Le rav Menahem Fruman est décédé d’un cancer le 4 mars 2013. Son parcours éclectique mérite d’être souligné.
Né en 1945, en Galilée, dans une famille non religieuse, il sert dans Tsahal et fait partie des soldats qui vont libérer le Kotel durant la guerre des six jours. Il fait alors un retour à la religion et part étudier dans diverses yeshivot. Il adhère au courant sioniste religieux et devient une des figures dominantes du Goush Emounim, le bloc de la foi, un groupuscule d’activistes à la tête du mouvement des implantations. Il a alors tout pour devenir un des fers de lance d’un nationalisme religieux sans grande considération pour l’autre, le palestinien sous occupation. Mais Menahem Fruman va surprendre son propre camp en devenant un interlocuteur privilégié du monde musulman dans la région et ira même jusqu’à s’entretenir avec des dignitaires affiliés au Hamas.
Son idée était relativement simple : on ne peut résoudre le conflit israélo-palestinien sans tenir compte du facteur religieux et c’est donc aux religieux de se parler. Pour lui, la paix passe par les extrêmes, le Goush Emounim juif et le Hamas palestinien (même si ces mouvements ne sont évidemment pas comparables dans leur idéologie, leur mode d’action et leur projet politique). Il aimait à dire qu’il comprenait le langage de ses interlocuteurs car lui-même partageait les mêmes convictions envers le judaïsme... Autant dire que sa position ne faisait pas l’unanimité et qu’il fut largement critiqué.
Cependant, il continua toute sa vie à entretenir le dialogue. Il discuta avec Yasser Arafat, le sheikh Yassine (fondateur du Hamas) et toutes sortes de dignitaires religieux musulmans. Si l’initiative de Genève est bien connue du grand public : un traité de paix virtuelle entre des universitaires israéliens et Palestiniens, l’initiative individuelle du rabbin Fruman l’est moins. Il négocia en 2008, avec un journaliste de Gaza proche du Hamas un cessez le feu, n’impliquant pas la reconnaissance d’Israël par le Hamas, mais reconnaissant une présence juive sur le terrain... (donc dans des termes acceptables pour le Hamas, mais inacceptable pour l’Etat d’Israël qui exige une reconnaissance en bonne et due forme). Cet accord reste une première et reçu le soutien de dignitaires du Hamas dont celui de Khaled Meshal, le dirigeant en exil. De son côté, le gouvernement israélien ne donna aucune suite et refusa de reconnaître ou de commenter cette initiative.
Il pensait que Jérusalem ne devait pas être la capitale de l’Etat d’Israël, mais celles des trois monothéismes, une véritable capitale internationale de la paix. Il ne croyait pas en la capacité des laïcs à faire la paix sans tenir compte des dimensions religieuses du conflit et il croyait en la capacité des religions à transcender le politique.
Il soutenait la création d’un Etat palestinien et affirmait vouloir vivre là où il vivait, sur la terre d’Israël, y compris sous souveraineté palestinienne. Il était donc contre l’évacuation des implantations, mais pour trouver un compromis afin que celles-ci soient incorporées à l’Etat palestinien. Il manifesta d’ailleurs son opposition à l’évacuation unilatérale de la bande de Gaza en 2005 et alla même un temps s’installer dans le Goush Katif qu’il pensait pouvoir être maintenu sous souveraineté palestinienne.
Ses positions déconcertaient et l’avait même rendu détestable aux yeux de certains comme les Cahanistes qui prônèrent l’excommunication contre lui.
Le rabbin Menahem Fruman détonnait donc fortement dans le paysage des implantations. Il habitait celle de Tekoa, dans le désert de Judée. C’était donc un "colon" et par son apparence, la figure même de l’extrémiste religieux avec son énorme kippa, sa longue barbe sur laquelle tombaient de longues payess de hassid. Mais quand on lui parlait, on avait affaire à un homme d’une immense douceur qui vous regardait avec ses grands yeux rêveurs et aimait à vous prendre la main tout en discutant. Un homme du contact humain, chaleureux, un mystique du retour à un monde abrahamique. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises, c’était toujours surprenant. Je me souviens de sa maison, typique de celle des implantations, dans laquelle régnait une atmosphère assez étrange d’un mélange entre plusieurs mondes, le religieux, l’artistique (il écrivait de la poésie), le politique (mais faisait-il vraiment de la politique ?), l’humain extrêmement accueillant et chaleureux avec tous, le tout dans une simplicité, voire une naïveté, déconcertante.
Je me souviens également d’une veillée commune de Shavouot, où au milieu de la nuit, au lieu de donner son enseignement portant sur le hassidisme , il nous avait tous assoupis dans un exercice de méditation autour d’un verset...
