Y.D. 157 :1
Responsum :(1)
Le mot Mitzva peut signifier bonne action, mais d’un point de vue technique, il renvoie surtout aux 613 Mitzvot ou commandements de la Torah. Ce nombre a été fixé, à l’origine par Rabbi Simlai au troisième siècle. (Makkot 23b) (2) ; depuis lors des douzaines de rabbins ont énuméré les 613 commandements. (3)
Comme je l’ai expliqué par ailleurs, (4) Eretz Israel tient une place unique dans la tradition et l’histoire Juives. En conséquence, on pourrait s’attendre à ce que notre tradition réclame unanimement que les Juifs fassent leur Alya. En fait, la littérature rabbinique contient au moins cinq différentes approches de l’Alya.
1. Le premier midrach du Sifre Devarim (§80) rapporte que Rabbi Eleazar ben Shamua et Rabbi Yohanan ha-Sandlar (environ.150 de notre ère) étaient en chemin pour étudier la torah en dehors d’Eretz Israël. Lorsqu’ils atteignirent Sidon, au Liban, ils se souvinrent d’Eretz Israël, alors, ils commencèrent à pleurer et à déchirer leurs vêtements, puis ils récitèrent le verset (Deutéronome 11 :31-32) « lorsque vous l’aurez occupée et que vous vous y serez installés, veillez à observer toutes les lois… » Ils dirent : « Résider en Israël est équivaut à tous les autres commandements de la Torah » Sur ce, ils firent demi-tour et retournèrent en Eretz Israël.
Nahmanides (1194-1270) suivi leur approche en décrétant que c’était un commandement positif d’hériter de la terre et d’y résider (5.) Qui plus est, il mit ce qu’il prêchait, en pratique, se rendit d’Espagne à Jérusalem, en 1267 et s’installa à Acre.(6) Sa position fut acceptée par de nombreux rabbins médiévaux éminents et elle est particulièrement populaire parmi les rabbins Israëliens de notre époque. (7)
2. D’un autre côté, le Rabbin Simlai ci-dessus mentionné, ne considérait pas l’Alya comme une Mitzva en soi, mais plutôt comme une makhahir mitzva ou acte préparatoire permettant d’accomplir une mitzva qui ne peut être accomplie qu’en Israël comme par exemple payer la dîme pour le temple, ou prendre une année sabbatique ou l’année de jubilée.(8)
Abbi Simlai expliqua : Pourquoi Moïse, notre maître souhaitait-il tellement entrer au pays d’Israël ? Voulait-il en consommer les fruits ou profiter de ses libéralités ? Mais alors Moïse dit : « de nombreuses Mitzvot furent données à Israël alors qu’elles ne peuvent être accomplies qu’en terre d’Israël. J’ai le désir d’entrer sur cette terre afin de pouvoir toutes les accomplir. » (Sotah 14a)
L’approche de Rabbi Simlai fut aussi suivie par de nombreux rabbins médiévaux. (9)
3. D’autres sages talmudiques ne décrétèrent pas explicitement que l’Alya est, ou non, une Mitzva., mais ils essayèrent d’encourager l’Alya et de décourager l’émigration par des législations spécifiques : (10) « Les maris, tout comme les femmes peuvent forcer leur conjoint à faire son Alya. (Michna Ketoubot 13 :11) Si un Juif veut acheter un terrain en Israël, il peut dire au propriétaire non-Juif de préparer un contrat même le shabbat (Gittin 8b et Bava Kamma 80b). Il est interdit de quitter Eretz Israël, à moins que 2 se’ah (26,4 litres) de blé se mettent à coûter un Selah, dit Rabbi Shimon….si il est toujours possible de trouver un peu de blé, même si un se’ah coûte un selah, on ne pourra pas émigrer » (Bava Batra 91a).
Maïmonides approuva cette approche. Il codifia les lois spécifiques mentionnées plus haut, (11) cependant il n’inscrit pas l’Alya sur la liste des 613 mitzvot. En fait, Maïmonides semble avoir visité Israël en l’an 1165, mais il n’y resta pas. (12)
4. De nombreux rabbins médiévaux eurent une approche pragmatique. Rabbi Meir de Rothenburg, (Allemagne, 1215-1293) par exemple, ne pensait pas que l’Alya soit une Mitzva, mais pensait que quiconque s’installe en Israël « pour l’amour du Ciel et se conduit avec sainteté et pureté, sa récompense sera sans fin, sous réserve qu’il puisse subvenir à ses besoins là-bas (13)
Rabbi Israël Isserlein (Autriche 1390-1460) décréta qu’il était certainement très louable de vivre en Israël, mais que comme c’était dangereux et comme il était difficile d’y gagner sa vie, « toute personne devrait évaluer ses capacités physiques et monétaires si elle voulait être en mesure de craindre le Ciel et d’observer les Mitzvot (en Israël) » (Pesakim U’ketavim, n° 88).
4. Enfin, on trouve la voix talmudique solitaire du sage Babylonien Rabbi Judah le Pieux qui déclare que quiconque fait son Alya de Babylone en Israël transgresse un commandement positif. (sic !) (16)
De nos jours, l’approche de Rabbi Judah a été adoptée par les Hassidim Satmar, qui s’opposent rageusement à l’Alya de masse, au Sionisme et à l’Etat d’Israël en raison de leur conviction que seul Dieu peut délivrer le peuple Juif de l’Exil.
Etant donné ces cinq approches, il est difficile de définir une approche Halakhique de l’Alya, puisque toutes les cinq peuvent être justifiées par des sources talmudiques et rabbiniques, je souhaite donc expliquer ma propre approche halakhique de l’Alya.
