Cela fait des années, précisément depuis 1988, qu’un groupe de femmes juives religieuses « neshot hakotel » (les femmes du Kotel ) mènent une lutte féministe à la portée symbolique importante : pratiquer librement le judaïsme au mode féminin dans le lieu le plus emblématique du judaïsme : le Mur occidental, le Kotel .
Elles ont choisi une date emblématique également : Rosh Hodesh, le nouveau mois marqué par le début du cycle de la lune, la néoménie, jour qui a l’origine représenterait dans le judaïsme biblique une fête mensuelle de la féminité et les femmes ne devaient pas travailler ce jour-là.
Depuis des années, ces « neshot hakotel » se font violenter et conspuer par des fondamentalistes agressifs. Quel est leur crime ? Elles se rendent sur l’esplanade du Kotel , du côté des femmes et organisent des groupes de prière exclusivement féminins ; dans ces groupes si une femme veut porter le talit , châle de prière traditionnellement porté par les hommes, elle peut le faire, de même pour les tefiline (phylactères). Comme on sort la Tora à Rosh Hodesh, elles apportent un rouleau avec elles et le lisent entre elles, avec donc un minyane féminin (quorum de 10 adultes nécessaire à certaines prières).
De leur côté des hommes orthodoxes les insultent, leurs jettent toutes sortes de projectiles, bouteilles vides, couches usagées, détritus et même parfois des pierres. Elles se font bien évidemment cracher dessus et frapper à l’occasion.
Depuis les années 1990, plusieurs commissions gouvernementales ont proposé des solutions, mais toujours discriminatoires pour ces femmes et cédant donc à la pression des extrémistes religieux. C’est pourquoi en 2000, la Cours suprême d’Israël affirma le droit de ces femmes à prier en paix. Cependant, aucun accord n’a pus être trouvé et régulièrement, ces femmes se font agresser et paradoxalement c’est elles et non leurs agresseurs qui sont arrêtées pour avoir troublé l’ordre public…
Les partis politiques religieux ont à plusieurs reprises tenté de faire voter à la Knesset une loi permettant de condamner à la prison tout individu qui ne respecterait pas les « coutumes » du lieu sacré qu’est le Kotel ou toute femme qui porterait un talit . Un tel projet de loi passa avec succès plusieurs étapes parlementaires grâce à la complicité de partis laïcs soucieux de ménager leur coalition gouvernementale, mais ne fut pas adoptée au bout du compte. Cependant, ces femmes se font régulièrement arrêter par la police et après quelques heures de prison sont relâchées.
Au printemps 2013, pour la première fois, un juge a considéré que leurs pratiques ne portaient nullement atteinte à la sainteté et aux coutumes du lieu et que donc leur prière était légale et conforme aux coutumes juives. Du coup, le Rosh Hodesh suivant ce jugement, la police, au lieu d’arrêter ces femmes, dû les protéger, les rôles étaient inversés. Bien évidemment, les fondamentalistes étaient furieux et se rassemblèrent par milliers pour protester contre ce qu’ils considèrent comme un blasphème, répondant ainsi à l’appel d’un des principaux leaders du monde juif fondamentaliste le rabbin Aharon Leib Shteynman… De leur côté, des centaines de femmes orthodoxes vinrent très tôt le matin pour occuper la place réservée aux femmes et donc empêcher les féministes d’approcher du Kotel .
Ces scènes de lutte entre Juifs firent le tour du monde, offrant une image ridicule du judaïsme.
Le fond du problème :
Le statut du Kotel :
Nofrat Frenkel a été arrêtée par la police en novembre 2009 pour avoir porté un talit et avoir chanté dans l’enceinte réservée aux femmes au Kotel . Cet état de fait, absolument délirant pour une démocratie et qui donc jette l’opprobre sur l’Etat d’Israël, n’a été possible que du fait d’une campagne de longue haleine par des activistes fondamentalistes au sein de l’Etat. Comment en est-on arrivé là ?
A l’origine le Kotel était une petite ruelle où les juifs venaient prier hommes et femmes mélangés et côte à côte, comme en attestent de vieilles photos de la fin du 19e siècle et les nombreux témoignages et descriptions de l’époque, et personne n’y trouvait à redire, à commencer par les hommes ultra-orthodoxes fréquentant ce lieu. Ce fut ainsi le cas jusqu’en 1948, date à partir de laquelle les Juifs ne purent plus y avoir accès du fait de l’occupation jordanienne de la vieille ville. Jusqu’en 1948, le Kotel n’était en rien une synagogue, mais un lieu de pèlerinage et de prières individuels. Parfois de petits groupes de prière s’organisaient, mais sans régularité. Il y eut quelques tentatives d’aménager la ruelle, mais cela suscita immédiatement une réaction hostile des arabes.
