Il faut faire la différence entre le processus d’écriture et entre la source de la création littéraire. La recherche biblique cherche à répondre à la question technique de la mise en place d’une œuvre dans son contexte littéraire et historique. Elle s’intéresse entre autres aux tensions existant entre le moment auquel une œuvre est censée avoir été écrite d’après la tradition et ce qui en ressort objectivement d’après l’écrit lui-même.
Les approches classiques
Ce genre de questions a déjà été posé par différents commentateurs médiévaux. Ibn Ezra l’a fait à plusieurs endroits de son commentaire de la Tora. De façon allusive il montre une contradiction entre l’opinion de la tradition comme quoi la Tora serait écrite totalement par Moïse et les différents endroits du texte prouvant le contraire. Mais il n’a pas répondu à la question de l’identité de l’auteur si celui-ci n’est pas Moïse.
Abravanel a beaucoup développé ce sujet dans son introduction aux premiers prophètes. Il y dresse une longue liste détaillée d’expressions et de versets contredisant l’opinion traditionnelle sur l’auteur de ces écrits telle qu’elle a été exprimée dans le traité Talmudique Baba batra 14.
C’est en se basant sur ses prémices de recherche que les auteurs modernes ont cherché à déterminer les différentes périodes de rédaction des ouvrages bibliques.
Toute cette recherche ne touche pas à la question de la source primordiale des choses. Abravanel propose des conclusions différentes de celles du Talmud sans pour autant ressentir qu’il heurte la sainteté des textes, partant du principe que de toute façon l’auteur reste un prophète. Il pense juste que la liste donnée dans le Talmud n’est pas la bonne.
Il en est de même dans l’ouvrage de Rabbi Joseph Tov Elem (Espagne 15e siècle), tsafnat paneah, sur le commentaire d’Ibn Ezra sur la Tora. A propos du verset 12,6 de la Genèse et plus particulièrement du mot « az », « alors », il explicite le secret sous-entendu par le commentaire d’Ibn Ezra : « ce mot n’a pas pu être écrit par Moïse lui-même puisqu’à son époque le cananéen était encore dans le pays. Ce mot n’a pu être écrit que par Josué ou un autre prophète. Et puisque nous sommes croyants dans la tradition, que nous importe que Moïse l’ait écrit lui-même ou un autre prophète ? Puisque de toute façon ce sont des paroles de vérité reçu par prophétie ! ».
Pour lui il est clair que l’on peut chercher à comprendre le processus temporel d’écriture, mais on ne peut pas enquêter sur la source d’inspiration de cette écriture.
Il existe cependant des problèmes soulevés par la découverte de contradictions dans le texte et notamment de contradictions éthiques. Il devient alors difficile de conclure comme le fit Rabbi Joseph Tov Elem et de se contenter de cette formule : « que nous importe que Moïse l’ait écrit lui-même ou un autre prophète ? Puisque de toute façon ce sont des paroles de vérité reçu par prophétie ! » En effet s’il existe des contradictions, comment se peut-il que tout soit vérité ? Il faut bien mettre à plat les contradictions.
Il existe plusieurs techniques pour asseoir les contradictions. On peut dire que la contradiction n’est qu’apparente, que l’on peut réconcilier les deux sources antinomiques en apparence en expliquant que l’une ne parle pas du même sujet que l’autre. On peut trouver une nouvelle explication au mot lui-même. Par exemple, on nous dit que l’esclave dont on a percé l’oreille sera esclave « pour toujours » (leolam), et dans un autre endroit on nous dit qu’il sera libre au jubilé. Les sages du Talmud ont résolu la contradiction en disant que « pour toujours » signifiait en fait jusqu’au jubilé. C’est-à-dire qu’ils ont redéfini le concept « d’éternité » (olam) afin qu’il s’accorde avec le deuxième verset.
Le besoin de trouver ce genre de techniques provient de l’hypothèse qu’il n’y a qu’une seule source unique pour tous les écrits. À la lumière de cette hypothèse la technique est parfaitement justifiée. Mais si par contre, on a une vision comme celle de Rabbi Joseph Tov Elem, acceptant qu’il pourrait s’agir de plusieurs prophètes ayant contribué à l’écriture du même livre, la solution talmudique devient moins convaincante. Il faut alors dire le contraire : on ne peut résoudre de façon artificielle une contradiction qui repose sur le fait qu’il y a deux sources différentes.
Quelle méthode préférer ?
Franz Rosenzweig, le grand philosophe juif allemand, s’est intéressé aux problèmes des contradictions textuelles dans une lettre au président de la communauté orthodoxe de sa ville. Il prit comme exemple les deux récits parallèles de la création du monde. « Ce que nous devons savoir sur la création ne peut pas être appris d’une seule de ces deux sources, mais seulement en joignant les deux contenus et en confrontant leurs voix divergentes pour en faire une seule : la création cosmogonique menant vers l’humain dans le premier chapitre de la Genèse et la création anthropologique commençant par l’humain dans le deuxième chapitre. »
Voici l’approche d’un homme de foi à l’encontre de deux chapitres qu’il sait parvenir de deux auteurs différents, mais qui ne remet en rien en cause l’autorité de la Tora, car l’enseignement dont nous avons besoin nécessite ces deux sources.
Mais si les contradictions créent ensemble une œuvre unique et complète, pourquoi ne pourrait-on pas dire à nouveau que tout vient de la même source et a été créée exprès avec des contradictions qui se complètent ? C’est l’opinion du rabbin Mordechai Breuer. Notamment dans un article publié dans « deot » il se confronte avec le problème des styles différents que l’on trouve dans la Tora en l’expliquant au moyen de concepts cabalistiques de la pluralité des facettes divines et donc de la nécessité de l’exprimer dans des styles différents. Il n’y a pas plusieurs auteurs mais un seul, qui s’exprime de façons différentes car la divinité contient elle-même ces styles différents.