J’ai fait mon Alya en 1972 car je considérais que l’Alya est à la fois une Mitzva et une Makhshir Mitzva. Et surtout, Nahmanides avait raison d’inclure l’Alya parmi les Mitzvot. Il resta minoritaire car toute les tentatives pour répertorier les 613 Mitzvot prirent place à une époque où il était virtuellement impossible pour la pluspart des Juifs de faire leur Alya. Il semblerait que la pluspart des rabbins n’aient pas vu l’intérêt d’exiger quelque chose de tellement dangereux et onéreux que ça en devenait virtuellement impossible. En recommandant l’Alya, les rabbins auraient transformé presque tout le peuple juif en pêcheurs. (18) Mais l’accent de Nombres 33 :53 comme de toute la Bible et du Talmud est mis sur le fait que tous les Juifs sont censés vivre en Israël. C’est ce que Dieu n’a cessé de promettre à nos ancêtres, et c’est la raison pour laquelle Dieu nous a fait sortir d’Egypte, et c’est l’endroit où une grande partie des Mitzvot doivent être accomplies.
L’Alya est de plus une Mitzva au sens d’un acte préparatoire à une Mitzva car elle permet d’accomplir non seulement les Mitzvot en rapport avec la terre d’Israël (n°2 ci-dessus), mais la totalité des Mitzvot. En Israël, il devient facile d’observer le Shabbat et toutes les fêtes Juives, puisque le pays vit à « l’heure Juive ». Israël favorise aussi l’étude de la Torah, à la fois en fournissant de nombreuses opportunités d’étude et en rendant la Bible et le Talmud vraiment vivants. Vivre en Israël permet de bien maitriser l’Hébreu et d’être ainsi relié à notre héritage qui est écrit en Hébreu. Israël assure « la continuité Juive » car, religieux ou incroyants, il est très probable que vos enfants épouseront des Juifs. Enfin Israël est la réalisation des prières que nous avons récitées pendant 2000 ans : « Que nos yeux voient Ton retour à Sion avec miséricorde » ; « Sois loué Eternel qui réunit les dispersés de Ton peuple Israël ».
En conclusion, il faudrait faire son Alya parce que vivre en Israël est une Mitzva en soi, aussi bien qu’un acte préparatoire qui nous permet d’observer toutes les Mitzvot et de vivre pleinement notre vie Juive dans un Etat Juif.
Notes :
1. par ex : émigrer en Israël. Il y a une vaste littérature sur ce sujet. En Anglais, voir J.K. Mikliszanski, Judaism 12/2 (Printemps 1963) pp 131-141 ; J. David Bleich, Contemporary Halakhic Problems vol.1, New York et Hoboken. 1977 pp 3-13 ; Ephraim Kanarfogel, Jewish Quaterly Review 76/3 (jan 1986) pp 191-215 ; Heschel Schachter dans Shubert Spero and Ytzxhak Pessin, eds Religious Zionism, Jerusalem 1989 pp 190-212.
2. Voir Nahman Danzig, Sinai 83 (5738) pp 153-158 pour l’histoire de ce nombre.
3. Voir Encyclopedia Judaica, vol5 cols 760-783.
4. Voir ma responsum dans Moment 18/6 (Dec 1993) p34 et plus haut p 31-32. Pour la centralité d’Eretz Israel dans la Tradition Juive, voir plus haut p35 note2.
5. Nahmanides : Nombres 33 :53 et dans son addenda au Sefer Hamitzvot par Maïmonides no 4.
6. Concernant l’Alya de Nahmanides voir Rabbi Charles Chavel, Ramban : His life and Teachings, New York 1960 pp 55-56.
7. responsa Ribash no101 : Responsa Tashbatz, part3, no288 ; Rabbi Ovadiah Yosef, Torah Shebe’al Peh 11 (5729) pp 35-42, rabbi Hayyim David Halevi, Aseh Lekha Rav, part1, Tel Aviv 5736, nos 17-18 ? C’était aussi l’approche de Rabbi Abraham Isaac Kook qui a été adoptée par la plupart des sionistes religieux en Israël.
8. Pour un bon résumé des Mitzvot se rattachant à Israel, voir Dayan I. Grunfeld, The Jewish Dietary Laws, vol 2, London, Jerusalem, New York, 1972.
9. Rashbam à Bava Batra 91 a, s.v. ein yotzin et Rabbi Baruch de Worms, Sefer Haterumah, Varsovie 1897 p 122 a.
10. Cette loi est probablement une réaction à l’épouvantable situation économique suite à la révolte de Bar Korba. Voir Gedaliah Alon, The Jews in their Land ine the Talmudic Age, Jerusalem 1984 pp 659-661.
11. Ishut 13:20 ; Avadim 8:9-10 ; Shabbat 6:11 ; Melakhim 5:9-12 ; Responsa de Maïmonides ed Blau no 365.
12. Voir Encyclopedia Judaica, vol 11, cols 755-756. Au sujet de l’attitude de Maïmonides envers eretz Israël, voir I. Twersky dans Joel Kraemer, ed Perspectives on Maïmonides, oxford 199, pp 257-292.
13. Responsa du Maharam de Rothenberg, ed Berlin nos 14-15, mais cf 14. Ketubot 110b-111a. Faute d’espace il ne m’est pas possible d’expliquer le passage talmudique impliqué concernant « les trois serments » qui suit.
14. Voir le traitement exhaustif par Aviezer Ravitzky, Messianism, Zionism and Jewish Religious Radicalism, Chicago 1996, pp 211-234.
15. Voir Kanarfogel (note 1 ci-dessus) pp 205-206 .17. Pour l’approche Satmar, voir Ravitzky, chap 2 et Encyclopedia Judaica vol 15, cols 909-910.
16. cf Bava Kamma 79b et parallèles : « On n’impose pas un décret au public, à moins que la majorité ne puisse s’y plier. »