PressOrient 7 novembre 2006 | Propos recueillis par Eli Gerson |
Dans un entretien exclusif Sonia Sarah Lipsyc, parle de Pnina Peli, pionnière comme juive orthodoxe et féministe, qu’elle a eu l’occasion de rencontrer : "Une grande dame s’est éteinte à Jérusalem. Née à New York, Pnina fit son « alya » (montée) en Israël vers la fin des années 60. Elle venait d’une famille de rabbins et de Cohen . Elle insistait souvent sur cette double filiation. Elle était l’une, si ce n’est la pionnière de l’avancée des droits des femmes au sein du judaïsme orthodoxe en Israël. (...) Je n’ai pas eu le temps de lui raconter notre lutte difficile pour l’éligibilité des femmes au Consistoire du Bas Rhin. Mais je sais qu’elle aurait été fière de cette avancée... "
¤ Pnina Peli Hacohen, figure emblématique du féminisme orthodoxe , est décédé à Jérusalem à l’age de 74 ans. Que peut-on dire à propos de cette femme, que vous avez eu l’occasion de rencontrer ?
Sonia Sarah Lipsyc : J’ai d’abord rencontré son mari, le professeur et écrivain Pinhas Peli Hacohen, disparu maintenant il y a plus de 10 ans, grâce à André et Rina Neher. C’était vers le milieu des années 80 à Jérusalem où je venais de débarquer ma maîtrise de théâtre en poche. Pinhas l’a parcourue et m’a demandé d’animer un « workshop » sur théâtre et tradition juive au sein de son département d’études juives à l’Université Ben Gourion à Beer Shéva. Je balbutiais alors l’hébreu... Mais il m’a mis à l’aise en me disant que j’avais un enseignement à transmettre. Et puis, il m’a conseillé de rencontrer sa femme. Ce fut le début de mon amitié avec Pnina. Elle était une femme intellectuelle, active, mère de 4 enfants et dotée d’une spiritualité hors du commun. Elle était particulièrement sensible à la dimension de la prière et au chant. Je ne me souviens pas de l’une de nos rencontres où n’avons pas écouté de la musique ou chanté. Dans ce sens, elle était proche de la démarche de quelqu’un comme le rabbin chantant, Shlomo Karlebach dont la synagogue Yakar à Jérusalem se réclame. Rien de ce qui était humain n’était étranger à Pnina qui savait écouter parce qu’elle avait vu ses parents et en particulier son beau-père, rabbin , venant d’une famille qui habitait Jérusalem depuis des siècles, entendre toutes les souffrances des uns et des autres, des hommes et des femmes.
Son écoute était sans tabou et son soutien indéfectible. Elle était la Présidente de « Mitsva », l’une des premières organisations qui accompagnait les hommes et les femmes en difficulté dans leur couple, qui proposait une aide juridique, sociale aux femmes en attente de « guet » (divorce religieux) ou qui aidait celles qui étaient victimes de violences conjugales. Très vite, nous avons créé avec la psychanalyste Nicole Dufour (zal), un groupe d’étude sur les questions de femmes et judaïsme.
¤ Comment peut-on expliquer qu’elle soit si peu connue en France ?
Sonia Sarah Lipsyc : En France, nous avons malheureusement une idée très monolithique du Judaïsme. D’abord, comme s’il n’existait qu’un judaïsme, le judaïsme orthodoxe et comme si celui ci parlait d’une seule voix alors qu’il est traversé de tant de courants ! Il y a aussi parfois chez nous en France et au sein de notre communauté une ignorance voire un mépris du féminisme. Vous savez le mot féminisme c’est comme sionisme pour d’autres, tout juste si ce n’est pas devenu une insulte ! Pour Pnina, le féminisme était une dimension du messianisme et combien je la comprends ! Il s’agissait d’oeuvrer, en usant d’une formule de la littérature kabbalistique, au « tikoun olam » à la réparation du monde en essayant de mettre fin à des injustices. Son indignation ressemblait à celle d’un autre grand, Yishayaou Leibowitz qui considérait que l’évolution du statut de la femme au sein du judaïsme orthodoxe était l’une des urgences à laquelle de façon éthique et concrète, les Juifs et leurs leaders devaient s’atteler ! Bien qu’elle ne se situait pas du tout du même bord politique que lui... Pnina, proche de la pensée de Manitou (Rabbi Léon Askénazi) qu’elle connaissait et admirait, était plutôt de droite. Oui, cette capacité d’indignation et d’agir la caractérisait aussi. Profondément sioniste, elle avait un grand amour du peuple juif. Je voudrais relever aussi qu’avec son mari, ils avaient créé un journal « panim el panim », qu’on pourrait traduire littéralement à la manière Lévinassienne, visage vers visage, face en face, en fait. Dans ce journal, comme dans les « shabbat beayarad » (shabbat ensemble) - ils permettaient à des Juifs, religieux, non religieux de dialoguer, de mieux se connaitre, de mieux vivre ensemble.
