Mesdames et Messieurs les Rabbins ,
C’est un honneur pour moi de prendre la parole devant vous qui êtes réunis ce jour à Genève pour votre congrès annuel. Je vais développer devant vous, pour la première fois dans ma carrière, des idées propres sur le judaïsme contemporain. Pour la première fois, je ne parlerai ni du Moyen Age, ni de la renaissance, ni des XVIII-XIXe siècles… Mais du temps présent et de l’avenir.
Est-il nécessaire d’ajouter que ces pensées hâtivement mises sur le papier ne se veulent qu’un point de départ pour une réflexion plus fournie, grâce aux observations et remarques que vous ne manquerez pas de faire.
Il me semble que l’essentiel de nos réflexions doit porter sur la manière de sortir d‘un judaïsme de l’exil, en vigueur depuis près de deux millénaires, pour favoriser l’émergence d’un judaïsme post exilique qui prenne en considération des perspectives d’avenir.
Ce n’est pas une tâche facile car la chose la plus difficile à préserver n’est autre que le continuum de la tradition juive et de préserver l’unité doctrinale du judaïsme d’aujourd’hui.
Introduction : la démographie
Le paysage du judaïsme mondial se présente comme un phénomène inséré dans trois grands blocs : l’Etat d’Israël, les USA et l’Europe. On a tendance à passer sous silence le tarissement des anciens centres juifs d’Afrique du Nord et du monde arabo-musulman en général. Pourtant, cela représente la disparition d’un énorme réservoir humain ; c’est aussi une menace pesant sur le renouveau ou le simple maintien de ces traditions ancestrales qui remontent au moins à Saadya Gaon (Xe siècle) et qui se sont poursuivies jusqu’à l’expulsion des Juifs d’Espagne, dont le célèbre Moïse Maimonide , grand auteur judéo-arabe, s’il en est, est l’incarnation la plus connue. Le judaïsme est donc en passe de perdre l’une des langues qu’il a créées, parallèlement au yiddish et au ladino… Pourtant, cette langue est encore pratiquée à certaines occasions festives, notamment le second séder de Pessah au cours duquel les juifs séfarades, d’Orient et d’Afrique du Nord, lisent la version judéo-arabe du récit de la sortie d’Egypte que leurs enfants et petits enfants, hélas, ne comprennent plus, voire ne prisent guère.
On ne compte plus que sur ces trois grands centres puisque le judaïsme, jadis retenu prisonnier dans l’ancienne et désormais défunte URSS, a été absorbé soit par Israël, soit par les USA, soit, enfin par la RFA. Il n’existe donc plus de réserves. En plus de l’incommensurable drame humain qu’elle représente, la Shoah constitue aussi une saignée à blanc (Léo Baeck), une irrémédiable atteinte à l’évolution démographique du judaïsme Or, nous savons que la religion juive est la seule à perdre régulièrement des adeptes et ne pas pouvoir maintenir le même taux de reconstitution que les deux autres confessions monothéistes.
I.L’origine des différentes obédiences ou orientations au sein du judaïsme contemporain.
Dans le judaïsme, tout part de la Bible et tout finit par y revenir. C’est une façon de dire que même si l’on s’occupe d’un état de lieux contemporain, on doit nécessairement remonter plus loin dans le passé. Nous ne retomberons pas dans l’historicisme de la Wissenschaft des Judentums en nous focalisant sur ce qui est derrière nous, encore qu’il faille toujours tirer les enseignements de ce qui nous a précédés…
Notre réflexion sur la situation actuelle peut se nourrir des sagaces pensées d’un éminent rabbin allemand du XIXe siècle, Zacharias Frankel (1801-1875), fondateur avec ses disciples préférés, Jacob Bernays (1824-1881) et Heinrich Grätz (1817-1891), du fameux Séminaire juif de Breslau qui a les mêmes initiales que le JTS de New York dont l’emplacement institutionnel dans le judaïsme américain actuel est incontournable. Lors de l’inauguration de ce séminaire rabbinique à Breslau en 1851, Frankel a prononcé des paroles frappées au coin du bon sens où il reconnaissait à la science des droits sur le judaïsme et au judaïsme la nécessité de participer à la culture universelle. Ce sont des paroles qu’on aimerait entendre aujourd’hui de la bouche de certains guides spirituels de France, par exemple. Helléniste, ayant achevé un long cycle universitaire parallèlement à ses études rabbiniques proprement dites, Frankel s’offrit le luxe d’écrire en hébreu au moins trois ouvrages : Mavo la-Mishna , Mavo la-Yerushalmi et Darkhé ha-Mishna . Mais ses travaux sur la Bible des Septante furent rédigés en allemand.