En juin 1967, lorsque le Kotel redevint accessible aux israéliens, l’Etat décida immédiatement de raser le quartier arabe attenant afin de dégager une large esplanade pour conférer à ce lieu une valeur symbolique nationale. On y fit de nombreuses cérémonies laïques, comme faire prêter serment aux nouvelles recrues de Tsahal…
La responsabilité du lieu passa du Ministère des antiquités au Ministère des affaires religieuses fin juin 1967 et le Grand rabbin d’Israël en devint dès lors le responsable. En juillet 1967, le rabbinat érigea une séparation entre hommes et femmes, octroyant un espace quatre fois plus grand au côté des hommes. Le Premier ministre de l’époque, Levi Eshkol, ironisa sur cette séparation qu’il compara à une prison, mais ne fit rien de sérieux pour l’empêcher. A l’automne 1967, on creusa sur une profondeur de deux mètres afin de mettre en valeur le Mur en grande partie enfoui sous des décombres et de dégager une esplanade plus basse qui serait réservée à la prière et on aménagea en arrière plan une esplanade plus haute qui serait réservée aux cérémonies laïques. Dès cette époque se mit en place une lutte constante entre le Ministère des antiquités et le Ministère des affaires religieuses autour de la sainteté ou non du périmètre attenant au Kotel , reste du mur de soutènement de l’esplanade du Temple construit par Hérode au 1er siècle avant EC.
A l’origine, il n’existe aucun statut religieux particulier à cette esplanade et ce n’est qu’une coutume ancienne que de venir se recueillir à cet endroit sans pour autant le sanctifier en quoi que ce soit. Les Juifs, après l’échec de la révolte de Bar Kokhba en 135, furent interdits d’accès à Jérusalem et aux restes du Temple. Avec le temps, ils purent accéder discrètement au mur de soutènement et vers le 4e siècle le Midrash (Exode Rabba 2.2) affirma que « la Présence divine ne quitte jamais le Mur occidental » (mais il n’est pas certain que cela ne désigne pas le mur du Temple lui-même et non celui de soutènement). Les chroniqueurs médiévaux signalent la coutume de groupes juifs de venir se recueillir auprès des ruines du Temple, mais en divers endroits et Nahmanide (13e siècle) dans sa description des lieux ne signale pas de coutume particulière au Mur occidental. Le Kotel n’est attesté comme lieu privilégié de recueillement qu’à partir du 16e siècle. L’esplanade du Kotel n’est donc qu’un lieu de passage et de rassemblement, le Mur lui-même représente le reste le plus accessible du Temple. Il n’a pas forcement de sainteté particulière, contrairement au lieu où se trouvait le Saint des Saints sur l’esplanade du Temple elle-même et le Kotel n’est qu’un mur de soutènement. Le véritable lieu saint se trouve plus en profondeur et sur l’esplanade dite « des mosquées ».
Il existe cependant la possibilité dans le judaïsme de consacrer un lieu ouvert pour peu qu’on ait l’habitude de venir y prier, ce qui est le cas ici (voir Rambam Hilkhot Tefillah 11:21). C’est donc l’usage qui s’est établit peu à peu de venir prier devant le Kotel qui confère au lieu un statut particulier, un peu comme une synagogue.
Mais ce statut de toute façon discutable, ne s’applique nullement à la partie haute de l’esplanade du Kotel , cela même si on applique le statut de synagogue orthodoxe à la partie basse. Il ne devrait donc n’y avoir aucun problème pour y organiser des cérémonies où les hommes et les femmes sont mélangés ou encore des groupes de prières féminins comme celui des « neshot à Kotel ». Or les orthodoxes se sont toujours opposés farouchement à toute organisation d’une cérémonie juive égalitaire ou féministe sur cette esplanade du haut.
Quoi qu’on en pense et qu’on le veuille ou pas, environ la moitié actuelle du peuple juif prie de préférence dans des synagogues égalitaires dans lesquelles femmes et hommes sont assis ensemble et où les femmes peuvent monter à la Tora. La mainmise sur le Kotel et l’intégralité de l’esplanade (partie basse comme partie haute) par une orthodoxie intransigeante exclut donc la moitié des Juifs d’un lieu qui devrait être un lieu de rassemblement national où toutes les sensibilités du judaïsme devraient pouvoir s’exprimer dans le respect les unes des autres. Rien que ce fait relève d’une anomalie.
