Si l’on définit ce groupe humain sur une base religieuse, on est amené à inclure parmi ses membres des incroyants dont certains revendiquent un judaïsme d’ordre seulement culturel, et d’autres une complète indifférence ; on exclut par ailleurs des adeptes sincères qui sont nés de mère non-juive et ne sont pas passés par une conversion. Le mot juif évoquant une origine en Judée, on doit se demander quelle rôle la nostalgie d’une même patrie ancestrale a-t-elle joué dans le maintien d’un certain degré de cohésion du groupe. Selon l’image employée par Saint-Exupéry pour décrire l’amour entre deux êtres - regarder ensemble dans la même direction, et non se regarder l’un l’autre -, on suggérera ici que les Juifs dispersés auraient dû, "logiquement", devenir de plus en plus étrangers les uns aux autres et ressembler de plus en plus aux peuples qui les ont accueillis dans l’exil, au point de se dissoudre en eux, si le fonctionnement "en réseau" des communautés dispersées n’avait maintenu une convergence des regards vers le pays où à la fois, jadis, avait été érigé le Temple et avait été expérimentée l’indépendance politique.
Qu’est-ce que la Diaspora ?
Le premier établissement de Juifs hors du Pays d’Israël est la conséquence de la destruction du Premier Temple de Jérusalem par Nabuchodonosor (586 a.e.c.).Déjà, en 720 a.e.c., les Assyriens avaient emmené en exil la majeure partie des dix tribus du royaume du nord, mais ces tribus sont dites perdues parce qu’elles ont perdu leur cohésion dans l’exil.Les deux tribus du royaume de Judah, par contre, conservèrent dans l’exil leur identité propre et la nostalgie du pays où, finalement, Cyrus autorisa ceux qui le souhaitaient à retourner et à rebâtir le Temple. Dès cette époque, une bipolarité s’installe entre Juifs résidant en Babylonie et en Judée - le terme juif (yehoudi) apparaissant dans le Livre d’Esther de la Bible pour indiquer que le personnage de Mardochée, à Suse, a des origines judéennes.
Le concept de Diaspora n’est cependant pas né dans le monde juif. Grecs et Phéniciens, dans l’Antiquité, ont donné l’exemple de peuples tournés vers la mer qui ont établi des comptoirs lointains, dont les habitants ont su garder, pendant de nombreuses générations, un lien avec la patrie de leurs ancêtres. Les descendants des Grecs fondateurs de Marseille étaient-ils d’abord gaulois, ou d’abord grecs ? Et les Carthaginois descendants de Phéniciens se reconnaissaient-ils dans l’ancienne métropole qu’ils avaient surpassée en puissance ? Les Juifs de Palestine, en tout cas, n’étaient pas indifférents à la navigation maritime - spécialité de la tribu de Zebulon, évoquée d’ailleurs sur son blason. C’est pourquoi à partir du règne d’Alexandre le Grand et de l’ouverture d’un vaste espace oriental politiquement unifié, des Juifs de plus en plus nombreux se sont établis sur le pourtour méditerranéen, non pas sous la contrainte d’une persécution, mais plutôt pour des raisons d’opportunité économique.
De sorte que la majorité des Juifs vivait déjà en Diaspora au temps de Jésus, contrairement au "mythe théologique" de la "Dispersion-Châtiment divin" dénoncé par Jules Isaac : il n’y a aucun rapport de cause à effet entre le peu d’adhésions parmi les Juifs à la messianité de Jésus et un exil forcé qui aurait suivi la destruction par les Romains du Second Temple. Accuser les Juifs de déicide était sans doute plus facile, lorsque le christianisme était devenu religion d’Etat de l’Empire, que de mettre en cause les autorités romaines. De même que de nombreux Juifs avaient émigré avant la défaite infligée par les Romains, la vie juive s’est maintenue encore longtemps après celle-ci. C’est à Alexandrie qu’a prospéré la plus importante de ces communautés de la Diaspora par choix, avec comme membre illustre le philosophe Philon, contemporain de Jésus.