Cette idéologie qui pourrait s’apparenter au fameux mot d’ordre de Samson-Raphaël Hirsch (1808-1888) (mais dans un sens plus ouvert, moins intransigeant) de talmud Tora ‘im dérékh éréts (l’étude de la Tora et la culture contemporaine), fut réaffirmée avec plus de force encore lorsque Isaac Heinemann, l’un des successeurs à la tête de ce séminaire (Jüdisch-Theologisches Seminar de Breslau, l’actuelle Wroclaw) prononça un beau discours à l’occasion du 75e anniversaire de cette institution. Il insista sur la nécessité de réconcilier la tradition et la modernité, la religion juive et la culture européenne[2]. Heinemann finit ses jours comme professeur à l’Université Hébraïque de Jérusalem était ; comme Frankel, il fut à la fois un excellent hébraïsant et un remarquable helléniste, ainsi que l’attestent ses travaux sur Philon d’Alexandrie.
Aujourd’hui, les successeurs de ce judaïsme historique qui revendiquait le concours de l’examen critique seraient les communautés orthodoxes modérés, dites conservative au sens américain du terme.
Les communautés libérales d’aujourd’hui et d’hier peuvent se rattacher au célèbre Abraham Geiger, l’inspirateur de l’Ecole des Hautes Etudes Juives de Berlin (Hochschule für die Wissenschaft des Judentums) où il enseigna durant peu d’années, car la mort le surprit en 1874, deux ans après la fondation de cette institution.
Les orthodoxes purs et durs se rattachent à la Yeshiva d’Esriel Hildesheimer de Berlin tandis que les néo-orthodoxes voient en Samson-Raphaël Hirsch de Francfort sur le Main, leur vénéré maître qui publia en 1836 les Dix-neuf épîtres sur le judaïsme après avoir rédigé : Choreb, Versuch über die Pflichten Isroels in der Zerstreuung (Choreb : Essai sur les devoirs d’Israël dans la dispersion).
Nous avons donc, grosso modo, quatre grandes orientations du judaïsme en Europe qui toutes se sont développées dans l’aire culturelle germanique qui exerçait jadis une forte influence culturelle sur l’Europe centrale et orientale.
On pourrait y ajouter les groupuscules Loubavitch qui tentent d’émerger mais qui ne représentent pas encore une force avec laquelle il faudrait compter.
II.Le judaïsme européen contemporain.
a)en France
La seconde guerre mondiale a entièrement modifié l’équilibre au sein des communautés. L’Allemagne qui occupait avec ses intellectuels , ses rabbins et ses savants la première place dans la culture juive, les Ostjuden qui fournissaient les plus gros bataillons de la population juive , ont pratiquement disparu du paysage en raison de la Shoah, et la France qui avait elle aussi largement souffert de cette même saignée, s’est entièrement repeuplée suite à la décolonisation et au départ des juifs de toutes ses anciennes colonies d’Afrique du Nord. Entre 1962 et 1981, en moins de vingt ans, la sociologie du judaïsme européen, et notamment français, a changé du tout au tout.
Ces juifs émigrés, originellement installés en banlieue, investissent depuis les quartiers les plus huppés de Paris mais ont continué à suivre les traditions nord africaines de leurs parents. Ces pratiques religieuses étaient le reflet d’une philosophie consistoriale aux contours assez flous. Petit à petit, cependant, la modernité aidant et le nouveau milieu français s’imposant de plus en plus, ces juifs se sont rendus compte qu’à côté de ce judaïsme consistorial, de moins en moins cultivé et de plus en plus rigoriste, prenait naissance un courant nouveau qui se dit libéral ou traditionaliste-éclairé. Je reconnais que la définition précise des limites et des frontières est malaisée, mais il suffit de regarder les chiffres pour constater que nous vivons un net déplacement du centre de gravité du centre vers la périphérie. Et si le mouvement s’amplifie, la périphérie deviendra le centre…
J’ai pu me livrer à ce constat en étant durant plus de vingt ans administrateur de la grande synagogue de la Victoire : lorsque les vieux locataires de places ont disparu, leurs fils ont généralement rejoint le mouvement libéral dans le XVE et le XVIe arrondissements de Paris. Cette évasion de fidèle se ressent même le jour de kippour et pas uniquement le vendredi soir et le samedi matin.
