La Libye actuelle couvre deux régions historiques assez différentes : la Cyrénaïque à l’Est et celle de Tripoli à l’Ouest.
La présence juive est avérée dans cette région depuis au moins le quatrième siècle avant l’ère chrétienne. Les Juifs de la région sont signalés dans les archives des Ptolémés (dirigeants hellénisants de l’Egypte à l’époque). Les Juifs étaient alors souvent mercenaires et chargés de mettre en valeurs des terres agricoles.
En 74 avant l’ère chrétienne, la région tomba sous domination romaine. Sous la domination romaine la communauté était prospère et avait son propre amphithéâtre et sa synagogue.
On sait que cette communauté envoyait le Demi-shekel à Jérusalem régulièrement. C’était une communauté qui avait ses privilèges reconnus par l’autorité romaine. Elle était sujette à des frictions avec la population grecque et possédait un statut intermédiaire entre la citoyenneté et le statut d’étranger.
En Cyrénaïque, la population juive était essentiellement rurale. Elle travaillait dans tous les corps de métiers : artisanat, agriculture, parfois commerce. L’aristocratie juive était fortement hellénisée. La plupart des Juifs étaient relativement incultes et pauvres.
Au premier siècle, il existe à Jérusalem une synagogue de gens originaires de Cyrénaïque.
En 73 de l’EC, Jonathan le visionnaire, un zélote excité souleva la population juive contre le pouvoir romain et amena de nombreuses personnes dans le désert en en leur promettant une victoire miraculeuse. Cela tourna bien évidemment au massacre et les romains en profitèrent pour exécuter 3000 Juifs riches et confisquer leurs propriétés.
En 115, sous Trajan, il y eut un grand soulèvement juif en Cyrénaïque, en Egypte et à Chypre. L’empereur était alors en campagne contre les Parthes… Mais cette révolte fut un échec très durement réprimé par les romains.
La région de Tripoli fut peuplée plus tardivement par des Juifs que la région de Cyrénaïque, mais la présence juive est attestée sous plusieurs empereurs. Saint-Jérôme signale une forte présence juive du Maroc à l’Égypte.
Dans la région, des Juifs continuèrent à habiter et on les signale au début de l’ère islamique (7e siècle). En 642, la région devient musulmane. Les Juifs adoptèrent le statut de dhimmi. On a peu de sources sur cette période.
De 1551 à 1911, la région fut sous domination ottomane. Cette période fut profitable pour les Juifs qui se mirent à prospérer à nouveau.
R. Simeon Labi, réfugié espagnol et kabbaliste s’installa à Tripoli (1549–80).
À Tripoli on signale à l’époque une forte communauté originaire de Livourne, essentiellement commerçante et prospère qu’on appelle Gornim.
En 1663, Abraham Miguel Cardozo mena une campagne sabbatéenne.
En 1705, les Juifs de Tripoli furent sauvés d’un pogrom fomenté par des extrémistes musulmans. Ils établirent alors un pourim spécial.
En 1785 ils furent à nouveau sauvés et établirent un autre pourim spécifique.
Les Juifs de Libye vivaient dans des quartiers spéciaux appelés (ḥārah) ou encore des rues réservées. Dans deux villages du Jebel Gharyān et Tigrinna au centre de la Tripolitaine, les Juifs vivaient dans des caves sous la terre jusqu’à leur immigration vers Israël en 1950–51.
Au 19e siècle, 1/3 de la population de Tripoli était juive et il y avait huit synagogues pour environ un millier de Juifs.
En 1911, les Italiens conquirent la Libye, mais des régions entières, notamment en Cyrénaïque ne furent pas totalement soumises.
L’occupation italienne fut plutôt profitable aux Juifs dans un premier temps.
En 1931, il y avait 21 000 Juifs, soit 4 % de la population totale du pays et 15 000 vivaient à Tripoli.
À partir de 1936, les Italiens instaurèrent des lois fascistes puis antisémites. Les Juifs furent expulsés de certains postes, de clubs sportifs et durent porter un tampon spécial sur leur carte d’identité.
Durant la guerre, l’arrivée des Anglais à Benghazi en 1941 fut une délivrance et la communauté juive était en liesse. Cela ne dura pas longtemps car les Italiens ont repris la ville. De jeunes Arabes en profitèrent pour frapper les Juifs et en tuer quelques-uns. Les Britanniques revinrent, mais les Juifs restèrent prudents ; à juste titre car dès 1942, les troupes allemandes envahirent la région. Les magasins juifs furent pillés et 2600 personnes déportées dans le désert à 240 kilomètres au sud de Tripoli où ils survécurent dans des conditions très difficiles, mais 562 personnes moururent d’épuisement et du typhus.
À Tripoli également, les hommes en âge de travailler étaient réduits aux travaux forcés, les biens confisqués.
Les Juifs qui avaient la nationalité française ou britannique furent considérés comme des ennemis et déportés dans les camps en Europe.
Dans les villages beaucoup de musulmans ont aidé les Juifs, alors que dans les villes, les jeunes nationalistes musulmans étaient soumis à la propagande fasciste et brutalisaient les Juifs.
Durant l’occupation britannique de 1943 à 1951, les Juifs eurent à subir de nombreuses exactions de la part des Arabes. Les boutiques juives étaient pillés régulièrement, des Juifs étaient molestés, mais plus grave : plusieurs centaines furent mis à mort et de nombreuses synagogues brûlées. L’armée britannique ne parvenait pas à protéger les Juifs en partie du fait que beaucoup de soldats de cette armée dans la région étaient eux-mêmes arabes et certains se joignaient même aux émeutes.
En 1948, à l’annonce de la création de l’Etat d’Israël, les émeutes anti-juives reprirent de plus belle. Les Juifs avaient formé des groupes d’autodéfense et barricadaient les quartiers Juifs, il y eut cependant plusieurs morts.
Si avant la guerre les Juifs se sentaient italiens, après le fascisme, ils décidèrent de partir pour Israël et 95% des émigrants ont immigré en Israël entre 1949 et 1951.
En 1951, il restait encore 8000 Juifs en Libye.
En 1967, des émeutes anti-juives tuèrent plusieurs personnes. Les Juifs partirent essentiellement pour l’Italie et Israël.
En 1969, à l’arrivée de Kadhafi au pouvoir, il ne restait plus que quelques centaines de Juifs. Ils furent tous enfermés dans un camp, soi-disant pour les protéger, y compris ceux de nationalité étrangère. Ils furent interdits de quitter le pays. La plupart le firent de façon clandestine dans les années 70.
Le 21 juillet 1970, le régime révolutionnaire de Kadhafi nationalisa tous les biens Juifs en déshérence et son arrivée au pouvoir marqua la fin de près de 2500 ans de présence juive en Libye.
Yeshaya Dalsace
Messages
Ironie de l’histoire : des informations apparemment sérieuses donnent à penser que la grand-mère maternelle de Kadhafi était une juive convertie à l’Islam à la suite de son mariage avec un cheikh. Certains en plaisantent en Israël où l’on se demande si Kadhafi (qui serait donc juif du point de vue halakhique) va faire prévaloir son "droit au retour". Au-delà de l’humour noir, c’est une bonne matière à réflexion dans le débat sur la matrilinéarité...