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Un abus de terminologie

Un abus de terminologie

David Ruzié, spécialiste de droit international -

A propos du terme Apartheid employé de temps en temps vis à vis d’Israël.

Des touristes juifs sud-africains ont donné l’occasion à l’ineffable correspondant du journal Le Monde , Michel Bôle-Richard, de se livrer, sans doute avec délectation, dans le numéro daté des 20-21 juillet à un rapprochement, tout à fait déplacé, entre la situation en Cisjordanie et la politique d’apartheid, pratiquée en Afrique du sud. Le journaliste français a consacré presque une demi-page à décrire à quel point des militants anti-apartheid juifs sud-africains ont été « choqués » par leur visite en Cisjordanie occupée, qu’ils ont visitée pendant cinq jours. Ils étaient une dizaine parmi les 22 Sud-Africains, « défenseurs des droits de l’homme, membres de l’ANC, magistrats, journalistes, syndicalistes, écrivains, blancs, noirs, indiens » (quel inventaire digne de Prévert....).

Et son reportage de débuter par les impressions d’un rescapé de la Shoa, ayant perdu dix frères et sœurs, et qui n’était jamais venu en Israël et dans les territoires palestiniens occupés (souligné par nous).
De quel droit cet ancien député de l’ANC (Africain National Congress) peut-il prétendre considérer que certains habitants juifs de Hébron adoptent « au nom du judaïsme » un comportement, dont on peut, effectivement, imaginer le caractère scandaleux. Encore faudrait-il évoquer l’environnement hostile dans lequel ils vivent. Après tout, jusqu’à preuve du contraire, pourquoi des Juifs n’auraient-ils pas le droit de vivre dans des villes où traditionnellement ont vécu des Juifs, avant d’en être chassés ? De là à soutenir un droit à une souveraineté israélienne c’est autre chose...

Tout en se défendant de vouloir « faire des comparaisons avec le régime de l’apartheid que tous ont connu et subi », c’est bien à une telle comparaison, pourtant considérée comme « pas appropriée » qu’ils ont procédée.

Comment peut-on comparer à l’apartheid l’existence de « routes séparées pour les colons et pour les Palestiniens » et les permis de circuler délivrés à ceux-ci avec « le système des pass pour les Noirs en Afrique du Sud ? De fait, au cours de ce bref séjour qui a emmené ce groupe aussi bien à Jérusalem, Tel-Aviv que Hébron et Naplouse, c’est essentiellement le microcosme que constitue la présence juive à Hébron qui l’a impressionné. En quoi cette présence, certes sur-protégée (heureusement) par l’armée israélienne pourrait-elle justifier « l’injustice, la haine, le désespoir » ? Si ce n’est en partant du postulat, effectivement, posé par certains que toute zone, dont la population est majoritairement arabe, doit être « judenrein ».....

Quelle impudence de trouver « absurde », au terme d’un si bref passage, la barrière de sécurité, les check points, les plaques d’immatriculation différentes ? Les considérations sécuritaires, les effets de la « barrière de sécurité » sur la chute du nombre des actes terroristes ne sont évidemment pas évoqués.

Pourquoi une députée de l’ANC ne se souvient que de « la crainte dans les yeux des enfants » dans le camp de Balata, à Naplouse ? Pense-t-elle que les petits Israéliens de Sderot, par exemple, ou même ceux de Hébron, sont rassurés, eux ? Ce n’est pas le point de vue d’un magistrat qui, lui, n’en est pas à son premier voyage qui paraît plus objectif lorsqu’il déclare qu’il a « l’impression que nous sommes en 1965 en Afrique du Sud, lorsque la répression s’est intensifiée après la condamnation de Nelson Mandela ».

Comment peut-il comparer avec celui-ci, qui, effectivement, a passé 27 ans en prison, un membre du FPLP, « condamné à perpétuité pour des attentats perpétrés en 1977 et qui avaient fait un mort et des blessés, incarcéré depuis trente et un ans ? C’est un journaliste noir qui ne manque pas d’humour lorsqu’il déclare que « le bout du tunnel est plus noir que noir »...

Un juriste juif du groupe ne manque pas d’aplomb quand après avoir déclaré être « frappé par l’extension de la colonisation », par « la façon de traiter un peuple comme s’il était de seconde classe, par les pesanteurs de l’occupation militaire et le contrôle de tous les aspects de la vie quotidienne des Palestiniens, par la séparation de plus en plus marquée de deux communautés » se défend d’être là pour « juger », mais seulement pour s’ « informer » .

Curieuse façon d’analyser une situation, en ignorant le contexte sécuritaire. Et lorsque le rescapé de la Choa, dont nous avons déjà parlé, déclare « je comprends parfaitement la peur des Juifs », il ajoute, tout aussitôt « mais elle ne peut justifier ce qui se passe » et Michel Bôle-Richard tient à lui faire répéter, en conclusion de son reportage : « Et je trouve très triste que cela se fasse au nom du judaïsme » . Mais, qui peut parler de judaïsme, alors qu’il ne s’agit pour les autorités israéliennes que d’assurer la sécurité de la population juive ?

David Ruzié, membre d’Adath Shalom   à Paris, professeur émérite des universités, spécialiste de droit international.

Messages

Un abus de terminologie

Shalom David,

J’avais lu cet article du Monde et justement, contrairement à ce que votre titre laisse entendre, la distinction était faite entre l’apartheid sud-africain et la situation en Cisjordanie.

Je ne comprends pas pourquoi vous êtes choqué qu’un Sud-Africain - ou quiconque d’ailleurs - trouve scandaleux le comportement de certains habitants juifs de Cisjordanie, et notamment à Hébron. En l’occurrence vous ne pouvez pas accuser cet homme de porter un jugement à distance puisque justement il est allé voir sur le terrain pendant plusieurs jours. Vous même reconnaissez le "caractère scandaleux" de certains actes, alors pourquoi vous offusquer qu’ils soient rapportés ?

De plus, l’article ne critiquait pas le fait que des Juifs habitent en Cisjordanie, mais bien les comportements de brutalité et de violence dont certains se rendent coupables, contraires à l’éthique juive la plus élémentaire. Or vous ne pouvez pas nier que ces comportements sont en grande partie le fait de Juifs définis (à tort ?) comme "religieux" et qui réclament bel et bien le droit à résider en Cisjordanie au nom du judaïsme ou du sionisme religieux si vous préferez (et pas au nom du sionisme politique sur lequel ils crachent souvent). Ce n’est pas la présence juive qui, selon l’article, explique "l’injustice, la haine, le désespoir" des Palestiniens mais bien la violence qu’ils subissent de la part de certains.

Quant aux routes séparées, pour le coup, c’est bel et bien, objectivement, une mesure d’apartheid (terme qui signifie "vivre à part", "séparation") qui vise à faire en sorte que jamais des Juifs et des Palestiniens ne se croisent.

Vous semblez surpris par la comparaison entre Mandela et un chef du FPLP : ignorez-vous donc que l’ANC aussi perpétrait des actes de violence y compris contre des civils ? On ne fait la paix qu’avec ses ennemis...c’est toute l’intelligence d’un Rabin, et d’un Arafat (quoiqu’on pût lui reprocher, et le Président d’Israël le dit bien dans son livre Un temps pour la guerre, un temps pour la paix) qui manque si cruellement actuellement.

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