(YD 268)
Pour bien comprendre l’importance de la question, il faut savoir que la plupart des demandes de conversion de nos jours sont faites en vue d’un mariage. Les rabbins se retrouvent donc face à un dilemme : soit accepter la conversion qui aboutira au mariage juif, soit la refuser en la soupçonnant de ne pas se faire pour des motifs suffisamment désintéressés, au risque de voir la relation se prolonger néanmoins et donc de contribuer par leur refus à l’assimilation. Le mouvement Massorti tend à privilégier la possibilité de conversion en s’appuyant sur le raisonnement halakhique suivant.
Responsum :
1. Motif de la conversion.
Dans une discussion célèbre le Talmud (Yevamot 24b) déclare au nom de Rabbi Nehemiah que " ceux qui se convertissent en vue de se marier à un Juif ou à une Juive, ou pour obtenir une promotion matérielle ne sont pas acceptés comme des convertis ". Suite à cette affirmation, le Talmud ajoute au nom de Rav (Amora important de la première génération) que la Halakha est d’accord avec celui qui dit que ces mêmes convertis « intéressés », sont parfaitement recevables.
Le Talmud comme il le fait très souvent, donne deux opinions contradictoires en privilégiant la deuxième. Il définit ici explicitement la Halakha , c’est-à-dire la marche à suivre, ce qui est relativement rare chez lui.
L’esprit est donc clair : à priori on ne voudrait convertir que des gens motivés par des seules considérations religieuses ; mais à posteriori et concrètement, on accepte que la nature humaine soit plus complexe et les motivations diverses et mêlées.
Dans le Talmud et dans deux cas concrets de conversions qui s’y trouvent décrits, (Shabbat 31a, Menahot 44a), il n’y a aucune mention d’enquête préalable sur les motifs de la requête d’un non Juif pour se convertir.
(L’un est le cas fameux d’un non juif qui veut apprendre toute la Tora sur un pied, l’autre est un cas curieux d’une ex prostituée fascinée par la vertu d’un jeune rabbin qui vient se convertir pour se marier avec lui. Aucun de ces cas ne correspond aux critères d’exigences classiques que l’on pourrait attendre).
Alors que de son côté, Maimonide (12ème siècle) écrit qu’une telle enquête doit être menée, mais que toutefois, si l’enquête n’avait pas eu lieu et que le non Juif ait accompli les rituels de conversion exigés, il (ou elle) devait être considéré comme converti à part entière, même si on apprend qu’il ait eu une arrière-pensée en se convertissant. (Hilkhot Issurey Biah 13).
En fait, dans l’une des Responsa de Maimonide , qui traite d’un cas pratique pour lequel son opinion légale était sollicitée, il prend une position similaire. Selon la Mishna (Yevamot 2 : 8) : « Tout homme suspecté d’avoir des relations sexuelles avec une femme esclave (l’esclavage existait encore à l’époque), ne pourra l’affranchir et la convertir en vue de l’épouser. »
Maimonide qui reprend cette Mishna dans son fameux code « Mishne Tora » écrit cependant une position contraire dans une Responsa personnelle : « Qu’on le laisse la libérer (et la convertir) et qu’ils se marient. Nous agissons de la sorte dans un esprit de pragmatisme. » (Pe’er Hador n°211).
L’immense majorité des décisionnaires en Halakha à travers les âges suit la position réaliste de Maimonide , et décide qu’une conversion motivée par le désir d’épouser un ou une Juive, n’invalide pas la conversion. Telle fut par exemple, la décision du Rabbin Yeruham (14ème siècle) dans son Traité Adam Vehava.
En fait le problème ne s’est vraiment posé qu’à partir du 19e siècle. Avant cela, les unions mixtes étaient très rares et les conversions encore plus, du fait de la menace de représailles des autorités chrétiennes ou musulmanes contre les Juifs. Les décisionnaires se divisèrent alors en deux camps, ceux exigeant une conversion totalement religieuse et sans aucun intérêt et les autres, majoritaires, qui acceptèrent pragmatiquement de tenir compte des nouvelles situations et virent dans le fait même de se joindre au destin juif un acte positif. Ce fut le cas entre autres des Rabbins Kluger, Herzog, Chik, Unterman et bien d’autres.
A la lumière des faits précités, il devient halakhiquement permis d’accepter en conversion, un non Juif dont la conversion est motivée d’abord par le désir de se marier au sein de la communauté juive. Dans les circonstances actuelles, il est totalement inutile et déplacé d’ennuyer les gens en quoi que ce soit sur cette question, au contraire, l’établissement d’un climat de confiance entre le rabbin et le candidat ne peut que profiter à un processus sérieux de conversion.
Il existe un grand nombre de Responsa en ce sens.
2. L’acceptation du Joug des Commandements
L’acceptation du respect des Mitsvot est une composante importante du processus de conversion. Cependant, il faut noter que la phrase « accepter le Joug des Commandements » n’apparaît pas dans les sources Talmudiques, bien qu’il y ait une affirmation qui lui ressemble.
Dans une Baraita (Yevamot 47 a-b) nous pouvons lire : « Il faut renseigner les candidats à la conversion sur quelques-uns des Commandements les plus faciles et les plus exigeants, mais sans exagération et en n’entrant pas trop dans les détails ».
Maimonide (Hilkhot Issurey Biah 13 : 2) écrit dans une veine similaire et poursuit en ajoutant lui aussi : « Nous n’entrons pas dans les détails ». Dans le même chapitre de son Traité (13 :7), Maimonide écrit que si pour une quelconque raison cette phase de la conversion était omise, la conversion n’en serait toutefois pas invalidée.
