L’Américain Daniel Boyarin incarne avec panache une constellation de chercheurs qui, depuis plusieurs années, est en train de révolutionner les relations entre judaïsme et christianisme.
Ces historiens et théologiens, principalement américains ou israéliens, rejettent le discours en forme de plaidoyer (l’apologétique) que les religions tiennent sur elles-mêmes. Ils récusent la thèse de l’autonomie de leur développement et considèrent que, loin de se succéder sur un mode filial, judaïsme et christianisme sont deux croyances soeurs ayant poussé ensemble sur un même terreau biblique dans un dialogue certes souvent inégal, mais dans une proximité bien plus étroite qu’on ne l’a cru.
Artisan de la reconstitution de ce dialogue, la barbe en bataille et l’humour toujours prompt, Daniel Boyarin aime les vérités qui dérangent. "Imaginez, confie au Monde ce professeur de culture talmudique de l’université californienne de Berkeley, que le christianisme n’ait pas "réussi" ; qu’un Bédouin ait trouvé dans une grotte de la mer Morte, en 1947, un Nouveau Testament oublié ! Nul doute que les spécialistes auraient conclu que ces écrits émanaient d’une secte juive messianisante analogue à celles qui fleurissaient à l’époque de Jésus, pharisiens, sadducéens, etc."
Boyarin, qui se définit lui-même comme juif orthodoxe , ne cesse de mettre en évidence les parentés entre deux confessions qui s’ingénient elles-mêmes à les dissimuler comme un secret honteux.
Dans Mourir pour Dieu (Bayard, 2004), il explorait ainsi les coïncidences entre martyrologes juif et chrétien.
Dans l’ouvrage qu’il prépare actuellement, Boyarin veut montrer que l’Evangile de Marc a tous les traits d’un texte juif.
De même, dans le livre qui vient de paraître, La Partition du judaïsme et du christianisme, il met en évidence la nature profondément "juive" du prologue de l’Evangile selon Jean (les treize premiers versets qui débutent par le fameux "Au commencement était le Verbe") - selon lui un véritable "Midrash " (commentaire juif traditionnel).
Comme sa consoeur de Drew University (New Jersey) Virginia Burrus pour le christianisme primitif, Daniel Boyarin applique à la lecture de la théologie juive des premiers siècles de notre ère les outils forgés par les études de genre et les études culturelles.
Dans son dernier livre traduit en français, Daniel Boyarin remet en cause la théorie de la précoce "séparation des voies" entre judaïsme et christianisme. Il préfère parler de "partition" artificielle opérée aux forceps par les rabbins du Talmud et les Pères de l’Eglise. Tous se seraient ingéniés à construire une orthodoxie et à fabriquer du même coup des hérétiques.
Ces processus se seraient cristallisés autour du Concile de Nicée, qui fixe le dogme chrétien en 325. Pour ce qui est du judaïsme tel que nous le connaissons, la fabrique de l’orthodoxie serait à situer aussi tard qu’aux Ve et VIe siècles, chez les anonymes rédacteurs du Talmud de Babylone. Ceux-ci - les Stammaïm - auraient forgé, par imitation de Nicée, le mythe d’un "concile juif" de Yavneh, lieu situé au sud de l’actuelle Tel-Aviv, où se serait réunie la première académie rabbinique au Ier siècle (en réalité un simple camp de prisonniers romains). "Les orthodoxes sont des innovateurs qui cherchent à prendre le pouvoir, et les "hérétiques" la plus grande partie du peuple", affirme-t-il.
Plus qu’aux "douaniers" théologiques qui dressent des parois étanches entre croyants et déviants, Daniel Boyarin s’intéresse aux "contrebandiers" qui ne cessent de transposer les croyances d’un univers théologique à l’autre, à l’instar de certains trafiquants à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis.
Pour lui, le "binitarisme", c’est- à-dire l’idée qu’il existe une sorte de second Dieu subordonné (le "Verbe" ou "Logos"), constitue une de ces conceptions qui trahit la porosité entre les deux fois rivales. Cette "théologie du Logos" fut largement répandue dans le judaïsme avant que les chrétiens comme Jean puis Justin Martyr (mort vers 165) se l’approprient et que les rabbins du Talmud jugent ses adeptes hérétiques (Minim).
Telle est l’une des innombrables découvertes de ce livre exigeant, qu’aucun lecteur ne pourra refermer en continuant à voir naïvement le judaïsme et le christianisme comme l’un et l’autre se présentent devant leurs fidèles.
D’après la critique de Nicolas Weill parue dans Le Monde des Livres (fin juin 2011)
La Partition du judaïsme et du christianisme (Border Lines) de Daniel Boyarin
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacqueline Rastoin, Cerf, 448 p., 48 €.
L’auteur :
Daniel Boyarin, né en 1946, est un spécialiste d’histoire des religions. Né à Asbury Park, dans le New Jersey, il a une double nationalité américaine et israélienne. Il se définit lui-même comme un juif orthodoxe .
Depuis 1990, il enseigne la culture du Talmud au département d’études proche-orientales de l’Université de Californie (Berkeley).
Daniel Boyarin obtint son doctorat au Jewish Theological Seminary of America. Il a ensuite été professeur à l’université Ben-Gourion du Néguev, à l’Université hébraïque de Jérusalem, à l’université Bar-Ilan, à Yale, à Harvard, à la Yeshiva University et à l’Université de Californie (Berkeley). Il est membre de l’Enoch Seminar et du comité directorial du Journal Henoch. En 2005 il fut élu à l’ American Academy of Arts and Sciences.
