Des chercheurs du Mémorial de la Shoah aux Etats-Unis, se sont donnés la mission de recenser tous les ghettos, camps de travaux forcés, camps de concentration et d’extermination mis en place par les nazis ont dans toute l’Europe.
Les chercheurs ont répertorié quelques 42.500 ghettos et camps nazis en Europe, couvrant les zones contrôlées par les Allemands de la France à la Russie, et en Allemagne même, pendant la période durant laquelle Hitler a exercé le pouvoir en Allemagne, de 1933 à 1945.
Le résultat est tellement incroyable que même les spécialistes de la Shoah ont dû s’assurer qu’ils avaient bien entendu lorsque les principaux chercheurs leur ont fait part de leurs conclusions en janvier 2013 à un forum académique à l’Institut historique allemand de Washington.
"Les chiffres sont beaucoup plus élevés que ce que nous pensions, ils sont incroyables", a déclaré dans une interview Hartmut Berghoff, directeur de l’Institut d’histoire allemande de Washington, après avoir pris connaissance des nouvelles données.
Le recensement ne comprend pas seulement les camps d’extermination", mais également, par exemple, les milliers de camps de travaux forcés, les sites nommés par euphémisme "centres de soins", où, les femmes enceintes étaient contraintes à avorter – ou voyaient leurs bébés tués dès la naissance – ainsi que les maisons closes, où les femmes étaient contraintes à avoir des relations sexuelles avec des militaires allemands.
Auschwitz et une poignée d’autres camps de concentration symbolisent aujourd’hui la machine de mort nazie dans la conscience publique.
De même, le système nazi de ghetto est devenu associé à un site unique : le ghetto de Varsovie, célèbre pour son soulèvement en 1943 et sa destruction.
Mais ces sites, aussi infâmes qu’ils aient été, ne représentaient qu’une infime partie de l’ensemble du réseau allemand, comme le montre clairement la nouvelle recherche.
Les cartes que les chercheurs ont mis au point pour identifier les camps et les ghettos, transforment de larges pans de l’Europe pendant la guerre en camps de mort, de torture et d’esclavage, en Allemagne et en Pologne, mais également partout en Europe.
Les responsables du projet de recherche, Geoffroy Megargee et Dean Martin, estiment que 15 à 20 millions de personnes (Juifs, prisonniers politiques, prisonniers de guerre...) sont mortes ou ont été emprisonnées dans les sites qu’ils ont identifiés et répertoriés dans le cadre d’une encyclopédie en plusieurs volumes.
Le Mémorial de la Shoah a publié les deux premiers, et cinq autres sont prévus d’ici à 2025.
La connaissance de l’existence de nombreux camps et ghettos était auparavant fragmentée, connue pays par pays.
Les chercheurs ont collecté les données de près de 400 contributeurs, pour dresser une carte à l’échelle de l’Europe entière.
Le New York Times rapporte l’expérience d’Henri Greenbaum, 84 ans, survivant de la Shoah qui vit dans la banlieue de Washington, un vécu caractéristique de cette multiplicité des sites nazis.
Bénévole au Mémorial de la Shoah, lorsqu’il raconte aux visiteurs son expérience de la guerre, les auditeurs concentrent sur son enfermement à Auschwitz, le plus connus des camps.
Mais les images des autres camps où les nazis l’ont emprisonné sont ancrées dans sa mémoire aussi profondément que le numéro A188991 tatoué sur son avant-bras gauche.
En effet, Henri a d’abord connu le ghetto de Starachowice dans sa ville natale en Pologne, où les Allemands ont parqué sa famille –comme d’autres juifs polonais - en 1940, alors qu’il n’avait que 12 ans.
Il fut ensuite déplacé avec sa sœur dans un camp de travail à quelques pas des limites de la ville, tandis que le reste de sa famille était envoyé à la mort à Treblinka.
Après avoir été contraint au travail forcé en usine, les Allemands l’ont contraint - avec d’autres prisonniers - à creuser des tranchées qui ont été utilisées pour l’ensevelissement des corps des victimes.
Ensuite il fut envoyé à Auschwitz, puis retiré du camp pour travailler dans une usine de fabrication de produits chimiques en Pologne connue sous le nom de Buna Monowitz.