Je souhaite porter l’essentiel de mes réflexions sur l’idéologie et la nature du judaïsme consistorial avec, en parallèle, le développement du judaïsme libéral et massorti (traditionnel).
Ce judaïsme, institutionnalisé depuis un peu plus de deux siècles, est incontestablement en perte de vitesse, et c’est le numéro deux de cette institution pendant 16 années pleines, l’ancien secrétaire-rapporteur, qui l’écrit tout en le regrettant. Il est vrai que culturellement, ce judaïsme est devenu un désert : aucun de ses rabbins , pas un seul, n’a produit une œuvre théologique ou religieuse significative depuis la disparition du grand rabbin Jacob Kaplan. Nous attendons que le nouveau grand rabbin de France puisse enfin déployer son activité pour dire s’il va apporter des améliorations et des changements profitables au judaïsme français et à son institution religieuse, le Consistoire . Pour le moment, si peu de temps après son installation, on ne peut pas porter le moindre jugement. Toutefois, au plan théorique, une interrogation subsiste : la conduite d’une communauté, milieu vivant le plus souvent très hétérogène, peut-elle se concilier avec une érudition sans faille ? Ce fut le cas dans le passé, moins, beaucoup moins aujourd’hui.
Gershom Scholem avait réparti les orientations historiques du judaïsme en quelques catégories : conservatrice, utopique et restauratrice. On peut dire qu’aujourd’hui l’orientation du judaïsme de notre pays est nettement conservatrice. Mais même cette tendance ne fait l’objet d’aucun approfondissement. On a l’impression d’être retombé un siècle et demi après le Hatam Sofer (ob. 1839 (avec l’érudition en moins) dans le slogan : hadash, assur min ha-Tora. Rien ne doit bouger, on met l’accent sur l’orthopraxis que l’on confond avec l’orthodoxie . Or, cette dernière ne fait l’objet d’aucun réflexion digne de ce nom..
L’exemple le plus parlant est l’insularité de l’Ecole rabbinique de Paris. En seize ans, alors que je faisais partie de son Conseil d’administration, son président, statutairement le Grand Rabbin de France jadis en fonctions, ne nous a convoqué que deux fois. Et encore, avec un ordre du jour extrêmement flou. Toutes nos tentatives pour peser un tant soit peu sur la formation des rabbins et leur action communautaire se sont révélées vaines…
Le judaïsme consistorial actuel axe l’appartenance juive autour de trois points légitimement primordiaux mais insuffisants sur le plan théorique : respecter le chabbat, tenir un foyer cacher et épouser une femme juive ou un homme juif. Ceci se comprend, mais est-ce suffisant ? Ces points, certes vitaux, ne prennent en compte que la dimension strictement religieuse du judaïsme et laissent au dehors tout ce qui touche à sa culture, à croire que la religion juive se méfie de la culture juive…
IL s’agit là d’une erreur lourde de conséquences : celui qui fréquente la synagogue de la Victoire le chabbat et le jour de kippour touche du doigt l’énorme paradoxe du judaïsme consistorial actuel : le vendredi soir, il y a tout juste un double minyan , (sauf s’il y a une bar mitswa le lendemain) alors que la veille de Kol Nidré, les mille quatre cents places sont relativement bien occupées. Le vieillissement, à lui seul, n’explique pas tout. Comme je le relavais plus haut, il y a une réelle désaffection due, essentiellement au fait que les enfants ou petits enfants de ceux qui constituaient l’épine dorsale du judaïsme français d’avant-guerre, vivent mal ce divorce entre la célébration du culte, devenu ritualiste, et l’authentique culture juive allant de Maimonide à Hermann Cohen et s’occupant de toutes les grandes problématiques du temps présent.