Contradictions de valeurs
Cependant cela ne suffit pas à résoudre les problèmes des contradictions au niveau des valeurs essentielles exprimées dans la Tora. Par exemple dans l’exode au chapitre 20, Dieu autorise de faire des autels en tous lieux, exprimant ainsi une idéologie permettant la multiplication des lieux de culte.
Cette opinion semble être celle qui se trouve partout sauf dans le livre du Deutéronome où l’on exige l’unification des lieux de culte en un seul endroit. Là encore nos sages ont trouvé le moyen d’asseoir les contradictions : ils ont dit que cela dépendait des périodes. Mais cela part du principe que tout vient d’une même source. Chez les chercheurs ce genre d’explications n’est pas convaincant parce qu’il introduit dans les écrits des choses qui ne s’y trouvent pas. C’est-à-dire que ces permissions et ces interdits se concerneraient réciproquement et que l’un annulerait l’autre et réciproquement. Alors que dans les écrits rien ne met les deux approches en relation.
Dans le Deutéronome la multiplication des lieux de culte est considérée comme une manière de faire amoréenne, donc impropre. Au chapitre 12 du Deutéronome la dispersion de culte est considérée comme cananéenne. C’est un principe profondément différent de celui exprimé dans l’Exode ou de ce qui est raconté dans les premiers prophètes qui ont toujours laissé multiplier les lieux de culte. Il me semble donc clair que nous avons affaire à des sources différentes reflétant des mentalités différentes et une théologie différente. Cela pose donc à nouveau la question de la source et de l’autorité de cette source. On pourrait ainsi multiplier les exemples.
À partir du moment où nous reconnaissons que quelque chose qui se trouve dans la Bible manque de fondement moral, ou pour le moins dépend de circonstances particulières, l’écriture devient relative par rapport à un temps donné ou un lieu donné, et le problème devient tel qu’on ne peut pas ne pas s’y confronter or cela aussi arrive assez souvent.
La révélation continue
Aujourd’hui ma position qui n’est pas forcément définitive, mais ouverte et susceptible de changement, est qu’à mon avis il y a dans la Bible un développement de la façon dont l’homme perçoit la divinité.
Le divin n’est pas perçu en une seule fois et de manière complète une bonne fois pour toutes. C’est ainsi par exemple que le rapport au culte change avec le Deutéronome. Au départ, dans l’Exode, on exigeait de ne pas imiter les cananéens et leur paganisme ; dans le Deutéronome, il s’agit de ne pas imiter les païens par la multiplication des lieux de culte. La demande de base est la même : se séparer des autres peuples, ne pas imiter leur culte. Mais il y a deux étapes. C’est un exemple de réinterprétation de la parole divine selon les circonstances et l’époque, mais la dynamique reste la même.
Si on me demande pourquoi je crois à la source divine de nos écrits, je répondrai de la manière suivante.
Tout d’abord c’est une relation que j’ai reçu de mes pères. J’ai grandi dans une atmosphère de respect et de sainteté envers ces textes. J’ai vu mes ancêtres étudier et vénérer ces textes pour eux-mêmes : on ne posait pas un livre profane sur la Bible, on l’embrassait quant elle tombait.
Par la suite, lorsque j’ai grandi et commencé à étudier par moi-même les écrits bibliques, j’ai ressenti personnellement ce que mes ancêtres avaient déjà ressenti, leur approche a été la mienne. Je suis convaincu que la particularité et la sainteté du texte biblique est quelque chose qui peut également s’apprendre sans tradition familiale. Dans le cœur de chaque être humain il y a un potentiel de sainteté. Le contact avec des gens pour qui la réalisation de cette sainteté représente quelque chose d’important peut être un enseignement pour celui qui n’a pas de tradition. Le contact avec celui qui étudie la Tora peut faire comprendre le chemin de sainteté que l’on peut y trouver. Mais on peut également trouver son chemin seul, par l’étude, par le contact avec la force extraordinaire qui se tient dans ces pages. L’étude de la Bible demeure un des meilleurs moyens pour découvrir les trésors spirituels qui sont en nous.
On peut me demander pourquoi ne pas étudier les textes des hindous ou des chinois. Je ne nie pas que l’on ne puisse pas s’enrichir par ces textes.
Mais s’il s’agit d’un juif qui cherche un chemin spirituel et une relation spirituelle à son entourage, à sa judéité, ce n’est pas là-bas qu’il le trouvera, mais dans les sources juives.
Parmi ces sources, la Bible juive tient une place particulière et touche à toutes les grandes questions de l’existence : la relation de l’homme à l’homme, la relation de l’homme à son peuple, au monde, au spirituel. Où peut-on trouver ailleurs une telle richesse ?
Moshe Grinberg
Rabbin Massorti , immense bibliste dont l’œuvre a été couronnée en 1994 par le prestigieux Prix-Israël , la plus haute distinction israélienne pour les sciences et les lettres. Maître d’une génération de chercheurs biblistes israéliens. Décédé en 2010
Traduction de l’hébreu : Yeshaya Dalsace qui fut son élève et tient à lui rendre hommage
Pour en savoir plus sur l’auteur :
http://www.massorti.com/Moshe-Green...
Sur le même sujet
Judaïsme et histoire
http://www.massorti.com/Le-rapport-...
