Préliminaire
L’origine de cette coutume doit être comprise dans le contexte ancien des rapports antagonistes du judaïsme au paganisme.
Origine de la pratique
En effet, plusieurs pratiques du judaïsme antique exprimé dans la Mishna mettaient fortement l’accent sur la nécessité de se différencier du monde païen considéré comme immoral, perverti et inacceptable d’un point de vue théologique.
Ces rapports antagonistes et même parfois hostiles sont exprimés en particulier dans le traité Avoda Zara du Talmud . Ils s’expliquent en partie dans le contexte historique des massacres de masse perpétrés par les Romains à l’encontre des juifs. Mais, reconnaissons le, ils laissent également s’exprimer une forme de fanatisme, voire de xénophobie de la part des rabbins vis-à-vis des païens qui sont parfois soupçonnés de tous les maux et caricaturés. Ces textes n’étaient d’ailleurs pas forcément appliqués et reflètent sûrement une part de polémique théorique, plus qu’une réalité quotidienne, car dans les faits la plupart des juifs vivaient en bonne intelligence avec leurs voisins païens.
Ces textes ont eu une influence sur plusieurs pratiques du judaïsme par la suite. Certaines ont parfois totalement été abandonnées, d’autre se maintiennent jusqu’à aujourd’hui. Les pratiques (interdit du vin, tevilat kelim, cuisson des aliments...) basées sur ces textes sont, de nos jours, sans grandes conséquences sur les rapports humains, mais relèvent néanmoins d’un principe discriminatoire problématique à nos yeux aujourd’hui. Dès le moyen âge des rabbins ont cherché à les remettre en cause (le Meiri et Tossafot en particulier), mais d’autres, au contraire, ont insisté dessus (Nahmanide et le Maharal par exemple). De nos jours les juifs modernistes ont tendance à ne pas les respecter, alors que les orthodoxes les respectent encore, parfois avec grande rigueur, sans pour autant insister sur l’idée d’antagonisme qui s’y trouve.
Le mouvement Massorti considère que ces règles sont obsolètes pour la plupart. En même temps, certains Massorti pensent que ces règles peuvent servir de base à une réinterprétation totale et dans ce cas, avoir du sens. En tout cas nous sommes totalement opposés à toute expression antagoniste vis-à-vis des autres, juifs d’opinion différente ou non-juifs et toute pratique pouvant être considérée comme humiliante et ségrégative au sein du judaïsme. Nous sommes pour un judaïsme d’accueil et d’ouverture à l’autre. En même temps nous sommes d’accord pour l’affirmation de notre strict monothéisme et contre tout syncrétisme.
C’est pourquoi le sujet mérite réflexion et doit être traité sérieusement par la halakha .
En ce qui concerne la tevilat kelim, on soupçonnait l’artisan païen de consacrer son travail à une divinité. C’est pourquoi on estimait nécessaire de faire passer la vaisselle neuve achetée chez lui par un cérémonial juif de consécration.
Si, à l’origine, cette pratique relevait plus de la purification que de la consécration, elle fût maintenu au cours des âges, malgré la disparition du paganisme, comme l’expression de la volonté de vouloir « élever » la cuisine du foyer juif vers un plus grand degré de sainteté.
La cérémonie
La cérémonie consiste à apporter la vaisselle correctement nettoyée et sans étiquette au mikvé et de l’y plonger en prononçant une bénédiction (al tevilat kelim : ) « Tu es source de bénédiction, Éternel, notre Dieu, Souverain du monde, Toi qui nous as sanctifiés par Tes commandements, et nous as ordonné de pratiquer l’immersion de la vaisselle. » Une fois la bénédiction prononcée, on plonge la vaisselle dans l’eau totalement en évitant tout contact avec un corps extérieur ; pour cela il faut lâcher la vaisselle dans l’eau et la rattraper quelques secondes plus tard ou encore se servir d’un panier percé ou d’un filet.
Le sens aujourd’hui
Cette cérémonie se pratique assez couramment dans les cercles orthodoxes , plus rarement chez les Massorti , jamais chez les libéraux.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si cet usage mérite d’être maintenue ou non.
De nos jours nous n’avons pas de paganisme à combattre (sinon celui niché dans nos propres cœurs), nous n’entretenons pas de rapport hostile avec les non-juifs en tant que tels, au contraire nous œuvrons au rapprochement et à la paix.