Deux termes hébreux distincts, Gola et Galout, désignent la situation des Juifs vivant en dehors du Pays d’Israël : Gola est synonime de Diaspora, dispersion pouvant être aussi bien choisie que subie ; Galout désigne clairement l’exil, avec une connotation très négative de captivité.Un rappel : Israël est le nom donné dans la Bible au troisième des Patriarches, Jacob, après qu’il ait lutté contre un ange venu du ciel ; le peuple des enfants d’Israël, ou Israélites, habite le Pays d’Israël (Eretz Israël en hébreu, terme sans connotation idéologique), dont la Judée, autour de Jérusalem, est le coeur. Le nom de Palestine (Pays des Philistins) est imposé par les Romains, après l’échec en 135 de la dernière révolte juive, afin d’éradiquer le nom de Judée (Jérusalem elle-même ayant été débaptisée).
Un lien concret avec la Terre sainte
La persistance à travers les äges d’une Diaspora juive ne se comprend pas sans que soit pris en compte la présence permanente d’une population juive, même réduite, dans l’ancienne métropole, et le maintien d’un lien vivant entre cette population et les communautés de Diaspora.Le Yichouv, nom donné à la population des Juifs résidant en Palestine sous la domination d’autres peuples, n’a cessé, en effet, d’envoyer auprès de celles-ci des rabbins -émissaires, les chlikhim, qui non seulement répondaient aux questions d’ordre spirituel, mais aussi collectaient une sorte d’impôt volontaire que tous les Juifs s’astreignaient à payer.Il faut se souvenir, en effet, que le judaïsme est une religion de pratiques plus que de croyances, et que parmi les 613 commandements (positifs et négatifs) inventoriés par les rabbins , certains ne peuvent être accomplis qu’en résidant dans le Pays d’Israël. Cette résidence est elle-même considérée comme l’un des commandements les plus fondamentaux, distinct des commandements liés au Temple dont l’observance est suspendue tant que celui-ci n’est pas reconstruit.Tout se passe comme si la Diaspora avait désigné le Yichouv pour être son mandataire à travers les âges et accomplir en son nom ces préceptes là : de même qu’il est d’usage de contribuer par des dons d’argent à libèrer des jeunes gens des contingences matérielles pour qu’ils puissent étudier la Torah à plein temps, le Yichouv a pu se consacrer largement à l’étude religieuse et à la prière, actes qui prenaient une dimension particulière du fait du lieu où ils étaient accomplis.
Les historiens ont dénombré 800 émissaires sur lesquels ils disposent d’informations spécifiques, dont les correspondances et récts de voyage sont aujourd’hui une des principales sources internes pour l’histoire de la Diaspora ( à distinguer des sources chrétiennes et musulmanes).Le plus célèbre récit est sans doute celui de Haïm David Azoulay (1724-1806), dit le ’Hida, dont le Ma’agal tov (Le cercle vertueux) rapporte notamment sa visite à la cour de Versailles sous le règne de Louis XVI. En moyenne, un Juif de la Diaspora avait une seule occasion dans sa vie d’assister à une visite d’un de ces visiteurs prestigieux, dont les voyages duraient plusieurs années et qui parfois mouraient en chemin.Certains étaient victimes d’agressions, et on parle même de faux émissaires dûment démasqués... Jérusalem, Hebron (où sont enterrés les Patriarches), Safed et Tibériade sont, par ordre décroissant de sainteté, les quatre villes de Palestine ayant un statut religieux spécial et qui envoyaient des émissaires particuliers. Après l’interruption dûe aux Croisades, seule période où le Yichouv a été coupé des communautés de la Diaspora, ces dernières ont commencé à parrainer dans une de ces quatre villes des écoles talmudiques supérieures (yechivot) ayant un lien avec une communauté spécifique dont les dons leur étaient désormais affectés. C’est ainsi que Gérard Nahon dénombre 29 yechivot à Jerusalem au XVIIIème siècle, avec près de 500 élèves-rabbins , dans une ville où ne résident alors que quelques milliers de Juifs.
