L’une des femmes prie dans une synagogue où la séparation homme-femme est strictement appliquée. L’autre est membre d’une communauté où hommes et femmes prient ensemble mais qui n’accepte pas l’ordination rabbinique des homosexuels. La troisième appartient à un mouvement détaché de la Halacha mais qui revendique une identité juive dure comme pierre.
Bien que ces 3 femmes habitant Jérusalem représentent respectivement les courants orthodoxe , Massorti et libéral du Judaïsme, elles ont mis de côté leurs différences théologiques et idéologiques dans une volonté idéaliste de transformer la société israélienne.
« Cette idée est partie du mouvement libéral » explique Naama Dafni-Kellen, assistante sociale et aussi chantre qui lit dans la Torah avec les signes de cantilation. « Cependant nous avons vite réalisé que pour avoir un impact réel nous ne pouvions pas rester entre nous. Nous devons travailler avec tout le monde. Après tout, nous sommes embarqués tous ensemble sur le bateau sioniste. »
« L’idée » à laquelle N. Dafni-Kellen fait référence est la Kehilat Tzedek, mouvement populaire qui a pour ambition de développer l’action sociale au sein des communautés juives de toute obédience. Depuis sa création il y a 4 ans, 80 communautés ont rejoint ce mouvement dont 50 ont déjà un programme social bien défini. l’éventail entier du judaïsme y est représenté incluant des communautés qui se définissent comme laïques ou non religieuses telles que Nigun Halev du Moshav Nahala dans la Vallée de Jezreel ou Beit Tefila Yehudit à Tel Aviv.
Cette forme unique de coopération arrive à un moment où les différents courants du judaïsme, dans une volonté de préserver leurs différences, ont tendance à agir séparément. L’orthodoxie avec ses préjugés enracinés contre les courants libéraux et Massorti , mais aussi les courants non orthodoxes hésitent à coopérer avec d’autres mouvements que les leurs.
Cependant ces 3 femmes représentant les 3 principaux courants du Judaïsme, sont convaincues que dans le domaine de l’action sociale, la coopération est possible.
Contrairement à la prière, au rituel ou aux coutumes qui peuvent varier d’un mouvement à l’autre, une bonne action est universelle.
De plus, précisent-elles, aucune communauté n’est obligée de faire quelque chose qui heurterait sa sensibilité. Chacune de ces 3 femmes connait parfaitement les codes sociaux et religieux de leur courant respectif et sait bien ce qui peut être fait et ce qui est tabou. Par exemple, Kehilat Tzedek ne proposera pas à une communauté orthodoxe de soutenir des groupes homosexuels, projet qu’elle pourrait suggérer à une communauté libérale. Par contre, du fait de leur orientation religieuse commune, des communautés orthodoxes seraient plus à même d’aider des familles expulsées de Gush Katif en 2005.
La difficulté est de transformer une communauté qui se rencontre régulièrement pour la prière en un catalyseur d’action sociale. C’est là où Kehilat Tzedek intervient.
« Souvent les communautés nous contactent et nous disent : Nous voulons nous impliquer socialement, nous voulons aider, faire du bien, mais nous ne savons pas par où commencer », rapporte Tania Zion-Waldoks, la représentante du mouvement orthodoxe qui travaille aussi avec des communautés laïques.
« Le travail de Kehilat Tzedek est de rencontrer les représentants des communautés et de les aider à transformer leur désir « de bonne action » en action sociale concrète et soutenue. Ensuite nous fournissons un soutient constant et parfois même des fonds pour les projets.
A ce processus s’ajoutent des séminaires où, à partir de sources juives, on enseigne comment donner sans condescendance ni paternalisme, ce qui est l’essence même de l’action sociale juive . »
T. Zion-Waldoks ajoute que Kehilat Tzedek essaie de mettre le doigt sur les forces et les talents inexploités des communautés et en même temps de cerner les besoins locaux.