Lui et quelques 50 autres prisonniers extirpés d’ Auschwitz y ont été envoyés pour la fabrication de caoutchouc et d’huile synthétique.
Enfin, il a travaillé dans un camp de travaux forcés à Flossenbürg, près de la frontière tchèque.
À l’âge de 17 ans, Greenbaum avait été ainsi un "esclave du travail forcé" pendant 5 ans dans 5 camps différents.
Il était en route vers un sixième camp lorsque les soldats américains l’ont libéré en 1945. "Personne ne connaissait ces lieux jusqu’à maintenant", a déclaré Henri Greenbaum.
"Tout doit être recensé.
C’est très important. Nous voulons le dire aux jeunes pour qu’ils sachent, et qu’ils se souviennent."
Par ailleurs, cette recherche pourrait avoir des implications juridiques en aidant un petit nombre de survivants, grâce à ces informations, à récupérer des polices d’assurances, des compensations, ou des propriétés perdues.
"Combien de demandes ont été rejetées parce que les victimes ont été placées dans un camp que nous ne connaissions pas ?" a demandé Sam Dubbin, un avocat de Floride qui représente un groupe de survivants qui cherchent à porter plainte contre les compagnies d’assurance européennes.
Le Dr Megargee, principal chercheur, a déclaré que le projet faisait aussi évoluer la compréhension qu’ont les spécialistes de la Shoa de la façon dont les camps et les ghettos ont évolué.
Dès 1933, au début du règne d’Hitler, le Troisième Reich a créé environ 110 camps spécialement conçus pour emprisonner quelques dix mille opposants politiques.
Lorsque l’Allemagne a envahi et occupé ses voisins européens, l’utilisation des camps et des ghettos a été élargie pour enfermer et parfois déjà exterminer les Juifs mais aussi les homosexuels, les Tziganes, les Polonais, les Russes et de nombreux autres groupes ethniques de l’Est de l’Europe.
Selon les chercheurs, les types de camps et de ghettos ont énormément varié en fonction de leur mission, leur organisation et leur taille, en selon les besoins de l’appareil nazi.
Le plus grand site identifié est le ghetto de Varsovie, qui a enfermé jusqu’à 500.000 personnes.
Mais une dizaine de prisonniers seulement travaillaient sur le site München-Schwabing en Allemagne, l’un des plus petits camps.
De petits groupes de prisonniers y ont été envoyés depuis le camp de concentration de Dachau, surveillés par des gardes armés.
Ils étaient chargés de travaux domestiques dans la maison d’une dignitaire nazie, et …régulièrement battus ; il leur fallait nettoyer sa maison, son jardin et même construire des jouets d’enfants.
Lorsque la recherche a débuté en l’an 2000, le Dr Megargee s’attendait à trouver quelques 7.000 camps et ghettos nazis, selon les estimations d’après-guerre.
Mais les chiffres ont grimpé d’abord à 11.500, puis 20.000, puis 30.000, et désormais 42.500.
Les chiffres sont impressionnants : 30.000 camps de travaux forcés, 1150 ghettos juifs, 980 camps de concentration, 1.000 camps de prisonniers de guerre, 500 maisons closes remplies de femmes réduites à l’esclavage sexuel, des milliers d’autres camps utilisés pour euthanasier les personnes âgées et les infirmes, et pratiquer des avortements forcés, "germaniser" les prisonniers ou encore transporter les victimes vers les camps d’extermination.
Rien qu’à Berlin, les chercheurs ont répertorié quelque 3.000 camps, tandis qu’il y en avait 1300 à Hambourg.
Le Dr Dean, qui a effectué des recherches pour le projet, estime que les résultats ne laissent aucun doute dans son esprit sur le fait que de nombreux citoyens allemands, malgré les déclarations fréquentes de leur ignorance des crimes nazis après guerre, ont dû avoir connaissance de l’existence généralisée des camps nazis.
"Vous ne pouviez littéralement aller nulle part en Allemagne sans vous rencontrer à des camps de travaux forcés, des camps de prisonniers de guerre, ou des camps de concentration", a-t-il déclaré, "Ils étaient partout." (avec New York Times)
D’après un article du New York Times et Israël Info