En 1999, face à la demande de plus en plus pressante de groupes égalitaires, le gouvernement signa un accord avec le mouvement massorti afin de transformer l’Arche de Robinson (partie sud du Mur, au-delà de la rampe vers l’esplanade dite « porte des mogrhabim ») en lieu de prière égalitaire. Par mesure d’apaisement, le mouvement massorti accepta ce compromis, mais celui-ci ne résout pas les problèmes et maintient une discrimination notoire. En effet, ce lieu n’est accessible qu’à certains horaires et sur réservation seulement, la place est très petite et il est parfois difficile de satisfaire les différentes demandes pour organiser des Bar/Bat Mitsva . Contrairement à l’esplanade orthodoxe qui profite d’un large budget de l’Etat, tout le matériel doit être fourni par des donateurs privés.
L’actuel directeur de l’Agence juive, Nathan Sharansky cherche à trouver un compromis qui permettrait à toutes les tendances du judaïsme de prier sur l’esplanade du Kotel . En attendant, les heurts réguliers continuent.
Il ressort de l’ensemble de ces données que la situation actuelle entérinant un monopole orthodoxe sur l’esplanade du Kotel n’est plus tenable, n’a pas de justification historique ni même du point de vue de la Halakha et va à l’encontre de la dimension démocratique de l’Etat d’Israël et du respect des différentes communautés égalitaristes de la Diaspora (entre autres 85% du judaïsme américain). Cependant, faut-il pour autant chercher à prier exactement au même endroit que les Juifs orthodoxes ? Dans une telle histoire chacun doit faire preuve de patience et de tolérance envers l’autre. On pourrait imaginer que les mouvements féministes mettent un bémol à leurs revendications sur ce lieu et privilégient de l’exprimer ailleurs ; c’est en tout cas un des arguments entendus souvent dans la bouche d’orthodoxes . Il est donc important de comprendre la revendication des féministes juifs.
Le féminisme juif :
La revendication féministe semble évidente à ceux qui ont une culture féministe, mais elle semble très exagérée et même injustifiée pour bien des Juifs traditionalistes et orthodoxes , c’est notamment le cas en France où le judaïsme est particulièrement rétrograde sur ces questions. Le problème est qu’on ne regarde pas l’enjeu symbolique profond.
Si effectivement le judaïsme et sa pratique représentent un enjeu spirituel, il est difficile de continuer à soutenir que les femmes n’ont pas à y prendre une part active. Il est vrai que dans la société traditionnelle, les femmes juives exprimaient leur piété autrement et notamment en complémentarité de leur mari en assurant un rôle tout à fait différent. Mais ce schéma ne fonctionne plus bien aujourd’hui et il est même choquant, voire violent pour une très grande part du monde juif sensibilisé à la cause féministe.
Si effectivement le rite a un rôle important, que ce rite concerne un châle de prière, la pose de tefiline ou autre chose, comment peut-on sérieusement reprocher à des individus juifs, qu’ils soient hommes ou femmes de vouloir les respecter ?
Une femme juive active a le droit de vouloir exprimer sa spiritualité autrement qu’en assurant la kashroute de la cuisine familiale ou la pureté de la chambre à coucher. Dans la société sécularisée, tant de femmes juives vivent détachées de toute pratique juive, il est donc surprenant de voir des rabbins déplorer que des femmes modernes s’y intéressent encore !
Or pour la loi juive traditionnelle, si les femmes sont exemptées de certains commandements, comme celui du talit ou des tefiline, il n’est nullement interdit de les pratiquer. C’est un peu comme le loulav à Soukot que traditionnellement les femmes ashkénazes pratiquent contrairement aux femmes séfarades. Il n’y a donc aucun interdit pour une femme à vouloir pratiquer ces commandements. La question de la lecture dans la Tora est plus complexe, mais là encore, les arguments pour interdire sont spécieux et clairement orientés par la volonté de maintenir les femmes dans un rapport de soumission au monde des hommes tenant toutes les manettes du religieux dans le judaïsme traditionnel.
Pour une personne sensible à la question du féminisme, la position de l’orthodoxie braquée sur l’idée de la place des femmes dans le culte reste absolument incompréhensible et le signe d’une position réactionnaire et misogyne. Pour des quantités de Juifs aux idées évoluées sur ces questions et qui ont été habitués à un judaïsme d’ouverture, ces discriminassions contre les femmes sont non seulement d’une violence symbolique inadmissible mais le signe d’un judaïsme dans lequel on ne peut plus se reconnaître. Par les idées qu’il véhicule sur la nature féminine et le peu de place qu’il accorde à l’expression spirituelle des femmes, le judaïsme orthodoxe repousse des quantités de Juifs hors de la synagogue. L’enjeu n’est donc pas que le féminisme en soit, mais la pertinence du judaïsme pour des pans entiers du peuple juif que ce soit en Israël ou en Diaspora. Une grande partie de ces Juifs trouvent heureusement un judaïsme d’ouverture dans diverses communautés égalitaires, mais ils sont particulièrement choqués par ce qui se passe en Israël, que ce soit l’agression des femmes du Kotel où les affaires récentes de ségrégations dans des bus. L’image d’Israël en ressort donc ternie et devient celle d’un pays à moitié fondamentaliste qui n’a pas grand-chose à envier avec le fondamentalisme musulman. Heureusement, ce fondamentalisme demeure limité à certains quartiers et pans de la société et une image autrement moderne d’Israël s’offre à nos yeux. Mais c’est ici que le la lutte des femmes du Kotel trouve sa justification, car cette lutte cherche à désenclaver du fondamentalisme un lieu éminemment symbolique pour tout le judaïsme et médiatisé.