Les langues juives
Un autre aspect important du maintien séculaire de l’identité juive en Diaspora a été l’émergence des langues juives (ou judéolangues), au nombre de trois principales : le judéo-allemand (yiddish), le judéo-espagnol (djudezmo) et le judéo-arabe. Déjà, à l’époque de Jésus, les Juifs de Palestine, tout en priant en hébreu, parlaient l’araméen, langue dominante dans tout le Moyen-Orient, proche de l’hébreu comme le français peut l’être de l’italien. C’est pourquoi plusieurs prières importantes dans la liturgie comme le kaddich ont été formulées en araméen afin d’être mieux comprises par les fidèles de l’Antiquité. L’araméen est aussi la langue du Talmud de Babylone, partie principale du Talmud . Ce bilinguisme initial s’est prolongé dans la Diaspora par l’élaboration de langues juives spécifiques permettant aux membres de la Diaspora de parler la langue de leurs pays de résidence tout en gardant avec l’hébreu un lien vivant ne se limitant pas aux usages religieux. Les langues juives s’écrivent en effet dans l’alphabet hébraïque et comportent environ 15% de mots hébreux et araméens.
Le judéo-allemand comporte par ailleurs environ 70% de mots allemands, et le judéo-espagnol 70% de mots castillans.Dans ces deux langues, environ 15% des mots sont empruntés aux langues des pays par lesquelles les communautés sont passé au cours de leurs migrations : dans le cas du yiddish, les langues slaves et dans une moindre mesure les langues romanes ; dans le cas du judéo-espagnol, le turc pour les locuteurs des Balkans, ou l’arabe pour ceux de l’Afrique du Nord. Langues dites de fusion, elles peuvent mêler un vocabulaire emprunté à une langue et une syntaxe empruntée à une autre. Le dialecte occidental du yiddish a joué le rôle d’une langue de connivence ( de lèger décalage) dans un environnement germanophone, mais les dialectes orientaux ont été enclavés ( fortement décalés) dans un environnement de langues slaves, de même que le judéo-espagnol parmi les turcophones et les arabophones. Par contraste, le judéo-arabe a été une langue de connivence dans un environnement arabophone, comme le créole peut l’être parmi les francophones.
Parler le yiddish ou le djudezmo signifie parler le juif, ce qui suggère bien la fonction identitaire de ces langues : rester soi-même tout en absorbant la culture de son pays de résidence.Le fait que les Juifs perpétuent des langues conçues en Allemagne ou en Espagne loin de ces deux pays reflète ce que l’on appellera une Diaspora dans la Diaspora : la nostalgie d’un âge d’or supposé - à tort ou à raison - avoir été vécu par ses ancêtres à une étape donnée de leur parcours et qui vient s’interposer dans la mémoire collective entre l’ici et maintenant et la nostalgie originelle du Pays d’Israël. Le judéo-arabe ne dispose pas de mot pour se désigner lui-même - ses locuteurs disent simplement qu’ils parlent l’arabe...mais que les Arabes ne les comprennent pas. Le yiddish a été longtemps désigné péjorativement comme un jargon de mauvais allemand et n’a été reconnu comme langue de culture qu’au XXème siècle. Quant au djudezmo, il est souvent appelé improprement ladino, qui signifie latin : les émigrants qui quittèrent l’Espagne et le Portugal aux XIVème et XVème siècles n’avaient pas conscience que le castillan était en train de devenir une langue véritablement différente du latin, comme cela devient manifeste au XVIème siècle. Le judéo-espagnol calque, qui consiste à traduire mot à mot le texte des prières en espagnol en ne modifiant pas la structure hébraïque des phrases, est d’ailleurs à distinguer du judéo-espagnol vernaculaire, employé dans la vie de tous les jours, avec une syntaxe empruntée au castillan. Au XXème siècle, l’usage s’est répandu largement de transcrire le judéo-espagnol dans l’alphabet latin, ce qui n’abolit pas le lien entre cette langue et l’hébreu. On ne fera qu’évoquer, pour mémoire, le judéo-persan, le judéo-berbère et les autres langues, dialectes et parlers de la Diaspora.
