Nibal Khouri court le long du vestibule, saluant des camarades au passage, entre le cours de Talmud et celui de Géographique Historique de Jérusalem.
Loin de ses racines de fille d’un fermier d’Ibillin, village de Galilée Arabe, elle se hâte de traverser le Beit Midrash dont les étagères regorgent de Torah, de Talmud , de Shulhan Aruch, de livres de prières et de littérature Juive.
« Il n’y a rien d’étrange à cela, en fait ça me donne plutôt l’impression agréable d’être vraiment quelqu’un de très spécial ! » explique-t-elle en commentant le fait qu’elle soit étudiante en Master, l’une des deux étudiants Arabes en Master au milieu de 500 étudiants Juifs d’Advanced Jewish Studies au Schechter Institute de Jérusalem.
Nibal Khouri, 39 ans, a toujours eu une âme de pionnier. Après avoir fini le lycée à Haïfa dans les années 1980 ; elle entra à l’Université également à Haifa et passa un diplôme d’Etudes de Géographie et Terre d’Israel. « Pourquoi pas » dit-elle, « J’adore ce pays, j’adore la nature, j’adore voyager et je souhaitais mieux connaître l’histoire de ce pays. »
Personne ne sourcilla dans son village mixte Musulmans/Chrétiens nous dit-elle « J’ai grandi dans une maison très ouverte ; où il n’y a pas de fanatiques. On nous a enseigné que tous les gens sont des êtres humains et que si quelqu’un nous respecte, vous devez le respecter en retour ».
Depuis leur installation à Haïfa, son mari, ses deux enfants et elle, vivent dans un immeuble peuplé essentiellement de Musulmans et d’Arabes Chrétiens. Elle se décrit d’ailleurs, ainsi que sa famille comme des « Chrétiens laïques ». Leur immeuble est installé au-dessus d’une synagogue Orthodoxe . « A Jérusalem, vous vivez dans un monde différente du notre ici à Haïfa » dit-elle en haussant les épaules comme si trois religions ensemble sous un même toit était chose courrante.
Après un diplôme universitaire, suivi d’études en Education Spécialisée, Nibal Khouri enseigna la géographie ainsi que des cours généraux dans des classes de section d’éducation spécialisée dans des lycées de sa ville natale d’Ibilin ainsi que dans la ville Musulmane de Fureidis près de Richon Ya’acov.
C’est là nous dit-elle, qu’elle a été contactée par un représentant du ministère de l’Education, au sujet d’un poste qui se créait à Shelah, un programme ministériel incluant cours, séminaires et voyages sur le terrain, en rapport avec l’environnement et l’histoire du pays.
Le programme Shela est proposé dans toutes les écoles publiques Arabes et Juives nous dit Nibal Khouri, et elle ajoute, « Ce que j’enseigne et la façon dont je le fais ne dépend en rien de l’identité de mes élèves. » Elle a enseigné pendant 10 ans dans un lycée Arabe et elle ajoute : « Nous ne parlons pas politique. Mais quand je suis sur un site Juif, Ramat Hanadiv par exemple, je parle à mes élèves du Baron de Rothschild (qui est enterré là) et de comment il a réussi à aider la communauté Juive. Si je suis devant une tombe Musulmane, par exemple Geva Carmel près de Fureidis, je vais expliquer qu’il y avait là un village Arabe appelé Jaba et qu’il fut détruit lors de la création de l’Etat d’Israel. Dans les deux cas, les élèves se contentent d’écouter. »
Mais ajoute-t-elle, après toutes ces années longues d’études et d’enseignement de la géographie, elle continuait à avoir le sentiment de ne pas en savoir assez pour elle comme pour ses élèves.
« J’avais le sentiment de ne pas connaître l’histoire Juive, ni l’histoire de ce pays. Je voulais savoir la vérité. Ca m’aiderait en tant que citoyenne et en tant que guide touristique. Je vis aussi parmi les Juifs, donc j’ai besoin de mieux les connaître. »
Et comme ses enfants avaient grandi, 8 et 11 ans, c’était le bon moment pour retourner à l’école. Elle commença donc l’an dernier à feuilleter les brochures de l’Histadrut (éducation continue) et en découvrit une du Schechter Institute of Jewish Studies, affilié au Mouvement Massorti .
