Il est vrai que le Shoulkhan Aroukh tient une place prépondérante comme première préférence en matière de Halakha . Cependant, il n’est jamais l’unique référence. On ne saurait se baser uniquement sur le Shoulkhan Aroukh pour fixer les règles d’évolution de la Halakha . L’évolution de la Halakha ne peut être entreprise qu’à partir d’un débat de fond dans lequel le Shoulkhan Aroukh tient une place honorable mais non exclusive.
La Halakha ne relève pas uniquement du Shoulkhan Aroukh . Un rabbin qui irait uniquement se référer au Shoulkhan Aroukh pour appuyer une position ne peut pas être un rabbin sérieux.
Pour comprendre la place du Shoulkhan Aroukh au sein de la bibliothèque juive, il faut comprendre son histoire.
Le plus ancien code de lois juif que l’on connaisse est la Michna (2ème siècle). Celle-ci donne lieu à tout un développement au sein de la Guemara. Les deux réunis forment le Talmud . La rédaction de celui –ci prend fin vers le sixième siècle. Le Talmud , et plus particulièrement celui de Babylone, représente la véritable autorité en termes de Halakha . Un débat halakhique sérieux sur une question de fond doit d’abord et avant tout revenir à la source talmudique.
Le gros inconvénient du Talmud est qu’il est compliqué, mal ordonné et qu’il ne donne que très rarement la conclusion de ses débats. Une convention a été prise par les rabbins , de retenir en général, la dernière opinion citée dans le débat talmudique comme représentant la Halakha .
Très vite, des rabbins ont cherché à compiler la loi juive sous une forme plus pratique et ordonnée que celle du Talmud .
Plusieurs tentatives de compilation de la Halakha apparurent dès le huitième siècle (Hilkhot Psoukot, Hilkhot Guedolot,…) et furent l’œuvre des Gueonim .
Le Rif (Isaac Alfassi, Espagne 11e siècle) fut le premier grand compilateur de la Halakha . Il suivit l’ordre du Talmud en extrayant des passages qui lui semblait pertinents et en se basant sur la règle que la dernière opinion est la meilleure. Il fut incontestablement, le grand compilateur jusqu’à Maimonide . Il est considéré comme une grande autorité de la Halakha .
Maimonide (12e siècle) a produit une très célèbre compilation le « Mishne Tora ». Dans cet ouvrage monumental, Maimonide traite de tous les aspects de la loi juive. L’ouvrage est divisé en parties et sous parties de façon très logique et ordonnée. La langue est très clair. Maimonide était convaincu que son œuvre serait indépassable.
On lui fit cependant deux grands reproches : premièrement, ne jamais citer ses sources (les éditions classiques remédient à ce problème) ; deuxièmement, traiter des pans entiers de la Halakha sans aucune incidence pratiques contemporaines (lois sur le Messie, lois sur le temple, lois sur la pureté,…). En cela, Maimonide fait plus œuvre de théoricien que de praticien ; il est évident que pour lui la Halakha forment un véritable système de pensée qui mérite d’être étudié dans sa globalité. Son code reste une référence incontournable.
Durant tout le moyen âge, on vit apparaître de nombreux ouvrages de compilation de la Halakha dans un domaine où un autre. Ces ouvrages représentent tous une référence utile à un débat halakhique approfondit.
Jacob ben Asher (Espagne, 13e siècle) était le fils d’une très importante autorité rabbinique, le Rosh . Il compila un gros ouvrage, le Arba Hatourim (les quatre pieds). Dans celui –ci il reprend brièvement les différentes opinions du Talmud et donne sa conclusion. Il ne traite que des sujets pertinents à son époque.
Joseph Caro (Israël, 15e siècle) écrivit le Shoulkhan Aroukh « la table dressée » (sur les quatre pieds). Celui –ci est en fait un résumé des trois grands codes précédents : celui du Rif , celui de Maimonide et celui du Tour, dont il reprend la nomenclature en la résumant. En général, Caro joue à deux contre un. C’est-à-dire qu’il retient l’ opinion de la majorité de ses prédécesseurs. Dans certains cas, il avance sa propre opinion. Son ouvrage à l’avantage d’être succinct (relativement), lisible et ne traitant que des lois contemporaines. Caro avait écrit par ailleurs une œuvre colossale, un commentaire très détaillé du Tour, qu’il appela Beit Yossef. C’est dans ce commentaire que se voit la véritable grandeur et l’érudition de l’auteur. Caro était également kabbaliste, ce qui ajouta à son prestige. Un ouvrage bien écrit, pratique, par un auteur incontestablement très compétent, voilà les clés de la recette du succès du Shoulkhan Aroukh . Un autre facteur, totalement factuel celui-la, contribua au succès de cet ouvrage : l’invention de l’imprimerie ! Il fut en effet choisi comme le premier grand code à imprimer.
Cependant, le travail de compilation ne cessa vraiment jamais. Il y eut d’autres tentatives de code global (Aroukh Hashoulkhan d’Epstein au 19e siècle). Il y eut de nombreux résumés à destination du large public (le Klein au sein du mouvement Massorti ). Encore aujourd’hui on compile des décisions dans des domaines spécialisés (Shabbat, médecine, éthique militaire,…).
Pour un débat de fond, tout est bon à prendre dans cette longue liste d’ ouvrages. L’habitude a été prise de se référer en premier lieu au Shoulkhan Aroukh . Cela ne le rend nullement incontestable, il le fut par un grand de ses contemporains, Isserless de Cracovie, et par de nombreux commentateurs et décisionnaires par la suite. Il demeure néanmoins une grande autorité.
Il n’y a aucune raison de geler le processus de la Halakha à ce qui est écrit dans le Shoulkhan Aroukh , d’autant plus que celui –ci n’est même pas la véritable œuvre importante en la matière de son auteur, mais plutôt son Beit Yossef.
Une bonne décision en matière de la Halakha relèvera de la rencontre entre tous ces ouvrages que le décisionnaire aura consulté, et entre la subjectivité du décisionnaire qui cherche à orienter la Halakha selon un certain besoin du groupe juif auquel il appartient et des valeurs morales ou religieuses qu’il cherche à défendre.
Yeshaya Dalsace
PS Il n’existe aucune traduction en français de ces ouvrages dans leur intégralité.