Si cette cérémonie consiste à vouloir « purifier » la vaisselle d’une mauvaise intention païenne, elle est devenue totalement obsolète. Il n’y a plus de païens, la vaisselle est de toute façon fabriquée en générale de façon automatique. Il est malsain de maintenir dans l’esprit des juifs pratiquant un rapport ambigu avec le reste du monde. C’est pourquoi, vue sous cet angle, la Tevilat kelim est non seulement anachronique, mais également mal venue.
Nouvelle interprétation possible
Par contre, on peut aborder cette coutume de façon différente. On peut y voir la consécration de la vaisselle au niveau d’exigence et de sainteté que représente la cuisine kasher d’un foyer juif. Les règles de Kashrout ne sont pas la marque d’une hostilité envers l’extérieur, mais l’expression d’une volonté d’introduire de la sainteté dans une discipline alimentaire. La cuisine d’une maison juive kasher reste le lieu d’un enjeu symbolique très fort, de l’expression d’une exigence des plus respectables. On peut très bien considérer la Tevilat kelim comme une forme de rite de passage d’un monde profane et extérieur vers un monde intérieur imprégné de sacré.
En ce sens, ce rite viendrait rappeler la consécration des différents instruments qui se faisait dans le temple et le Mishkane.
Vu sous cet angle, la tevilat kelim peut demeurer un rite défendable et surtout profitable pour un juif attaché aux valeurs de la modernité. On pourrait alors pratiquer ce rite envers une vaisselle à laquelle on est particulièrement attaché, quel que soit le lieu de son acquisition ou de sa fabrication, que cela vienne d’un non juif ou d’un juif, d’une fabrication artisanale ou industrielle.
C’est donc en réinterprétant profondément le sens premier, que ce rite ancien mérite à nos yeux d’être éventuellement maintenu, en conformité avec l’adage du Rav Kook : « Ne pas chasser l’obscurité, mais ajouter de la lumière. » Si quelqu’un le pratique dans cet esprit positif, il peut y trouver une raison d’être et une occasion supplémentaire d’insuffler de la sainteté à l’intérieur de son foyer, sans manifester aucune hostilité envers le monde extérieur.
La possibilité d’une interprétation nouvelle de ce rite ne sera pas discutée ici.
Voici le texte d’un responsum du mouvement Massorti expliquant et discutant dans le détail les différentes questions techniques posées par cette question et répondant point par point à différents arguments que l’on trouve couramment dans la littérature halakhique classique.
Ce responsum montre les différentes incidences techniques sur cette question et les problèmes qu’elle peut poser. Il aborde également au passage la délicate question de la Kashrout du vin.
Précisons que la plupart des références textuelles sont basées sur la littérature talmudique et les commentateurs du moyen-âge. Il faut donc ne jamais oublier de les remettre dans leur contexte historique et exégétique. Il en est de même avec l’usage du mot « païen » ou « gentil » qui n’est jamais employé dans un sens péjoratif par les rabbins contemporains ayant examiné la question.
Yeshaya Dalsace
Responsum sur Tevilat kelim
« Je souhaite faire connaître à tous les lecteurs que les termes « akum » (païens) ou plus généralement « goy » (non juif), se rapportent aux païens [de l’époque du Talmud ]. Ils ne s’appliquent pas aux personnes non juives avec qui nous vivons et aux gouvernements sous lesquelles nous résidons. Ces personnes croient en la providence divine.
« Ne laissez personne affirmer que les termes païens ou gentils qui apparaissent ci-dessus s’appliquent de quelque façon aux nations dans lesquelles nous vivons ».
(Mise en garde de Salomon Luria dit le Maharshal, très important décisionnaire ashkénaze du 16ème siècle, dans la préface de Yam Shel Shlomo, vol 2)
Précision de l’auteur de ce Responsum :
Dans nos sources les termes « akum » (païen), « goy » (gentil ), « kuti » (non-juif) et « nochri » (étranger) ont été employés indifféremment, sans souci des différentes nuances que l’on pourrait attribuer à ces termes.
Nous savons que les scribes ne faisaient pas grandes différences entre ces termes, il est souvent difficile de comprendre l’intention précise qu’avait l’auteur. Nous avons traduit les textes avec des nuances dans ces termes qui semblent refléter l’intention de l’auteur.
Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, nous comprenons que les lois discutées ici se rapportent seulement aux païens, c’est-à-dire, aux adhérents du polythéisme antique.
She’elah :
Est-ce que la « tevilat kelim », l’immersion dans un Mikvé d’ustensiles de cuisine neufs et d’occasions acquis des non juifs, est exigée avant emploi des ustensiles dans la maison ?
La tevilat kelim est-elle exigée lorsqu’on acquiert et qu’on cachérise un ustensile acheté dans un établissement commercial tenu par un gentil afin de servir dans la cuisine d’un juif ?
