Dans quelques jours les juifs du monde entier, pratiquants ou pas, vont célébrer en masse la fête de Kippour, marquant ainsi leur appartenance à la communauté juive.
Cette affluence soudaine soulève à mes yeux une réelle interrogation : comment se fait-il que des hommes et des femmes, qui ne fréquentent jamais nos synagogues, ni lors des fêtes et encore moins le Chabbat, éprouvent le besoin impérieux de diriger leurs pas vers ce lieu de culte ?
Ce ne sont pas nécessairement des gens qui ont renié leur foi et qui sentent la nécessité brûlante de faire techouva. Ces hommes et ces femmes ne viendront peut-être pas la veille, au moment du Kol Nidré et sans doute ne feront-ils pas acte de présence tout au long de la journée, ils vont venir en foule pour Nehilah et écouter la bénédiction des « cohanim ».
Pourquoi précisément à l’heure de Néhilah ? C’est la clôture et bientôt la fin de ce jour de pénitence Tous ont conscience que d’une minute à l’autre, les portes du ciel vont se refermer. Il y a urgence à plaider sa cause et il n’est pas trop tard tant que les décrets divins ne sont pas prononcés.
Cette foule de la vingt cinquième heure est venue in extremis retrouver ses racines, se replonger dans le bain de son enfance, revivre des moments heureux qui ne sont plus que des souvenirs lointains.
Renouer avec le passé, réveiller la flamme qui est en chacun de nous afin de rallumer la braise identitaire. Il y a là un mystère impalpable, indéfinissable, inexprimable : une ferveur ardente qui se propage parmi les derniers fidèles arrivés et qui se communique à ceux qui sont présents depuis l’aube. Ceux-là sont épuisés après avoir tant psalmodié tout au long de la journée. Mourant de soif, courbaturés, brisés par tant de prières, ils étaient à bout de souffle.
Et voici que l’irruption soudaine de ces grappes humaines leur apporte des forces inespérées. Tout le mystère de la Néhilah trouve ici sa véritable signification. Il est vrai que la plupart ne veulent pas voir disparaître le lien qui les rattache au judaïsme.
Mais, en y réfléchissant bien, je crois que ce mystère merveilleux va dans les deux sens : il réveille la fidélité des « juifs de Kippour « mais cette appartenance retrouvée motive aussi ceux qui n’ont cessé de prier Dieu.
Eux qui n’avaient plus de voix pour chanter, plus de force pour se balancer, plus d’énergie pour couvrir leurs enfants de leur taleth, voici qu’ils retrouvent soudain une ultime vigueur. A l’heure de Néhilah, ils réalisent qu’ils ne sont pas seuls. Cette nuée d’hommes et de femmes, arrivés à la synagogue par on ne sait quel miracle, recrée en un instant la synergie de l’unité.
Même s’il y a quelques défections, lorsque Kippour se termine, nous savons qu’ il suffit de quelques poignées de minutes pour sentir ces liens physiques qui nous rattachent au passé le plus reculé et nous communiquent le sentiment de notre unité profonde que les âges n’ont pu affaiblir et qu’aucune force au monde ne saurait briser...
Moise COHEN
Président d’Honneur du Consistoire de Paris