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Réjouir sa femme

Réjouir sa femme

Dans la Parasha   Ki Tetsé, la Tora propose, entre autres, deux Mitsvot intéressantes qui nous offrent une nouvelle occasion de réfléchir à la nature de la Halakha   :

L’une consiste à exempter de service militaire le jeune marié, l’autre est le devoir pour le jeune marié de réjouir sa femme.

דברים פרק כד

(ה) כִּי יִקַּח אִישׁ אִשָּׁה חֲדָשָׁה לֹא יֵצֵא בַּצָּבָא וְלֹא יַעֲבֹר עָלָיו לְכָל דָּבָר נָקִי יִהְיֶה לְבֵיתוֹ שָׁנָה אֶחָת וְשִׂמַּח אֶת אִשְׁתּוֹ אֲשֶׁר לָקָח :

« Si quelqu’un a pris nouvellement femme, il sera dispensé de se rendre à l’armée, et on ne lui imposera aucune corvée : il pourra vaquer librement à son intérieur pendant un an, et rendre heureuse la femme qu’il a épousée. » (Deutéronome 24.5)

Réjouir sa femme

La Halakha   donne ici deux injonctions de nature différente.

La première Mitsva incombe à l’administration militaire, elle concerne les critères d’exemption d’un service obligatoire. Dans toute armée, il existe la possibilité de ne pas servir pour telle ou telle raison et toute administration prévoit des cas d’exemption. L’intérêt ici est la prise en compte de la dimension psychique de l’individu et de ce qui fait la valeur d’une vie. On craint en effet que si le jeune marié mourait à la guerre, il ne profiterait pas de ce qu’il a commencé, comme construire une maison, planter une vigne nouvelle, avoir une nouvelle épouse… selon Deutéronome 20.5-7. L’idée est en soi très intéressante puisque qu’elle sous-entend que la vie mérite d’avoir un certain goût avant de se terminer, même pour une bonne cause (la guerre est dans ce texte a priori justifiée, même si discutable)… Ce critère de valeur de la vie mériterait une plus profonde réflexion, mais là n’est pas notre sujet. Du point de vue administratif, il y a ici la prise en compte d’une situation de famille objective, facile à vérifier. Vous vous présentez à la base de recrutement avec votre certificat de jeune marié et on vous laisse repartir...

La Tora nous donne donc ici un exemple de loi administrative comme il en existe dans toutes les législations, facile à appliquer sur des critères objectifs, compréhensible, profondément humaine et réaliste. (On aurait pu imaginer un autre discours dans le style : « le jeune marié ne mourra pas, il sera protégé par Dieu… »). Ce que le couple fera de cette année de répit ne relève pas de l’administration.

La deuxième Mitsva incombe au jeune époux lui-même : réjouir sa femme « וְשִׂמַּח אֶת אִשְׁתּוֹ ». Il réjouira sa femme et non pas il se réjouira de sa femme, précise Rashi  .

Drôle de Mitsva qui demande de réjouir quelqu’un d’autre ! D’autant plus que la réjouissance, la Simh’a est une notion très relative et subjective. L’allusion sexuelle est claire, d’autant que le judaïsme considère par ailleurs que l’époux doit satisfaire sexuellement sa femme avec régularité (Exode 21.10). Il existe d’ailleurs chez les décisionnaires un débat sur la question du minimum à fournir et les différents cas possibles... La Tora ouvre donc la boite de Pandore de la jouissance féminine et demande aux hommes de la satisfaire… Nous n’allons pas nous étendre sur la question de la définition impossible de la jouissance féminine, qui préoccupe tellement la psychanalyse, ni de la question de l’angoisse de l’homme qui se demande toujours s’il sera à la hauteur de l’exigence de jouissance féminine… Le fait est que la Tora en prend acte et le formule explicitement : « qu’il réjouisse sa femme ! ».

Si la première Mitsva était administrative et facile à mettre en place juridiquement, la deuxième relève de l’intimité du couple et donc d’une loi d’une autre nature. On voit mal comment une législation étatique exigerait de quelqu’un : « réjouis ta femme ! ».

Il y a ici une sorte de conseil intime demandant à l’homme de tenir compte du plaisir féminin. A lui de savoir la rendre heureuse (et s’il a des problèmes ou des questions sur les méthodes adéquates, il peut toujours aller demander au rabbin   quelques conseils et même se cacher sous le lit de son Maître pour observer, comme le raconte une truculente histoire talmudique).