Teshouva :
Historique de la Halakha
Les versets bibliques qui servent de base à la loi du tevilat kelim se trouvent dans le contexte de la guerre contre Midyan. Midyan, comme Amalek, n’est pas simplement un ennemi, c’est un peuple connu pour son hostilité peu commune envers Israël et son intention de le pousser à l’idolatrie. [1] Quand la Torah ordonne la guerre contre Midyan elle énonce :
במדבר פרק לא פסוק כג
כָּל דָּבָר אֲשֶׁר יָבֹא בָאֵשׁ תַּעֲבִירוּ בָאֵשׁ וְטָהֵר אַךְ בְּמֵי נִדָּה יִתְחַטָּא וְכֹל אֲשֶׁר לֹא יָבֹא בָּאֵשׁ תַּעֲבִירוּ בַמָּיִם
« Un ustensile qui peut résister au feu, vous le ferez passer au feu et il sera propre, seulement, il doit être purifié avec l’eau de la purification. Un ustensile qui ne peut pas résister au feu vous devez le passer dans l’eau. » (Nombres 31:22)
Malgré la possibilité de voir les règles de cette guerre biblique comme spécifiques à celle-ci, les rabbins du Talmud ont interprété ces versets comme applicable à tous les païens de leur époque.
Le premier texte rabbinique y faisant référence se trouve dans la Mishna Massekhet Avodah Zarah (A.Z. 75b)
מתני’. הלוקח כלי תשמיש מן העובדי כוכבים, את שדרכו להטביל - יטביל, להגעיל - יגעיל, ללבן באור - ילבן באור.
« Quelqu’un qui achète un ustensile, destiné à être utilisé à froid, à un païen, cet ustensile doit être immergé, s’il sert habituellement à bouillir, il doit être immergé dans de l’eau bouillante, s’il est habituellement chauffé au feu jusqu’à ce qu’il soit rouge vif, il doit être chauffé au feu. » (Cela est fait dans le but de cachériser, c’est à dire de nettoyer de toute trace d’aliment interdit)
La Guemara cite une Baraita qui énonce :
תנא : וכולן צריכין טבילה בארבעים סאה
« Et tous exigent l’immersion dans le mikvé ».
Rashi explique que ceci s’étend aux ustensiles qui ont été déjà immergés dans de l’eau chaude ou rendus rouge vif.
Rava dans la guemara cite un verset clé comme preuve de cette position :
מנהני מילי ? אמר רבא, דאמר קרא : +במדבר לא+ כל דבר אשר יבא באש תעבירו באש וטהר, הוסיף לך הכתוב טהרה אחרת.
« Un ustensile qui peut résister au feu sera mis au feu et il sera propre. Le verset ajoute une purification additionnelle. »
Deux étapes sont donc exigées : La première est la cachérisation de l’ustensile, et la deuxième est l’immersion dans un mikvé .
Bar Kappara dit :
מה ת"ל במי נדה ? מים שנדה טובלת בהן, הוי אומר : ארבעים סאה
« Du fait que le verset dit « mei nidda », c’est à dire… l’eau en laquelle une femme nidda s’immerge, et ceci est le mikvé »
Une baraita (toujours dans Avoda Zara 75b) énonce :
ת"ר : הלוקח כלי תשמיש מן העובדי כוכבים, דברים שלא נשתמש בהן - מטבילן והן טהורין ; דברים שנשתמש בהן ע"י צונן, כגון כוסות וקתוניות וצלוחיות - מדיחן ומטבילן והם טהורין ; דברים שנשתמש בהן ע"י חמין, כגון היורות הקומקמוסון ומחמי חמין - מגעילן ומטבילן והן טהורין ; דברים שנשתמש בהן ע"י האור, כגון השפודין והאסכלאות - מלבנן ומטבילן והן טהורין.
