Ce matin, je me suis rendu à une synagogue de mon quartier, à Nice, que je ne fréquente que rarement (trop matinale pour moi), mais cette fois-ci, j’y étais pour des amis qui achevaient un mois de deuil...

Office quotidien normal, en petit comité dans une petite schoul où le dixième n’est jamais de trop pour le Minyan  . Communion avec le deuil de mes amis.

Dans l’après-midi le rabbin  , personnage de prime abord cordial de tendance Orthodoxe   dure, mais que je ne connaissais pas, me téléphone au bureau et me prie fort civilement de ne jamais remettre les pieds à la prière du matin (où je n’avais adressé la parole à personne, sinon à mes amis, le nez dans mon sidour  ). « - Pourquoi ? - A cause de vos idées. - Les connaissez-vous, nous ne nous sommes jamais parlé ?! - Peu importe... Vous êtes Massorti   et cela me suffit... »
Dialogue de sourds au pays de l’absurde.
Mon crime, le voilà : je suis shaliah (envoyé d’Israël où je vis habituellement) auprès de la communauté Massorti   (« conservative   ») de Nice. Ce courant du judaïsme, qui se distingue par un juste équilibre entre traditionalisme et ouverture d’esprit, attire tout naturellement beaucoup de Juifs qui ne supportent plus le climat intellectuel sclérosé et la crispation halakhique qui règnent dans certains cercles de la communauté. Il dérange donc, cela se comprend, par sa volonté et sa capacité d’harmoniser les difficultés générées par la modernité. De là au rejet radical et à l’expulsion d’une synagogue, il y a un pas que je n’aurais jamais cru franchi...

Pour la première fois de ma vie (et, je l’espère, la dernière) on me demande de ne plus venir prier dans une synagogue ! Non à cause de mon comportement, mais à cause de mes opinions, ou plutôt supposées telles, car je n’avais adressé la parole à personne.

L’impensable, pour moi en tout cas, est arrivé, l’intolérance de petits défenseurs autoproclamés de Dieu et du penser « vrai » a encore frappé. Cet état d’esprit exécrable qui a toujours fait les beaux jours des censeurs et des inquisiteurs de tout poil revient régulièrement ronger l’humanité. On pourrait croire la communauté juive à l’abri, il n’en est, hélas, rien. Le paganisme de la pensée est un virus qu’aucun vaccin n’éradique totalement. La grandeur révolutionnaire de la Tora et les constantes mise en garde de nos Sages   n’y font rien ; au contraire, on les bafoue, on les récupère pour de vils intérêts d’hommes de faible foi que le moindre souffle inhabituel ébranle. A l’heure où les synagogues se vident, on croit sauver les quelques personnes venant encore en chassant le premier venu qui se permet de tenter de penser autrement que dans le sens unique.

Si cet incident n’était le fait que d’un extrémiste isolé, il ne mériterait sans doute pas qu’on s’y attarde, mais il est révélateur d’un état d’esprit exécrable dans une partie non négligeable de la communauté juive.

Exemples :
Au lendemain du fameux premier tour des élections présidentielles, à Nice, ville tentée de chavirer vers la droite extrême, la synagogue Maayane Or (Massorti  ) et le FSJU avaient organisé ensemble une conférence où Tristan Mendès France (écrivain et attaché parlementaire) devait traiter de l’antisémitisme en France dans les années 1930, sujet quelque peu d’actualité et à priori rassembleur. Or, ces deux associations se sont vu interdire toute annonce de cette conférence sur les ondes de « Radio Shalom Nitsan » la radio "communautaire". Cette pratique de la censure est monnaie courante, cela n’a donc étonné personne car on finit toujours par trouver normal l’inadmissible...

Ou encore... au cours d’une conversation privée avec un responsable d’une grande organisation communautaire, celui-ci m’avoue que pour lui les Juifs libéraux ne sont plus Juifs... (Faudrait-il suggérer aux terroristes de la rue Copernic, dans les années 70, qu’ils s’étaient trompés d’adresse ?)

L’ignorance, le manque quasi total des connaissances fondamentales de la sociologie, de l’histoire et de la pensée juives ainsi que des problématiques de la modernité règnent en maître, même chez certains cadres communautaires laïques...

Je pourrais continuer et exposer ici une belle série de prises de positions proprement scandaleuses et de conduites qui réduisent les légendaires éthique et intelligence juives au niveau de slogans publicitaires, pas plus. Mieux vaut s’en abstenir, chacun connaît et a été témoin de ce genre de déviances qui se passeraient bien de la pleine lumière et du débat public.

Je pourrais laisser faire, m’habituer comme tant le font, mais je me fais une autre idée de ce que doit être un Juif et sa communauté. J’attends autre chose de la réalité quotidienne et lorsqu’elle ne me plaît pas, j’ai la folie de croire encore qu’il est du devoir et du pouvoir de l’Homme de la changer. Le Judaïsme ne serait peut-être d’ailleurs que cela, car l’Infini ne saurait, par définition, être l’otage des petitesses humaines. Comment un Juif saurait ne pas dire non à l’inadmissible ? Toute la grandeur de notre peuple est là.

Citoyen de la seule démocratie du Proche Orient, me trouvant dans le pays des Droits de l’Homme et de la liberté de conscience, comme chacun luttant contre la désinformation et l’antisémitisme, assistant avec inquiétude à la montée du fanatisme et du fondamentalisme en terre d’Islam, faisant surtout partie d’un peuple, en principe, de culture, de spiritualité, d’intelligence et de dialogue, j’ai la naïveté de m’étonner encore de ce genre de comportements et j’ai l’outrecuidance de les trouver profondément méprisables.

Enfin mes fonctions de rabbin   me mettent quotidiennement en contact avec des personnes venues exposer leurs problèmes, problèmes délicats et souvent hélas très douloureux.
Une porte rabbinique devrait être une porte ouverte pour chercher à résoudre et à apaiser ; le plus souvent c’est devenu une porte qui vous claque à la figure, quand elle n’est pas carrément fermée.
Beaucoup de cas que je reçois arrivent après un long parcours, avec des blessures au cœur provoquées parfois par d’autres rabbins   ou responsables communautaires qu’il est parfois très difficile de panser.
Face à de telles souffrances et en entendant certaines de ces histoires, il me vient un sentiment de dégoût et de honte et surtout on se demande comment les enseignements de nos Sages   pénètrent aussi peu beaucoup de ceux qui sont chargés de les transmettre et de les appliquer.

Face à de tels problèmes, qui sont pléthore, on peut également être étonné de l’absence de débat communautaire sur les grands principes énoncés plus haut.

Alors, on est surtout conforté dans la volonté de proposer une alternative à visage humain, malgré toutes les difficultés et le lourd prix à payer de risquer d’être le paria de coreligionnaires si bien pensants.

Juin 2002
Yeshaya Dalsace
Rabbin   de la communauté Maayane Or, Nice.