Le rapport de ce verset (Deutéronome 24.5) à la femme est donc très différent de celui que l’on trouve au début de la Parasha   traitant de la belle prisonnière qui, après avoir bénéficié d’un mois pour pleurer sa famille est emmenée de force dans la maison du soldat (qui a contribué à tuer sa famille !) et devient sa femme sans qu’on lui demande son avis ! On peut sérieusement douter que la malheureuse y prenne plaisir et le texte sous-entend clairement le viol conjugal…

(Deutéronome 21.10-14) : « Quand tu iras en guerre contre tes ennemis, que l’Éternel, ton Dieu, les livrera en ton pouvoir, et que tu leur feras des prisonniers ; si tu remarques, dans cette prise, une femme de belle figure, qu’elle te plaise, et que tu la veuilles prendre pour épouse, tu l’emmèneras d’abord dans ta maison ; elle se rasera la tête et se coupera les ongles, se dépouillera de son vêtement de captive, demeurera dans ta maison et pleurera son père et sa mère, un mois entier. Alors seulement, tu pourras t’approcher d’elle et avoir commerce avec elle, et elle deviendra ainsi ton épouse. S’il arrive que tu n’aies plus de goût pour elle, tu la laisseras partir libre de sa personne, mais tu ne pourras pas la vendre à prix d’argent : tu ne la traiteras plus comme esclave, après lui avoir fait violence. »

Il faut savoir que les commentateurs voient d’un mauvais œil celui qui profiterait de cette possibilité laissée par la Tora pour satisfaire ses bas instincts sur une malheureuse. Pour le Talmud  , le résultat ne peut être que catastrophique et cela mène directement à engendrer un fils rebelle (sujet qui succède immédiatement)…

La Tora demande donc aux hommes juifs d’être de bons amants et des maris affables et respectueux.

On constate ici que la Tora exige des choses qu’une législation normale ne saurait exiger, elle est clairement d’une autre nature. Elle interdit d’aller à l’armée durant la première année de mariage (même dans le cas où le couple serait d’accord pour le départ) et elle oblige au bonheur…

On peut voir dans cette exigence un exemple d’insupportable intrusion dans la vie privée et intime des individus. On est ici dans un schéma absolument inverse du système occidental qui ne se mêle pas de ces choses-là. Mais seule une loi religieuse transcendante, librement acceptée, peut se permettre d’exiger des individus une conduite adéquate dans l’alcôve de leur intimité.

On peut voir également ici une forme de législation protectrice de l’individu contre lui-même. Le sentiment nationaliste et le désir de devenir un héros pourrait pousser le jeune marié à partir en campagne. La Tora l’oblige à s’occuper de l’essentiel, de son véritable avenir : sa femme. Non seulement la Tora fait preuve de sagesse, mais elle rejoint une part du droit occidental qui très souvent cherche à protéger l’individu contre lui-même. Précisons que le contexte de la sortie à la guerre « Ki tetsé lamilh’ama » est souvent traduit en terme de lutte contre le « yetser hara », le mauvais désir. Il est intéressant de penser que la volonté de partir faire militairement la guerre au détriment de sa femme relèverait ici du « yetser hara » !

On peut également considérer que la Tora exige cette réjouissance du couple, non pas pour lui-même, mais par intérêt collectif. En effet, pour une société dont la famille reste au centre, la construction d’une famille équilibrée et heureuse aura des conséquences sociales positives importantes. Mieux vaut prendre le problème à la racine afin d’éviter des dérèglements sociaux plus tard (dérèglements qui sont clairement sous-entendus au début de la Parasha   avec l’histoire de la belle prisonnière qui tourne mal en engendrant un fils rebelle et une famille malheureuse, déchirée et pour finir, infanticide). Dans une telle hypothèse, le législateur mosaïque fait preuve d’une grande sagesse de gouvernement, faisant passer le bonheur familial et par conséquent l’éducation des enfants (qui sont le véritable avenir) avant les intérêts militaristes et les aventures guerrières… On ne peut avoir de réflexion plus actuelle, en particulier dans le contexte israélien.

Le Zohar va en ce sens et affirme les influences supérieures et mystiques de cette réjouissance nuptiale qui défendrait donc l’intérêt supérieur de la nation… Le Ciel se réjouissant et même se nourrissant des réjouissances conjugales d’ici-bas.

On peut voir également dans cette Mitsva de « réjouir sa femme », une magnifique expression de la voix féministe : le plaisir de la femme, l’épanouissement sexuel et l’accomplissement dans la grossesse qui s’ensuit logiquement l’emportent sur le désir phallique masculin de partir pour des aventures militaires. La douceur passe avant la force, l’intime avant les démonstrations extérieures et guerrières.