« Les rabbins enseignent : Celui qui achète des ustensiles à des païens : s’ils n’ont jamais été utilisés, ils seront immergés et ils seront purs ; s’ils étaient utilisés froid, on les rincera, on les immergera, et ils seront purs ; s’ils étaient utilisés à chaud, on les fera bouillir et on les immergera et ils seront purs ; s’ils étaient utilisés sur un feu, on les mettra au feu, on les immergera et ils seront purs. »
La Tosefta (A.Z. 9:2) et le Yerushalmi (A.Z. 45b / 5:15) exigent également la tevilah. Maimonide est d’accord avec cette position. (Mishneh Torah, Hilkhot Ma’akhalot Asurot, 17:3)
La loi est écrite comme ceci dans le Shoulkhan Aroukh :
שולחן ערוך יורה דעה סימן קכ סעיף א
הקונה מהעובד כוכבים כלי סעודה של מתכת או של זכוכית, או כלים המצופים באבר מבפנים, אף על פי שהם חדשים צריך להטבילם במקוה או מעיין של ארבעים סאה
« Si on achète à un païen des ustensiles de cuisine faits de métal, de verre [ou de céramique] garni d’une ligne sur l’intérieur, même s’ils sont nouveaux, ces ustensiles doivent être immergés dans un mikveh ou dans un puits contenant quarante ’seah’ d’eau ». (Shulchan Arukh, Yoreh Deah 120:1)
La raison de l’immersion est expliquée par Rabbi Yirmiyah comme ceci :
תלמוד ירושלמי מסכת עבודה זרה פרק ה דף מה טור ב /הי"א
רבי ירמיה אמ’ צריך להטביל לפי שיצאו מטומאת הגוי ונכנסו לקדושת ישראל
« Les ustensiles doivent être immergés parce qu’ils passent de l’utilisation impure des païens à l’utilisation sacrée du juif. » (Yerushalmi 45b (5:15). Et Maimonide , op cit, 17:5.)
Bien que ceci pourrait être lu comme une affirmation chauvine, ce n’est pas le cas.
[*Le judaïsme insiste sur le fait que toute l’humanité a été créée à l’image divine*] et il tire la leçon suivante de la création unitaire d’Adam, l’ancêtre universel, (Genèse 1:27) :
« aucune personne ne peut dire à une autre : mon ancêtre est plus grand que le tiens » (Mishnah Sanhedrin 4:5) [2]
[*Il n’encourage pas non plus l’oppression ou la discrimination :*]
« Vous ne ferez pas de tort à un étranger et ne l’opprimerez pas, parce que vous étiez étrangers en terre d’Égypte. » (Exode 23:20)
Mais, dans le même temps, bien que le judaïsme était dès son commencement radicalement égalitaire à cet égard, il distingue le monothéisme d’Israël qui le sépare des nations :
« Est-ce qu’un autre dieu est allé prendre pour lui une nation du milieu des autres… Il a été clairement démontré que seul le seigneur est Dieu, il n’y en a aucun près de lui. » (Deuteronome 3:34-35)
C’est pour cette raison que ces lois doivent être comprises en tant que distinction entre les juifs et les païens et non entre les juifs et les gentils , bien que dans la langue originale, ceci n’est pas toujours clair.
La notion de l’engagement sacré d’Israël était particulièrement appliquée à la table des israélites qui a été considérée comme analogue à l’autel du temple [3] et a ainsi partagé certaines des distinctions de l’enceinte sacrée.
Ceci est peut-être la raison pour laquelle cette pratique est appliquée seulement aux ustensiles de cuisine et non pas à d’autres ustensiles.
La loi de la tevilat kelim dans le contexte moderne.
Il y a deux raisons principales pour lesquelles la loi de la tevilat kelim n’est pas à appliquer dans le contexte dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui : La première repose dans la nature industrielle des ustensiles que nous acquérons généralement.
La deuxième est la nature des non juifs avec qui nous sommes généralement en contact.
1) Nature industrielle des ustensiles
Le Tevilat kelim s’applique quand un ustensile appartenant à un païen est vendu à un juif.
La nature de la propriété est le facteur déterminant : les lois indiquent quand une association est impliquée ou quand un artisan a une partie substantielle dans la fabrication de l’article. (Maimonide , MT, op cit 17:6)
Les seuls ustensiles pour lesquelles l’immersion est exigée sont ceux faits en métal achetés à des païens.
