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Piégé par le miracle

Piégé par le miracle

Notre parachah nous transporte sur un nuage de merveilleux : la nuée qui nous guide, le passage de la mer des Joncs, les eaux de Marah, la manne…

Laissons-nous guider par un Dieu qui prévient tous nos désirs, remplit toutes nos attentes, met fin à toutes nos angoisses…

Quoi de plus grisant en effet que ce passage de la mer des Joncs où la plus puissante armée du monde est mise en déroute par un peuple de gueux et d’esclaves ? Ou que cette manne qui s’arrête le Chabat ? On croit rêver ! Miracle, miracle, miracle !

Et tout d’un coup, on ne comprend plus : à peine le peuple a-t-il un peu soif en arrivant à Refidim (Exode 17, 1), qu’il semble remettre en cause la possibilité même de l’existence divine : « La Transcendance existe-t-elle au milieu de nous, ou non (néant !) » (Exode 17, 7).

Comment une telle question est-elle possible après autant de miracles ? Il faut être stupide ! Pas du tout : il suffit d’agir comme un enfant gâté (voir Rachi  ). C’est-à-dire de ne pas entendre tous ces « miracles » comme des signes destinés à nous éduquer et à nous responsabiliser, mais comme des fins en eux-mêmes, visant au simple comblement de nos manques, à la pure satisfaction de nos besoins.

Le divin est alors réduit à bien peu, et son action n’est plus perçue comme un signe (‘ot et nes) destiné à être lu, interprété et reversé dans notre action, mais comme un prodige (mofet) destiné à servir l’humain auquel il s’adresse.

Ce n’est plus l’homme qui se découvre interpellé par un signe au service de la Transcendance qui l’appelle, c’est le bébé qui se doit d’être comblé immédiatement par un sein tout-puissant. Ce n’est plus l’homme qui est appelé à servir Dieu et à agir en conséquence dans l’histoire, c’est Dieu qui est appelé à servir l’homme et à le consoler de tous ses manques.

C’est le problème du religieux, c’est-à-dire de la proximité au divin : je peux me sentir tellement proche de Dieu que je colle à lui, m’identifie à lui et croit qu’il s’est identifié à moi et à mon désir – d’où la déconvenue et la récrimination. Et je ne perçois plus que c’est par la distance qu’il peut me parler et me commander, c’est-à-dire m’exiger à moi-même à travers mes actes.

Deux lectures du même texte sont ici départagées : s’agit-il de lire la Torah comme un livre de foi, pour apprendre à tout attendre de Dieu qui un jour nous fera des prodiges ? Ou de la lire comme un livre de signes, qui nous appelle à interpréter ces signes pour les faire agir dans notre histoire ?

Autrement dit, l’important est-il que cela se soit vraiment passé – et d’être ainsi fasciné par la puissance divine dans une pure foi sans discernement qui attend tout de Dieu – ou au contraire l’important est-il que ces signes soient le moyen pour l’Absolu de se retirer de l’histoire pour en appeler à l’homme et à sa responsabilité pleine et entière d’adulte, par-delà les fantasmes de l’enfant ?

Un très beau et très ancien midrach   répond à cette question de la manière suivante : « A propos du verset : « Voici que je me tiens là-bas debout devant toi » (Exode 17, 6). Le Saint béni est-il à dit à Moïse : « dans tout lieu où tu découvres la trace des pas de l’homme, là Je suis devant toi » (Mekhilta, 2ème siècle).

Comme si la présence divine se tenait encore debout devant nous – était encore accessible -, non plus dans le miracle ou l’évidence perceptible, mais dans le retrait où elle laisse place aux pas de l’homme, à son avancée dans l’histoire, à sa responsabilité propre et irréductible.

Celui qui est capable d’entendre ainsi la présence divine au creux des traces de l’homme et de son action, peut frapper le rocher du réel pour le transformer en source d’eaux vives. Et peut nous donner cette Torah qui se révèle à la fois occasion de régression ou de progression, de mort ou de vie. Et nous révèle : à nous de choisir…

Yedidiah

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