Parmi les quelques "doublures" possibles, l’un d’eux m’avait déclaré : tu peux me demander de parler de n’importe quelle parasha , sauf de celles qui se trouvent entre Trouma et Metsora ! Le message était clair : un manque d’intérêt presque total pour la construction du "mishkan " (le temple portatif du désert) et pour le culte des sacrifices, les deux sujets qui se trouvent au cœur des sections shabatiques des prochaines semaines.
Cette attitude est caractéristique d’une partie des maîtres du Judaïsme de notre époque, qui se sentent mal à l’aise par rapport à certaines parties du texte de la Torah aux aspects à la fois techniques et désuets, voir complètement coupés de la réalité de notre société du début du XXIe siècle. Car, en toute honnêteté, combien parmi nous se verraient-ils apporter leur sacrifice, taureau ou tourterelle, au sacrificateur pour le faire égorger ?
Il existe également une autre attitude, symétrique pourrait-on dire : dans ce cas les commentateurs de notre temps vont s’ingénier à rentrer dans chaque détail et détail du culte sacrificiel, comme s’il s’agissait de l’objet d’étude le plus essentiel du Judaïsme d’aujourd’hui, oubliant (ou faisant semblant d’oublier) que le Judaïsme fonctionne et continue à exister alors que depuis près de 2000 ans ce culte a disparu de notre vie concrète.
Entre ces deux approches, existe-t-il une troisième voie, qui permettrait de garder un sens à ces longs passages des livres de l’Exode et du Lévitique tout en maintenant au Judaïsme une dynamique de modernité.
Il nous semble que les étrangetés que présente l’œuvre de Maïmonide nous montrent la voie à suivre. En effet, Maïmonide , dans son code de Lois, le Mishné Torah, décrit avec minutie tant les lois liées au Temple que celles des sacrifices. Pourtant, dans son Guide des Egarés, il explique, par allusion ou parfois de manière directe, que le but de ces commandements réside dans l’intention véritable qui se dissimule derrière eux, et non dans leur mode d’application effective. Ainsi écrit-il à propos des sacrifices que "toutes ces prescriptions s’adressaient à ceux qui avaient la volonté (d’offrir des sacrifices)", soulignant que celui qui n’en offre pas ne commet aucune faute (partie 3, chapitre 46). Pour lui, l’intention dissimulée tant derrière l’édification du sanctuaire que derrière les sacrifices est liée au combat contre l’idolâtrie. L’idolâtrie se pratiquant, à l’époque de la Torah, à travers la construction de temples et le sacrifice à des idoles, Dieu avait autorisé, dans un cadre étroitement défini, l’utilisation des mêmes pratiques au profit de son culte, car c’est celles qui étaient alors universellement en usage.
Dans un passage remarquable (partie 3, chapitre 32), il montre comment son approche distinguant entre le but réel et le mode d’application de ces commandements s’appuie sur le message le plus authentique de la prophétie d’Israël : "Ce passage [où Jérémie soutient que Dieu n’a pas commandé les sacrifices, chap. 7, versets 22 et 23] a paru difficile à tous ceux dont j’ai vu ou entendu les discours. Comment, disaient-ils, Jérémie a-t-il pu dire de Dieu qu’il ne nous a rien prescrit au sujet des holocaustes et des sacrifices, puisqu’un grand nombre de commandement ne se rapportent qu’à cela ?
Mais le sens de ce passage revient à ce que je t’ai exposé [ici Maimonide paraphrase Jérémie, comme si Dieu s’dressait directement à nous] : "Ce que j’ai principalement pour but, dit-il, c’est que vous me perceviez et que vous n’adoriez pas d’autre que moi : Je serais votre Dieu et vous serez mon peuple. La prescription d’offrir des sacrifices et de vous rendre au Temple n’avait d’autre but que d’établir ce principe fondamental, et c’est pour cela que j’ai transféré ces cérémonies à mon nom, afin que la trace de l’idolâtrie fut effacée et que le principe de mon unité fût solidement établi. Mais vous avez négligé ce but et vous vous êtes attachés au moyen ; car vous avez douté de mon existence (..) ; vous continuez à vous rendre au Temple et à offrir les sacrifices, qui ne sont pas le but que l’on avait principalement en vue".
Nous n’avons plus de Temple aujourd’hui, ni de culte sacrificiel. Mais en commençant, avec la parasha Trouma, à aborder le texte décrivant ces deux sujets, l’injonction divine, relayée par Jérémie, puis par Maimonide , reste entière : cherchons dans ces textes de la Torah la véritable nature du texte divin, ce qui fait sens pour nous aujourd’hui dans notre recherche spirituelle, sans accorder aux moyens décrits dans ce texte la valeur et la sainteté qu’ils n’ont plus.
Rabbin Alain Michel – Rabbin Massorti à Jérusalem et historien
copyright Jerusalem Post