Mais quelqu’un qui emprunte un ustensile ne doit pas l’immerger :
שולחן ערוך יורה דעה סימן קכ סעיף ח
השואל או שוכר כלי מהעו"ג, אינו טעון טבילה
« L’immersion n’est pas exigée pour un ustensile emprunté ou loué à un païen » (Shoulkhan Aroukh , Yoreh Deah 120:8)
שולחן ערוך יורה דעה סימן קכ סעיף יא
ישראל שמכר כלי לעובד כוכבים וחזר ולקחו ממנו, צריך טבילה. אבל אם משכנו בידו וחזר ופדאו ממנו, אינו צריך טבילה. הגה : ישראל ועובד כוכבים שקנאו כלי בשותפות, אין צריך טבילה. ישראל שגנבו או גזלו ממנו כליו והוחזרו לו, אין צריך טבילה ; אבל שר או מושל שאנסו ישראל ולקחו כליו והוחזרו לו, צריכין טבילה, דכבר נשתקעו ביד העובד כוכבים
« Si un juif donne de l’argent à un artisan païen pour fabriquer un ustensile pour lui, l’immersion n’est pas exigée. [Le Rabbin Isserles ajoute] : Certains sont en désaccord… mais si une partie de l’argent à partir duquel l’ustensile a été fait appartenait à un païen, il exige une immersion. De même, si un artisan juif fait un ustensile pour un païen et puis le lui rachète, il doit l’immerger si le païen lui a donné tous les matériaux. Mais s’il l’a fait pour lui-même, même s’il a acheté les matériaux à un païen, ou si le païen a fourni une partie des matériaux, l’immersion n’est pas exigée. » (Shoulkhan Aroukh 120:11)
« Les ustensiles appartenant à la fois à des juifs et à des païens associés, n’exigent pas d’immersion. » (Shoulkhan Aroukh 120:11 annotations d’Isserles )
[*
Ces textes discutent d’une culture et de métiers très différents des nôtres.*]
Il n’est pas du tout clair que ces éléments s’appliquent aux ustensiles faits en usine, où les ouvriers ne sont pas des artisans indépendants qui fournissent des matériaux leur appartenant.
Cependant, le Aroukh haShoulkhan (19ème siècle), a une discussion qui se rapporte plus précisément à notre situation et à notre culture :
« Pour une entreprise comme une usine, qui fabrique des centaines et des milliers d’ustensiles, tout est déterminé par le propriétaire, car les ustensiles sont connus par son nom. Les ouvriers sont comme des travailleurs journaliers. Par conséquent, si le propriétaire est juif les ustensiles n’exigent pas d’immersion, même si les ouvriers sont des non-juifs. Inversement, si le propriétaire est un non-juif et les ouvriers sont juifs les ustensiles nécessitent une immersion. » (Aroukh haShoulkhan, Yoreh Deah 120:58) Voir Igrot Moshe Orach Chayim III, 4 où le Rabbin Moshe Feinstein fait référence à cette position. Il ajoute que les ustensiles faits dans les usines sont faits par des machines et non par des ouvriers.
Nous rappelons que même si le texte porte le terme de kouti (non-juif), la loi est spécifique aux païens qui n’existent plus.
Le principe qui dit qu’on identifie le propriétaire par le nom duquel il est connu, est déclaré par Issour v’Heter [4] en expliquant la règle de partenariat ci-dessus, que le nom du païen est encore identifié comme propriétaire quand le navire a été acheté par une association personnelle.
Tossafot justifie cette approche en se basant sur le principe suivant :
תוספות מסכת עבודה זרה דף עה עמוד ב
והנותן כלי לאומן עובד כוכבים לתקן ואפילו למאן דאמר אומן קונה בשבח כלי אין צריך טבילה כיון דאין שמו עליו דלא הוי כמעשה שהיה שהיו הכלים של מדין
« Si on donne un ustensile à un païen pour le faire réparer, même selon ceux qui considèrent qu’il s’agit d’un artisan qui acquiert un ustensile pour l’améliorer, on n’exige pas d’immersion puisque l’artisan n’est pas connu par son nom, car ce n’est pas comme si l’ustensile a appartenu à un Midyanite. » (Tosafot A.Z. 75b) La limitation de la loi de la tevilat kelim aux circonstances qui sont « comme l’événement » montre la limitation originel aux idolâtres plutôt qu’à tous les gentils . Ceci certifie le fait que ce n’est pas un problème de cacheroute de la nourriture, qui n’est pas affectée par le contact avec l’ustensile qui n’a pas été immergé, mais à un problème d’une nature plus philosophique.
Ceci soulève la question suivante : peut-on dire qu’un ustensile fabriqué et vendu par une grande société, connu par son nom de société et non par le nom de ses propriétaires (et encore plus, une société dont la propriété est divisé en plusieurs petits propriétaires qui changent constamment), est possédé par une personne simple ? « Ce n’est pas comme si les ustensiles ont appartenu à un Midyanite. » (Responsa Shoel uMeshiv du Rabbi Joseph Saul Natahnson, Première Edition, Vol.II, #73, est d’avis que la vaisselle
fabriquée en usine avec un associé juif n’exige pas l’immersion parce que la vaisselle n’est pas totalement possédée par un gentil , ce qui est requis « comme l’événement. » Mais Elijah Gaon de Vilna, dans son commentaire du Shoulkhan Aroukh Yoreh Deah 120, #28, dit que de partout où il y a un associé non juif, l’ustensile requiert une immersion. Notre argument va plus fondamentalement à la nature de la propriété d’entreprises, et ne se fonde pas sur des règles simples d’association.
