Le plus souvent, l’Etat d’Israël ne récupère que les corps de soldats qui pourtant avaient été capturés vivants !
La question reste extrêmement délicate, puisqu’elle est liée à des questions de politique, de terrorisme et à la problématique humanitaire de récupérer des otages ou même leur corps pour que les familles puissent faire leur deuil. On peut cependant légitimement poser la question de la nécessité de certains de ses échanges.
Dans le cas, d’Ehud Goldwasser et Eldad Regev, tous les deux capturés vivant à la suite d’une violation de frontière internationale en 2006, Israël n’a pu récupérer que les corps en 2008. En échanges ont été libérés des prisonniers et notamment un meurtrier Samir Kuntar qui avait, en 1979, pris en otages une famille, tuant le père en lui tirant dans le dos devant sa fille et se retrouvant à cours de balles, massacrant l’enfant, une petite fille de 4 ans, en lui fracassant le crâne avec la crosse de son fusil ! (la mère avait réussi à se cacher).
Le prix à payer reste constamment disproportionné. Un prisonnier israélien est échangé contre des centaines de prisonniers arabes. Le corps d’un soldat mort et récupéré grâce à la libération de dizaines de prisonniers vivants…
De tels échanges de prisonniers ont eu lieu au cours des différents conflits dans la région, conflits entre armées d’Etats reconnus, mais également à partir des années quatre-vingt en négociation avec des organisations terroristes.
Israël a une obligation morale de tout faire pour libérer ses prisonniers. En partant à l’armée, les soldats sont en confiance et savent que le gouvernement fera tout pour leur libération et que l’armée ne les abandonnera jamais.
Israël sait pertinemment que les prisonniers sont gardés dans des conditions exécrables, torturés, mal soignés et parfois même assassinés. Plus on tarde à les récupérer, moins on a de chances de les revoir vivants.
Mais de l’autre côté, on sait que les prisonniers échangés iront grossir les rangs des combattants terroristes contre Israël. En faisant de tels échanges, on met la main dans un cercle vicieux qui ne peut que pousser les terroristes à prendre de nouveaux otages et à surenchérir. C’est pourquoi la politique israélienne a longtemps été de ne pas négocier avec les terroristes, sous aucun prétexte.
Point de vue de la Halakha :
Depuis toujours, le judaïsme a mis en avant le principe de rachat des prisonniers. C’est hélas une très vieille coutume que de prendre des juifs en otages en comptant bien sur la solidarité communautaire et la sensibilité juive pour obtenir une large rançon. L’affaire n’est donc pas nouvelle.
Le Talmud définit le rachat de prisonniers comme une grande Mitsva.
תלמוד בבלי מסכת בבא בתרא דף ח עמוד ב
פדיון שבוים מצוה רבה היא
Le même Talmud définit le fait d’être prisonnier comme une chose pire que la famine et que la mort.
Maimonide (Lois sur la Tsedaka 8.10) appelle à ne pas être indifférent au sort des prisonniers en citant plusieurs versets de la Tora.
Tu n’endurciras point ton cœur, ni ne fermeras ta main à ton frère nécessiteux. (deut. 15.7)
Ne sois pas indifférent au danger de ton prochain : je suis l’Éternel. (Lév. 19.16)
Aime ton prochain comme toi-même : je suis l’Éternel. (Lév. 19.18)
Ce principe est repris dans le Shoulkhan Aroukh (Yoreh Deah 252:2) qui considère que celui qui tarderait à faire cette Mitsva serait considéré comme un meurtrier. (Yoreh Deah 252:3).
Maimonide lui-même exhorta ses frères à payer des rançons et on a même retrouvé plusieurs lettres manuscrites de sa main parlant de ce sujet dans la Gueniza du Caire !
C’est donc une immense Mitsva que de tout faire et de se mobiliser pour la libération d’otages.
Cependant, il se peut que le prix soit trop élevé ce qu’examine la Michna suivante :
[(
אין פודין את השבויים יותר על כדי דמיהן מפני תקון העולם ואין מבריחין את השבויין מפני תקון העולם רבן שמעון בן גמליאל אומר מפני תקנת השבויין
)]
On ne rachète pas trop cher les prisonniers à cause de l’ordre du monde, on n’aide pas les prisonniers à fuir à cause de l’ordre du monde.
Le Talmud explique que c’est pour ne pas favoriser les prises d’otages et l’augmentation des rançons.
Le même Talmud Guittin (45a) montre qu’il y eut des exceptions. Levi bar Darga racheta sa fille pour 13 000 dinars en or ! Ce que désapprouvèrent les sages .
