De même, c’est avec stupéfaction que l’on constate la parution d’articles révisionnistes niant les chambres à gaz ou insistant sur la mainmise des Juifs sur l’économie mondiale dans des magazines à grand tirage (Marco Polo, février 1995 ; Shûkan Post, octobre 1999).
Il est certes toujours possible de mettre ces dérapages sur le compte de l’ignorance. S’il est un peuple dont les Japonais méconnaissent la culture, la religion et l’histoire, c’est bien le peuple juif ; tant que l’on reste dans l’archipel, le contact entre Japonais et Juifs demeure, pour ainsi dire, nul. En ce sens, les élucubrations de quelques auteurs et journalistes relèveraient d’un exotisme d’un autre temps ; le Juif, fantasmé avant d’être perçu, serait un être purement imaginaire, car avant tout lointain. Peut-on dédouaner pour autant l’antisémitisme japonais et les médias qui, comme par inadvertance, en font la publicité ? S’il s’agit d’une méconnaissance, alors cette méconnaissance est inadmissible, car elle blesse. Dans le même temps, elle dévoile la nature du racisme latent qui couve au sein de la société nippone, comme "affirmation inconditionnelle et exclusive d’une identité de groupe" (P.-A. Taguieff) : par la négation d’une humanité commune entre les Juifs et les Japonais, ces derniers se donnent, à moindres frais, l’illusion de pouvoir recoller les morceaux épars d’une identité désormais éclatée. L’antisémitisme procède ainsi d’une vision culturaliste et autocentrée du monde, qui, elle-même, flirte avec le nationalisme américanophobe d’un Shintarô Ishihara (l’actuel gouverneur de Tôkyô). La vigilance, on le voit, s’impose.
Kazuhiko Yatabe (intellectuel japonais)
Notes :
En ce qui concerne la présence juive actuelle au Japon, c’est à Tokyo que des Juifs américains se sont installés, et qu’une communauté comptant quelque six cents personnes évolue, avec une synagogue, un centre communautaire, un miqwé et autres structures essentielles. Le rabbin est Henri Noach du mouvement Massorti .
Site de la communauté de Tokyo