Ajoutons à ceci deux remarques du Rabbin Moshe Feinstein :
La première est que la fabrication d’ustensiles dans une usine est faite plus par une machine que par un travail humain. A plus forte raison, nous pourrions dire que l’objet est fabriqué par des machines et non par des propriétaires humains.
La deuxième est une tentative, non approuvée par tous les commentateurs modernes, pour identifier la nature de la société comme entité séparée de ses associés, apparentée à la loi américaine.
Le Rabbin Feinstein écrit ceci à propos de l’autorisation des sociétés à emprunter, en dépit de l’interdiction du prêt à l’intérêt :
« si l’emprunteur est une société, et que les membres de la société ne sont pas engagés du tout, et n’ont aucune responsabilité personnelle et aucun privilège, il s’avère alors qu’il n’y a aucun emprunteur, seul l’entreprise est emprunteuse. Et il semble que l’interdiction d’emprunter à intérêt ne s’applique pas dans ce cas. » (Igrot Moshe, Yoreh Deah 2:62)
Les ustensiles fabriqués en masse par une entreprise et vendu par une entreprise de détail ne peuvent pas être considérés comme appartenant à un païen, car ils n’ont jamais été dans un milieu idolâtre (Aroukh haShoulkhan, Yoreh Deah 120:58). Par conséquent ces ustensiles ne nécessitent pas une immersion.
Revenons à l’affirmation de Tossafot au sujet du nom du propriétaire : c’est seulement le nom du propriétaire qui affecte l’obligation de la tevilat kelim. Ceci soulève le problème de savoir qui donne réellement le nom du propriétaire à l’ustensile pendant le déplacement de cet ustensile dans la chaîne de vente : du fabricant, vers les grossistes, puis les détaillants et enfin au consommateur.
Les différents scénarios sont :
(a) Là où un ustensile est vendu en dépôt pour son fabricant, il reste certainement sous sa propriété originale jusqu’à l’achat d’un client.
(b) Mais même lorsqu’un article est fabriqué par une entreprise connue (disons Lenox) et est acheté par un détaillant mais vendu sous le nom de Lenox au consommateur par ce détaillant, il n’a pas changé de nom, et par conséquent le fabricant par lequel l’ustensile est connu reste le seul « propriétaire » aux fins du tevilat kelim.
(c) Cependant, un ustensile qui est fabriqué par une société et qui passe par plusieurs grossistes, puis est vendu par un magasin sous son propre nom ou marque (par exemple Nordstom), alors l’ustensile a acquis une nouvelle propriété et un nouveau nom. Dans chacun de ces cas, tant que l’ustensile n’est pas entre les mains d’un utilisateur, c’est seulement le fabricant et le détaillant qui ont un statut potentiel de propriétaires nommés.
Les variantes possibles sont nombreuses, mais tant que le fabricant ou n’importe quel propriétaire nommé de l’ustensile est une société, et qu’aucun n’est un individu païen, l’ustensile ne nécessite pas d’immersion.
Puisque dans presque tous les cas, nous achetons des ustensiles manufacturés et lancés sur le marché par des entreprises (même si le détaillant est une petite entreprise, il est peu probable qu’il le fabrique lui-même) : aucune immersion de la vaisselle n’est généralement exigé. Il n’est pas non plus nécessaire de vérifier la chaîne de la possession : on assume que n’importe quel article individuel non défini fait partie de la majorité (Berakhot 28a).
Ainsi, les ustensiles de cuisine n’exigent pas d’immersion.
Les articles artisanaux qui sont acquis personnellement à un artisan ou un antiquaire, pour lesquelles les différents propriétaires intermédiaires pourraient avoir établi une propriété nommée, restent problématiques.
Nous allons maintenant analyser cette situation. (Doivent être inclus ici les quelques situations où le détaillant est connu pour être une famille et qu’il renomme l’article.)
