fasse place à l’humain et à son respect.

Yedidiah Robberechts

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