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La religion : un chemin vers soi ?

La religion : un chemin vers soi ?

Toute religion présente deux aspects, l’un institutionnel ou exotérique, l’autre mystique ou ésotérique.

Exotérique, ce sont les rites, les réunions des croyants, l’organisation interne, les règles morales. Esotérique, ce qui est de l’ordre de la quête intime et, parfois, de l’initiation. Si les diverses religions enseignent que le divin se manifeste dans le monde, les diverses spiritualités témoignent que la nature véritable du divin est infinie, ineffable, inconnaissable en son essence. Pourtant, Il Se révèle à cette créature composite et limitée qu’est l’être humain...

Chaque religion donne plusieurs noms à Dieu, qui sont autant de représentations mentales, intellectuelles, affectives, ou mystiques. Connaître Ses différentes appellations n’est pas Le connaître. C’est être face à un immense prisme en cristal aux innombrables entailles, sous la lumière du soleil. S’il nous est donné de voir devant nous l’éclat de quelques-unes de ces facettes, la lumière n’en éclaire pas moins toutes les autres, inaccessibles à nos yeux.

La tradition

La religion est à la fois ce qui relie et ce qui se relit : un lieu d’identification à une tradition - d’où son caractère institutionnel. Elle interprète, donne des règles de vie et signifie ce qui est normatif (principes et règles), d’où son côté exclusif. La religion distingue le vrai du faux, et de cette distinction naissent d’autres subdivisions qui créent des orientations et des identités, mais aussi de l’intolérance et des conflits. Pourtant « la grandeur d’une religion ne réside pas dans son pouvoir de conviction, mais dans sa capacité à donner à penser à celui qui n’y croit pas » (Grand-Rabbin   G.Bernheim.).

Le judaïsme traditionnel se caractérise par une minutie de l’observance : la Halakha  . Il nous faut - et c’est là toute la difficulté - à la fois nous ouvrir à l’Absolu infini, et maintenir la fidélité au licite et à l’illicite – autrement dit : à la loi. Mais l’attention pointilleuse est aussi le point de départ des voies mystiques de la Kabbale médiévale ou du Hassidisme   rhénan. La source de la pratique – la loi - étant considérée comme d’origine divine, la vie spirituelle ne fait pas l’économie de la pratique religieuse : elle l’utilise comme un tremplin. Pensons à Yosef Karo qui, au XVI° siècle, a composé le “Shoulkhan Aroukh  ” - grandiose codification de la Torah : c’est un mystique qui écrit cette somme juridique ! Pour lui en effet, l’aboutissement de l’itinéraire spirituel passe nécessairement par l’obéissance : c’est grâce à la mise en acte de la loi - les mitzvot - que le croyant devient réellement serviteur de Dieu

(La première des sefirot, qui ouvre le chemin vers la dimension infinie du divin, s’intitule Malkhout (la Royauté) : si Dieu est le Roi suprême, l’homme est le serviteur suprême.).

La pratique religieuse peut être motivée par l’obéissance, ou par le sens que l’on trouve au rite et qui nous satisfait intellectuellement. Au plan spirituel, la pratique est motivée par ce qui est de l’ordre de l’adoration : rendre un culte à Dieu - pour Dieu seul - à l’exclusion de tout autre objectif ou finalité. Ce que Bahya ibn Paqûda (XII° siècle) nomme « les Devoirs du coeur ». Il existe d’ailleurs un mot en hébreu - kavana – pour dire l’intention bien dirigée, la ferveur qui vise à « adhérer à » la volonté divine avant tout acte, toute parole, voire toute pensée à Son adresse. Du coup, « la relation de l’homme à la volonté divine n’est pas de l’ordre d’un rapport entre deux objets distincts, elle est en rapport avec deux niveaux de manifestation d’une réalité unique »

(C.MOPSIK).

Le souffle

A la fois souffle vivifiant et mise en retrait, inspir et expir, la spiritualité touche au mystère de toute existence. Elle commence peut-être par une double intuition : l’intuition que nous sommes perfectibles, et celle de ce qui nous manque : l’accès à une « Réalité » absolument autre, au-delà de l’intelligence, au-delà des distinctions de la raison raisonnante. « Dieu est le Lieu du monde, mais le monde n’est pas son lieu » (adage talmudique). La quête intérieure, en termes de « soif » (de Dieu) - expression récurrente chez les mystiques, à commencer par David - est un désir ardent d’accomplir la volonté divine. Ce qui appelle l’orant à se perfectionner encore et encore, pour parvenir un jour à aimer Dieu « de tout ton coeur et de toute ton âme et de toute ta force ». Cela peut aller jusqu’à un effacement de l’ego, pour enfin entendre de Dieu non ce qu’on a envie d’entendre, mais un murmure qui vient d’ailleurs que de nous-même – tel que l’a peut-être perçu Elie le prophète, dans la grotte du mont Horeb. (1Rois 19,12)

