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Shulem Deen Celui qui va vers elle ne revient pas

Shulem Deen Celui qui va vers elle ne revient pas

Je viens de finir avec délectation la lecture du livre de Shulem Deen « Celui qui va vers elle [l’hérésie] ne revient pas » dans lequel l’auteur raconte son parcours depuis les bancs du héder de la communauté hassidique de Skver , jusqu’à sa rupture avec le Judaïsme. Un vrai régal que ce livre, subtil, intelligent, émouvant, et surtout non dénué d’humour et même d’une dose d’affection pour le monde qu’il a quitté.

En dépit de toutes les souffrances que lui ont fait subir ses paires notamment pour accéder à ses enfants. En bien des points j’ai lu en ce livre une similitude avec ma propre histoire. Ce livre m’inspire donc pour qu’un jour je raconte à mon tour la mienne.

Je garde néanmoins une certaine amertume, voir même une certaine tristesse, pour éviter d’être trop long je vais en résumer l’idée ; je déplore que le monde hassidique principalement et globalement le monde juif orthodoxe   soit à ce point incapable de montrer la beauté de la Torah, la richesse de son enseignement, la véritable dimension universelle des études juives jusque dans ce qu’elles ont de plus interne à l’univers de la Halakha  .

Shulem Deen justifie sa rupture au nom du fait qu’il a cessé d’y croire. Et c’est précisément ici que ma démarche se distance de la sienne. Avant de poursuivre il me faut impérativement préciser ceci : la question de la foi n’a aucun intérêt dans ce que je dis, pour moi, aussi extravaguant que cela puisse paraître, la rupture de la foi n’est en rien ni une excuse, ni un critère pouvant justifier son lien d’attachement ou non avec le Judaïsme. Et encore plus s’agissant du cœur de l’étude de la Torah.

Shulem Deen montre combien il a été affecté, lorsqu’il a découvert que la science affirmait des découvertes sur le mécanisme de la création qui range le texte biblique au rang de fables illustrées pour petits enfants. Et pour moi cette démarche, cher au monde orthodoxe  , de tenter vaille que vaille de fournir une vérité scientifique et empirique à la Torah non seulement est ridicule mais en plus tourne le dos radicalement au cœur de la foi monothéiste. Une telle démarche relève selon moi d’un véritable blasphème ! [Comme si pour paraphraser Soloveichik Dieu pourrait un jour être démontré dans un laboratoire ! Le jour où l’on prétendra démontrer que dieu est l’origine de la matière à partir du carbone 14, alors il faudra démontrer qui est le créateur de ce dieu imposteur. La foi Monothéiste est radicalement opposé à cette démarche créationniste, en tant qu’elle affirme que Dieu est antérieur en principe au paradigme même de la Création et de son processus. Si Dieu est l’origine de tout c’est précisément parce qu’Il n’a aucun lien de nature avec la création et même avec son processus d’évolution . C’est pourquoi, ainsi que s’accorde toute la scolastique, la foi Monothéiste n’a aucun problème avec la théorie d’Aristote sur l’éternité du monde !]

La fin de l’ouvrage de Shuleem Deen résume véritablement le cœur du dilemme. Il écrit :

« Bouleversé par ma perte de la foi, par mon incapacité à ressentir la beauté de la Amida   , par la rupture définitive que j’avais opéré avec ces textes et ces rituels qui m’avaient été si chers, je laissais alors couler mes larmes sur les pages du livre de prières ouvert devant moi. »

Ce que montre l’auteur c’est qu’en désespoir de trouver le chemin de la dveikout (de la ferveur) de la prière, de l’émotion qu’elle est censée produire, il va trouver au tréfonds de lui-même l’émotion dans la désolation de la rupture de celle-ci. C’est donc la non émotion qui produit ici le cœur qui continue de battre pour une prière qui a depuis longtemps cessé de faire sens pour lui.

Ici je me revois moi-même lorsque le jour de Kippour nous répétions comme un mantra le rituel du « al hèt » nécessaire à l’absolution des péchés, puisqu’il est question de mentionner ses fautes. Et là pour éviter que chacun fasse un rituel trop personnel, les rabbins   ont fixé, à mon avis à tort, là aussi un texte commun à tous, comme si les fautes de l’homme devant Dieu entraient elles aussi dans un rituel organisé et et devaient inclure le rituel synagogal. Et ce, en dépit de ce que dit le psalmiste « Heureux celui dont les péchés sont cachés » (Psaume 32, 1). Il y avait là une rupture avec la singularité de l’être, avec la démarche personnelle de chacun, et peut-être une remise en question de l’âme de la pratique juive, j’y reviendrai une autre fois pour mieux m’expliquer là dessus.

Et pourtant, pour ce qui concerne ma propre expérience, rien de tout cela aussi difficile que ça ait pu l’être, n’a pu me retirer ma ferveur du limoud  , lorsque l’on goûte en profondeur à l’univers unique, qui n’a en ce monde aucune équivalence, de l’étude du Talmud   et des commentateurs, on saisit que rien ne saurait ébranler non pas notre foi en un créateur, tout cela relève de l’intime, mais notre foi en notre cœur qui bat selon les humeurs d’Abayé et Rabba, du Rambam   et du Ketsot hahoshen !