L’autonomie juridique
Restant en contact avec le Pays d’Israël, parlant leurs propres langues, les communautés juives de la Diaspora ont en outre bénéficié à travers les âges d’une autonomie juridique consentie assez largement par les royaumes tant chrétiens que musulmans. Depuis l’appel de Jérémie à ne pas se rebeller contre la puissance babylonienne ni dans le Pays d’Israël nie dans la Diaspora, les rabbins ont théorisé une doctrine du quiétisme politique dont on retrouve la trace dans le principe évangélique de la séparation entre domaine de César et domaine de Dieu. Le Talmud de Babylone énonce au IIIème siècle :"la loi du royaume est la loi" (en araméen, "Dina de-malkhouta dina"), ce qui revient à distinguer le domaine de la loi civile, où doit prévaloir l’autorité du souverain du pays, et le domaine de loi religieuse, reçue de Dieu et qui doit régir strictement la vie personnelle.La formule Dina de-malkhouta dina a été citée devant le Conseil d’Etat quand, à partir de 1989, a été discutée la question du port du voile musulman à l’école publique française.
Dans la pratique, cela revient à rassurer le souverain sur la loyauté de ses sujets juifs, notamment à travers le paiement régulier de l’impôt (dont il étéit question dans la maxime évangélique), et à obtenir en contrepartie une large autonomie pour que les Juifs administrent leurs propres affaires selon leur loi religieuse : recours aux tribunaux du pays pour tout litige entre Juifs et non-Juifs, aux tribunaux rabbiniques pour tout litige opposant des Juifs entre eux.La Kehila est le nom hébreu de cette institution d’auto-administration qui a fonctionné universellement avec l’accord de fait des Etats. Assistance envers les plus pauvres et peréquation des ressources en vue d’un prélèvement fiscal efficace, gestion d’un espace de micro-souveraineté comme le quartier juif ou la localité juive entretenaient le souvenir de l’Etat indépendant du passé et donnaient un pouvoir important aus familles possédantes, l’autre source de pouvoir étant l’érudition religieuse permettant de dire le droit rabbinique.
Cycles et centres
Dans le récit biblique, déjà, alternaient des périodes de montée (alyah) vers le Pays d’Israël et de descente (yerida) vers l’Egypte ou la Mésopotamie. L’Histoire juive peut se décomposer en une série de cycles temporels eux-mêmes liés à la prédominance successive d’une série de centres géographiques. Le déclin du centre palestinien à l’époque romaine au profit du centre babylonien se reflète clairement dans la pondération du Talmud de Jérusalem inférieure à celle du Talmud de Babylone, considéré comme plus fondamental dans la construction de la Loi orale. Les grandes académies babyloniennes qui avaient pris le relai de celles de Palestine ont continué après la conquête arabe et musulmane l’oeuvre commencée sous les Sassanides, Bagdad étant la nouvelle capitale d’un même espace rayonnant sur l’ensemble du monde juif jusqu’au XIème siècle. Elles étaient dirigées par les geonim - dont le plus célèbre est Saadia Gaon (882-942) - souvent en conflit avec les exilarques, détenteurs du pouvoir administratif dans les communautés.Le centre juif de Bagdad commença à décliner en même temps que le califat abbasside.
Commence alors, après l’an 1000 et pour un demi-millénaire, un cycle occidental où le centre du monde juif s’est situé en Espagne mais aussi en France. En effet, l’influence immense de Rachi (1040-1105) sur l’ensemble du monde juif, prolongée par ses gendres, petits-fils et disciples appelés les Tossafistes (auteurs des Suppléments), excède largement l’effectif réduit du judaïsme français à cette époque. C’est au Moyen-Age qu’apparaissent dans la géographie juive les notions de Sefarad et Ashkenaz. Le premier terme est emprunté à partir du VIIIème siècle au Livre d’Obadia (Abdias en grec) de la Bible, où il désignait une ville d’Asie mineure, pour nommer l’Espagne . Le second, mentionné au tout début de la Torah (Genèse 10, 1-3), est le nom d’un descendant de Noé dont le père s’appelle Gomer : ce dernier nom s’écrivant en hébreu presque comme Germania, les rabbins ont convenu vers le début des Croisades que "les fils de Germania s’appellent Ashkenaz". La France du Nord est à la même époque baptisée Tsarfat, nom d’une ville située entre Tyr et Sidon, au Sud Liban, mentionnée dans le Livre des Chroniques de la Bible (mention reprise dans l’Evangile de Luc), puis dans la prophétie d’Obadia.