Dans Ketubot 52a-b une Baraïta précise que pour une femme l’on peut monter jusqu’à 10 fois la somme, au-delà de cela, le mari n’a plus l’obligation de racheter sa femme, il peut néanmoins continuer à augmenter la rançon s’il le désire. Raban Gamliel s’oppose à cette pratique favorisant la prise d’otages.
[(
תלמוד בבלי מסכת כתובות דף נב עמוד א
תנו רבנן : נשבית, והיו מבקשין ממנו עד עשרה בדמיה - פעם ראשונה פודה, מכאן ואילך, רצה - פודה, רצה - אינו פודה ; רבן שמעון בן גמליאל אומר : אין פודין את השבויין יותר על כדי דמיהם, מפני תקון העולם. הא בכדי דמיהן פודין, אע"ג דפרקונה יותר על כתובתה ; ורמינהי : נשבית, והיו מבקשין ממנו עד עשרה בכתובתה - פעם ראשונה פודה, מכאן ואילך, רצה - פודה, רצה - אינו פודה ; ר"ש בן גמליאל אומר : אם היה פרקונה כנגד כתובתה - פודה, אם לאו - אינו פודה !
Une autre Baraïta Gittin (58a) raconte comment un jeune homme fut racheté à Rome pour une énorme somme par un rabbin qui vit en lui un futur sage, il s’agissait en effet de Rabbi Ishmaël, une des plus grandes autorités de la Michna .
[(
תלמוד בבלי מסכת גיטין דף נח עמוד א
ת"ר : מעשה ברבי יהושע בן חנניה שהלך לכרך גדול שברומי, אמרו לו : תינוק אחד יש בבית האסורים, יפה עינים וטוב רואי וקווצותיו : סדורות לו תלתלים. הלך ועמד על פתח בית האסורים, אמר : +ישעיהו מב+ מי נתן למשיסה יעקב וישראל לבוזזים ? ענה אותו תינוק ואמר : הלא ה’ זו חטאנו לו ולא אבו בדרכיו הלוך ולא שמעו בתורתו. אמר : מובטחני בו שמורה הוראה בישראל, העבודה ! שאיני זז מכאן עד שאפדנו בכל ממון שפוסקין עליו. אמרו : לא זז משם עד שפדאו בממון הרבה, ולא היו ימים מועטין עד שהורה הוראה בישראל. ומנו ? רבי ישמעאל בן אלישע.
)]
Tossafot en conclu que s’il y a danger de mort pour l’otage, il ne faut pas hésiter à monter le prix.
Un autre Tossafot (45a) explique que depuis la destruction du Temple, les juifs sont, de toute façon, soumis à la rançon et qu’il ne faut donc pas hésiter à payer.
On sait par des sources historiques que les juifs, au moyen-âge, payaient jusqu’à deux à trois fois la somme d’un prisonnier normal.
Plusieurs décisionnaires rabbiniques justifient la coutume de payer de fortes rançons contrairement à ce que la Michna demandait. (il est intéressant de noter qu’une fois supplémentaire, l’usage ainsi que la sensibilité du public l’emportent sur la Loi elle-même).
La Halakha récente :
Depuis que l’Etat d’Israël se trouve confronté à la prise d’otages, de nombreux rabbins ont écrit sur la question. La plupart sont contre le fait de payer des rançons trop fortes.
Voici deux types d’argumentation, celle de Rabbi Shlomo Goren et celle de Rabbi Hayyim David Halevi. Goren argumentant qu’une telle pratique favoriserait la prise d’otages et mettrait le public en danger considère qu’il est contraire à la Halakha de payer une rançon trop forte. Halevi considère, lui, que la rançon ne joue pas de rôle important dans une guerre nationaliste et que les mouvements Palestiniens continueront à prendre des otages quoiqu’il arrive. Il pense que nous nous trouvons face à des considérations nouvelles, non pas pécuniaires, mais politiques, et que donc il faut innover en Halakha car les sources classiques ne parlent pas de cela. Il considère donc que le gouvernement a agi selon la Halakha en faisant tout pour libérer les otages. Il ajoute que cela fait partie du contrat de confiance entre le soldat et son armée et que donc il est nécessaire à la sécurité publique de libérer les otages.
Concrètement, la question fait toujours débat. David Golinkin, autorité au sein du mouvement Massorti israélien, considère qu’il est dangereux de rentrer dans le jeu de la rançon et qu’il y a une limite au prix à payer comme l’a très bien exprimée la Mishna .
Conclusion :
La Halakha de principe est claire, c’est celle, établie par la Michna , qui met en garde contre un prix trop fort et la mise en place d’un engrenage dangereux pour le public. Cependant, dans une question comme celle –ci, la Halakha n’a pas réponse à tout. Il est extrêmement difficile de trancher. Des quantités de considérations sont à prendre en compte. Il est cependant légitime de s’inquiéter de voir l’Etat d’Israël payer un prix trop lourd. D’un autre côté, on ne peut que se sentir totalement solidaire des familles et de leur douleur.
