Nourri d’allers-retours entre Bible et archéologie, cet ouvrage s’inscrit dans le prolongement de La Bible dévoilée, publiés par les mêmes auteurs en 2002 chez Bayard.
Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman ont ici choisi de se concentrer essentiellement sur la genèse littéraire des figures de David et Salomon. Ils dressent le portrait de David en chef de bande qui s’impose à la tête d’un minuscule royaume ayant un hameau du nom de Jérusalem pour capitale. Quant à Salomon, l’archéologie nous le confirme, il n’a jamais pu être le monarque tout-puissant exalté dans la Bible.
L’écriture elle-même ne se répand dans la région qu’au 8e siècle. Jusque-là, point de livres ni d’archives mais des récits oraux et des coutumes tribales.
Les deux auteurs nous démontrent ici que les descriptions de ces deux personnages sont en grande partie des mythes, mis par écrit quelques siècles après les faits supposés, à des fins de propagande dynastique des rois de Judée. Cela est admis par les spécialistes depuis longtemps, et leur précédent livre avait déjà fortement contribué à diffuser cette thèse dans le grand public.
On découvre comment et pourquoi Jérusalem est devenue la ville sainte, centre de toutes les convoitises, de tous les fantasmes mais aussi de tous les espoirs.
Les grands penseurs du Judaïsme de l’époque du roi Josias (8e et 7e siècles), celle des grandes compilations prophétiques, auraient mis en avant à travers les personnages de David et Salomon un idéal extraordinaire. Celui-ci n’appartient pas à l’histoire puisque largement légendaire, mais il nourrit l’Histoire et la bouleverse même totalement puisque qu’il va donner un souffle nouveau au Judaïsme, être à l’origine du Christianisme et forger une certaine idée de l’Etat et de la royauté qui inspirera tout l’occident...
Si on ne comprend pas comment un minuscule petit royaume montagnard a réussi à inventer le Livre (avec un grand L) en se projetant dans des rêves d’avenir et un passé glorieux mais largement légendaire, on ne comprend pas comment est né la culture juive et le Judaïsme.
Quand on saisi comment des petits intérêts politiques sans véritable envergure auraient apporté les conditions nécessaires à l’accouchement du verbe prophétique, celui-ci, me semble-t-il, en sort, non pas diminué, mais largement renforcé.
Il faut bien admettre que c’est là, dans ce petit royaume de Josias, qu’a prit corps historiquement le principe même de Tora et de livre sacré. C’est dans ce petit royaume que des hommes inspirés, scribes d’un talent extraordinaire, ont entendu la voix divine, voix imaginaire pour certains, inspiration réelle pour d’autres, en tout cas voix prophétique qui changea la face du monde et travaille en profondeur tout juif ou chrétien pratiquant et ne peut laisser indifférent aucun athée.
Certains seront troublés par la critique scientifique, d’autres y verront au contraire une source d’inspiration. Dans tous les cas, la démarche reste passionnante et l’hypothèse de fond très convaincante. L’honnêteté intellectuelle oblige à se pencher sur le problème quoi qu’on en pense.
A lire absolument.
Yeshaya Dalsace
En livre de poche chez Folio
Voilà l’esprit de ce livre comme s’en expriment leurs auteurs :
" Le défi que nous avons tenté de relever dans cet ouvrage a consisté dans la recherche des David et Salomon historiques, et dans l’utilisation de l’outil archéologique et historique pour retracer leur image biblique à travers les millénaires. Pas à pas, nous avons suggéré une reconstruction du processus historique par lequel les personnalités de David et Salomon ont occupé le centre d’une légende fondatrice, complexe et adaptable, née dans l’ancien royaume de Juda, puis, répandue à travers l’ensemble du monde occidental. Nous avons montré comment les souvenirs des fondateurs de la dynastie judéenne de l’âge du Fer ont été remaniés, afin d’être mis au service de nouvelles conditions sociales et économiques en mutation. Et nous avons décrit le processus multiséculaire par lequel la tradition davidique et salomonique a été utilisée pour renforcer l’autorité des idéologies religieuses du judaïsme et du christianisme - David et Salomon devenant de parfaits exemples occidentaux de gouvernance royale, des modèles de relation entre la nation et l’individu.
La nouvelle vision archéologique de David et Salomon nous a permis de séparer les faits historiques de leur permanente reconstruction.
L’histoire est faite d’accidents, d’une quête obstinée de la survie face aux menaces extérieures et aux bouleversements domestiques. La simplicité et la fluidité des éléments narratifs de la tradition davidique et salomonique lui ont permis de se transmettre et de se laisser réinterpréter librement, en permanence. Ce processus de vénération et de transformation de leurs images ne semble pas vouloir s’arrêter.
Nous vivons dans un monde tiraillé entre les nationalismes conflictuels et l’empire de la mondialisation. Ce sont les mêmes thèmes qui ont fondé la légende davidique, dans le Juda des 8e et 7e siècles avant notre ère, et ce sont les deux thèmes majeurs autour desquels s’est développée et transformée l’histoire de David et Salomon.
Notre perspective est résolument moderne. Nous ne caressons plus l’espoir de ressusciter un royaume de l’âge du Fer. Nous ne pouvons plus compter sur des rêves messianiques pour apaiser nos cauchemars collectifs. Et nous ne pouvons plus évoquer les droits divins des rois pour justifier les décisions de nos dirigeants. Pourtant - en raison de notre besoin d’identité historique et de notre foi en la possibilité d’une noble gouvernance - l’histoire de David et Salomon conserve son pouvoir.
Mieux comprendre le processus de fabrication du mythe davidique et salomonique ne signifie pas remettre en question la valeur intrinsèque de la tradition. Au contraire, il devient capital de mieux apprécier notre histoire commune et le rôle qu’elle a joué dans la formation de la tradition biblique du judaïsme et du christianisme. Les figures de David et Salomon sont le fondement sur lequel repose notre civilisation, dans sa tentative de réconcilier les souvenirs d’un âge d’or et de ses dirigeants idéaux avec nos propres réalités politiques, sociales et religieuses en mutation constante. De ce point de vue - à la lumière des découvertes que nous avons présentées, l’archéologie n’a pas détruit, ni même altéré, la valeur de l’ancienne tradition davidique - salomonique : elle s’est contentée, une fois de plus de la remodeler. "
Israël Finkelstein est archéologue israélien, directeur de l’Institut d’Archéologie de l’Université de Tel-Aviv et co-responsable des fouilles de Megiddo (25 strates archéologiques, 7000 ans d’histoire). On lui doit également une contribution aux récentes données archéologiques sur les premiers Israélites en terre de Palestine (fouilles de 1990). C’est une méthode statistique (exploration de surface à grande échelle avec relevé de toutes les traces de vie, puis datation et cartographie par dates) qui a permis la découverte de la sédentarisation des premiers Israélites sur les hautes terres de Cisjordanie. L’habitat de forme ovale très caractéristique évoque les campements bédouins.