La Problématique du Mythe
Messages
Merci pour ces renseignements très clairs et très intéressants. Si vous pouviez donner les sources précise pour iben ezra et abrabanel cela serait génial !
Il me semble cependant que l’approche de votre maitre, ne diffère que trop légèrement des caraïtes. Car il ignore dans sa démarche la présence simultanée de la loi orale guidant les sages du talmud à déchiffrer la lettre. Quand le talmud montre une contradiction entre deux versets (et cela peut être entre deux texte très rapprochés) et donne la solution il utilise des régles de la Tora orale claires et précises ! (ce qui n’empêche qu’à une époque à cause de mal transmission naissent les mahloket )
Même si Iben Ezra et Abrabanel mettent le doigt sur des problèmes que l’on peut soumettre au talmudiste, ils n’ont pas mentionner l’option que la Tora fut écrite par différents auteurs. Pourtant cela aurait été la suite logique de leur raisonnement.
Les caraïtes nie l’existence d’une telle transmission mais vénérent « la lettre » comme étant définitivement parole de Dieu. Votre maitre semble avoir une connection sentimentale profonde avec le texte mais peu intellectuel, même si lui l’est, sans doute.
Quand il ecrit : « On peut me demander pourquoi ne pas étudier les textes des hindous ou des chinois. » La réelle question étant pourquoi preferer le judaïsme à l’indouhisme ? sa réponse : « Je ne nie pas que l’on ne puisse pas s’enrichir par ces textes. » n’y répond en rien !
Quand il dit : « Mais s’il s’agit d’un juif qui cherche un chemin spirituel et une relation spirituelle à son entourage, à sa judéité, ce n’est pas là-bas qu’il le trouvera, mais dans les sources juives. » il n’en sait absolument rien. Moi j’ai passé de nombreuse année dans des lectures et des expériences d’une religion asiatique dont le nom ne vous indiquerait rien et je trouve cela plus passionnant que la Tora. si je suis retourné au racine ce n’est pas par une attraction sentimentale mais par un maturité intellectuel m’obligeant une telle démarche.
Julien.
Ibn Ezra fait souvent allusion à cette question, il emploi en général l’expression « hamaskil yavin » (ou yadom), « l’intelligent comprendra »… si vous cherchez les occurrences vous tomberez sur de nombreux endroits. Vous pourriez lire également Léo Strauss « la persécution ou l’art d’écrire ». De même que Spinoza.
Je vous signale que la chose est classique et qu’il y a rien de nouveau ici. Un bon article sur la critique biblique vous donnera plus de détails.
Pour Abravanel, voir son introduction aux prophètes.
Ce raisonnement n’a strictement aucun rapport avec le karaïsme. Il s’agit tout simplement de l’étude biblique telle qu’elle est pratiquée dans toutes les universités du monde y compris israéliennes et dans de nombreuses institutions juives de qualité, écoles rabbiniques modernes entre autres (y compris la Yeshiva University orthodoxe )…
Votre vision de la loi orale talmudique, que ne rejette absolument pas Moshe Grinberg, me semble un peu naïve mais surtout idéologique. Les choses y sont peut-être un peu moins organisées que ce que vous semblez croire… là-dessus il faudra aussi lire des articles universitaires sur ces questions. Il existe plusieurs volumes de commentaires scientifiques sur le talmud .
Les questions soulevées ici ne peuvent pas être soumises au talmudiste parce qu’elles obéissent à un autre système de pensée : celui du pshat, le sens propre du texte. Les grands maîtres du pshat, comme radak ou rashbam ou Ibn Ezra, laissaient de côté le raisonnement talmudique qui leur semblait impropre à de tels commentaires du texte biblique. Cette école pensée se prolonge dans l’approche universitaire qui s’appuie sur la philologie et non sur les références talmudiques. Le talmudiste ne vous sera donc d’aucune aide.
Il ne faut pas mélanger étude de la bible et talmud . Si vous voulez étudier la bible étudiez la bible, si vous voulez étudier le Midrash , c’est une discipline en soit. L’un bien évidemment éclaire l’autre, mais ce sont des domaines différents.
La suite du raisonnement D’Ibn Ezra et Abravanel se trouve chez les auteurs suivants sur ces questions et abouti aux conclusions des universitaires actuels. On ne construit pas ce genre de raisonnements et de sciences en une seule génération.
Moshe Grinberg était un grand savant, professeur des universités connu dans le monde entier, récompensé par le prestigieux prix d’Israël, juif pratiquant par ailleurs (et rabbin ). Il n’a besoin de prouver ni sa judéité et le traiter de caraïte n’a aucun sens, et encore moins douter de son niveau intellectuel.
Vous semblez ignorer profondément la recherche universitaire juive, c’est une lacune à combler.
Je ne peux parler au nom de Moshe Grinberg, mais il me semble qu’il reconnaît la force spirituelle d’autres religions que le judaïsme et c’est à son honneur. Il fait remarquer que la place pour un juif est dans le judaïsme. Sa réponse me semble évidente. Sa position n’est pas dogmatique c’est tout. C’est personnellement pour cela que je la trouve appréciable.
Votre expérience est différente, certainement intéressante d’ailleurs, mais cela m’étonnerait que le fin fond de l’Asie connecte un juif à son entourage et à la culture juive… Il y a de meilleurs endroits pour cela.
