Simon Claude MIMOUNI. Le Judaïsme ancien du VIè siècle avant notre ère au IIIè siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins . Presses Universitaires de France, Collection Nouvelle Clio. Paris. 2012.
Pour le dire en bref, cet ouvrage monumental est indispensable, pour acquérir une vision panoramique du judaïsme et de ce qui constitue les sources de notre culture environnante. Plus précisément, ceux qui se définissent comme Juifs, ou comme Chrétiens, ou désireux de découvrir les origines des mondes juif et chrétien, trouveront dans ce livre la matière à enrichir leur réflexion.
L’ouvrage est, assurément, destiné à un public universitaire et savant, d’étudiants et de chercheurs, comme l’atteste l’étendue de la bibliographie et de l’index, conforme à la vocation de la Collection Nouvelle Clio. Mais il n’est pas que cela. Il s’adresse aussi, du moins le pensons-nous, à bien d’autres lecteurs encore : tous ceux qui s’intéressent à « l’histoire et ses problèmes » (ce qui est le sous-titre de la Collection).
Concernant l’objet du livre, il est, on l’a déjà compris, hors de question de le résumer. Le titre de l’ouvrage est d’ailleurs suffisamment explicite.
Il nous suffira de dire que le lecteur, juif ou non, y trouvera des réponses, ou, mieux encore, des questions et des problèmes, par rapport aux sujets qui l’interrogent en ce qui concerne le monde dans lequel nous vivons, par rapport à ce que l’on nomme habituellement « religion », et qui se trouve soumis à analyse historique.
Il s’agit certes des racines de ce que l’on nomme habituellement « judaïsme », ainsi d’ailleurs que du christianisme. Il s’agit aussi d’une tentative d’écrire l’histoire, et de marquer là et où l’histoire n’est pas encore écrite. Ce faisant, nombre de certitudes acquises, c’est-à-dire de légendes militantes, se trouvent soumises à l’aune de la critique. L’ouvrage met en lumière l’état actuel de la recherche, et permet aisément d’avoir accès aux ouvrages dans lesquels telle ou telle thématique se trouve déjà traitée.
La présentation sous forme de thématiques et de dossiers permet au lecteur d’aller chercher les sujets d’étude qui l’intéressent plus particulièrement. Il s’agit néanmoins d’une écriture historienne qui se laisse également lire, et relire, comme un livre, et en aucun cas comme une simple présentation d’éléments disjoints.
Dans cet ouvrage, bien des préjugés se trouvent battus en brèche. Pour n’en citer qu’un parmi d’autres, une prétendue autarcie de la genèse et du développement du judaïsme se trouve confrontée à l’enquête historienne, qui noue l’histoire religieuse à l’histoire politique, économique et sociale, ainsi qu’à l’histoire des idées. Le judaïsme n’est, ni un isolat, ni une religion. Tel du moins est le cas de ceux qui sont nommés les judéens, et de leurs successeurs. En tant que « judaïsme », il a d’ailleurs une histoire, ou des histoires distinctes, où nous nous trouvons confrontés à une complexité omniprésente.
De manière plus précise encore, il s’agit dans ce livre de présenter des analyses, un état de la recherche, et des ouvertures sur des travaux à venir selon une perspective scientifique, et non pas doctrinaire ou militante. Ce faisant, ce livre effectue, à sa manière, une version de l’œuvre historienne, selon un type d’écriture qui rend compte de ses présupposés.
Je n’ai pas été étonné de retrouver, parmi beaucoup d’autres, des références aux auteurs de la tradition critique ouverte par S.Schechter , et toujours active dans le mouvement conservative . Concernant le site de parution de cette modeste contribution, c’est évidemment un plaisir – qui était prévisible – de signaler la présence, en bien des endroits, du renvoi aux travaux du Pr. Mireille Hadas-Lebel.
Les réflexions conclusives de l’ouvrage tracent notamment les contours de ce que devrait être une perspective scientifique, et non confessionnelle, concernant les rapports du rabbinisme et du christianisme, et une redéfinition souhaitable des « études juives », selon laquelle le christianisme des trois ou quatre premiers siècles serait intégré dans la recherche historienne de cette discipline.
Plus précisément, le christianisme se définit comme religion et veut aussi définir le rabbinisme comme tel, alors qu’ils appartiennent à des « catégories complètement différentes ». En page 586, il est écrit : « Si l’on part du point de vue des rabbins , le christianisme est une religion, et le rabbinisme n’en est pas une, du moins jusqu’à la tentative de Maimonide et surtout jusqu’au temps de la Modernité pour voir émerger la notion de « foi » juive . »
Pour le dire en bref, dans ce qui n’est ni un compte-rendu, ni une recension : j’invite à lire ce livre, qui est un chef d’oeuvre de subtilité et d’érudition, dont j’avoue que je l’attendais depuis longtemps dans le domaine des Sciences Humaines. En particulier, je crois que de nombreux lecteurs retrouveront des traits familiers : en lisant les descriptions de ce qui fut le courant majoritaire du judaïsme, ni pharisien, ni essénien, ni chrétien, et que l’auteur nomme le « judaïsme synagogal », je pense à titre personnel que nombre de lecteurs retrouveront le vif d’expériences actuelles.
Il me semble que le motif essentiel pour lire ce livre est le suivant : comme le soutenait Spinoza, auteur du Traité des Autorités Théologiques et Politiques, « l’ignorance n’est pas un argument ». Je crois que le livre de Simon Claude Mimouni est à cet égard très clairement, à sa manière et pour ainsi dire, un ouvrage « spinoziste »…
Jean Claude Giabicani (Docteur en philosophie, membre de la communauté DorVador)