Voici la critique dithyrambique parue dans Le Monde par Jacques Mandelbaum :
Quoi de plus enthousiasmant, dans la routine des sorties cinématographiques, que d’assister de manière imprévue à la révélation d’un grand talent ? C’est ce qui arrive avec ce film court, suggestif et puissant, premier long métrage d’un réalisateur israélien totalement inconnu, David Volach. Celui-ci, avant de devenir, à l’âge de 22 ans, cinéaste, était un de ces juifs ultraorthodoxes, qui semblent tout droit sortis des anciens ghettos européens, que l’on croise dans les ruelles de certains quartiers de Jérusalem.
My Father, My Lord est ni plus ni moins que l’histoire personnelle de David Volach transposée en un récit cinématographique qui nous permet de comprendre les raisons pour lesquelles il a choisi de rompre avec ce milieu.
Mais ce film est en même temps beaucoup plus que cela. C’est une chronique de l’univers ultraorthodoxe comme on n’en a encore jamais vu au cinéma, parce que filmée de l’intérieur, sans manichéisme ni grand discours, à travers le regard sensible que porte un petit garçon sur sa famille et sur le monde.
Menahem a une dizaine d’années. Son père, Rabbi Abraham, est le chef spirituel d’une petite communauté ultraorthodoxe, sa mère femme au foyer.
Ils vivent au rythme d’une Loi juive qui détermine jusque dans ses moindres détails la globalité de la vie de ceux qui s’y soumettent. Tout l’intérêt et toute l’intelligence du film consistent à faire de cette "orthopraxie", plutôt qu’une idée abstraite dont il faudrait dénoncer les excès, la matière même d’une oeuvre qui se veut essentiellement comportementale.
Ce parti pris permet de faire physiquement ressentir au spectateur le rapport au monde qu’induit pour l’enfant la stricte observance de son milieu. Chaque geste, chaque parole, chaque acte de la vie quotidienne s’y trouve encadré et interprété, selon un dispositif qui tient à la fois du carcan volontaire et du filtre permanent introduit par la législation talmudique entre l’homme et le monde.
Son intérêt pour les animaux va progressivement révéler au garçonnet la cruauté d’une religion qui ne les tient guère en estime. La figure animale, symbole d’une nature non médiatisée et exécrée par le judaïsme, accompagnera ainsi le film jusque dans son pathétique épilogue, la disparition de Menahem au cours d’une des rares sorties que lui auront accordées ses parents, au bord de la mer.
Abandonnant à ce point du récit la chronique d’une réclusion en huis clos, le film prend soudain la forme d’une stupéfiante parabole grande ouverte sur l’horizon. La perte de l’enfant y redouble celle d’un petit poisson d’eau douce qu’il avait capturé en chemin et voulu sauver du milieu marin.
Empruntant, avec l’usage de cette parabole, une des armes favorites de la rhétorique rabbinique, Volach lui rend à la fois hommage et la retourne comme un gant. Il signe ce faisant un film admirable, dont la veine sensuelle et tourmentée célèbre la puissance émancipatrice du cinéma, entre l’onirisme d’un Alexandre Sokurov et l’âpreté d’un Ingmar Bergman.
Étude biblique sur le nid d’oiseau
A écouter par le rabbin Rivon Krygier
http://www.massorti.com/Un-nid-sur-...
Messages
J’ai trouvé ce film beau, dur, et très intéressant. C’est une vue de l’intérieur, donc pas une critique de quelqu’un qui n’y connait rien. Mais voilà un avis relevé sur allociné : lise83
Pour apprécier ce film, encore faut il adhérer à la vision de David Volach sur la religion juive. David Volach veut nous communiquer sa haine du milieu ultra-orthodoxe , mais il ne faudrait penser que ce film représente les religieux juifs en général. Les commentaires sur la Torah ou les paraboles qui nous sont présentées sont erronés : quelle simplicité, par exemple, que de présenter une scène dans une yechiva de Jerusalem où les enfants représentent le sacrifice d’Isaac comme si ce dernier allait mourir. Autre exemple avec le nid, la rabbin enlève la mère, en expliquant qu’il faut séparer la mère de ses petits, faux : on ne doit écarter la mère que pour ne pas avoir à prendre les oeufs devant elle, si on devait avoir a les consommer. Toujours, à propos des animaux, il faudrait savoir que les juifs religieux considèrent que les animaux ont une âme. Film à voir avec un esprit critique.