Yeshaya Dalsace
« Il y a dans la Bible un développement de la façon dont l’homme perçoit la divinité »
Un avis personnel : Au travers de ce kaléidoscope de perceptions « humaines », c’est la chance pour une conscience actuelle et ponctuelle de s’appuyer sur le vécu de ses ancêtres ou prédécesseurs pour progresser dans cette perception, en évitant deux écueils majeurs : celui de l’athéisme intégral et revendicatif, et celui de la certitude non questionnante, c’est-à-dire la pure contemplation, qui relève souvent du christianisme par la médiation de la sainteté (enfin, c’est plus un topos qu’une réalité). Le judaïsme serait plus rationnel, rejetant à la fois l’idée d’une contemplation actuelle (la chekhina est quelque chose de plus discret, ténu, qui relève du jardin secret et non de l’exposition et du miracle), et celui de l’incroyance. Je me répète. C’est un fil ténu, une position assez difficile à tenir sur le long terme, et à cet effet deux aides majeurs permettent le maintient « équilibré » : l’appui sur la communauté et sur la vie rituelle d’une part, et pour les plus courageux l’étude des textes talmudiques. Cette étude, c’est comme un gigantesque entrainement. A force de trancher ou d’essayer de trancher de façon sage sur des questions de droit ou de règles de vie, j’imagine qu’on se forge une compétence étendue pour trancher sur des question morales ou spirituelles. Ceci dit, tout paraît beaucoup plus lié et entremêlé, les questions concrètes ouvrant sur d’autres aspects, selon la lecture qu’on en fait.
Pour moi, la porte de la foi, c’est le Talmud . C’est le Talmud qui questionne et questionne encore, comme s’il y avait un sens toujours échappant, toujours à découvrir, une sorte de moelle épinière du texte, le coeur de la Torah, son adn (ça fait plus moderne)…C’est dans la motivation de générations et de générations à lire ce qui n’a pas encore été lu, à relire et relire encore d’une autre manière, que je vois la manifestation du divin. Cela étant, cette vision des choses relève de ma subjectivité et n’engage que moi. Mais comment comprendre que certains hommes puissent jongler avec des kilomètres de texte, ardu et dans une apparente accumulation sédimentaire, comme si c’était dans un espace facile à décrypter ? Les années de persévérance. Certes. Fascinante persévérance, alors.
Tout d’abord , excusez mon mauvais francais.
En reponse au message de "Lirenelle" :
J’ai longtemps etudie le Talmud et meme termine le "Shas".
Ceci je l’ai fais dans differents milieux : Ultra-Ortodoxe pendant
de longues annees avec Rav et "Havrouta", puis seul (Daf Hayomi) , puis en groupe toujours dans le cadre du "Daf Hayomi" mais dans un milieu plus "ouvert".
En ce qui concerne les Agadoth et les Midrashim sur la Bible , ils ne m’ont personnellement apporte aucune reelle reponse au vrai questions que pose la critique biblique (qui est nouvelle pour moi) ou meme que l’on se pose en ecoutant (vraiment) la lecture de la Parasha .
J’ai longtemps pense que c’etait moi le probleme : trop rationnel.
Mais je me suis appercu que ni mes camarades ni mes maitres comprenaient les choses plus profondement et parfois certain Midrash etaient source de plaisanteries plutot que de reflection.
De meme ,comme pour beaucoup d’autre sujets importants : Ou il n’y a pas de reponse ou il y en a trop.
J’ai decouvert la critique biblique "au detours" d’un livre d’archeologie (D’Israel Finkelstein).
Je dois avouer que l’associtaion de ces deux domaines pose de "terribles" questions qu’il devient difficile d’esquiver a mesure que la science progresse.
Bonjour Ab,
juste une petite précision : moi je suis hyper enthousiaste, c’est vrai, mais je suis en phase de découverte, goy quoi. Donc il faut excuser mon côté enlevé : je découvre tout un univers, je m’enthousiasme, etc. Je viens du monde chrétien ou le midrach , ça n’existe pas, ou du moins ça ne se présente sous une autre forme. Là je découvre une quête d’élucidation point par point du texte révélé qui me semble fascinante. Au moment ou j’ai écris mon mail, je ne savais pas ce qu’était une paracha . Maintenant avec internet j’écoute des commentaires de parachiot et de haftarot et ça m’apporte beaucoup, je trouve que la Torah pose des questions fondamentales. Je ne dis pas qu’historiquement les choses se sont passé ainsi. mais à mon avis il ya une sorte de quatrième dimention, un niveau de perception des choses qu’on peut avoir, qu’on peut acquérir, en étudiant profondément la Torah. Pour le Talmud , je m’y attaquerais plus tard, il faut quand même avoir déjà un bon niveau dans le judaisme pour espérer comprendre. Mais dans les commentaires de haftarot du Rabbin Dalsace il y a des références éclairantes au Talmud , c’est à dire des éclairages Talmudiques qui mettent le Tanakh en perpective.
Lirenelle.
Réponse à Ab :
le Bible est elle un livre d’histoire, ou une occasion de formation spirituelle, ou les deux ? J’ai aussi regardé un DVD inspiré des travaux d’Israel Finkelstein, et je ne vois pas ce qui empêche d’avoir la foi également.
La critique biblique insistant sur une composition du texte biblique correspondant à différentes époques historiques tend à revenir sur ses postulats.
Martin Buber et Franz Rosenzweig marquèrent un tournant dans les tentatives de multiplier à l’excès les sources du texte biblique, et marquèrent le début d’une ère nouvelle dans la critique. En effet, ils tentèrent de perçer "le secret formel du récit biblique et sa structure dialogale" tout en insistant sur son unité organique.
