Elle avait le sourire le plus ravageur de la télévision israélienne. Son émission sur la chaîne 2 l’avait propulsée au rang d’emblème de la jeunesse hédoniste de Tel-Aviv. Croqueuse d’hommes, fashion victim, pilier de bars et des boîtes de la rue Allenby, Noa Yaron-Dayan s’était fixé pour devise de vivre vite et fort. Douze ans plus tard, la reine des nuits de Tel-Aviv s’est muée en une respectable mère de six enfants. Le sourire est toujours aussi joli, mais beaucoup plus sage.
Noa Yaron-Dayan est devenue une "b’aalei teshouva ", le surnom donné en hébreu aux nouveaux convertis, ceux qui reviennent à la foi. Aujourd’hui âgée de 36 ans, elle vit selon les préceptes de la communauté breslav , une frange du monde ultraorthodoxe juif, fondée au XVIIIe siècle par le rabbin Nahman de Breslav , en Ukraine. Un courant en plein essor, emprunt d’ésotérisme new age et d’allégresse hippie, dont les adeptes se plaisent à danser et chanter, guitare à la main, sur le trottoir des centres-villes.
"Si on m’avait dit sur un plateau de télé : "Dans dix ans, tu auras six gamins et les cheveux couverts", j’aurais éclaté de rire", confesse Noa, vêtue d’une longue tunique noire et d’un chemisier bleu ciel, dans un café de Bet Shemesh, une ville de la banlieue de Jérusalem où elle réside désormais. "Mais c’était mon destin, mon gros lot. Pas moyen de l’éviter."
Ce parcours spectaculaire, Noa l’a raconté dans Mekimi (éd. Am Oved, 2007), l’un des best-sellers de l’année en Israël. Les noms sont changés, les anecdotes ne sont pas toutes véridiques, mais la trame est nourrie directement par sa propre trajectoire spirituelle. Forcément édifiant et parfois prosélyte, le récit a séduit un large public, du fait de l’humour, de l’extrême sincérité de son auteur et de la force de vie qui s’en dégage.
Tout a commencé par un défi de potache. Agacé que l’un de ses amis l’assomme en permanence de citations du rabbin Nahman, Yuval, partenaire de l’époque de Noa (et son actuel mari), accepte d’assister à un cours de Torah à la mode breslav , à la condition que ledit ami cesse son manège aussitôt après. Il est censé rester une heure sur les bancs de la classe. Il réapparaît six heures plus tard et, bouleversé, persuade Noa de l’accompagner au cours suivant.
Débute alors une période de troubles intenses. La jeune animatrice est torturée entre son coup de foudre pour la philosophie breslav et sa peur panique de rompre avec un milieu qui l’a couronnée. Dans le livre, Alma, l’héroïne, persuade son ami de fuir en Hollande, dans un village reculé, où, signe du destin, la seule chambre d’hôte s’avère tenue par un dénommé Jacob, juif religieux et grand lecteur du Livre des Psaumes.
Très vite, la décision s’impose. "J’étais affamée, dit Noa. En moi, il y avait un manque énorme. Pour me sentir vivante, je me suis mise à flirter avec la mort. Boire, fumer, coucher... Mais quand j’ai rencontré le monde des breslav , j’ai finalement ouvert les yeux." En quelques semaines, elle rompt avec tout ce qu’a été sa vie jusque-là. Elle change de livres, d’amis, de vêtements, de nourriture et d’appartement. Elle démissionne de la télévision, de la radio de l’armée dont elle était l’une des présentatrices vedette, et disparaît d’un coup de la scène médiatique.
Un choc pour ses parents, des bourgeois bon teint de Tel-Aviv. "Mon père m’a dit : "Va en Inde, deviens lesbienne, mais épargne nous ça." A chacun de mes accouchements, ma mère est venue me voir à la maternité pour me dire : "C’est bon maintenant, tu peux t’arrêter." Malheureusement pour eux, j’ai dû désobéir."
Douze ans après sa "conversion", Noa se sent suffisamment forte pour affronter le regard des autres. Pour la promotion de son livre, elle s’est même rendue dans l’émission de Yaïr Lapid, l’un des symboles du "bel Israël" ashkénaze et laïque, dont le défunt père, Tommy, dirigea l’éphémère parti Shinuï qui avait fait de la haine des rabbins sa marque de fabrique. "Ça ne te manque pas cette ambiance ?", lui a lancé Yaïr Lapid en désignant le public dans les gradins du studio. "Non, pas du tout, si tu cherches un remplaçant, ne compte pas sur moi", lui a répondu Noa, après avoir poliment refusé de serrer la main qu’il lui tendait.
"On s’est envoyé des piques, mais c’était fait avec beaucoup de respect", se souvient Noa. Elle trouve que le monde des médias a changé en Israël et se souvient que lorsqu’elle est partie, les journalistes l’ont harcelée. "Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile de parler de judaïsme à la télévision. C’est même devenu branché. Mon mari donne un cours de Torah qui attire de nombreuses stars du show-biz."
Ce travail de réconciliation entre deux mondes qui s’ignorent est selon Noa l’un des devoirs du b’aalei teshouva . Elevé dans un environnement laïque, engagé dans la sphère orthodoxe , le nouveau converti doit être un passeur, assure-t-elle. "Les politiciens de tous bords se plaisent à entretenir l’idée d’un schisme entre religieux et non-religieux. Mais chez l’homme de la rue, il y a une véritable soif de dialogue." L’enseignement du rabbin Nahman qui s’apparente à un mysticisme existentiel, parle d’ailleurs facilement aux laissés-pour-compte de la crise des idéologies. "Il véhicule une idée de rédemption individuelle, explique le rabbin Daniel Epstein. Il redonne une joie, une dignité. C’est ce qui est arrivé avec Noa Yaron-Dayan . Elle avait Israël dans le sang et puis peu à peu, elle a découvert l’aspect factice de la société contemporaine. Breslav l’a fait renaître."
Le rabbin Nahman serait-il le nouveau gourou d’une société en mal de repères ? Le journaliste Marius Shattner, auteur d’un livre sur la discorde religieux-non religieux (L’Autre Conflit, en librairie en octobre) et père lui-même d’une b’aalei teshouva passée chez les breslav , tempère le messianisme de Noa Yaron-Dayan . "Ils parlent aux déboussolés, ils prospèrent sur le désarroi contemporain. Mais fondamentalement, ils n’acceptent pas l’autre. Dans leur esprit, le non-religieux est soit un ignorant, soit un mécréant."
La relation de Noa avec sa famille en dit long sur ce dialogue inégal. Alors qu’elle refuse de venir passer le shabbat chez ses parents, ceux-ci acceptent de faire le trajet inverse. Mais avant de rentrer chez sa fille, le père doit coiffer une kippa, condition sine qua non de sa venue. "Je veux qu’il soit un grand-père aimé, dit Noa avant d’ajouter, candide : Je ne veux pas que mes enfants le voient comme un laïc."
Benjamin Barthe © LE MONDE | 29.08.08