Sur le plan purement religieux, une vaste littérature rabbinique a été écrite pour justifier les possibilités pour les femmes de vivre un culte juif entier. Il n’y a aucune interdiction sérieuse de mettre un talit , des tefiline, lire dans la Tora (a fortiori entre femmes). Pour un juif évolué, y compris un juif strictement pratiquant, le combat des femmes du Kotel est donc tout à fait compréhensible.
La montée du fondamentalisme :
Sur le terrain, on assiste depuis les années 1970 à une inquiétante montée en puissance du fondamentalisme juif avec un discours de plus en plus radical. La société juive est très différente de la société musulmane, mais ce phénomène a beaucoup de points communs avec la montée du fondamentalisme dans l’Islam contemporain. S’il est vrai que le fondamentalisme juif est en général non violent, on retrouve cependant des discours similaires et des réflexes assez identiques, même les marqueurs sociaux se ressemblent. Du coup l’orthodoxie juive actuelle reflète une mentalité et exprime des revendications bien différentes de ce que fut l’orthodoxie passée. Elle est notamment dans une réaction constante et une nette opposition à l’encontre d’une société moderne qui elle-même a beaucoup évoluée vers une plus grande ouverture sur bien des sujets, dont celui du féminisme. La stricte orthodoxie est nettement devenue un archaïsme revendicatif et d’opposition à une société occidentale sécularisée.
Le rabbinat d’Israël et l’énorme budget public qui va avec, se trouve aux mains exclusives de l’orthodoxie (ce qui est également une anomalie pour un Etat des Juifs, puisque tous les courants du judaïsme ne sont pas représentés auprès des autorités et que ceux qui ne sont pas orthodoxes sont discriminés par un Etat qui se veut démocratique). Ce rabbinat a progressivement pris un virage de plus en plus orthodoxe pour finir en partie noyauté par le fondamentalisme depuis les années 1980-90. Ce rabbinat dispose d’importants fonds publics qui servent tous la cause d’une idéologie bien précise : l’orthodoxie la plus stricte. On crée ainsi, grâce à l’argent des impôts de tous, des postes de rabbins largement rémunérés à toutes sortes d’endroits où le besoin d’un rabbin reste des plus contestables. L’un de ces postes et celui de rabbin du Kotel . De facto, ce rabbin n’a strictement rien à faire et on ne le voit d’ailleurs quasiment jamais et chaque groupe de prière s’organise spontanément. Sa seule activité fut d’organiser peu à peu l’esplanade en synagogue orthodoxe en dressant une importante séparation entre l’esplanade des hommes et celle des femmes, en faisant suspendre des panneaux demandant aux visiteurs de porter des habits répondant aux critères de pudeur les plus orthodoxes , en s’inquiétant également qu’il y ait des livres de prières à disposition du public (mais bien évidemment ces livres sont exclusivement orthodoxes et aucun livre des autres courants du judaïsme ne sera proposé au public). L’ambiance au Kotel est devenue clairement ultra-orthodoxe .
Peu à peu, on a fait de moins en moins de cérémonies non religieuses au Kotel et le public non religieux s’y rend de moins en moins. En 2009, un sondage indiquait que 90 % des Israéliens trouvaient les signes de séparation entre hommes et femmes trop marqués en ce lieu.
La question de la place des femmes au Kotel et de ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas faire sur le plan rituel demeure un épiphénomène, mais cette épiphénomène est emblématique. Si un état d’esprit démocratique et pluraliste parvenait à s’imposer en ce lieu, ce serait une grande victoire symbolique pour la démocratie israélienne. Si au contraire, l’option fondamentaliste l’emporte, la société israélienne aura fait un pas supplémentaire dans une fuite en avant donnant de plus en plus de force à l’extrémisme religieux et affaiblissant les fondements démocratiques de l’Etat. En ce sens, la lutte des femmes du Kotel ne regarde pas que celles-ci, mais la société juive dans son ensemble.