De nos jours,beaucoup de critiques bibliques se basent sur cette même méthode sans pour autant remettre en cause l’étude historico-critique. A cet égard il convient de mentioner les travaux de Rabbanim juifs orthodoxes se servant de la méthode critque pour découvrir des hidoushim dans le Tanak ! Voir par exemple ce qu’écrit le Rav Y.D Soloveitchick à propos des deux "Adam" de la création (Le croyant solitaire, p.13). Il y a bien deux récits parallèles volontairement différents pour des raisons bien précises. La source des récits étant bien entendu unique.
De cette manière la critique biblique ne devient plus un obstacle à la foi, mais un outil de compréhension de la volonté divine.
A mon sens la Bible n’a de valeur "absolue" que si elle est le don direct de D. Si la main (la pensee) de l’homme s’en mele comment peut-on faire confiance ?
Ce n’est pas pour rien que le Judaisme comme le Christianisme tiennent a ce que ce soit Moise qui est recu le pentateuque au Sinai et pas un autre prophete a une autre epoque.
AB.
Cher Monsieur,
Qui dit que la Bible doit avoir une valeur absolue ? (c’est une vision qui existe dans l’Islam pour le Coran, mais dans le judaïsme, c’est très discutable). Le judaïsme repose sur la réflexion et l’étude, c’est donc l’inverse de l’absolu, mais un cheminement intérieur.
La Bible elle-même revendique la main de l’homme, c’est même l’enseignement le plus commun « Dieu dit à Moïse pour dire : parle… » Dieu ne parle jamais directement. Il y a toujours de la subjectivité humaine et donc du relatif.
Plus encore, une grande part de la Tora, au minimum le 5e livre, le deutéronome, est dit à l’initiative de Moïse et sans intervention divine dévoilée… Dans le premier, la Genèse, nul ne dit qui parle, c’est un récit…
Il me semble que toute la sagesse du judaïsme est d’être anti littéralisme.
La question de fond n’est pas si Moïse a ou non écrit la Tora, question dépassée, et il est évident aujourd’hui que non, mais de savoir si le texte révélé et lu par le filtre de la tradition juive (encore de la subjectivité humaine) fait sens pour nous ou pas. Tout dépend donc de notre lecture, donc de nous…
Voilà le défit du judaïsme contemporain : faire sens et prouver que la transcendance est toujours bien dans nos textes et dans nos têtes. Si le texte ou les rabbins disent trop de bêtises, il est clair alors que non… Lourde responsabilité donc pour nous juifs aujourd’hui. Chacun est donc au pied du mont Sinaï et doit en faire quelque chose, il me semble que le judaïsme a toujours dit cela.
Enfin, tout cela vient tout de même de Moïse au Sinaï, (archétype de la transcendance), comme le disent si souvent les rabbins à propos de quantité de paroles qui n’ont historiquement aucun rapport avec Moïse (qui n’est d’ailleurs pas une figure historique au sens scientifique du terme).
Si c’était au contraire l’absolu et la parole directe, la Tora devrait avoir un autre style et dire à l’humanité autre chose que le texte que nous avons en main… Si le texte que nous avons en main est effectivement l’absolu, la copie est si mauvaise et raconte tant de détails subjectifs que je n’y croirais pas du tout comme figure de l’absolu. Quel intérêt pour l’absolu de rentrer dans toutes ces histoires d’humains relatifs ? Alors que c’est justement la part de subjectivité humaine qui fait sens et me permets personnellement d’y croire et d’y trouver la transcendance…
Je me situe donc personnellement à l’antipode de la vision absolue et directe de la révélation.
Yeshaya Dalsace
Reponse a Yeshaya.
J’ai bien du mal a eccepter votre point de vue.
Qu’elle est donc la valeur de l’evenement du mont Sinai sinon une revelation directe de D a l’homme.
De meme que tous les miracles de la sortie d’Egypte : "pour que les generations sachent etc....".
Le miracle etant un moyen de revelation de D a l’homme.
Il est vrai que chacun , dans chaque generation, doit faire son chemin par l’etude. Mais alors
qu’elle est la valeur de "Naasse ve nishma" "on fera puis on comprendra" s’il na pas ete dit a l’origine de la religion,
au moment ou la revelation estompait le besoin de comprendre.
Apres avoir etudier longtemps le Talmud j’ai fini par me demander s’il y a avait un coin de terre ferme dans cette mer de discussions et de
contradictions. (A tous les niveaux : Halakha , Ashkafa...).
Il me semblais que le port d’attache etait la Thora ecrite.
En vous lisant j’ai l’impression de perdre pieds la aussi : Plus de repere ni dans le temps ni dans l’espace.
Qui a ecrit la Thora et quand ? Est-ce que tout peut etre "interprete" selon la generation ?
Imaginez-vous un code de la route ou il n’est pas clairement defini a quelle couleur de feux il faut s’arreter.
Abaye dit au rouge et Rava dit au vert ! Quelle tragedie !
La Thora est sensee etre notre code de la route , il lui faut donc etre une reference "absolue" et indiscutable
au moins a son origine, au temps ou il n’y avait pas de "Mahloket ".
Plus tard on peut toujours accuser l’homme d’etre a l’origine de l’erreur et de l’oubli.
De plus, quelle est la valeur d’un message s’il a mille explications dont certaine contradictoires. (malgre tout ce qu’on peut en dire.)
Tsom Kal
AB
Vous touchez à une vraie question en effet.
Pour bien répondre, il faudrait écrire un livre entier et encore !