Prier en sa compagnie était un moment assez intense, comme si le ciel allait s’ouvrir pour de bon !
Chacun de ses dix enfants porte en prénom le verset d’un poème, par définition jamais terminé et toujours en devenir.
A son enterrement, des centaines de personnes sont venues, on lui a rendu hommage de tous les bords du monde politique et religieux.
Il ne faut cependant pas trop idéaliser le personnage, si séduisant par son originalité et sa douceur, car ses conceptions n’étaient pas très réalistes, empreintes de mysticisme messianique ; il s’entendait avec les extrémistes musulmans car lui-même était un radical. Sur une tout autre question, sa radicalité s’était exprimée lorsqu’il avait par exemple affirmé qu’il faut prendre le deuil pour une fille lesbienne et donc ne plus la voir ! Par sa conception de Jérusalem capitale des religions, il était fermement opposé à toute Gay Pride dans cette ville et avait manifesté pour son interdiction en criant au blasphème. Son rêve de coexistence avec l’islam fondamentaliste peut donc être également vu comme un cauchemar aux yeux de ceux qui adhèrent à une vision plus modérée, démocratique et ouverte de la société. Mais qui sait ? Son idéal était de mettre en harmonie les contraires, la gauche et la droite, les religieux et les athées, sans pour autant transformer les uns en ce que voudraient les autres. Le paradoxe ne lui faisait donc pas peur.
Même avec ses limites, le personnage manquera au paysage de l’interreligieux et le judaïsme perd une belle personnalité, de ces gens que leur grain de folie, leur indépendance, leur poésie, rendent irremplaçables. Il manquera, assurément.
יהיה זכרו ברוך
Yeshaya Dalsace
Messages
Quelques phrases dans l’article me gênent un peu. Tout d’abord celle -ci : "Pour lui, la paix passe par les extrêmes, le Goush Emounim juif et le Hamas palestinien". Comment peut-on mettre sur le même pied le Goush Emounim et le Hamas ? Même si on ne partage pas les convictions du premier, il n’est en aucun cas un mouvement terroriste, le deuxième si ! Ensuite, si vous considérez le premier semblable au deuxième et donc terroriste, que veut dire faire la paix entre deux mouvements terroristes ?
"C’était donc un colon, figure même de l’extrémiste religieux" : Les colons ne sont pas tous des extrémistes religieux, il y a des extrémistes religieux qui ne sont pas des colons et des extrémistes de gauche non-religieux. Être extrémiste, c’est une option de vie, quelque soit l’idéologie.
Et puis que reste-t-il de son action ? Du cote israélien, on a loué sa sincérité et son désir de paix. Et du côté palestinien ? Non seulement le programme meurtrier du Hamas et du Fatah n’a pas changé d’un iota, mais même au niveau local, en dehors de quelques accolades télévisées des chefs de villages avec lesquels il entretenait de bonnes relations, rien...Le jahrzeit des 5 membres de la famille Vogel (les parents et trois enfants) assassinés à Itamar s’est déroulé dans un silence assourdissant de la part des palestiniens. Le rav Fruman était un homme sincère, restera-t-il quelque chose de son action en dehors de sa naïveté ? Je crains que non. Comme on dit ici, il faut être deux pour danser le tango et pour le moment, il n’y a malheureusement pas de partenaire
Voir en ligne : http://http://bokertovyerushalayim....
Merci de vos remarques utiles, je n’avais pas été assez clair et ai levé les ambiguïtés que vous signalez et qui n’étaient nullement mon attention.
Pour ce qui est de vos questions sur la possibilité de paix avec le Hamas, je ne peux répondre à sa place, mais il y croyait...
Bien à vous.
Yeshaya Dalsace
en lisant le message d’Hanna et surtout sa certitude que l’action de Ménahem FRUMAN ne peut pas être productive car le Hamas est un mouvement terroriste, je suis pris d’un doute car il m’apparait que c’est bien ces mouvements terroristes qu’il conviendrait d’amener à envisager "la paix" comme objectif et non pas la mort de son prochain. Je me demande souvent ce que font les "démocraties" occidentales (y compris les USA) pour parler avec les pays et les organisations terroristes car je pense que c’est par la parole et par l’écoute et non par les guerres (qu’on ne gagne jamais) contre eux qu’on les amènera peut être un jour à envisager de défendre leur cause par des moyens moins meurtriers que ceux qu’ils adoptent (y compris contre leurs propres frères) ou se sentent contraints d’adopter.
Vus sous cet angle les contacts de M Fruman avec des terroristes est peut être moins utopique qu’il n’y parait de prime abord. Enfin ça vaut peut être la peine d’y réfléchir.