Le rabbin   Naftali Berlin (dit le Natsiv   – Lituanie 19e siècle) vient cependant un peu gâcher la fête dans son commentaire « Haemek davar ». D’après lui, il n’y a pas de Mitsva de réjouir sa femme la première année et cette Mitsva se limiterait à une semaine… Pour lui, le jeune marié est bien exempté de l’armée durant un an, mais il peut faire de cette année de vacances militaires ce qu’il veut ; il peut aller faire des affaires ou mieux encore : s’enfermer dans une Yeshiva (ce que précise bien le Ridbaz dans une Teshouva   1.238). Le rabbin   Naftali Berlin fait remarquer qu’il y a un petit problème à rester tranquillement chez soi à réjouir sa femme alors que tout Israël se trouve plongé dans les affres de la guerre…

Mais d’autres (Rambam  , Sefer Hah’inoukh… insistent sur l’obligation de ne pas quitter sa femme pendant un an. Et le Samak (Sefer Mitsvot Katan écrit à Corbeille au 13e siècle – Mitsva 285), livre d’une grande popularité en son temps, insiste fortement sur l’importance de ces réjouissances. Il indique même que l’orgasme féminin chez une femme enceinte est une bonne chose (il ne voit donc nullement l’acte sexuel comme étant exclusivement un moyen de reproduction). Il demande que le mari satisfasse sa femme de préférence une fois par semaine et fasse en sorte de ne pas trop s’éloigner, même pour aller étudier la Tora. Il insiste sur le fait que le mari ne doit pas penser à une autre femme pendant l’acte et que toute union sexuelle doit se faire sous le signe de l’amour, de l’affection et non après une dispute ou, pire encore, en état d’ivresse. Il demande enfin que cela soit fait avec pudeur. Pour lui cette exigence sexuelle s’applique tout au long de la vie maritale et toute femme est en droit d’exiger son bonheur sexuel à son mari. La liberté de ton et l’insistance sur l’importance du plaisir féminin est remarquable pour un ouvrage médiéval écrit à l’ombre des cathédrales.

Il y a donc dans notre verset du Deutéronome « וְשִׂמַּח אֶת אִשְׁתּוֹ » l’amorce d’un petit traité d’éducation sexuelle pour jeune marié et quelques recommandations pour les moins jeunes. La « Lettre sur la sainteté » prodiguant des conseils ira en ce sens, recommandant caresses et mots doux érotiques aux jeunes mariés… Ou encore ce petit poème de Moïse Ibn Ezra (12e siècle) :

De nuit, caresse un sein charmant

De jour, baise les lèvres d’une belle

Silence, ceux qui blâment et te prodiguent leurs conseils

Ecoute plutôt mon avis :

Nous ne saurions vivre qu’avec les enfants de la beauté

Car elles ont été ravies de l’Éden pour subjuguer

Les vivants – et il n’est pas d’hommes qui ne les désire.

On admirera également le souci pédagogique et psychologique que la première année de mariage soit heureuse, car c’est sur cette première année que tout se construit. Un mauvais départ sera beaucoup plus difficile à rattraper, alors que de bons souvenirs renforceront le couple pour longtemps. Comme le dit le Sefer Hah’inoukh : « l’époux doit rester près de sa femme pendant un an afin de s’imprégner de son corps et de son caractère de sorte qu’il ne soit attiré dorénavant par aucune autre femme… » Il affirme également, avec une vision bien classique d’une époque où les mariages étaient arrangés, que l’habitude mène à l’amour.

Nous voyons donc que la Tora n’est pas tout à fait une juridiction comme une autre. On peut y détecter aussi bien le souci collectif, le souci de la famille et de ce qui fonde une société sainement établie, mais aussi le souci du plaisir individuel et de l’altérité du couple. On entend même la revendication du droit à l’orgasme féminin si étranger à une certaine morale, notamment la morale bourgeoise du 19e siècle… L’intérêt militaire et la puissante administration en temps de guerre sont obligés de se plier devant l’avenir d’un couple et plus encore face au droit au bonheur conjugal des femmes ; la folie phallique des mâles doit mettre un bémol à ses désirs de conquêtes militaires, pour se préoccuper au premier chef de la petite voix de l’intimité féminine qui représente bien ici celle de la sagesse…

Yeshaya Dalsace

Eloul 5772

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