Face à ce qu’il faut bien nommer une déculturation, on a vu se développer, outre la synagogue sise rue Copernic, une tendance juive libérale, plus ouverte sur le monde moderne, plus attentive à vivre avec son siècle et soucieuse des grandes événements de l’histoire juive. Notamment en accordant à la Shoah la place qu’elle mérite dans la conscience juive contemporaine. Cette tendance libérale a commencé par être assez anarchique et antinomiste, mais avec le temps et la maturité aidant, elle s’est assagie et recentrée sur les points fondamentaux du judaïsme biblico-talmudique, sans toutefois se confondre avec eux. Cette tendance nouvelle a commencé à séduire un nombre croissant de fidèles, surtout lorsque la France a connu sa première femme rabbin . Cette nouvelle apparition, en soi plutôt révolutionnaire, a fait sensation. Certaines femmes, mais aussi une forte proportion d’hommes, ont été séduits par cette innovation qui leur paraissait inimaginable peu de temps auparavant. Les femmes pouvaient donc être mieux associées au culte et rompre avec des siècles de mise à l’écart.
Sans faire de polémique, je reviens sur un incident qui n’honore pas vraiment son auteur : On a tous entendu parlé d’une élite rabbinique locale qui a cru bon d’interdire la prestation d’une cantatrice israélienne dans un centre communautaire attenant à une synagogue de banlieue, au motif que la voix de la femme est une nudité (qol ba-isha erwa) ! Comment espérer partager la vision de l’avenir avec des gens qui exhument une opinion vieille de plus d’un millénaire et demi, en 2010 ?!
Je pense sincèrement et sans me faire violence qu’un mouvement libéral assagi et mature a bon espoir de devenir un jour majoritaire en France s’il sait se recentrer sur l’essentiel et redécouvrir l’essence du judaïsme, son véritable noyau insécable.
Ici, à Genève, c’est déjà un peu le cas : on me dit que la fréquentation des offices religieux lors des grandes solennités et fêtes juives est incomparablement supérieure en ces lieux qu’ailleurs. Et le mérite en revient à qui vous savez, notre hôte, en l’occurrence.
b)en Allemagne
J’ai enseigné vingt-quatre années durant à la Hochschule für jüdische Studien de Heidelberg, un institut d’études universitaires du judaïsme, intégré à l’Université de la ville. De 1980 à 1989, date de la chute du mur de Berlin, tous mes étudiants étaient catholiques et protestants à 90 %. Et à ce moment là, la population juive de l’ensemble de la RFA se montait à peine à 30.000 âmes, immatriculées auprès des communautés (Kultusgemeinden). Mais après la chute de l’URSS, je vis arriver à la Hochschule des dizaines de jeunes gens et de jeunes femmes russes d’origine juive, venus apprendre la philosophie et l’histoire du judaïsme. La plupart ne comprenaient pas encore très bien l’allemand universitaire, trop difficile pour des non-germanophones. Mais vers l’an 2000, ces étudiants ont pu remettre des travaux rédigés dans un allemand correct. Et aujourd’hui, la population juive en Allemagne caracole autour de 100.000 âmes dont les deux tiers sont des russes. Je n’oublierai jamais un fait vécu à Berlin, dans la grande salle communautaire de la Fasanenstrasse : alors que je faisais une conférence en allemand sur Maimonide , je vis derrière moi une cabine où s’affairait un traducteur. Cette présence me troubla car je me demandais si mon parler germanique posait problème… On me rassura dans un grand éclat de rire : le traducteur transposait en russe ce que je disais en allemand car la plupart des auditeurs et auditrices ne comprenaient pas encore très bien la langue de Goethe !
N’oublions pas qu’à la veille de la guerre, le judaïsme allemand était réparti à 90% en communautés libérales et réformées… En outre, ce pays renoue avec la tradition du Herr Rabbiner Doktor, un peu comme aux USA où les rabbins accomplissent généralement un cycle universitaire complet. L’un de mes anciens étudiants fait aujourd’hui fonction de grand rabbin de Prague, un autre est devenu professeur à l’Université de Munich, d’autres sont devenus Religionslehrer et d’autres enfin sont partis étudier à l’Université Hébraïque de Jérusalem… L’année dernière en arrivant à Lod, une jeune femmes s’est adressée à moi dans l’obscurité en me disant : Sind Sie Herr Professor H…… ? C’était l’une de mes anciennes étudiantes, partie étudier à Jérusalem, s’y était mariée et avait un beau bébé dans une poussette.