¤ Après avoir fait son Aliyah au début des années 70, elle a organisé chez elle un groupe de femmes pour la prière.
En quoi était-ce une idée révolutionnaire ?
Sonia Sarah Lipsyc : Le fait de se regrouper en « havoura » (cercle) pour prier ou lire des psaumes - groupe d’enfants, d’hommes ou de femmes, est l’une des traditions du peuple juif. Pnina a créé, à ma connaissance, en Israël, le premier groupe de femmes qui se réunissait chez elle, tous les « Rosh h’odesh », les néoménies, les premiers du mois, pour lire la Torah dans un « séfer torah » (rouleau de la Torah) et prier ensemble ! Je peux difficilement vous dire ce qu’a été mon émotion la première fois que j’ai vue et entendue une femme lire à la Torah. Des larmes qui me venaient de très loin, d’une participation à ce rite dont nous avions, nous les femmes, longtemps été privées ! Nous aussi avions reçu la Torah au Mont Sinaï et nous aussi pouvions la lire..... Je me souviens aussi qu’il y avait des femmes de différents courants du judaïsme. J’étais en particulier très impressionnée par la « kavana » (la concentration et la ferveur dans la prière) d’une femme à côté de moi, dont j’ai appris par la suite qu’elle était rabbin !
Car voyez vous, j’insiste, c’était là une autre des caractéristiques de Pnina : bien qu’elle agissait en conformité avec la loi juive (halakha ) orthodoxe , sa porte était ouverte à tout un chacune !
Elle organisa aussi ces groupes de prières de femmes à l’occasion de la fête de « Simeh’at Thora » - les femmes dansaient avec les rouleaux de la Torah. Des synagogues orthodoxes comme celle de Yedidya à Jérusalem où les femmes parlent en public et enseignent la Torah le shabbat devant tout le monde, sont une émanation du groupe de prière qu’elle a créé et des femmes qui le fréquentaient.
¤ En 1986, Pnina Peli a donné sa première conférence sur le féminisme et l’orthodoxie . Cette conférence sur « la femme et le judaïsme, la femme et Halacha » est-elle un moment clé dans l’orthodoxie face à l’avancée des droits des femmes ?
Sonia Sarah Lipsyc : Je le crois oui, bien que je n’y ai pas assisté personnellement car j’étais en France à ce moment là. Mais en tant que sociologue, je peux dire que les groupes et forums actuels de femmes féministes orthodoxes - et oui, il faudra s’habituer en France à voir cohabiter ces différents termes et s’en réjouir comme d’une bénédiction - comme Kolech (kolech.org) en Israël ou Jofa (jofa.org) aux USA sont en héritage direct d’initiatives comme celles qu’a prises Pnina à un moment où peu de gens osaient l’imaginer.
Je l’ai comparée à d’autres figures importantes du judaïsme mais Pnina ne ressemblait qu’à elle même, une de ces femmes de la lignée biblique comme Myriam ou Déborah.
Je suis émue et heureuse de l’avoir rencontrée.
Ce que je suis je le lui dois aussi.
Aujourd’hui, je la pleure. Je n’ai pas eu le temps de lui raconter notre lutte difficile pour l’éligibilité des femmes au Consistoire du Bas Rhin. Elles sont maintenant également éligibles dans les deux autres Consistoires où elles ne l’étaient pas encore en France, celui du Haut Rhin et de la Moselle. Une injustice enfin réparée... Mais je sais qu’elle aurait été fière de cette avancée.... Comme de toutes les autres qui sont devant nous, ces combats, que nous continuerons à mener pour que les femmes et les hommes se sentent encore mieux au sein de ce qui leur appartient - leur judaïsme !
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