Il est bon de rappeler cependant, que la très grande autorité halakhique du moyen-âge, le Maharam de Rotenbourg, avait été pris en otage par le seigneur chrétien local qui espérait une forte rançon. Il interdit à la communauté juive de payer sa rançon et préféra rester en prison toute sa vie, plutôt que de créer un dangereux précédent. Il ordonna même que l’on ne paye pas pour récupérer son corps.
Dans le cas des deux otages, Ehud Goldwasser et Eldad Regev, la question n’a pas été de les sauver mais de les enterrer en juifs. Quel est le prix d’un enterrement digne de ce nom ?
Que penser des scènes de liesse de la rue arabe accueillant un meurtrier d’enfant, comme un héros de guerre ? Le président du Liban Suleiman a parlé de « héros libérés ». La tête fracassée d’un enfant juif relève forcément de l’héroïsme pour certaines personnes… Elle montre au contraire la part de racisme et de barbarie qui nourrit une part de la cause palestinienne et surtout islamiste pour qui le salut nazi est de mise (le même jour par les troupes du Hezbollah) ; elle montre par contre une foi de plus l’immense dignité de la société israélienne face à l’adversité et au deuil.
[(« Je prends à témoin, contre vous, en ce jour le ciel et la terre : j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction, tu choisiras la vie afin que tu vives » (Deut. ))]
En espérant voir Guilad Shalit, détenu par le Hamas à Gaza, vivant auprès des siens.
Yeshaya Dalsace
Prière composée à la mémoire des deux otages
Sur Samir Kuntar
Bibliographie sur la question :
Cet article est basé sur le travail du rabbin David Golinkin qui fournit cette bibliographie.
1. Abraham Ibn Daud, Sefer Ha-qabbalah, ed. Gerson Cohen , London, 1967, English side, pp. 63-66
2. Irving Agus, Rabbi Meir of Rothenburg, Vol. One, New York, 1970, pp. 125-151
3. Salo Baron, The Jewish Community, Vol. 2, Philadelphia, 1942, pp. 333-339 and Vol. 3, pp. 213-215
4. Eliezer Bashan, Shviyah Upedut …1391-1830, Ramat Gan, 1980
5. Gerson Cohen , Studies in the Variety of Rabbinic Cultures, Philadelphia, 1991, pp. 157-208
6. Encyclopaedia Judaica s.v. Captives, Ransoming of
7. Mirik Garzi, “The History of the Takkanah : Ein Podin” …, Iyar 5752, 46 pp. (unpublished)
8. S. D. Goitein, A Mediterranean Society, Vol. I, Berkeley 1967, pp. 327-330 and Vol. II, Berkeley, 1971, pp. 137-138
9. Jewish Encyclopedia, s.v. Ransom
10. Maimonides, Igrot Harambam, ed. Shilat, Vol. I, Jerusalem, 1987, pp. 60-71 ; Teshuvot Harambam, ed. Blau, Jerusalem, 1960, nos. 16, 91, 452
11. Cecil Roth, Personalities and Events in Jewish History, Philadelphia, 1953, pp. 112-135
Sur la Halakha
1. R. Yehudah Gershuni, Hadarom 33 (Nissan 5731), pp. 27-37 (summarized in R. J. David Bleich, Contemporary Halakhic Problems, Vol. I, New York and Hoboken, 1977, pp. 18-20)
2. R. Shlomo Goren, Sefer Torat Hamedinah, Jerusalem, 1996, pp. 424-436 (= Hazofeh, 11 Sivan 5745)
3. R. Hayyim David Halevi, Aseh Lekha Rav, Vol. 7, Tel Aviv, 5746, No. 53 (analyzed by R. David Ellenson in : Judaism and Modernity etc., Jerusalem, 2001, pp. 341-367)
4. R. Avraham Yitzhak Halevi Khlab, Tehumin 4 (5743), pp. 108-116
5. R. Yisrael Melamed, Shanah B’shanah 5746, pp. 241-246
6. R. Natan Ortner, Tehumin 13 (5752-5753), pp. 257-263
7. R. Yehudah Shaviv, Noam 17 (5734), pp. 96-115
8. Itamar Warhaftig, Tehumin 6 (5745), pp. 305-308
9. R. Shaul Yisraeli, Torah Shebe’al Peh 17 (5735), pp. 69-76
10. R. Moshe Zemer, Halakhah Shefuya, Tel Aviv, 1993, pp. 202-205, 344 = Evolving Halakhah, Woodstock, Vermont, 1999, pp. 225-229