La mauvaise foi :
Les orthodoxes accusent les féministes d’exploiter le Kotel à des fins idéologiques et donc de ne pas venir là pour prier, mais pour manifester. Même si nul n’a à juger des motivations religieuses des autres, la critique n’est pas tout à fait fausse, car il s’agit bien en effet d’une forme de manifestation politique et de l’exploitation de symboles religieux pour faire avancer un message social et politique. Mais la critique ne tient pas si fort, car d’une part tout acte religieux public comprend une part de social et de politique et surtout, les orthodoxes font régulièrement la même chose et cherchent par tous les moyens à s’accaparer tous les postes clés et les grands symboles religieux du pays. Leur mobilisation par milliers au Kotel le jour où ces femmes veulent faire la prière n’est pas un acte de piété mais un acte politique. Les nombreuses prières publiques organisées à diverses occasions, parfois contre les institutions de l’Etat sont également du même ordre. On peut donc leur retourner le compliment. Somme toute, ces femmes désirent pouvoir prier en femmes libres et autonomes du monde masculin, rien de plus et c’est bien là le nœud du problème.
Les orthodoxes disent que mettre un talit sur un lieu public pour une femme est un geste provocateur, mais l’argumentaire peut-être renvoyé : tout habit religieux ostentatoire peut être considéré comme une forme de provocation publique, de ce point de vue, les ultra-orthodoxes sont une provocation permanente. Si on allait au bout de cette idée, ne devrait-on pas interdire les habits juifs particularistes à New York, Paris et ailleurs ? Même à Jérusalem, pourquoi ne pas considérer le Schtreimel (chapeau de fourrure porté par les hassidim) comme une provocation contre le sionisme ? Pourquoi autoriser les nombreuses manifestations ostentatoires à caractère religieux organisées par toutes sortes de groupes orthodoxes au Kotel et ailleurs ?
Les manifestations ostentatoires de la religiosité juive orthodoxe , que ce soit en Israël ou en diaspora, ne posent aucun problème à deux conditions : d’une part que cela se passe dans des pays démocratiques ayant totalement intégré la tolérance religieuse et d’autre part que l’orthodoxie ne cherche pas à divulguer un message politique par ses accoutrements… La question est en fait un peu la même que celle du voile islamique, celui-ci ne pose problème que si on considère qu’il est le porte-drapeau d’une revendication politique susceptible de changer les fondements de la démocratie… Or, comme de nombreux orthodoxes juifs ont une revendication politique au sein de l’Etat d’Israël visant dans le fond à remettre en cause les fondements démocratiques de l’Etat, on pourrait très bien argumenter contre leurs pratiques vestimentaires… En diaspora, les juifs n’ont aucune revendication politique, mais on peut considérer comme une provocation à la laïcité le port d’habits distinctifs dans les lieux publics et au travail… On ne peut donc revendiquer une liberté de pratiques religieuses et vestimentaire pour soi et la nier pour les autres. Les orthodoxes feraient donc bien de réfléchir à deux fois avant de revendiquer l’interdiction du port du talit par des femmes que ce soit au Kotel ou ailleurs.
Le véritable problème avec le fondamentalisme quel qu’il soit, c’est que celui-ci n’a aucun sens du dialogue, du compromis ou de la tolérance, pas plus chez les Juifs que chez les autres. Le fondamentalisme juif considère que le judaïsme ne saurait être autrement que celui qu’il prône et dénie toute légitimité aux autres sensibilités juives religieuses. Leur intransigeance rend extrêmement difficile toute cohabitation. Faut-il pour autant renoncer au Kotel ? On pourrait à l’instar du philosophe Yeshayahou Leibowitz dénigrer ce lieu devenu parfois une sorte de foire de la piété dans son aspect le plus critiquable et le qualifier ironiquement de « discotel »… Mais pour des quantités de Juifs, le lieu reste emblématique. Il faut donc bien lutter pour « libérer »le Kotel de la main mise fondamentaliste.
La solution :
La seule solution raisonnable est de faire de ce lieu un objet de rassemblement et non de division. Pour ce faire, seule une commission juive pluraliste devrait en régler le fonctionnement. Il n’y a aucune raison que l’orthodoxie en ait le monopole. Par contre, il faut trouver des solutions pour que la sensibilité orthodoxe ne soit pas choquée et puisse prier à sa façon, donc dans une séparation stricte. Mais il y n’a aucune raison, ni halakhique ni politique, pour que des femmes religieuses ne puissent pas mettre un talit ou lire entre elles dans la Tora, au contraire, le rabbinat du Kotel (puisqu’il existe) devrait mettre à leur disposition des rouleaux de la Tora. Enfin, de nombreux Juifs désirent prier en famille, notamment à l’occasion de fêtes familiales comme une Bar/bat mitsva et il faut donc trouver une solution en aménageant un espace convenable pour que des minyanim égalitaires puissent se tenir. La solution acceptée par le mouvement massorti à l’Arche Robinson ne suffit pas et demeure discriminante. De même pour les livres de prières mis à disposition du grand public, toutes les sensibilités juives devrait être proposées, puisque le Kotel est un lieu national et public.
