Celui-ci, en effet, est mort dans le désert, et n’ayant que des filles, sa part devrait être partagée entre ses frères. La loi de l’époque, en ce qui concerne la possession foncière, ne reconnaît que la propriété masculine. Les filles de Tsélofhad provoquent une petite révolution juridique : au verset 7 Dieu intervient lui-même et fait attribuer aux jeunes femmes une propriété en Israël.
Le midrash rabba s’intéresse au fait même de la démarche de ces cinq sœurs. Comment ont-elles osé s’avancer devant Moïse et toute l’assemblée pour contester ce qui venait d’être décidé ? La réponse du midrash est fascinante : "Dans cette génération, les femmes mettaient des limites à ce que les hommes faisaient avec précipitation". Et de citer deux autres exemples : au moment du veau d’or, Aaron avait donné l’ordre aux hommes de prendre les boucles d’oreilles en or de leurs femmes, et celles-ci refusèrent, s’abstenant de participer à cette faute. De même, au moment des explorateurs, elles ne s’associèrent pas au complot contre l’entrée en Israël et c’est pourquoi, d’après le midrash , elles ne sont pas décédées dans le désert comme toute cette génération et on eu le droit de rentrer en Israël.
[*Cette comparaison est intéressante puisqu’elle met sur le même plan la tentative d’idolâtrie, le refus du sionisme et la décision d’exclure les femmes de l’héritage !*] Epoque bénie où les femmes non seulement peuvent dire leur fait, mais peuvent également corriger les erreurs provoquées par la nature masculine : la tendance à la précipitation, la volonté de conquête et de construction (ce qui est positif) mais en oubliant trop facilement les conséquences négatives.
En quelque sorte, il ressort de ce midrash une impression intéressante : si Dieu nous a fait de nature différente, c’est pour que nous nous complétions. Mais cette association naturelle entre la femme et l’homme ne passe pas par la division des domaines, comme certains tentent de nous faire accroître (rappelons nous les 3 "K" de l’époque nazie : la maison, l’église et les enfants), mais par une capacité d’écoute et de partage des décisions dans tous les domaines. Ah, si les explorateurs avaient écoutés leurs femmes !
Que s’est-il donc passé pour que cette situation du désert se soit transformée ? [*Le midrash conclu que depuis l’entrée en Israël "les hommes se sont précipités et ont limité les femmes"*]. La conquête de la terre a donc entraîné une sorte de "prise de pouvoir" de la part des hommes et la société hébraïque est devenue une véritable société patriarcale où la femme est muselée et ne peut plus contester les décisions masculines.
Nous ne sommes plus aujourd’hui au temps de Josué ou du roi Salomon. La construction de l’Etat d’Israël actuel s’est faite dans un autre contexte, celui de la modernité. Non seulement de nombreuses femmes ont joué un rôle important dans l’aventure sioniste, mais nous avons même eu une femme comme premier ministre. Pourtant, il reste un domaine où l’esprit du désert et des filles de Tsélofhad ne souffle pas encore vraiment : celui de la Halakha , de la loi juive religieuse. Là, on considère encore la femme comme une mineure légale, et dans les milieux les plus traditionalistes elle n’a pas vraiment droit au chapitre, le pouvoir masculin étant absolu et incontesté. C’est au nom du respect de la tradition que cet état de fait subsiste. Mais outre le fait que le midrash montrait déjà il y a deux mille ans le mal fondé de cette situation, il nous paraît intéressant en conclusion de citer les propos du Professeur Leibovitch, que l’on ne peut pas soupçonné d’avoir été un contestataire de la Halakha traditionnelle : "le sujet que l’on nomme "les femmes dans le Judaïsme" est quelque chose d’essentiel pour le Judaïsme aujourd’hui, plus que toutes les questions politiques liées au peuple et à l’Etat. Le refus de traiter sérieusement ce problème met en danger la poursuite de l’existence du Judaïsme de la Torah et des commandements dans notre monde".
Rabbin Alain Michel – Rabbin Massorti à Jérusalem et historien
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