Lisez ce livre une perle… qui mérite même d’être lu et relu ! Merci à toi Shulem Deen de l’avoir fait et j’espère qu’on aura l’occasion d’en discuter un jour de vive voix.

Hervé Elie Bokobza (enseignant en Talmud  )

Article du Point sur le livre :

Shulem Deen est un ancien juif hassidique, "échappé" de sa communauté. Depuis cinq ans, il vit loin de sa communauté, de sa femme et de ses cinq enfants. Et il est devenu un activiste d’un style bien particulier. Il fédère au sein d’une association les anciens hassidiques qui aspirent à mener une vie séculière et a créé un site internet : www.unpious.com, "le journal qui donne la parole aux hassidiques marginaux". Enfin, depuis plusieurs mois, il a entrepris d’écrire son autobiographie

Tout a commencé alors que Shulem menait une vie bien paisible et encadrée de règles strictes dans le village de New Square, à moins d’une heure de New York, avec sa femme et ses cinq enfants. Ne croyant plus et aspirant à gagner le monde libre, Shulem décide de s’évader. Mode d’action : un poste de radio ! Dans cet environnement où tout est contrôlé, au sein même de son foyer, dans sa cuisine, Shulem, "ne pouvant plus résister" et "souhaitant assouvir sa curiosité du monde libre plus que toute autre chose", se branche sur un canal populaire, non pour écouter les cassettes des rabbins  , mais... des voix de femmes ! Alertée par ces sons inconnus, sa femme le prend en flagrant délit. L’affaire est dans le sac. À compter de ce jour, son mari est pour elle un ennemi.
Titanic les yeux fermés

Depuis 15 ans qu’il vivait dans une communauté où femmes et hommes ne marchent pas sur les mêmes trottoirs, Shulem n’avait guère commis d’entorse au règlement. Sauf lorsqu’il accompagnait ses filles à une bibliothèque publique pour apprendre à lire en anglais - et non en yiddish. À l’âge de 15 ans, profitant d’un relatif espace de liberté, il regarde le film Titanic, peu après le décès de son père, tout en obéissant aux sommations de sa grande soeur de se couvrir les yeux à chaque scène romantique, au motif que "ce n’est pas pour les garçons".

Shulem se tient tranquille. À 18 ans, comme tous les jeunes de son âge dans la communauté de Rockland County, on lui présente celle qui va devenir sa femme. La rencontre qui devait sceller leur union dure en tout et pour tout "dix minutes, au cours desquelles ne sont échangés que quelques mots", raconte-t-il. " Quand je l’ai vue pour la première fois, je n’ai ressenti pour elle qu’antipathie, voire sur le plan physique du dégoût", confesse Shulem.

Mais il passe outre sa réticence, car à l’époque, "ce qui était mon propre désir n’avait aucune importance. Ou en tout cas pas assez pour aller à l’encontre des décisions de notre rabbin   suprême", analyse-t-il rétrospectivement.
Relations sérieuses s’abstenir !

L’envie de quitter la communauté est donc arrivée progressivement, étape par étape, un processus dont il tient la chronique scrupuleuse. D’abord la perte de la foi : "Un matin comme les autres, alors que je commençais à m’enrouler les téfilines (1) autour des bras, j’ai réalisé que je ne faisais que singer mes pairs, que j’avais cessé d’être croyant." Puis son premier fast-food non kasher  , où il savoure du poulet. La honte mêlée de plaisir lui interdit d’en parler autour de lui.

Le processus d’émancipation de Shulem n’a pas été sans douleur. Pendant des années, il dit avoir souffert de "dissonance cognitive", habité qu’il était de croyances et de connaissances en contradiction avec son environnement. Désormais libre, Shulem ne voit plus que deux de ses cinq enfants, ses fils de 11 et 13 ans. Ses trois filles lui ont tourné le dos sous la pression de la communauté. La plus grande a 18 ans et va se marier ces jours-ci. "Elle accepte ce que le rabbin   choisit pour elle", dit Shulem.

Son retour au monde réel n’a pas non plus été très simple. Tous les amis de Shulem sont comme lui d’anciens juifs hassidiques. "Au-delà de la simple coïncidence, explique-t-il, il est plus facile de se comprendre entre personnes issues du même milieu, surtout quand il s’agit d’une culture insulaire. Ne serait-ce que pour parler de musique ! Nous avons été privés de cette culture de masse et nous n’avons pas les mêmes références que la plupart des gens." Seule exception à cette règle : "Mes petites copines, souffle-t-il au Point.fr. Elles ne sont jamais d’anciennes hassidiques ! Depuis mon divorce, je ne veux plus de relation sérieuse !"

De quoi faire de Shulem l’échappé hassidique le plus sexy du monde.

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