Quelques semaines après avoir pris ses fonctions d’historien du Nouveau-Mexique, dans le sud-ouest des Etats-Unis, Stanley Hordes a commencé à recevoir d’étranges visiteurs dans son bureau de Santa Fe, qui lui faisaient des révélations sur leurs voisins : "untel allume des bougies le vendredi soir", "untel ne mange pas de porc"...
Intrigué, Hordes a commencé à sillonner les villages ruraux pour interroger les "viejitos", vieux habitants hispanophones dont les familles vivent dans l’Etat depuis des générations.
Bien que manifestement catholiques, ceux-ci suivaient des traditions du judaïsme, a-t-il découvert avec étonnement. Certains expliquaient simplement suivre la coutume familiale, mais d’autres déclaraient sans détour être juifs. Pourtant leurs villages étaient construits autour de chapelles catholiques, pas de synagogues, ils ne connaissaient pas la Torah et ne savaient pratiquement rien de la religion juive.
Un quart de siècle plus tard, Hordes a une explication sur la présence de ce "crypto-judaïsme" au Nouveau-Mexique. En 1492, les juifs d’Espagne ont été contraints de choisir : se convertir au catholicisme ou quitter le pays. Beaucoup sont partis, allant jusqu’à Istanbul, Londres ou Le Caire. D’autres ont simplement accepté d’abjurer leur foi.
Mais certains des nouveaux convertis ont en fait continué à pratiquer le judaïsme en secret. L’Inquisition espagnole a cherché à les identifier et à les punir. On a découvert quelques communautés de ces "crypto-juifs" qui ont survécu dans la péninsule ibérique et sur le continent américain pendant des siècles, cachant leur véritable identité religieuse à leurs voisins et à l’Eglise catholique.
Dans un livre publié en 2005, "To the End of the Earth : A History of the Crypto-Jews of New Mexico" ("Vers le bout du monde : une histoire des crypto-juifs du Nouveau-Mexique"), Hordes suggère que nombre de ces apostats ont gagné la frontière nord de l’empire colonial espagnol, où il était plus facile d’échapper à l’autorité de l’Eglise et de l’Etat.
Là, ils ont continué à pratiquer leur foi originelle clandestinement en se fondant dans la culture catholique. "Ils étaient invisibles", souligne Hordes.
Mais ce secret qui les a protégés a aussi fini par les couper de leurs racines spirituelles. Ils n’avaient pas de synagogue, de Torah ou de lien avec la culture juive dans le reste du monde. Ils étaient immergés dans la culture catholique avec ses propres traditions.
Si bien qu’au XXe siècle, il ne leur restait plus que quelques coutumes inspirées du judaïsme et le vague sentiment chez les plus âgés d’être juifs.
Sonya Loya, qui a grandi dans la ville catholique de Ruidoso, déclare s’être toujours sentie juive. Elle a commencé à observer le shabbat il y a six ans lorsqu’elle a appris l’histoire de ses origines, mis au jour par Hordes et d’autres chercheurs. En 2004, son père a donné son assentiment à sa conversion au judaïsme et lui a révélé qu’il avait des ascendants juifs. Un oncle revenu de la Seconde Guerre mondiale a raconté avoir vu le nom de la famille dans une liste de détenus des camps de concentration.
Bill Sanchez, un prêtre catholique de la région, a fait analyser son ADN, examen qui a révélé qu’il possédait une série de marqueurs génétiques sur son chromosome Y, présents chez 30% des hommes juifs. Se sentant juif depuis toujours, il a embrassé cet héritage. Il porte autour du cou une étoile de David à côté de son crucifix. "Nous sommes déjà juifs, nous n’avons pas besoin de le devenir", dit-il.
Les crypto-juifs du Nouveau-Mexique ont une relation inconfortable avec ce passé en partie enfoui. S’ils proclament leur judéité sur la base d’un héritage revendiqué, ils n’ont aucun moyen de le prouver. "On a des indices, mais au n’aura jamais la preuve", estime Mme Loya.
(source AP)