Le Shoulhan Aroukh (Yore Deah sec. 268) cite Maimonide presque mot pour mot mais en ajoutant qu’à priori « il est indispensable d’accepter le Joug des Commandements mais si le converti épousait néanmoins une Juive sans s’y contraindre, sa conversion n’en serait pas invalidée pour autant. »
A partir du 19e siècle, la donne sociologique et religieuse changea profondément et l’on vit apparaître une vie juive séculière pour qui le respect des Mitsvot avait perdu beaucoup de son sens. Cela n’empêcha pas pour autant un nombre toujours croissant de demandes de conversion au judaïsme sans pour autant adopter une pratique stricte.
A la lumière des circonstances actuelles, et plus particulièrement à la lumière de ce que le Talmud dit sur le sujet, une question très pratique se pose. Que se passe-t-il si un tribunal rabbinique (Beit Din) qui a accepté un candidat à la conversion, s’aperçoit qu’une fois sa conversion effectuée, la personne en question n’observera pas la plupart, ni même quelques-unes des Mitsvot, peut-on alors l’accepter malgré tout ?
Le Talmud (Bekhorot 30b) ne déclare-t-il pas : « Un non Juif qui vient pour accepter la Torah (conversion) à l’exception d’un élément, ce converti, nous ne l’acceptons pas. »
Ce passage a reçu une explication significative par un des principaux décisionnaires en Halakha au début du vingtième siècle – Rabbi Haim Ozer Grodzensky (Responsa Ahiezer pt.3, no26). « Ce passage, écrit-il, veut dire que si un candidat à la conversion stipule expressément qu’il se convertit à condition d’être exempté d’accomplir l’une ou l’autre Mitsva, alors, on ne l’accepte pas. Mais s’il ne stipule rien de ce style, et qu’il a simplement l’intention de ne pas observer une Mitsva à cause de ses inconvénients, cela n’invalide pas la conversion. »
Feu le Grand Rabbin Sépharade d’Israël Uzziel (Mishpetei Uzziel no 58) interprète le passage Talmudique précité dans une veine similaire. Il ajoute : « Il se pourrait bien que ce converti ait des enfants qui seront plus positifs dans l’accomplissement des commandements ».
De nos jours, la pratique courante pour un candidat à la conversion est de prendre une série formelle de cours de conversion et d’apprendre à appliquer plusieurs règles du Judaïsme. Il lui est demandé d’assister aux offices de Shabbat et de Fêtes à la synagogue, d’assister à des mariages, à des circoncisions et autres évènements du cycle de la vie. Il est donc intégré pas à pas à la vie juive et à un certain degré de pratique. On peut donc considérer cela comme des conditions suffisantes à la vue des circonstances pour accepter une conversion au Judaïsme.
3. Le rituel de la conversion
Sur ce sujet, il n’y a aucune divergence d’opinion dans la littérature de la Halakha . Un converti masculin doit subir une circoncision rituelle, suivie d’une immersion rituelle (Tevilah) Une femme convertie doit subir une immersion rituelle. La seule condition technique est que le Mikve (bain rituel) soit conforme à la Halakha . C’est pourquoi on ne fera de conversion que dans un bain considéré comme kasher sous peine d’invalidation de la conversion.
4. Qui est autorisé à accepter les convertis ?
Le Talmud déclare (Yevamot 46b) que la conversion exige la présence de trois personnes.
Il y a une discution parmi les savants de la Halakha pour savoir si chaque phase de la conversion exige trois personnes ou si seulement certaines phases le demandent. En tout cas il est clair d’après Rachi (Kiddushin 62b) que n’importe quel Juif peut faire partie du nombre des trois personnes requises pour être témoins au rituel d’immersion d’un converti et l’informer du principe des Mitsvot.
Mordechai Ben Hillel (célèbre Halakhiste du 13ème siècle) explique pourquoi il en est ainsi : « De même que les sages décidèrent que même des non experts peuvent siéger dans un tribunal statuant d’affaires d’argent, afin de ne pas fermer la porte devant ceux qui ont besoin d’un prêt, de même en ont-ils décrété, concernant les convertis. » Autrement dit trois Juifs qui connaissent les règles de la conversion peuvent valablement accepter des convertis.
C’est pourquoi nul tribunal rabbinique ne saurait avoir de monopole sur la conversion, ni un courant quelconque du Judaïsme.
C’est pourquoi on reconnaîtra comme valide toute conversion faite dans le respect des règles énumérées ici et nul n’a le droit de contester la validité d’une conversion dès lors que le processus général a été respecté.
En Résumé :
Ce qui précède donne lieu à trois conclusions :
1. La conversion en vue du mariage est valide et peut être envisagée positivement si le candidat est motivé à intégrer le Judaïsme.
2. Un candidat à la conversion n’est pas refusé lorsqu’il y a suspicion qu’il (ou elle) n’observera pas tous les commandements, même si à priori il devrait les accepter.
3. Même si la Halakha n’exige pas trois spécialistes en matière de Halakha , pour superviser le processus de la conversion, la pratique au cours des siècles a toujours été, que ce soient des Rabbins qui supervisent le processus de conversion et acceptent les convertis. Cette pratique devrait être poursuivie de nos jours.
D’après une Teshouva du Rabbin Touvia Friedman
On notera que le possek Ovadia Yossef épouse la même position ce qui lui a d’ailleurs attiré quelques ennuis de la part des rabbins d’obédience "litvak". http://www.ynet.co.il/articles/0,73...
Voir également la série de cours audio sur cette question dans l’article suivant