2) Nature des non-juifs de nos jours
Il est bien établi que des chrétiens, les musulmans et les membres des religions occidentales importantes ne doivent pas être considérés comme des païens, et la plupart des lois d’Avodah Zarah ne sont pas applicables aujourd’hui. [5]
Les lois de « stam yeinam » (vin non juif) et de « magat akum » (contact avec un gentil ) interdisent l’utilisation du vin touché par des gentils parce qu’il est suspecté d’avoir été utilisé pour une libation idolâtre. Ceci est un exemple de la façon dont une loi devient inapplicable aujourd’hui :
« Rashbam et Rivan expliquent au nom de Rashi qu’il est écrit dans un responsum du Geonim que de nos jours il n’y a pas d’interdiction d’utiliser du vin touché par un gentil parce que les gentils d’aujourd’hui n’ont pas l’habitude de verser des libations aux idoles et ils doivent être considérés comme ne connaissant pas l’idolâtrie et ses accessoires. C’est pour cela que le vin des gentils peut-être utilisé pour rembourser nos dettes. »
(Tosafot A.Z. 57b, ד"י ה לאפוק)
« De nos jours, les gentils ne versent pas de libations aux idoles, certains disent qu’un gentil touchant un vin n’interdit pas son utilisation mais qu’il est seulement interdit de le boire. Il n’est pas interdit d’en tirer profit. »
(Shulchan Arukh, Yoreh Deah 123:1 dans les commentaires d’Isserles .)
« De nos jours, les gentils ne sont pas des idolâtres, leur contact est considéré sans intention [de libation idolâtre]. Par conséquent, s’il touchait un vin indirectement, il est même autorisé de le boire. Mais on ne devrait pas faire connaître ceci à l’illettré. » (Ibid, 124:24 dans les commentaires d’Isserles .)
Le Rabbin Israël Silverman a uni ces deux affirmations d’Isserles pour autoriser dans certaines conditions le vin des gentils dans le contexte vinicole moderne, parce que les normes d’hygiène en application en occident exigent qu’il n’y ait aucun contact humain direct avec du vin qui est fabriqué industriellement. (Israel Silverman, Are all Wines Kosher, Proceedings of the CJLS 1927-1970, III, p. 1395.) [6]
Menachem Hameiri (13e siècle) était clair dans son expression de tolérance religieuse dans le monde postpaïen (Meiri , Bet haBechira A.Z. (Sofer), p. 4) : [7]
« Il s’avère pour moi que tous ces interdictions concernent seulement les croyants dans les idoles, leurs formes et leurs images, mais que de nos jours ces restrictions [envers les non juifs] sont complètement levées. »
« Nous avons déjà expliqué que ces choses étaient dites dans leurs temps, quand les gentils étaient des idolâtres ; mais maintenant l’idolâtrie n’existe plus dans la plupart des lieux, et en conséquence il n’y a aucun besoin d’être strict en ce qui concerne les règles sur les idolâtres. » (Meiri , op cit, p. 28)
Le CJLS du mouvement conservateur est allé plus loin.
Le Rabbin Elliot Dorff a écrit dans une techouva :
« Nous devons faire face au problème des interdictions rabbiniques du vin fait par des gentils . Je crois que la réponse devrait être qu’il n’y a pas d’interdit…
La motivation originelle pour l’interdiction de boire du vin touché par des non-juifs était d’éviter des mariages mixtes.
Ceci est un problème important de nos jours, mais je doute franchement que l’interdiction du vin touché par des non-juifs ait quelques effets sur l’élimination ou même l’atténuation de ce problème.
Comme le Rabbin Silverman le précise, les interdictions contre le pain, l’huile et les nourritures cuites préparés par des non-juifs ont été abrogés il y a bien longtemps.
En accord avec notre acceptation des conditions de la modernité, nous, dans le mouvement Massorti soutenons assurément que les juifs peuvent avoir sans restrictions des contacts sociaux et d’affaires avec des non-juifs. »
(Elliot Dorff , The Use of all Wines, Responsa of the CJLS 1980-1990, p.295.)
Si les gentils ne sont pas considérés comme des païens et que les lois liées au vin des gentils sont mises de côté, alors, a fortiori les lois du tevilat kelim ne devraient clairement plus s’appliquer.
Une condition essentielle est cependant que nos sources s’appliquent aux adhérents des religions occidentales, toutes les religions monothéistes.
Les religions orientales semblent parfois toujours adorer des dieux multiples et même, apparemment, des idoles. Pouvons-nous les exempter des règles formulées au sujet des idolâtres ?
Le Meiri dit :
« Néanmoins dans ces endroits éloignés où des restes de l’idolâtrie ont été dispersés, les juifs qui sont parmi eux doivent garder ces interdits. » (Meiri , op. cit., p. 9)
On peut donc penser qu’il demeure un champs d’application de la règle :
Basé sur la considération ci-dessus, le seul cas où la tevilat kelim serait applicable de nos jours serait en ce qui concerne les ustensiles d’occasions et fabriqués par des artisans en leurs noms.
