Rabbin prof. David Golinkin, 7 Mars 2020.
Question de Yizhar Hess, directeur général du mouvement Massorti en Israël : au vu de la propagation du coronavirus, est-ce qu’une personne confinée en quarantaine ou craignant d’être contaminée peut écouter la lecture de la Méguila par internet, à la radio ou à la télévision et ainsi s’acquitter du commandement ?
Réponse :
- A. Comme chacun sait, le concept de danger mortel (« Pikouah Nefech ») permet de repousser la plupart des commandements de la Torah. Il est donc évident que si un médecin ou les autorités sanitaires décident que quelqu’un doit rester confiné pendant deux semaines, cette personne doit obtempérer et rester chez lui.
- B. Il est préférable de lire la Méguila en public (Choulhan Aroukh, Orah Hayim 690, 18), mais on a aussi le droit de la lire à la maison. C’est pourquoi, si quelqu’un possède une méguila cachère, il a tout-à-fait le droit de la lire à la maison.
- C. D’une façon générale, je pense qu’il est préférable d’appliquer les décisions les plus souples plutôt que les plus rigoureuses, suivant les célèbres enseignements rabbiniques : « [L’homme] vivra par eux (les commandements) - et il ne mourra pas pour eux » (TB Yoma 75b), « La force qui autorise est préférable » (TB Berakhot 60a) etc.
- D. Dans le cas bien spécifique de la lecture de la Méguila, les sages du Talmud et les décisionnaires postérieurs ont toujours été très souples. On peut lire la Méguila debout ou assis (TB Méguila 21a), deux personnes peuvent lire la Méguila en parallèle (contrairement à la lecture de la Torah), il est permis (en cas de force majeure) de lire dans une méguila incomplète (Choulhan Aroukh, Orah Hayim 690, 3), et avec de longues interruptions dans la lecture. C’est pourquoi il est aussi possible de trouver une solution plus souple dans le cas qui nous préoccupe.
- E. Après l’invention du téléphone, de la radio et du microphone à partir de la fin du XIXème siècle, on a commencé à questionner les décisionnaires sur la possibilité d’écouter la méguila par l’intermédiaire d’un téléphone, de la radio, d’un microphone ou de la télévision.
1. Ceux qui interdisent
Parmi ceux qui interdisent, on trouve des décisionnaires importants comme :
– Le rabbin Yossef Enguil
– Le rabbin Shlomo Zalman Broyn
– Le rabbin Shlomo Zalman Auerbach
– Le rabbin Ovadia Yossef
– Son fils le rabbin Yitzhak Yossef
– Le rabbin Eliezer Waldenberg (Tsits Eliezer)
– Le rabbin Méchoulam Ratta (Kol Mevasser)
– Le rabbin Yéhoshoua Mordékhaï Feiguenbaum
Ils affirment que la voix sortant d’un appareil comme le microphone ou la radio par l’intermédiaire d’une membrane est différente de la voix humaine naturelle d’origine, c’est la raison pour laquelle l’auditeur ne peut accomplir ainsi le commandement. Or, même si c’est exact d’un point de vue scientifique, ils n’ont cité aucune source talmudique interdisant l’usage d’une voix modifiée pour la lecture de la Méguila. Contrairement au chofar, il n’existe aucune source talmudique sur la nature de la voix qui lit la Méguila. Donc, quand bien même la voix serait modifiée par l’usage d’un microphone ou autre, cela ne signifie pas nécessairement que cela soit interdit.
2. Ceux qui autorisent
Parmi ceux qui autorisent, on trouve des décisionnaires importants comme :
– Le rabbin Eléazar Shapira (Minhat Eleazar)
– Le rabbin Yaakov Moché Tolédano (Yam Hagadol)
– Le rabbin Yéhouda Leib Tchirelson (Maarakhé Lev)
– Le rabbin Tsvi Pessah Franck, ancien grand rabbin de Jérusalem
– Le « Hazon Ich »
– Le rabbin Netta Shlomo Shlissel (Yéroushat Pléta) (c’est permis dans un cas d’urgence)
– Le rabbin Yossef Téoumim, chef du tribunal rabbinique de Détroit
– Minhat Aaron
– Mikraé Kodesh
– Pné Mévine
Certains d’entre eux autorisent même la sonnerie du chofar par microphone ou autre appareil électrique.
Mais la plupart font la distinction entre la sonnerie du chofar qu’il est interdit de diffuser par microphone, et la lecture de la Méguila, dont la diffusion par radio permet d’accomplir la mitsva. Et cela parce que la Michna dans le traité Roch Hachana (TB Roch Hachana 27b) enseigne que « si quelqu’un sonne depuis l’intérieur d’un puit ou d’une cave… si on a entendu le son du chofar on s’est acquitté [du commandement], mais si on a entendu le son de l’écho on ne s’est pas acquitté [du commandement] ». La question, de nos jours, est donc : est-ce que le son sortant d’un microphone ou d’un appareil électronique peut être assimilé au chofar même, ou à l’écho du chofar ? Mais dans le cas de la Méguila, il n’existe aucune source talmudique traitant de la nature de la voix lisant le texte.
C’est pourquoi je suis d’accord avec les décisionnaires qui ont statué qu’il était interdit de diffuser le son du chofar par microphone, mais qu’il était permis de le faire pour la lecture de la Méguila.
- F. Halakha pratique
[**A la suite de cette étude, il ressort qu’il est tout-à-fait possible de s’acquitter du commandement de la lecture de la Méguila par microphone, radio, télévision ou Facebook à condition qu’il s’agisse d’une diffusion en direct et non d’un enregistrement.*]
Avec l’espoir que les médecins trouveront rapidement un remède contre cette maladie.
Rabbin David Golinkin
Jérusalem, 9 Adar 5780
Sources pour approfondir (en hébreu) :
– Rabbin Ovadia Yossef , « Yabia Omer », première partie, Orah Hayim 19, 18
– Rabbin Ovadia Yossef , « Yéhavé Daat », troisième partie, 54.
Traduction rabbin David Touboul