Le véritable enjeu derrière tout cela demeure celui de l’identité de l’Etat d’Israël : Etat des Juifs (mais alors dans le respect de tous) comme le voulaient ses fondateurs ce qu’il n’est pas vraiment jusqu’aujourd’hui puisque menant officiellement une discrimination entre les courants du judaïsme, Etat du judaïsme orthodoxe (ce qu’il a tendance à devenir de plus en plus)… ou encore un Etat véritablement démocratique, mais du coup le qualificatif de juifs et de judaïsme pose problème, mais c’est déjà un autre débat.
En attendant, en ce petit domaine de l’esplanade du Kotel , la défense de la démocratie israélienne repose sur les épaules de quelques femmes opiniâtres et courageuses auxquelles le reste du monde juif, attaché à des valeurs de respect de la personne humaine et d’ouverture, devrait rendre hommage.
Yeshaya Dalsace, mai 2013.
Valérie Stessin, la parité au pied du Mur
Portrait d’une femme rabbin massorti en lutte pour les femmes du Mur paru dans Libération du 7 juillet 2013
Un jour, l’hésitation s’envole. Valérie Stessin décide qu’il est temps d’y aller. Affable, un peu ronde, la cinquantaine plutôt joviale, rien ne la prédispose à la désobéissance civile. Pourtant, ce jour-là, elle rejoint les Femmes du mur, association d’Israéliennes qui se battent depuis 1988 pour obtenir le droit de prier comme les hommes au mur des Lamentations : en lisant la Torah à voix haute, en portant kippa et châle de prière.
On est en avril 2013. Tout cela est encore interdit aux femmes par la loi juive et par celle de l’Etat d’Israël. Ce mois-là, Valérie Stessin fait partie des femmes arrêtées par la police. Elle passe, comme ses compagnes, six heures en garde à vue. Procès gagné, elles sont autorisées à prier comme bon leur semble. Aussi, au mois de mai, pour leur prière mensuelle, nombreuses sont celles qui ont le sentiment de vivre un moment historique. « C’était amusant, se souvient-elle. Les policiers qui nous arrêtaient auparavant étaient cette fois chargés de nous protéger. » Car la décision de la justice n’a pas étouffé l’affrontement. Des centaines d’orthodoxes envahissent l’esplanade pour empêcher l’accès aux femmes. Crachats, jets de bouteilles en plastique, insultes, caillassage des bus qui les amènent. En mai, la prière se solde par deux policiers blessés et cinq manifestants orthodoxes arrêtés.
Pour Valérie Stessin, ce conflit est révélateur d’un problème de la société israélienne : « Les ultraorthodoxes ont un quasi-monopole sur les pratiques religieuses. » Orthodoxes et ultraorthodoxes sont les deux communautés les plus traditionalistes du pays. Les ultras sont reconnaissables, barbus, constamment vêtus de leur lourd habit noir et d’un chapeau à larges bords. Les Femmes du mur sont, elles, surtout issues des communautés libérales et conservatrices. Ces deux derniers courants se sont créés au XIXe siècle. Les libéraux se sont affirmés en réaction aux orthodoxes . Jugeant certaines contraintes religieuses peu adaptées à la vie moderne, ils ont peu à peu accompli un bon nombre de réformes. Abandon de l’hébreu pour les cérémonies, possibilité d’ordination pour les femmes. Le mouvement conservateur, ou Massorti , est né du même désir d’adaptation, mais sans se débarrasser des préceptes de la loi juive. Les conservateurs continuent à utiliser l’hébreu comme langue pour les cérémonies mais acceptent l’égalité entre hommes et femmes.