Je crois qu’il y a trois écoles possibles sur ces questions (schématiquement) :
La première : la révélation absolue, Dieu a tout dit, tout écrit, tout pensé, tout prévu… c’est le point de vue de la partie fondamentaliste du judaïsme. Le problème de cette école c’est qu’elle ne correspond pas vraiment à ce que disent les textes, que ce soit ceux de la Tora, du reste de la bible ou encore du talmud … dans lesquels on ne trouve pas un dogme aussi défini mais plutôt des approches beaucoup plus prudentes et créatives, souvent sous la forme de récits imagés et assez peu réalistes (à mon avis ces textes n’ont jamais voulu l’être et appartiennent à une forme de pensée symbolique assez étrangères à l’homme contemporain trop imprégné de radicalité rationnelle d’où la montée des fondamentalismes). De plus, au regard de ce que nous connaissons de l’histoire aujourd’hui, cette école est très peu convaincante, même pas du tout, d’où la fermeture de ces milieux radicaux à l’étude de l’histoire.
La deuxième : c’est la position de Spinoza, il n’y a jamais eu de révélation… c’est la position rationnellement la plus défendable. Bien évidemment, cela sape les fondements de la religion juive. C’est la position à laquelle adhèrent hélas la plus grande partie des juifs aujourd’hui. C’est en grande partie une réaction contre les excès de la première école. (Pas pour rien que Spinoza se confronte à une communauté juive rescapée du christianisme dogmatique de la contre réforme)
La troisième : c’est une position intermédiaire et nuancée. Il y a bien eu révélation, car il y a bien une transcendance qui parle à l’homme, mais cela ne veut pas dire que techniquement cette révélation se passe exactement comme elle est décrite dans les textes.
Les textes ne sont qu’un instrument pour faire partager l’expérience intime et profonde de celui qui a vécu la révélation. La révélation demeure forcément une forme de voix intérieure, délicate et indéfinissable, donc toute en nuances. La faire partager oblige à passer par une mise en mots, une mise en récit… Le récit ne doit donc jamais être pris au pied de la lettre, cela n’a tout simplement aucun sens, mais doit être étudié afin d’être lui-même source d’inspiration.
Il s’agit donc bien d’une forme de révélation continue sujette à l’interactivité humaine et à la réinterprétation de chaque génération. Il s’agit plus d’une démarche intérieure et d’un travail individuel que d’un « coup de massue » (un coup de Sinaï) reçu à l’improviste sur la tête !
Cette position, tout à fait compatible avec la connaissance scientifique et la démarche rationnelle modernes y compris la critique biblique, se trouve déjà dans la plupart de nos textes, y compris bible et talmud .
Elle est celle de beaucoup de grands penseurs du judaïsme : Rabbi Yehoshua dans le Talmud , Philon, Maimonide , Rosenzweig, Lévinas, Heschel … c’est à mon avis la seule véritablement défendable aujourd’hui. Mais par définition elle est indémontrable puisqu’elle relève plus de la sensation intérieure, d’une forme d’acte de foi, d’un existentialisme, plutôt que du pur raisonnement logique.
Pour la première école, l’éloignement du Sinaï relève de l’oubli et de la perte. La multiplicité des interprétations relève de l’erreur. La rigidité religieuse reste de mise. « Hadash assour min Hatora » toute nouveauté est interdite par la Tora disait le Hatam Sofer père de l’orthodoxie actuelle.
Pour la troisième école, ce sera tout le contraire. Il n’y a pas de perte, il n’y a pas de vrai absolue, il n’y a pas de Tora sans renouvellement du sens. Le judaïsme n’est qu’une constante réactualisation d’une expérience primordiale qui est celle du Sinaï. Chaque juif est l’acteur et le responsable du judaïsme.
Dans le fond, je crois que tout dépend de la construction psychologique de l’individu.
Certains sont tout simplement incapables de comprendre la troisième école beaucoup trop subjective et nuancée pour eux, pas assez rassurante. C’est le cas de saint Paul sur le chemin de Damas pour qui le discours nuancé et créatif des pharisiens n’est pas convaincant, il a besoin d’un coup de lumière jusqu’à le faire tomber de cheval et fonde une religion basée sur la foi en des choses irrationnelles. C’est le cas également de quantités de juifs aujourd’hui qui ont besoin de codes dans la Tora, d’histoires de rabbins miraculeux, de positions religieuses extrêmement tranchées.
Alors que la troisième école va vous dire : « c’est à vous de construire votre propre théologie, c’est à vous de faire le judaïsme ! Et je ne peux rien vous prouver !!! » C’est forcément troublant pour des gens qui n’ont pas les instruments pour le faire ou qui cherchent dans la religion un père de substitution.
Si on regarde bien, ce conflit a toujours existé, il est dans les textes dès le départ.
Pour schématiser, c’est les tables brisées face au veau d’or, c’est la Tora de Moïse face à celle d’Aaron, celle des Lévi (le chant inspiré et subjectif) face à celle des Cohen (le rite rigidifié), celle des pharisiens face à celle des saducéens, celle d’Hillel face à celle de Shamaï, celle de Maimonide face à celle de Nahmanide ou Yehouda Halévi, celle du rav Kook face au Hazon Ish…
Ce qui est très intéressant, c’est que les deux écoles, perdurent toujours… tout simplement parce que la rigidité dogmatique fait partie des besoins de certains êtres humains.
Si l’on voulait compliquer les choses, on pourrait dire également que dans le fond chacun de nous contient un peu des deux écoles, tout est question de dose (chez Maimonide on sent bien ce conflit). Quant à la deuxième, celle de Spinoza (mais aussi d’Elisha dans le Talmud ), elle vient pour faire l’arbitre et obliger les autres à réfléchir.