« J’ai vu que c’était centré sur le Judaisme, si j’étudiais quelque chose, autant aller à la source. Ils avaient aussi des cours d’histoire et de géographie de Jérusalem, ça m’a suffit, j’étais convaincue. »
Elle parla avec les professeurs du Schechter Institute qui achevèrent de la persuader qu’elle serait dans un environnement pluraliste, sans danger, dans lequel elle pourrait étudier pendant des heures ce qui avait trait à son travail. On lui donna le numéro de téléphone d’un étudiant de Haifa. « J’ai rencontré Gabi Dagan qui m’a expliqué que ce n’était pas un enseignement fanatique, et que tout le monde se respectait, » nous dit Nibal Khouri « je n’ai même pas été voir d’autres instituts. »
Il est rare, mais il arrive que des Arabes poursuivent des Etudes Juives approfondies. A l’Université Ben Gourion dans le Negev, par exemple, il n’y a pas d’Arabes qui font un Masters en Etudes Juives, mais il y a deux étudiants en Licence d’Etudes Juives et de Philosophie Juive et six en Histoire Juive.
Le doyen de l’Université Hébraique Bili Shapira nous dit : » Ce n’est pas fréquent, mais ça arrive. Il y a quelques années, il y eut un groupe de l’Armée du Sud Liban. Maintenant nous avons un ou deux étudiants en Histoire Juive et sans doute d’autres en langues, histoire et archéologie ».
En fait, aucune université ne tient de statistiques sur la religion ou l’ethnie de ses étudiants, aussi n’existe-t-il pas de chiffres officiels.
Les programmes Inter-religieux – comme l’Association de Rencontres Inter-religieuses où des Juifs, des Musulmans et des Chrétiens étudient conjointement les religions et cultures des uns et des autres – sont peu nombreux mais ont beaucoup plus de participants Arabes que les programmes de niveau universitaire.
« Il y a peu d‘Arabes qui étudient les Sciences Humaines en Israel pour des raisons pratiques – ils ne peuvent trouver de travail s’ils étudient les Sciences Humaines. Il y a donc peu de bourses pour des Arabes désireux d’étudier le Judaisme à l’université. » dit le Rabbin Ron Kronish, chef du Comité de Coordination Inter-religieux en Israel, un microcosme de douzaines d’Organisations Chrétiennes, de Musulmanes et de Juives impliquées dans des activités inter-religieuses. « Les Arabes en Israel ont tendance à vivre totalement séparés des Juifs. La persistance du conflit mène à une séparation accrue au détriment d’une intégration ou d’une normalisation. »
Mais, ajoute le Rabbin Kronish « Nous avons découvert au cours des dialogues, séminaires, conférences et ateliers inter-religieux, qu’il y avait un grand intérêt chez les Arabes, de la part des leaders religieux, des éducateurs, des femmes et des jeunes qui souhaitaient étudier l’histoire Juive et le Judaisme. Il suffisait de créer la bonne ambiance pour ce type d’études. Une fois que les gens ont appris à se connaître en tant qu’individus, ils y éprouvent davantage d’intérêt pour les traditions, la culture, de l’autre, non plus comme quelque chose d’abstrait, mais dans le contexte nouveau et important de relations personnelles. »
Pour Nibal Khouri, les études inter-religieuses ont commencé en Juillet, en plein pendant la seconde guerre du Liban. Si on lui demande si elle avait peur lors de son premier jour dans une école Juive, elle hausse les sourcils : « Peur ? Non. Pas du tout. Ca m’est égal, nous sommes tous pareils, tous dans la même situation. »
Nibal Khouri fut amenée en voiture par Gabi Dagan qui habite aussi à Haifa. Les premières semaines furent assez tendues à cause de la guerre, et les étudiants venus du Nord du pays relataient des histoires sur les pénibles descentes dans les abris quand les Katiouchas pleuvaient. Parfois au cours de leurs deux heures de trajet, ils discutaient de philosophie Juive.
Deux semaines après la rentrée, Khouri, Dagan et un autre étudiant venu du Nord du Pays étaient venus un matin à Jérusalem pour étudier tranquillement loin des tumultes du Nord, lorsque le portable de Nibal Khouri sonna. Son fils était au bout du fil traumatisé par la chute d’un missile tout proche. Quelques jours plus tard, Ibillin était en deuil, après qu’un de ses résidents ait été tué par une Katioucha alors qu’il travaillait dans le voisinage à Kiryat Ata.
Mais Nibal Khouri continua à venir à Jérusalem pour ses études.
« Je suis fière d’étudier la religion des autres » nous dit-elle « Il faut connaître les gens pour les aimer. Tout le monde en Israel devrait étudier les autres religions et l’histoire des autres peuples. Ca contribuerait à la paix ».