Alors que le judaïsme français actuel, à dominante consistoriale, a surtout un avenir démographique, je suis persuadé que l’Allemagne nous étonnera par sa vitalité et par son désir ardent de renouer avec son glorieux passé rabbinique.
c)Au Royaume Uni
J’avoue moins bien connaître le judaïsme britannique, même si, jadis professeur l’USHS de Strasbourg, certaines de nos étudiantes partaient étudier dans des institutions religieuses. J’ai eu aussi des contacts avec le Jews College ou le Leo Baeck College. Mais je pense que là bas aussi le judaïsme orthodoxe ou ultra orthodoxe est un peu en perte de vitesse.
Il ne faut pas oublier les autres pays d’Europe comme la Belgique et les pays scandinaves, en plus de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal ; mais leurs dimensions démographiques sont moindres.
III.Le judaïsme non–européen : les USA et Israël
Il s’agit ici des deux centres les plus importants, les plus vivants et les plus significatifs.
Je voudrais évoquer d’abord le canevas israélien d’où viendront, je l’espère, les innovations les plus audacieuses et porteuses de vie. Mais c’est aussi dans la patrie de nos ancêtres que se situent les citadelles les plus imprenables de l’ultra-orthodoxie . Il n’est pas question de tenter de les affaiblir mais il faut que toutes les tendances du judaïsme actuel puissent vivre et peut-être même cohabiter dans l’harmonie.
Je fonde mes espoirs sur le fait qu’en Israël le rétablissement d’une souveraineté nationale, acquise de haute lutte, permettra à l’orthodoxie d’avoir les coudées franches et de se débarrasser de cette frilosité qui la caractérise tant hors de Terre sainte. En Israël, la pratique des mitswot est naturelle, pour ceux qui veulent vivre sous le régime de la Tora . Les grandes fêtes juives sont chômées, le chabbat est naturel et remplace le dimanche, la viande est abattue rituellement et les restaurants qui ne sont pas cacher vous l’annoncent d’emblée. La langue de tous les jours, dans les marchés, les universités, les écoles et les administrations, n’est autre que l’hébreu.
Une vie nationale, si cruellement interrompue durant 1968 ans ( !) a repris un cours presque normal en dépit des menaces extérieures. C’est un plaisir de voir, dans les rues de Jérusalem, des chandeliers de hanoukka, brillant de leurs feux. La vie juive ne connaît pas de limites ni de menaces. Ce serait peut-être l’occasion rêvée de réunir un synode ou une assemblée de rabbins qui ferait autre chose que les tentatives avortées des rabbins réformés allemands entre 1844 et 1846… qui voulaient ni plus ni moins jeter la totalité de la tradition talmudique par dessus bord (Heinrich Heine) : il faut renouer avec un cours normal et naturel de la religion et de l’histoire juives. C’est une nécessité vitale, il faut tirer les leçons de l’exil et ne pas en être les prisonniers ad vitam æternam.
La seule leçon que j’ai tirée des livres de Samuel Holdheim (1806-1860), ce rabbin réformé haï par les orthodoxes de son temps au point qu’on lui refusa de reposer dans le carré rabbinique, est la suivante : le Talmud parlait avec la conscience de son temps et il avait raison, je parle avec la conscience de mon temps, et j’ai raison… Et je rappelle qu’avec l’aide de mon éminent collègue Günter Stemberger de l’Université de Vienne, j’ai traduit et adapté de l’allemand, l’Introduction au talmud et au midrash de Hermann Leberecht Strack (Paris, Cerf, 1986). Sans même parler de ma Littérature rabbinique dans la collection Que sais-je ?. Partant, aucun sentiment anti-talmudique ne m’anime.
Il faut absolument un synode rabbinique qui remette le judaïsme à niveau. Il ne s’agit pas de manger de la viande de porc ni de fumer un cigare le jour du chabbat, mais de concilier une vie moderne avec l’existence religieuse.