Le judaïsme de France du Nord participe à l’émergence d’un modèle ashkenaze porteur d’une approche spécifique des sources talmudiques, d’une langue yiddish née dans la vallée du Rhin (d’où la notion de dialecte occidental du yiddish). Parallèlement, le judaïsme de France du Sud, à travers les travaux considérables des traducteurs, grammairiens, médecins, philosophes, mystiques et autres talmudistes dits de Provence.
Il est en osmose avec le judaïsme d’Espagne de l’âge d’or sépharade. Dans son double aspect judéo-arabe et judéo-espagnol, celui-ci est le dépositaire de l’héritage babylonien et sait, à travers l’apport audacieux de Maïmonide , intégrer la philosophie d’Aristote.Le brillant cycle médiéval d’Occident se referme brutalement par une série d’expulsions : d’Angleterre en 1290, de France du Nord en 1394, d’Espagne en 1492, du Portugal en 1496, de Provence, enfin, en 1501. Les nouveaux Etats centralisés identifiés comme chrétiens se débarassent des minorités non-chrétiennes, et les nouvelles élites économiques se débarassent de leurs concurrents. L’Allemagne et l’Italie, seules, n’expulsent pas leurs Juifs, parce qu’elles n’ont pas d’Etat unifié, mais elles les enferment désormais dans des ghettos (le ghetto de Venise date de 1516).
Les pays hospitaliers aux Juifs persécutés se situent alors en Europe centrale, pour le monde ashkenaze, et dans les pays musulmans, pour le monde sépharade. La Pologne, par exemple, avait octroyé en 1264 une première charte dite de Kalisz, confirmée au XIVème siècle par le roi Casimir. Le nom hébraïque du pays, Polin, était interprété comme signifiant po-lin, ici on trouve le repos. Ces populations nombreuses s’installent pour partie dans un habitat entièrement juif, le shtetl, qui peut être un simple village, une localité ou même une ville plus importante .Les cosaques de Chmelnicki, venus d’Ukraine, massacrent un très grand nombre de catholiques et de Juifs de Pologne en 1648-49, mais la démographie du monde ashkenaze est très dynamique, au point qu’il devient prédominant par rapport au monde sépharade à partir du XVIIème siècle - inflexion qui coincide avec le début de l’éclipse de l’Empire ottoman. On peut bien parler d’un cycle centre-européen de l’Histoire juive. L’Empire ottoman et l’Empire chérifien du Maroc avaient accueilli au XVIème siècle des réfugiés dont le dynamisme culturel et économique était réputé. La ville de Salonique (la Thessalonique d’aujourd’hui), peuplée pour moitié de Juifs, fut la plus grande métropole sépharade de l’Histoire.Dans les Balkans existaient de vieilles communautés juivesdites romaniotes de culture byzantine. C’est surtout en Afrique du Nord que le clivage était sensible entre communautés autochtones de culture judéo-arabe et nouveaux arrivants judéo-espagnols dont les rabbins l’emportaient en prestige.
Ce cycle s’est terminé à partir de 1881 avec la première vague de pogromes dans l’Empire russe et le début d’une émigration de masse vers le continent américain. Jusqu’à 1924 (années où des quotas d’immigration restrictifs furent mis en place), 2 millions de Juifs franchirent l’Atlantique. Les pays d’Europe ocidentale reçurent une part de ce flux migratoire, qui s’amalgama avec les communautés locales composées d’un petit nombre de Portugais et d’Ashkenazes occidentaux. L’Europe centrale restait encore en 1939 le coeur démographique du monde juif, mais une de ses branches principales, composée de plusieurs millions d’âmes, était isolée derrière les frontières de l’U.R.S.S. C’est en 1940 sans doute que le nombre de Juifs dans le monde a atteint son apogée (17 millions environ), avant que ne commence la destruction nazie. L’émergence de l’Etat d’Israël comme pôle de population juive équivalent à celui des Etats-Unis a été très graduelle : on a dénombré, en 2006, environ 5,,5 millions de Juifs en Israël et autant aux Etats-Unis, pour un total mondial d’environ 13 millions très inférieur à ce qu’il était avant la Shoah. Entre temps, les Juifs ont quitté le monde arabo-musulman, du fait de la décolonisation et du conflit israélo-arabe, et dans une large mesure aussi, ont quitté l’ex-U.R.S.S