Cette diversité entraîne des tensions fortes en Israël. A la faveur d’aliyahs (« émigrations » en Terre sainte) récentes de juifs américains et européens, les courants conservateurs et libéraux se développent peu à peu. Immigrée dans les années 80, Valérie Stessin fait partie de ces nouveaux Israéliens, qui ont reçu une éducation à l’occidentale et refusent l’orthodoxie . Née en France dans les années 60 d’une mère séfarade et d’un père ashkénaze, elle n’a pas une pratique religieuse très poussée. « Mes parents avaient eux-mêmes reçu une éducation de "bons Français". Leur identité culturelle juive n’avait pas disparu mais elle ne devait pas les empêcher de s’intégrer à la société française », justifie-t-elle avec le recul. Avec une conséquence pour leur fille : « A l’adolescence, j’avais l’impression que mon éducation juive était une écorce vide, qu’il lui manquait la chair. »
Quand elle fait son aliyah, à 17 ans, elle part travailler dans un kibboutz. Mais à la recherche de « chair », elle choisit l’un des rares kibboutz religieux. Elle n’y reste qu’un an, agacée du peu de place faite aux femmes. Elle s’engage définitivement dans la voie du judaïsme, en suivant des études de philosophie juive, puis en entrant dans l’école rabbinique du mouvement Massorti , à Jérusalem. Dans les années 80, le mouvement conservateur est à un tournant. Contrairement aux Etats-Unis et à la France, et au mouvement libéral, le courant Massorti n’autorise pas l’ordination de femmes. Interdite de rabbinat, Valérie Stessin doit se contenter de suivre un cursus d’éducation juive. Puis les choses évoluent avant la fin de sa scolarité, et la jeune femme peut devenir, en 1993, la première femme rabbine conservatrice en Israël.
Elle se marie brièvement avec un médecin, mais l’union prend fin après la naissance de sa seconde fille.
Suite à ses expériences, elle a défini sa feuille de route : allier foi et féminisme. Elle tient là la chair qui lui manquait. Elle va jusqu’à faire évoluer sa pratique des rites juifs en tant que rabbine. Pour les femmes divorcées, elle propose un rite pour « marquer cet événement important de la vie ». Elle vit de la rémunération pour l’organisation de ces quelques cérémonies et d’une levée de fonds réalisée au sein de son association, Kashouvot. La franco-israélienne lance une autre innovation en 2010 : un service d’aumônerie dans les hôpitaux. Le démarrage est modeste, ne lui offrant qu’une occupation à mi-temps. Elle a toutefois passé sa certification aux Etats-Unis, et travaille à développer le principe, quasi inexistant en Israël.
Agée de 54 ans, elle a peut-être trouvé l’équilibre. Son appartement est à son image : simple, accueillant et chaleureux. Elle y virevolte du frigo à la table, hospitalière et gourmande. Elle est intégrée à sa communauté de Talpiot, un quartier de Jérusalem, loin de l’agitation du mur des Lamentations . La communauté est égalitaire, et les paroissiens plutôt éduqués. Beaucoup d’immigrés, là aussi, dans ce quartier qui se développe très vite. Une rabbine, plutôt de gauche, jusqu’à ce qu’arrive dans la conversation la question palestinienne.
Car Valérie Stessin est bien sioniste. Convaincue depuis ses premiers camps d’été en Israël, adolescente, que la place du « peuple élu » se situe entre le Jourdain et la Méditerranée, elle n’est pas passée par l’aliyah et le kibboutz par hasard. Elle se plaint de ne pouvoir aller facilement à Hébron, voir le tombeau des patriarches. Ce lieu sacré, pour les juifs comme pour les musulmans, est situé en plein milieu des Territoires. Elle ajoute même que contrairement aux juifs, « les Palestiniens qui vivent en Israël peuvent, eux, aller et venir librement », oubliant un peu vite que ce n’est pas le cas des populations des Territoires . La parole se fait moins assurée, plus émue. Elle est consciente que quelque chose ne va pas dans les colonies, qu’un mur de huit mètres de haut sépare les deux peuples. Mais à Talpiot, pas de Palestiniens sinon quelques rares taxis. Le mur est loin. Plus loin, en tout cas, que cet autre mur, le mur des Lamentations , et le combat religieux remporté par les femmes.
Arrêt de la Cour
Voici le lien vers l’arrêt (traduction anglaise) de la Cour reconnaissant le droit des femmes à prier au Mur.
Messages
amen :-)
(well said, rav !)
Bonjour,
Merci à vous, M. Dalsace, d’avoir écrit cet article très intéressant, et de soutenir les "Femmes du Mur" dans leur lutte. En fait, j’aurais trois questions à poser mais, je m’en excuse par avance, ce ne sont pas des questions concernant le fond même de l’article. Cela dit, comme je ne sais pas où les poser autrement, je me permets tout de même de le faire ici :
1°) Vous écrivez que les "neshot hakotel" ont choisi pour leurs rassemblements une date emblématique : "Rosh Hodesh, le nouveau mois marqué par le début du cycle de la lune, la néoménie, jour qui a l’origine représenterait dans le judaïsme biblique une fête mensuelle de la féminité et les femmes ne devaient pas travailler ce jour-là."