Quand elle commenca à enseigner à Fureidis, elle vit que les étudiants Musulmans ne connaissaient rien au Christianisme. « Tout ce qu’ils savaient était cet a priori, que les Chrétiens étaient des Incroyants. Les Arabes ont des préjugés contre les Juifs aussi, ils croient que tous les Juifs religieux sont des extrémistes, racistes, ce qui n’est pas vrai. »
« Les Chrétiens étudient en classe le Judaisme et l’Islam, et je sais que chaque école est différente, mais il me semble que la pluspart des Juifs et des Arabes ignorent tout des autres et de leur religion. » dit-elle en expliquant que plus elle réunit d’informations sur les communautés et leur histoire, mieux elle peut enseigner à ses étudiants.
« C’est important de ne pas interférer avec la religion des élèves, de ne pas critiquer leur religion ou leurs croyances » dit-elle « alors ils sont ouverts et prêts à écouter ce qu’on leur dit sur les autres. »
Au cours d’un récent voyage sur le Golan avec des Arabes Chrétiens et Musulmans, Nibal Khouri se souvint d’un cours qu’elle prend à l’Institut Schechter sur l’Histoire du Second Temple et elle dit à un enseignant Musulman du Nord : « Saviez-vous que les Juifs étaient là bien avant les Arabes ? » Il lui répondit « Vraiment ? » Il accepta mon explication, les élèves Arabes non plus ne savent pas que les Juifs étaient là depuis si longtemps. Ils pensent qu’ils ne sont arrivés qu’en 1948. »
Ses cours d’Histoire et Géographie Juives et Israeliennes, ne lui ont jamais valu de remarques agressives ou critiques de la part de ses élèves nous dit-elle. « La vie est plus normale à Haifa. Nous ne nous connaissons pas vraiment, mais nous vivons ensemble, nous travaillons ensemble, nous avons des magasins côte à côte. Tout le monde s’entend bien. »
Un porte-parole du Schechter institute affirme qu’elle est bien acceptée également par ses camarades Juifs et décrite par ses camarades et par ses professeurs comme quelqu’un de très populaire.
Nibal Khouri rit et sourit beaucoup, selon elle, c’est sa personnaltié qui est ainsi. Elle rit lorsqu’elle court le long des corridors entre deux classes, en se hatant pour ne rien rater, elle sourit même quand elle est morte de fatigue. Elle est particulièrement fatiguée de jongler entre ses cours de master, son travail de professeur, de guide touristique et de mère. Elle a encore deux ans d’études avant d’être diplomée.
Son esprit est plein de tous les devoirs qu’elle doit préparer pour ses classes de Talmud , de Genèse, des époques du Premier et du Second Temple, et d’Histoire de la création de l’Etat d’Israel.
« Le Talmud fut pour moi une grande surprise, dit-elle, je n’avais pas la moindre idée de ce que c’était, de comment ils étudient, de ce qu’ils étudient. Je pense que c’est utile à connaître, parce que chaque religion interprète une phrase ou un mot différemment, en fonction de sa propre tradition. J’apprends comment les Juifs approchent le langage et l’étude, et avec un peu de chance, ça m’aidera à mieux les comprendre. »
Elle se consacre particulièrement à ses deux mémoires trimestriels. Le premier est sur l’histoire géographique de Jérusalem de l’époque du Premier Temple à l’époque Byzantine, le second est une étude comparative sur la façon dont les guides touristiques commentent le Golan.
« J’étudie les différences entre le matériel historique, géographique et environnemental des Juifs et des Arabes, et entre les guides touristiques laïcs et religieux » dit-elle « J’adore le Golan et ça va être intéressant de voir quels sont à son sujet, les messages des différentes communautés »
Nibal Khouri est si pleine d’enthousiasme sur ce qu’elle fait et sur pourquoi elle le fait, qu’elle ne désespère pas de faire des émules. « J’aimerais que chacun ici ait la même idéologie que moi – ne jamais juger quelqu’un sur sa religion, ou son milieu. Si tout le monde faisait comme moi, il y a longtemps qu’il y aurait eu la paix. »
Article de Lauren Gelfond Feldinger, Magazine du Jerusalem Post, du 17 Mai 2007.
Le Schetcher Institute of Jewish Studies, a pour vocation de promouvoirune éducation Juive pluraliste en Israel et en Europe. C’est une organisation à but non lucratif, qui soutient quatre institutions basées à Jérusalem :
– le Schechter Institute of Jewish Studies : Une université post Licence pour éducateurs Juifs, où plus de 400 étudiants font des Etudes Juives dans un environnement pluraliste.
– Le Schechter Rabbinical Seminary qui forme les rabbins Massorti en Israel.
– Le Fond d’Education Tali qui fournit des programmes d’éducation Juive pour plus de 30 000 enfants Israéliens dans 170 écoles publiques et maternelles.
– Midreshet Yerushalayim qui fournit une éducation Juiveaux immigrants Russes en Israel et aux Communautés d’Ukraine et de Hongrie.