Personnellement, je pense que la meilleure école est la troisième. C’est la plus authentique, c’est l’ultime vérité qui n’en est pas une, c’est la voie de l’initiation (Moïse qui ne peut pas voir la face de Dieu). Mais comme la Tora est très intelligente, elle ne rejette pas la première école qui est constitutive de la plupart des humains et elle donne la prêtrise à Aaron malgré sa participation au veau d’or ou plus exactement parce que tous les humains ont besoin d’une sorte de veau d’or, donc autant le ritualiser et le formaliser.
De ce point de vue, je pense que le judaïsme fondamentaliste actuel est beaucoup moins authentique que le judaïsme plus nuancé quel que soit sa tendance. Il est même paradoxalement beaucoup plus le résultat de l’histoire dans laquelle il s’inscrit jusque dans son habit et à laquelle il ne cesse de réagir par sa fermeture dogmatique.
Je ne sais si j’ai réussi à éclairer votre lanterne, mais voilà comment je vois les choses… mais un tel sujet mériterait un beaucoup plus long développement.
En tout cas une chose est sûre, les trois écoles seront d’accord que « l’homme ne saurait vivre que de pain ». C’est donc bien la nature même de la manne dont il est question ici.
Sur Naasé venishma, une intéressante étude va bientôt être mise en ligne...
Bon jeûne à vous aussi et nehama pour tout Israël et l’humanité. (Vous pouvez à ce propos écouter mes conférences sur les Haftarot de consolation sur Akadem, cela éclairera mon propos)
Yeshaya Dalsace
J’ai vécu dans le matérialisme athée le plus intégral, et je n’y ai pas été malheureuse.
Le pain avait toujours le gout du pain, la fleur sentait bon, le paysage était joli, et il y avait plein de belles et bonnes choses à apprécier sur terre. Et je me sentais plus d’appétence pour un comportement éthique à cette époque que pour un comportement méchant.
je n’avais pas besoin d’une religion pour ça, j’en étais certaine. La vie me suffisait.
Depuis que la religion a à nouveau droit de cité dans ma psyché, j’ai simplement l’impression que tout a plus de sens. je ne saurais expliquer comment.Pour moi, aucune tentation de fanatisme : d’où je viens, le doute est quand même un ingrédient notable, et noble. Mais je remarque, à force d’étudier, et qui plus est, d’étudier la Torah, ce qui me serait apparu absolument incroyable il y a juste six mois, que mon rapport au monde est plus serein et plus riche, il ya plus de sens un peu partout autour de moi. Illusion ? Peut être.
A la limite, ce n’est pas grave de se tromper. Peut être bien que je me trompe, que je vois mal. Mais si cette erreur devient le sel de ma vie, un très bon moyen de me poser des questions que je ne me pose pas en mangeant mon pain sous l’arbre, tranquilement en train de jouir du présent, si ce questionnement m’élève, alors, que dire ? Qui va me dire que je n’en ai pas besoin ?
S’agit il de transcendance ou d’immanence, ce qui, dans la Torah,à l’intérieur de toutes ces interprétations cumulatives, nous parle de la nature de l’homme, de sa nature et de son destin ?
Franchement, personnellement, je ne sais pas. J’ai envie de croire, parce que si je crois je m’élève à une autre perception des choses, et ce faisant, je ne fais de mal à personne. Et Israêl Finkelstein non plus. D’ailleurs, qui sait, peut être qu’il est plus croyant que nous tous réunis.
Nathalie
Reponse a Yeshaya.
Excusez mon orthographe.
Je dois aller plus loin dans ma question.
Je vais faire reference a un autre ouvrage d’une universite Israelienne :
"Kakh lo katuv batanah" ’ce n’est pas ecrit comme ca dans le tanah’.
Je ne sais pas s’il existe en francais ni meme en Anglais.
Ce livre rapporte des sources exterieures au tanah anterieures au posterieures a son ecriture. Entre autre de la mythologie cananeenne dont les textes on ete retrouve sur des tablettes datant au minimum de 1200 and AVJC.
La partie la plus interessante et la moins subjective de ce livre traite de la partie "Mythologie" de la Thora qui est en fait les premiers chapitres de la Genese.
J’en viens maintenant a ma question :
Si cette partie de la Thora n’est pas historique alors elle a ete ecrite pour nous livrer des messages (allegories).
Le probleme est que l’on retrouve (avec qq modifications) les meme allegories (mythes) dans les anciennes religions Cananeennes est Assyriennes. (Anterieures).
Ainsi, il semble qu’il y est un fond de croyance repondu dans tous les peuples de cette region plutot q’un message profond dans le livre de la Genese.
Autre question :
Jusqu’a quel paragraphe de la Genese les faits ne sont pas historiques :
La creation , Noe , Avraham , la sortie d’Egypte, la conquete de Canaan...
Que reste-t’il de la religion et meme du Sionisme !
AB
Cher AB,
Je vois que vous avez des lectures intéressantes. Il faut bien comprendre que ce que vous découvrez est déjà connu depuis le 19e siècle et que toutes les découvertes faites depuis ne sont allé que dans ce sens.
C’est une évidence que la Tora a été construite, car c’est une œuvre littéraire qui a un processus de construction, sur un substrat de mythes et légendes locales que l’on retrouve ailleurs. Le déluge n’est qu’un exemple célèbre il y en a beaucoup d’autres.
La personne qui a le mieux écrit sur tout cela est le professeur Ezéchiel Kaufman « Toldot Haemouna Haisraelite » (c’est déjà un livre ancien mais qui reste une référence). C’est long : trois gros volumes !
On peut également dire cela de la forme littéraire de la Bible qui s’inspire des formes littéraires de l’époque (poésie égyptienne, poésies et épopées d’Ougarite, Code d’Amourabi…).