Le judaïsme que nous vivons et pratiquons aujourd’hui est un judaïsme issu d’une défaite militaire, d’une destruction de l’Etat juif et d’une déportation qui a duré près de deux millénaires : sans rompre le continuum de la tradition juive, il faut en repenser certains points sans provoquer de ruptures graves.
Je fonde aussi de grands espoirs sur les USA où la mentalité est autre qu’en Europe, même si toutes les grandes tendances du judaïsme y sont représentées. L’existence de grandes universités juives, de grands séminaires rabbiniques tant orthodoxes que libéraux, et surtout le dialogue existant entre les diverses écoles de pensée, sont, en soi, rassurants. Il y a aussi la mentalité et l’histoire américaine qui rendent impossible la manifestation ou le développement d’un antisémitisme aussi viscéral que celui qui ravagea l’Europe jusqu’au siècle des Lumières (inclus)… La naissance récente des USA rend impossible l’apparition d’un antisémitisme recuit ou profondément enraciné, même s’il n’ y avait pas un seul juif dans le Mayflower. Certes, le nouveau monde n’est pas à l’abri, nous le savons bien, de manifestations antisémites, mais je ne pense pas qu’elles s’enracinent aussi profondément qu’en Europe où l’église catholique, revenue à de bien meilleurs sentiments depuis Vatican II, avait, en ces temps heureusement révolus, multiplié les persécutions.
Perspectives :
Que faire pour renverser la vapeur et inverser le courant ?
Le judaïsme a toujours été un facteur de développement spirituel et religieux au sein de l’humanité civilisée. Les vicissitudes de l’histoire juive l’ont (momentanément, je l’espère) empêché de poursuivre dans cette voie car il a dû œuvrer en priorité pour sa survie. Cela l’a aussi encapsulé, le séparant de manière presque hermétique des autres. Vous comprenez que je pose ici le délicat problème de la procédure de conversion, même si je pense qu’il faut faire preuve d’une extrême prudence dans ce domaine.
Inverser cette tendance, changer cet ordre des priorités ne dépend pas que des juifs. Il faut une approche commune avec un monde extérieur, un environnement enfin apaisé grâce au dialogue interreligieux et aux amitiés judéo-chrétiennes.
• renforcer l’apprentissage de l’hébreu, de la Bible et de la littérature traditionnelle.
•• développer autant la culture juive que la religion juive, en d’autres termes, rétablir un équilibre plus favorable à la culture.
••• définir l’essence du judaïsme d’une manière nouvelle qui rompe avec les pratiques et les habitudes acquises durant l’exil, cette interminable nuit de l’existence juive.
•••• renforcer toujours plus les relations avec l’Etat d’Israël et œuvrer, dans toute la mesure du possible, en faveur de la paix avec des partenaires fiables et sérieux.
••••• développer avec nos frères chrétiens qui sont aussi une partie d’Israël des relations d’estime et d’amitié, en espérant que cet exemple de fraternité retrouvée sera suivi par tous les descendants d’Abraham.
Maurice-Ruben Hayoun est un philosophe, exégète et historien, spécialiste de la philosophie juive. Longtemps administrateur au Consistoire de Paris. Auteur de très nombreux ouvrages sur l’Histoire de la pensée juive.
Cet article a été publié sur le blog de l’auteur
Messages
Il y a confusion entre "étalement de frustrations et récriminations" avec "tentative de construction". Si vous avez quelque-chose d’intéressant à montrer, à quoi sert de pointer du doigt les insuffisances des autres ? De plus, dire qu’il n’y a aucune œuvre de qualité parmi les rabbins français est un manque de culture ou alors de la mauvaise foi. Sur le plan de la loi juive par exemple, l’ouvrage du directeur du séminaire rabbinique, le g-r m. gugenheim "et tu marcheras dans ses voies" n’a rien a envier au livre du rabbin krugier "la loi juive à l’aube du 21ème siècle". Et il y a bien d’autres exemples. Quant à la synagogue de la victoire, le nouveau rabbin fait revenir beaucoup de juifs en proposant des études intéressantes. Il y a toute une jeune génération intelligente, moderne et productive que m. Ruben-Hayoun ne voit pas.
Cordialement