Voici un colloque sur Louis Ginzberg à l’Université Hébraïque dans laquelle Daniel Boyarin intervient.
Messages
Bonjour,
Daniel Boyarin obtint son doctorat au Jewish Theological Seminary of America, comment peut-il se définir comme orthodoxe alors qu’il fut formé dans un séminaire conservative ?
Par ailleurs, cette étude qui a l’air très intéressante semble faire appel à une recherche historique qui remettrait en cause des conclusions talmudiques. Considérer que les décrets de R. Yohanan ben Zakaï, la poursuite du Sanhédrin à Yavné , ou encore toutes les discussions relatives aux minim prêtées aux tanaïm, sont en fait une invention des stammaïm... Tout cela ne semble pas correspondre à un chercheur orthodoxe (même moderne, mais si je me trompe sur ce dernier point je ne vais pas tarder à être repris par des connaisseurs).
Si le travail est de qualité, et d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un rabbin mais d’un enseignant d’histoire juive qui n’a pas vocation à publier "un travail de kodesh", je me demande quel intérêt ce professeur a-t-il à se définir comme orthodoxe alors que sa démarche le rapproche bien davantage des conservative .
C’est curieux comme les Juifs français ont souvent une vision schématique et manichéenne du judaïsme et plus particulièrement ici de l’orthodoxie … Des quantités de Juifs dits « orthodoxes » ont fait des études juives universitaires poussées (donc forcément hors des lieux orthodoxes classiques) y compris dans le cadre du JTS . Ce n’est pas parce qu’on fait un doctorat au JTS qu’on est automatiquement Massorti …
Si dès lors qu’on range un orthodoxe universitaire hors de l’orthodoxie , on réduit celle-ci aux strictes haredim et encore, même parmi eux certains ont fait de telles études et manient très bien de tels concepts. Dès quantités d’orthodoxes refusent la langue de bois théologique classique et sont loin d’une vision dogmatique.
On aime à m’accuser sur ce forum de caricaturer les orthodoxes , c’est faux et en l’occurrence, je suis absolument opposé à une vision réductrice de l’orthodoxie autrement plus riche à mon avis.
Ensuite chacun se définit comme il l’entend et Boyarin se définit comme orthodoxe et il en a le look d’ailleurs sous son air un peu original et le mode de vie autant que j’en sache d’un de ses élèves de mes amis.
Sa démarche est celle d’un chercheur universitaire, rien de plus. Un universitaire sérieux laisse sa kippa au vestiaire. Un universitaire en ce sens n’est ni orthodoxe , ni massorti , ni croyant, ni athée, ou alors c’est un piètre universitaire...
Je crois surtout qu’on atteint vite la limite de toutes ces étiquettes qui ne veulent pas toujours dire grand chose et dont les frontières sont souvent floues.
Yeshaya Dalsace
J’avoue avoir du mal à saisir les propos de Bar Plougta.
Si je comprends bien, un chercheur se disant orthodoxe devrait auto-censurer ses conclusions historiques et scientifiques pour être en accord avec les conclusions théologiques... Outre qu’une telle démarche n’aurait absolument rien d’universitaire, elle n’aurait, je pense, rien d’orthodoxe non plus ! "Ehad Bapé, ehad balev, hashem soné" (en gros, Dieu déteste les hypocrites, même orthodoxes ...).
Deuxiement, Bar Plougta se "demande quel intérêt ce professeur a-t-il à se définir comme orthodoxe alors que sa démarche le rapproche bien davantage des conservative ." La aussi j’ai du mal à comprendre... Le professeur en question devrait faire ses choix religieux en fonction de l"intérêt" que ces choix peuvent lui procurer ? Dans ces conditions, la plupart des juifs auraient tout intérêt à devenir athées !
Je pense que le Rabbin Dalsace n’a pas besoin de caricaturer les orthodoxes français, ils le font très bien tout seul.
Cher Monsieur,
Je ne saisis pas l’objectif de votre commentaire qui ne fait que répéter les propos du rabbin Dalsace.
Cet ouvrage semble être vraiment très intéressant du point de vue universitaire. hagoufa kachia, étant donné qu’il s’agit d’un travail de ce type, je me demandais quel intérêt y avait-il à présenter l’auteur comme un orthodoxe ou autre, peu importe n’est-ce pas, puisque nous sommes dans un autre domaine ?
Quant à votre remarque sur les orthodoxes français, qui arrivent bien à se "caricaturer eux-mêmes", elle me semble gratuite, d’autant plus qu’elle est dénuée d’arguments. J’espère que ce ne sont pas mes remarques qui vont ont poussé à une telle médisance.
à une prochaine fois
pour ma part, je me contenterai de remercier vivement le Rabbin Yeshaya Dalsace d’attirer l’attention des visiteurs du site sur les œuvres de Daniel Boyarin. soit dit en passant, la mention "juif orthodoxe " me semble intéressante pour une raison précise : très souvent, ce sont plutôt des chrétiens, et au premier chef les théologiens et universitaires protestants qui, assez seuls pendant longtemps, se sont efforcés, et pour cause, de travailler la question des "ponts", pour ainsi dire !..., entre judaïsme et christianisme. cette mention permet à mon avis ceci, pour un lecteur qui se revendique comme juif : ne pas refermer immédiatement le compte-rendu, et laisser le temps à l’effort de compréhension et d’analyse de se produire. après tout, orthodoxe ou pas, c’est le fait qu’un juif travaille sur ce type de problématique qui est intéressant, novateur et donnant à penser.
propecia xiv viagra :-]] propecia 595 prilosec ewo
Voir en ligne : http://www.bestinsurcompanies.com/