Et on peut même aller plus loin : de nombreux rites du judaïsme ancien reprennent des rites déjà existant. Même le shabbat vient du sabatu babylonien…
Il y a donc un fait indéniable : la bible est le résultat d’un long processus d’écriture qui se fait dans une géographie et une histoire particulière celle du proche-orient de l’antiquité. Elle subit de nombreuses influences des différentes civilisations rencontrées.
C’est aujourd’hui la donnée de base d’un point de vue scientifique.
Votre question est celle –ci : dans de telles conditions comment peut-on considérer ce texte comme transcendant ?
La réponse est de l’ordre de la théologie. Plusieurs penseurs importants se sont confrontés au problème. Notamment des penseurs chrétiens qui sont beaucoup plus avancés que les juifs sur ce domaine (Hans Kung par exemple). Mais de grands penseurs juifs également, Abraham Heschel en particulier, mais surtout l’excellent théologien Louis Jacobs.
Le propre du judaïsme moderne est de ne pas ignorer tout cela, au contraire, c’est passionnant ! Et de néanmoins continuer à croire et même de nourrir sa croyance ou son rapport à la transcendance des découvertes contemporaines. C’est le cas de tous les courants du judaïsme moderne : moderne orthodox (pour une moindre part), Massorti , libéraux… la différence entre eux va consister à la façon dont ces connaissances vont influencer la pratique et la pensée.
Le foisonnement de ces courants, leur vivacité (la majorité du judaïsme actuel), l’intelligence des livres écrits par différents rabbins de ces différentes écoles, montre que le judaïsme est tout à fait capable de se confronter à ces connaissances et d’affronter avec lucidité la modernité sans faire l’autruche.
Pour être maintenant un peu plus précis quant à votre question :
Ce n’est pas parce qu’il y a un fond de croyance ou des mythes communs à différentes civilisations qu’il n’y a pas de message profond dans la genèse. L’étude de ces textes montre au contraire leur pertinence extraordinaire pour la modernité. Bien entendu ils ne seront jamais étudiés comme un récit factuel. Mais l’étude juive traditionnelle ne fait pas le contraire. Ezéchiel kaufman montre bien l’originalité de la façon de traiter ces mythes par Israël. C’est même tout à fait extraordinaire !
La remise en question de l’historicité du texte va bien au-delà de la genèse. En fait, très peu de textes sont considérés comme véritablement historiques dans la bible. Même les plus crédibles, fin de la période des rois, ont été remaniés est présentent les choses de façon partiale.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’historicité dans la bible. Tous les récits, y compris ceux de la genèse, comportent une part d’historicité. Mais cela n’a pas d’intérêt pour le théologien. Ce n’est pas l’historicité qui nous fait croire, ou nous fait trouver de la transcendance dans ce texte, c’est l’étude.
La grosse erreur des rabbins francophones (qui sont, dans leur immense majorité, orthodoxes strictes) c’est de ne pas avoir la formation pour se confronter à ces problèmes et de ne jamais les aborder face à leur public. Du coup, un francophone se trouve totalement dépourvu lorsqu’un livre un peu sérieux remet en cause des années de discours rabbiniques.
Je trouve personnellement beaucoup plus intéressant et honnête intellectuellement, d’accepter de me confronter à ces questions sans détour et de montrer à mon public où se trouve la transcendance qui se cache dans les textes et donc que le judaïsme reste vivant. J’espère y être en partie et modestement parvenu dans ma série sur les Haftarot sur le site de conférence Akadem.
Enfin votre question sur le sionisme : je ne vois pas trop le rapport entre la recherche biblique et la remise en cause du sionisme. Le sionisme n’est pas basé sur la véracité historique des textes les plus anciens de la bible. Il y a un fait historique incontournable : le peuple juif existait sur la terre d’Israël il y a près de 4 000 ans, cela quelque soit la façon dont il raconte son histoire et ses opinions religieuses. Au contraire, la critique biblique montre bien cet ancrage géographique et historique. La civilisation juive y était florissante jusqu’au 4e – 5e siècle de notre ère. Les descendants de ce peuple et ceux qui ont adhéré au judaïsme, ont toujours émis le désir de revenir à Sion. Il y a toujours eu une continuité historique entre les juifs actuels et leurs ancêtres sur la terre d’Israël. La plupart des endroits où il y a eu des communautés juives les ont maltraitées, humiliées, expulsées, souvent massacrées, y compris dans tous les pays musulmans (même s’ils n’ont pas atteint les horreurs des chrétiens). Une grande partie des juifs, pour une raison ou une autre, se sont reconnus dans le sionisme au point de venir s’installer en terre d’Israël avec toutes les difficultés que cela représente. Je ne vois absolument pas l’illégitimité qu’il y a dans le sionisme. On peut être critique sur tel ou tel choix politique du sionisme, mais c’est une autre question. Quant Arafat disait : « Jésus le Palestinien », il était tout simplement ridicule. Par ailleurs, il semble qu’une partie des Palestiniens actuels (notamment ceux des villages des collines) soient également des descendants des habitants juifs de l’antiquité. Quant à la revendication palestinienne en général, c’est-à-dire son droit historique en tant qu’habitants du lieu, elle me semble également tout à fait légitime. Le problème reste évidemment de mettre tout le monde d’accord sur un bien petit territoire. Mais c’est une question politique que je ne veux pas traiter ici.
Conclusion : toute la recherche actuelle, Ô combien passionnante et fructueuse, ne doit pas vous empêcher de continuer à être un juif croyant, en recherche de transcendance ce qui me semble plus juif comme démarche que la simple croyance, ni un sioniste militant.
Bien à vous
Yeshaya Dalsace