N’ayant pas les connaissances nécessairess, que pense le rabbin Dalsace de ce commentaire ? Merci de nous éclairer
Voir en ligne : AJCF
Je n’ai pas vu le film et ne veux donc pas le commenter.
C’est une évidence que tous les juifs ne sont pas comme cela, également chez les ultra-orthodoxes il existe des quantités de nuances.
La question de l’âme chez les animaux est complexe car il existe plusieurs degrés de l’âme… Donc pas si simple qu’un animal ait une âme si on se place au niveau spirituel.
J’ai vu moi-même des ultras faire exprès de chasser la mère (les œufs n’avaient aucun intérêt pour eux). Le but était d’exécuter la mitsva de « chasser le nid ». Je trouve cela absurde de le faire gratuitement, mais… cela existe.
Dans l’ensemble le monde ultra religieux a un rapport très conflictuel avec la nature et assez peu de respect pour les animaux, plus par ignorance et peur qu’autre chose. Le judaïsme appelle clairement au respect de la vie et des animaux de façon très pointilleuse. Le Rav Kook a écrit de très beaux textes là-dessus.
Donc pas d’amalgames mais critique légitime du cinéaste contre un monde qu’il connaît de l’intérieur.
Yeshaya Dalsace
Dans ce film un rabbin aurait dit que Dieu ne se préoccupe personnellement que de ceux qui suivent la Thora, tous les autres êtres étant considérés, animaux compris, comme une collectivité ; un ami d’enfance juif qui a vu ce film me demande (pensant que je peux répondre à cette question ce qui n’est pas le cas) si cette affirmation est issue de la Thora ou du Talmud ou de quelque autre texte faisant autorité et reconnu comme tel par le judaïsme dans son ensemble ou seulement par le judaïsme ultra orthodoxe qui est le sujet du film.
Je vous remercie. Amitiés.
Je ne sais exactement à quoi cela correspond, l’auteur du film l’a bien pris de quelque part. Ce genre de pensée existe parfois (mais pas unanimement) dans le monde ultra orthodoxe , assurément. Le reste du monde juif rejette ce genre d’affirmations. Cela dit il faut toujours nuancer de tels propos et les comprendre dans leur contexte textuel et historique. C’est pourquoi il faudrait savoir de quoi il s’agit exactement.
En tout cas l’histoire du prophète Jonas dans la Bible apporte un démenti à une telle affirmation, Dieu se préoccupe du sort non seulement de non juifs, mais de non juifs méchants et corrompus et mieux encore d’animaux comme le précise le dernier verset.
L’Eternel répliqua : "Quoi ! tu as souci de ce ricin qui ne t’a coûté aucune peine, que tu n’as point fait pousser, qu’une nuit a vu naître, qu’une nuit a vu périr : et moi je n’épargnerais pas Ninive, cette grande ville, qui renferme plus de douze myriades d’êtres humains, incapables de distinguer leur main droite de leur main gauche, et un bétail considérable !"
Maimonide dans son Guide des égarés (3.17), rejette l’idée d’une telle préoccupation divine envers les animaux non parlant (mais qu’est-ce qu’un animal parlant ?...). Cela est logique car pour Maimonide Dieu relève de l’intellect et de la capacité mentale d’abstraction… Mais les kabbalistes affirment qu’une telle préoccupation existe envers les animaux et même envers les plantes ! C’est notamment l’opinion de Baal Shem Tov et du Gaon de Vilna… (dans un de ses commentaires sur un livre de kabbale).
De toute façon, il faudrait discuter de ce qu’on peut comprendre par cette idée de Dieu qui s’occupe de chacun et comment…
Pas si simple tout cela.
Cordial Shalom
Rabbin Yeshaya Dalsace