Comment sait-on cela ? Certains textes bibliques donnent-ils quelques indications à ce sujet ?
2°) Que sont devenus les habitants du quartier arabe rasé en 1967 pour dégager l’esplanade du Kotel ?
3°) Pourquoi le terrain accordé aux Massortim s’appelle-t-il "Arche Robinson" ? Quelle est l’origine de ce nom ?
Pour le cas où quelqu’un souhaiterait répondre à au moins l’une de ces questions mais ne trouverait pas opportun de le faire sur le site, je laisse mon adresse e-mail : chant.7plus7@aliceadsl.fr
Merci d’avance aux éventuelles bonnes volontés !
J’ai lu avec intérêt votre article au contenu duquel j’adhère. Je suis un sympatisant de votre mouvement même si je n’en fais pas partie.Néanmoins je suis choqué par quatre points :
1°) Vous stigmatisez le judaïsme sépharade, et notamment celui d’Afrique du Nord (je constate que cette mention a disparu de ce texte, mais elle figurait dans une version précédente). Vous présentez ce judaïsme comme rétrograde et orthodoxe . Au delà du fait qu’il m’insupporte de stigmatiser telle ou telle tendance du judaïsme, (nous sommes tous juifs sans adjectifs qualificatifs derrière), je pense que vous ne connaissez pas bien le judaïsme d’Afrique du Nord et en particulier du Maroc. C’était un judaïsme érudit, donc tolérant et ouvert. Il a fallu l’influence lithuanienne ou habbadnique, donc ashkénaze, pour qu’il donne l’image que vous décrivez. Au Maroc, il n’y avait pas de séparation hommes femmes aux mariages et autres fêtes religieuses. Il n’y avait pas non plus cette idolaterie du Rabbin , propre au monde ashkénaze : un Rabbin , même si on le respectait, on pouvait ne pas être d’accord avec lui dès lors que nous avions des arguments, et on ne lui demandait pas à tout moment quelle chaussette il fallait porter quel jour ! Je vous encourage donc à vous renseigner avant de stigmatiser et de traiter une partie de la communauté avec le dédain connu de la part des Ashkénazes, qui parfois traitent les sépharades d’arabes ! (du reste vous mêmes faites le rapprochement)
2°) Il est insupportable de se prendre pour évolués, ouverts, intelligents...qui sousentend que les autres sont arriérés, rétrogrades, stupides. J’ai appris la modestie de considérer que ce que je sais ou suis est relatif, qu’il y a d’autres façons de voir et que je respecte. Encore une fois, je suis d’accord qu’il doit y avoir une façon plus digne de considérer la femme en Judaïsme, mais de là à considérer la votre comme évoluée, ouverte....C’est une opinion mais elle n’est pas la seule.
3°) Autant je suis d’accord encore une fois pour un traitement plus digne de la femme en Judaïsme, autant je réprouve le terme d’égalité, qui sousentend abolition des différences. La femme est différente de l’homme, elle en est différente sexuellement, hormonalement, émotionnellement...et cela induit des différences dans les comportements, sans porter de jugement de valeurs (supériorité ou infériorité) sur ces différences. Je vous suggère donc de trouver un autre terme que égalité
4°) Vous employez sans cesse le mot orthodoxie dont le sens a été dévoyé. Est orthodoxe celui qui suit la voie droite ; c’est plutôt une qualité qu’un défaut, et en l’attribuant à ceux que vous stigmatisez vous leur rendez un hommage soutenu. Encore faut-il savoir quelle est cette voie droite, et là est tout le problème. Je préfère le terme hébreu Mahmir, celui qui en rajoute, et on sait qu’il est interdit d’en rajouter !
Bonsoir Maxime,
Je voudrais réagir aux points 2 et 3 de votre message. Tout d’abord, je ne trouve pas qu’il soit forcément insupportable de se considérer comme évolué, ouvert et intelligent. Après tout, si l’on a une bonne idée, ou une conception intéressante d’un problème, on peut légitimement en être fier, non ? A condition de ne pas se vanter outre mesure, d’accord... Mais bon, il est tout de même possible de mettre en avant, d’expliquer sa propre manière de voir - et d’en être satisfait - tout en reconnaissant que d’autres personnes ont des idées respectables. D’autre part, n’y a-t-il pas certaines limites au respect ? En effet, faut-il respecter le comportement de gens qui insultent des femmes en prière et leur lancent des détritus ?
Par ailleurs, au sujet de l’égalité : il me semble que le terme peut être conservé s’il veut signifier égalité de droits entre hommes et femmes, et non (je suis sur ce point d’accord avec vous) égalité physiologique entre eux.
Cordialement.