Généralement en ce qui concerne ces ustensiles, nous pouvons supposer que le propriétaire ou l’artisan n’est pas un idolâtre (on assume qu’un ustensile non défini fait partie de la majorité).
Cependant, si on connaît ou suspecte raisonnablement le propriétaire ou l’artisan d’être un idolâtre, (ou dans le cas d’antiquités car on tient compte de tous les propriétaires antérieurs, (voir Shoulchan Aroukh, Yoreh Deah 120:8 dans les commentaires d’Isserles . ), une tevilat kelim est nécessaire, avec la bénédiction appropriée (...al tevilat kelim).
Ces règles s’appliquent également aux établissements publics (restaurants, traiteurs, cantines kashers).
Par conséquent la tevilat kelim ne doit pas être exigée pour la vaisselle des établissements publics.
Cependant puisqu’une partie de la population (juifs orthodoxes ) insiste pour maintenir la pratique du tevilat kelim, quoique la nourriture préparée dans des ustensiles qui n’auraient pas été immergés est autorisée [8], le propriétaire d’un tel établissement peut vouloir immerger tous les nouveaux ustensiles acquis.
[*Dans ce cas, l’immersion devrait être faite sans bénédiction, car elle n’est pas exigée par loi, comme discuté ci-dessus. Elle est seulement faite pour satisfaire une clientèle potentielle.*]
Dans les cas très rares où un ustensile exige l’immersion, si on transgressait et préparait de la nourriture dans cet ustensile, cette nourriture ne serait pas interdite à la consommation. Mais le propriétaire doit néanmoins immerger l’ustensile avant de le réutiliser.
Conclusion
1. La Tevilat kelim n’est pas exigée de nos jours, sauf pour les ustensiles de cuisine possédés ou fabriqués par des idolâtres avérés.
Cependant, si on connaît ou suspecte raisonnablement le propriétaire ou l’artisan, (ou dans le cas des antiquités, de tout propriétaire précédent), d’être un idolâtre, alors une tevilat kelim est nécessaire, avec la bénédiction appropriée. (…al tevilat kelim)
2. Si la tevilat kelim est pratiquée dans un établissement public par souci pour les clients qui maintiennent toujours cette pratique, on ne devrait pas faire de bénédiction.
Rabbins Mayer Rabinowitz et Avram Reisner
Ce document a été approuvé à l’unanimité par le CJLS le 13 juin 2007 par quatorze voix favorables et aucune contre. Votes en faveur : Rabbins Kassel Abelson, Elliot Dorff , Philip Scheim, Daniel Nevins, Alan Lucas, Paul Plotkin, Pamela Barmash, Jerome Epstein, Aaron Mackler, Robert Fine, Myron Fenster, Baruch Frydman-Kohl, Adam Kligfeld, et Loel Weiss.
Merci à Laurent Cohen pour sa traduction
Sur le rapport au non-juifs et le rapport aux idolâtres voir http://www.massorti.com/Judaisme-et-racisme
Messages
Ce responsum est très intéressant. C’est souvent autour de pratiques de ce genre que l’incompréhension entre Juifs et non-Juifs se creuse, non que les "gentils " perçoivent le fond méfiant de ces rites, mais parce qu’ils donnent une image obsessionnelle du judaïsme et des règles de la halakha . Bon exemple de souplesse dans la posture du mouvement massorti .
Bonjour,
est-il possible de préciser les nuances justifiant les différences entre "akum", "goy " (cf définition "petit Robert"= païens)// "kuti" et "nochri" ou renvoyer à un article le permettant ?
Votre collègue, M. Rivon Krygier, semble avoir une position subtilement définie sur l’hindouïsme (par exemple), est-ce la vôtre ?
En France, nous vivons dans un pays laïque ("indépendant de toute confession religieuse", cf "petit Robert") et où l’individu ne se définit plus publiquement par son appartenance religieuse, n’y a-t-il pas là une possibilité de réfléchir à nouveau au concept de "tevila " ? Comme vous le faites, une "revivification spirituelle" du concept indépendante de l’individu à l’origine de l’instrument ; un abandon de la "tevila " puisque l’instrument n’a plus de "connotation religieuse" en raison de la "neutralité" confessionnelle de son auteur, a fortiori si l’on estime que les sociétés ont une existence juridique autonome (personnalité morale, donc sujet de droit) ou encore, en raison de cette indétermination, un recours systématique à la "tevila " puisqu’il y aurait un doute quasi systématique sur la confession religieuse (ou absence de confession religieuse) de l’auteur de l’instrument ?
Enfin, comment qualifier celui qui se déclare "athée" ?
Cordialement