Scissions et divisions
Après la quasi-guerre civile parmi les Juifs de Palestine qui a facilité la victoire des Romains au Ier siècle (et est contemporaine des débuts du christianisme), la crise interne la plus grave qui a suivi est celle qui opposa les Karaïtes au courant rabbinique majoritaire à partir du VIIIème siècle et se solda par leur exclusion des communautés. Il s’agissait d’apprécier les parts respectives de la Loi orale et de la Loi écrite dans la législation pratique, les Karaïtes se tenant beaucoup plus près du sens littéral des Ecritures.1666 fut le point culminant d’une crise beaucoup plus grave par ses conséquences, lié à l’apparition à Smyrne du faux messie Sabbataï Zevi (1626-76) et à sa reconnaissance quasi-générale par le monde juif. Sommé par le Sultan de Constantinople de se convertir à l’islam pour obtenir la vie sauve, Sabbataï Zevi accepta, dans le cadre d’une théologie paradoxale, d’inspiration mystique, qui voyait dans la transgression des commandements un moyen de hâter la délivrance messianique. Dans le sillage de cette crise, une secte musulmane crypto-juive, les Dünmeh, s’est crée en Turquie. Puis le mouvement rebondit en Pologne avec le faux messie Jacob Frank (1726-91), qui milita pour une conversion de masse à un catholicisme lui aussi paradoxal. Le frankisme est contemporain de la grande controverse dans les mêmes régions d’Europe centrale entre le piétisme populaire des hassidim, adeptes du Baal Chem Tov (1698-1780), et les partisans du primat maintenu de l’érudition élitiste, préconisé par le Gaon de Vilna (1720-97).Est également contemporain, et presque voisin, le mouvement des Lumières juives (Haskala ) lancé par le philosophe Mses Mendelssohn (1729-86).Les fortes tensions qui ont traversé depuis lors le monde juif, autour de notions comme l’orthodoxie , l’orthopraxie et le rapport à la modernité trouvent leurs sources dans les clivages apparus à cette époque.
Christianisme et islam
Dynamique interne de la foi et de la culture juives et forces de rejet venant des sociétés environnantes interagissent pour expliquer la pérennité juive. ( A contrario, la Chine offre l’exemple d’une communauté juive qui s’est dissoute au fil des siècles du fait de n’avoir jamais rencontré d’hostilité dans leur environnement). La théologie dite de la substitution formulée par les Pères de l’Eglise considérait les Juifs comme déchus de l’Election exprimée dans l’Ancien Testament, et remplaçés auprès de Dieu par le Verus Israël, autrement dit l’Eglise. La polémique chrétienne s’était durcie après l’an 1000, avec les accusations de crime rituel, de propagation de la peste, de profanation d’osties, ainsi que le mythe tardif du Juif errant.Ces accusations qui avaient précédé les expulsions médévales d’Occident ont resurgi en plein XIXème et XXème siècles en Europe centrale, exacerbées par l’antisémitisme de type racial secrété entre temps en Occident. Ce n’est qu’en 1965 que le concile Vatican II de l’Eglise catholique a formellemnt abandonné l’accusation de déicide portée à la fois contre tous les Juifs vivant en Palestine au temps de Jésus, et contre tous les Juifs de tous les temps et de tous les pays. Depuis, une révolution théologique profonde a commencé à reestituer aux chrétiens le personnage de Jésus comme Juif, prêchant l’amour de tous les hommes et donc aussi des Juifs, dont il n’avait jamais abandonné la religion.
Par ailleurs, en pays d’islam, l’application du statut de dhimmi (protégé) fait aux chrétiens et aux Juifs minoritaires a donné lieu à de multiples humiliations et violences, et, dans les périodes les plus fastes, à un traitement paternaliste incompatible avec les valeurs démocratiques modernes. Des traces de ces conceptions ne manquent pas de transparaître dans les comportements des populations musulmanes vivant dans l’Occident d’aujourd’hui en situation de minorité.