« Si une communauté est composée d’un grand nombre d’anglophones, nous proposerons qu’ils donnent des cours d’anglais gratuits aux enfants du quartier. Et si la communauté comporte beaucoup de sabras (Israéliens nés en Israël), ils pourront aider les nouveaux émigrants à naviguer dans la bureaucratie israélienne et à éplucher leurs factures en fin de mois. »
Un autre exemple concret est la Communauté Familiale Massorti (Kehilat Mishpartit Massortit) dans le quartier de Beit Hakerem à Jérusalem. Sur les conseils de Kehilat Tzedek, cette communauté massorti a décidé de créer un foyer pour femmes battues.
« Chaque Shabbat, un membre de la communauté conduit un office du soir pour les femmes et leurs enfants » explique Cami Mizrahi, représentante des conservateurs de Kehilat Tzedek. « Les garçons suivent des entraînements de football, ils partent en voyages et randonnées ensemble et célèbrent les fêtes ensemble. »
C Mizrahi explique que le succès de ce projet a grandi en même temps que la communauté apprenait à mieux connaître les besoins des femmes du foyer.
Cet exemple est un modèle de coopération entre les différents courants du judaïsme. En effet, une communauté orthodoxe du quartier ainsi qu’une communauté laïque, Achva, a rejoint la Kehila Mishpartit dans son projet de soutien aux femmes battues.
Un autre exemple est Shimshit, une communauté non-religieuse composée d’une quarantaine de familles regroupée au sein d’une colonie portant le même nom et comptant 550 familles, dans la Vallée de Jezreel.
Shimshit fait partie d’un phénomène spirituel fleurissant en Israël, le Renouveau Juif (hitchadshut yehudit). Contrairement au courant libéral, Massorti ou orthodoxe , qui se définissent très précisément, le Renouveau Juif, phénomène local, distinct du mouvement américain du même nom (Jewish Renowal), attire un grand nombre d’israéliens de souche et se défend bien de tomber dans une classification, quelle qu’elle soit. Ce mouvement rassemble principalement des Israéliens laïcs qui appliquent les rituels juifs tels que les prières du vendredi soir, les bat et bar mitzva et l’étude de la Torah mais sans aucun support religieux.
Kehilat Tzedek a aidé Shimshit à monter un comité de 12 volontaires à la tête d’un groupe de soutien qui pourvoit de l’aide non seulement à la communauté mais aussi à toute la colonie.
« Les membres de la communauté fournissent des services sociaux variés comme la visite aux malades, le covoiturage, l’aide ménagère aux femmes enceintes ou après l’accouchement, le soutient aux familles endeuillées. » précise T. Zion-Waldoks. « Les rituels juifs fournissent le ciment qui transforme Shimshit en une communauté soudée capable d’assurer une action sociale collective. »
La semaine dernière, Kehilat Tzedek a lancé son projet annuel d’assistance « Shabbat Derech Eretz (shabbat ouverture au monde) ». Chaque année, à l’approche de Shavouot, Kehilat Tzedek encourage ses membres à consacrer le shabbat précédent la fête à un débat sur les problèmes de l’action sociale. Le choix de ce Shabbat en particulier est lié à une interprétation hassidique disant « les rapports humains viennent avant la Torah » (derech eretz kadma le’Torah.)
Kehilat Tzedek déclare que tout comme le Shabbat précédent Pessah est appelé Hashabbat Hagadol (le Grand Shabbat) et le Shabbat avant Yom Kippur est appelé Shabbat Tshuva (Shabbat de la Repentance), alors le Shabbat avant Shavouot doit être appelé Shabbat Derech Eretz. « Ceci nous est enseigné par l’expression Derech Eretz vient avant la Torah. Puisque Shavouot célèbre le don de la Torah, cette fête doit être précédée d’un intérêt tout particulier pour les rapports humains. »
C. Mizrahi, N. Dafni-Kellen and T. Zion-Waldoks s’accordent sur le point que le principal obstacle qu’elles rencontrent est l’apathie.
« A un moment où le gouvernement est impliqué dans une suite de scandales et corruptions, et que le sentiment général est qu’il n’y a pas de dirigeants valables, les gens sont plus cyniques et désespérés. » pense T. Zion-Waldoks.
« Ils sont convaincus qu’ils ne peuvent pas changer grand chose. Nous sommes là pour dire qu’ils le peuvent. »
par Matthew Wagner