Dieu n’a pas de visage. Pourtant l’humain s’en fait – sinon des images, ce que le judaîsme proscrit - du moins une idée. Or le divin ne se laisse ni restreindre ni voiler par quelque représentation qu’on s’en fasse. L’homme de spiritualité peut seulement « voir » que Dieu est à la fois le but vers lequel il tend de toute sa ferveur… et l’origine de sa nostalgie : ne sommes-nous pas exilés du Lieu que nous n’aurions jamais dû quitter – et dont le jardin d’Eden est une métaphore ?!

Paradoxalement, si tant de mystiques – à commencer par les prophètes - ont des visions, c’est peut-être qu’ils ont su renoncer aux images créées comme aux images mentales pour d’autres types de représentations : celles que Dieu Lui-même place, dans le coeur purifié par un travail sur soi qui est de l’ordre de l’ascèse . Il existe dans le judaïsme, depuis Abraham Aboulafia (XIII° siècle), des exercices spirituels, dont un en particulier mérite qu’on s’y arrête : la hazkara. Par l’énonciation répétitive et intentionnelle du Nom de Dieu, Aboulafia pense que l’homme peut se mettre en condition de recevoir l’effusion divine. Or ce kabbaliste a choisi un exercice qui vient de l’islam : la spiritualité soufie enseigne que le coeur de l’homme est entouré d’une gangue dure, sur laquelle l’invocation du Nom opère comme un marteau : l’invocation répétée, à l’instar de coups répétés sur une carapace, frappe jusqu’à la faire éclater, pour qu’en jaillissent les étincelles spirituelles. L’invocation va en quelque sorte polir le coeur et le rendre semblable à un miroir sur lequel peut Se réfléchir la lumière divine. Ce qui n’est pas si éloigné de ce que nous méditons dans la prière du matin : « Car c’est dans Ta lumière que nous verrons la lumière ».

(La proximité de ces deux pratiques - hazkara dans la tradition juive, dhikr dans la tradition mystique musulmane – est un exemple de l’intérêt d’un dialogue entre judaïsme et islam.)

L’homme a sans doute été créé « désirant-Dieu », et le désir amoureux est une expression constante de l’amour mystique chanté dans le Cantique des Cantiques. Pour autant, le face-à-face avec Dieu n’est généralement pas, pour le judaîsme, le désir de fusionner avec le divin, sans doute parce que l’homme doit toujours avoir présente à sa conscience l’humanité d‘autrui. L’Un est contenu dans chaque visage d’homme ou de femme autant que dans chacune des voies spirituelles de l’humanité. Autrement dit, les hommes et les femmes en quête d’intériorité sont capables d’altérité. « Si je ne rencontre pas l’autre en tant qu’Autre, je me prends pour l’autre... et là germe la violence »

(Grand-Rabbin   M.R. GUEDJ).

Juifs, nous avons en héritage une tradition. Individuellement, nous la vivons à notre manière, et nous sommes confrontés à d’autres manières de la vivre. Le Livre de Job illustre cette confrontation : il nous présente, d’un côté les discours plein de certitudes des visiteurs de Job, de l’autre son cheminement-propre, qui aboutit à cette exclamation : « Je Te connaissais par ouï-dire, maintenant mon oeil T’a vu ! » (Jb 42,5). Comme si, entre affirmations religieuses et chemin spirituel, il incombait au lecteur de choisir sa voie. Bien avant que Moïse enseigne à tout Israel que Dieu « est Un », l’itinéraire d’Abraham nous indique que l’Un est d’abord, pour l’homme, un chemin vers soi : « lekh lekha « , va vers-toi-même. Ce chemin conduit à la promesse : « en toi seront bénies toutes les famillles de la terre ». Bénédiction universelle pour nous conduire, avec les familles de la terre, à l’Un qui n’a ni commencement ni fin... « En ce jour-là, Dieu sera Un et son Nom sera Un »..

am. Dreyfus

Bibliographie

Emmanuel Lévinas Transcendance et intelligibilité Labor & Fides

Moïse Haïm Luzzato Le sentier de rectitude Ed. Sagesses

Charles Mopsik La Cabale Jacques Grancher

Bahya ibn Paqûda Les Devoirs du cœur Desclée de Brouwer

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