Conscience historique et historiographie
Comme l’a souligné Yosef Yeushalmi, la conscience historique s’est cristallisée tardivement dans le monde juif, alors même que le travail de la mémoire collective y est particulièrement intense depuis l’Antiquité. Depuis Flavius Josephe, cas isolé d’un Juif écrivant l’histoire des suiens à la manière des Grecs, le monde juif n’a eu ses historiens qu’à partir du XIXème siècle, en réaction à certains biais dans les travaux sur l’Histoire des Juifs publiés par des auteurs protestants comme le Franco-Hollandais Jacques Basnage (1653-1725). Les savants allemands du groupe dit de la Science du judaïsme (Wissenschaft des Judentums) se sont efforcés d’utiliser les méthodes de l’archéologie, de la philologie et de l’histoire scientifique. Parmi eux, l’historien majeur a été Heinrich Graetz (1817-91), auteur d’une Histoire des Juifs en onze volumes (1853-76, qui tendait à démontrer la vitalité du peuple juif et sa capacité à se projeter dans l’avenir malgré les crises traversées.La lacune principale de son oeuvre était un point de vue trop occidental, minorant l’apport du judaïsme profond de l’Europe centrale. C’est de ce dernier milieu qu’est issu le grand historien juif russe Simon Doubnov (1860-1941), auteur lui aussi d’une Histoire universelle des Juifs en dix volumes (1925-29) faisant toute sa place au monde yiddishophone. La dernière étape du développement de l’historiographie juive a été l’introduction par l’Austro-Américain Salo Baron (1895-1989), fondateur de la chaire d’histoire juive de l’université de Columbia à New York, d’une approche plus complexe reflètée dans le titre de son ouvrage en 18 volumes, Histoire sociale et religieuse des Juifs (1952-83). Quant à Benzion Dinour (1884-1973), chef de file de l’école israélienne d’histoire juive, il fut le spécialiste de l’étude des liens entre la Diaspora et le Pays d’Israël à travers les äges, et eut à formuler, comme ministre de l’éducation, les premiers programmes scolaires israéliens.
On retiendra, en conclusion, que la dialectique de la ressemblance et de la différence est à l’oeuvre dans cet objet insaisissable qu’est la Diaspora juive.
Philippe Boukara
Orientation bibliographique
Ouvrages généraux
Elie Barnavi (dir.) : Histoire universelle des Juifs, Hachette, 2002
Simon Epstein : Histoire du peuple juif au XXème siècle, Pluriel Hachette, 1998
Shmuel Trigano (dir.) : La société juive à travers l’Histoire, Fayard, quatre tomes, 1992
Simon Doubnov : Précis d’histoire juive, Cerf, 1992
Histoire moderne du peuple juif, Cerf, 1994
Le Livre de ma vie, Cerf, 2001
Yosef Yerushalmi : Zakhor - histoire juive et mémoire juive, Découverte, 1984
Ouvrages spécialisés
Jean Baumgarten, Rachel Ertel, Itzhok Niborski, Annette Wieviorka (dir.) : Mille ans de culture ashkenaze, Liana Levi, 1994
Mark Zborowski et Elisabeth Herzog : Olam - dans le shtetl d’Europe centrale avant la Shoah, Plon, 1992
Rachel Ertel : Le shtetl - la bourgade juive de Pologne, Payot, 1982
Jean Baumgarten : Le yiddish, Que sais-je ?, P.U.F., 1990
Nachum Gidal : Les Juifs en Allemagne - de l’époque romaine à la République de Weimar, Könemann, 1998
Irving Howe : Le monde de nos pères - l’extraordinaire odyssée des Juifs d’Europe de l’Est en Amérique, Michalon, 1997
Henri Mechoulan (dir.) : Les Juifs d’Espagne - histoire d’une Diaspora (1492-1992), Liana Levi, 1992
Cecil Roth : Histoire des marranes, Piccolo Liana Levi, 1990
Note
"Les deux textes sur l’histoire des Diasporas juives et sur l’histoire des Juifs de France sont issus de stages de formation sur Le fait juif organisés conjointement par le ministère de l’éducation nationale et la Fondation pour la mémoire de la Shoah, dont les interventions doivent être publiées prochainement. Ils ne sont ni des textes d’érudition ni des travaux de recherche, mais se proposent seulement de faciliter l’approche didactique par les enseignants du secteur public de sujets qu’ils maîtrisent mal".
Messages
ET toi ??????
toujours en vie apres ttes ces histoires ,,,, ??????