La mort place chaque être humain devant la question métaphysique du sens de la vie sur terre, et du mystère de l’après-mort. C’est pourquoi le choix entre l’inhumation ou l’incinération n’est pas une question simplement pratique : il reflète et met en jeu la conception que l’on se fait de la valeur de la vie. Le choix d’incinération est souvent « réactif » : il s’inscrit en faux contre la coutume de l’inhumation. Il importe donc de cerner ce que signifie le plus souvent l’acte de crémation ou d’incinération, du moins tel qu’il est communément envisagé à notre époque et en Occident . Trois motifs peuvent être dégagés :
La protestation anti-religieuse
La crémation constitue bien souvent une sorte de rite athée, laïc ou « séculier ». Elle incarne alors l’affirmation de la néantisation de l’être, contre toute illusion de survie post-corporelle. Elle se veut la conclusion cohérente d’une vie menée dans le profane, en dehors des structures religieuses. Elle peut donc exprimer la négation de l’existence de Dieu, de la vie éternelle de l’âme ou, plus simplement, manifester une protestation ou un détachement de tout « clergé » dénoncé comme potentat usurpateur du sens de la vie, voire de la chose sacrée.
L’angoisse de l’après-mort
Le désir d’être incinéré peut également refléter une forme d’idéologie écologique : « faire propre ». La peur de la mort se focalise, se condense, pour reprendre une expression psychanalytique, en vision phobique de la décomposition, de la putréfaction du cadavre et de son ingestion « par les vers ». Comme si l’on se figurait que le corps, considéré comme le seul support possible du vivant, n’avait pas à subir un tel « enfer ». L’inhumation est perçue comme une « deuxième mort », lente de surcroît, après la première. La crémation représenterait symboliquement une sorte d’échappatoire à ce purgatoire terrestre du corps. On souhaite que la disparition soit rapide, efficace ; qu’elle soit une « belle mort ». Cela vaut autant pour la dépouille que pour les endeuillés qui veulent parfois, souvent inconsciemment, évacuer ou occulter au plus vite l’image de la mort, en effaçant conjointement les traces de la dépouille et du deuil, afin d’en être le moins possible troublé et affecté. Curieusement - bien que sur le versant profane - cette inquiétude irrationnelle fait écho à la crainte véhiculée par la religion populaire (mais injustifiée) selon laquelle la crémation du corps porterait préjudice à la résurrection future des corps ou aux félicités éternelles promises à l’âme dans l’autre monde. Comme le dit Nahmanide (XIIIe s.), ce n’est pas la résurrection elle-même mais la croyance en la résurrection qui se trouve mise en cause par la crémation, du fait que l’on n’accorde plus aucun égard au corps. Il écrit : « Rien n’empêche le Saint béni soit-Il de réunir toutes les parties disséminées d’un corps ou de destiner à la résurrection tous les martyrs qui ont péri par le feu. Il n’en demeure pas moins que tout ce qui est dit dans la Loi est destiné à conforter la croyance en la résurrection des morts, c’est pourquoi on ne doit pas porter atteinte à la dépouille » (Chaâr ha-Guemoul).
L’inquiétude d’être un poids (financier) pour la famille :
Un des motifs fréquents de l’incinération est la volonté du mourrant de ne pas peser sur la famille qui aurait à faire une dépense trop onéreuse pour l’inhumation et l’édification d’une sépulture ou pierre tombale. Celui qui envisage ainsi ses obsèques ne veut pas imposer à ses proches le devoir moral d’entretenir ultérieurement sa stèle, ni provoquer l’astreinte de se recueillir devant elle. Bien que ce motif parte d’une intention humble et généreuse, il n’en est pas pour autant moralement acceptable. Il trahit encore l’esprit de la conception utilitariste selon laquelle quand « on ne sert plus à rien » - vivant et a fortiori mort -, on ne se sent plus le droit d’exister ou digne de recueillir une quelconque attention, une fois disparu. Or, pour le judaïsme, la dignité d’un homme ne doit en aucune façon dépendre de son utilité. La dignité de l’homme est foncière, intrinsèque. Elle est un but en soi. Cet excès d’humilité qui consiste à refuser de recevoir des soins, mourrant ou mort, ou même à ce que l’on perpétue son souvenir, donne alors un mauvais exemple éducatif en ce qu’il entérine cette vision utilitariste qui porte atteinte à l’éminente dignité de la vie humaine. C’est au contraire l’expression d’une haute valeur que de permettre à la famille de témoigner de l’affection à celui qui est mourrant, en exprimant le refus d’attacher sa dignité d’être humain à sa seule utilité. De même que c’est une grande valeur que de perpétuer la mémoire de la personne disparue.
Conclusion :
[*Pour la loi juive, la crémation est prohibée car elle constitue « un avilissement pour le défunt*] (nivoul ha-mèt, cf. Baba batra 154b) ». Certes, l’âme de la personne a quitté le corps, mais toute vie dans le corps n’est pas encore éteinte. [*Même en l’absence de toute vie, le corps humain conserve sa dignité pour avoir abrité une âme. On ne peut en faire une « chose », en agissant à notre convenance sur le corps devenu encombrant, en l’occurrence, en le réduisant à néant, par un acte volontaire.*]
Aussi, les soins accordés à la dépouille, ainsi que son enterrement s’inscrivent dans un souci général de souligner la sacralité de la vie humaine. Les rites de deuils, expriment ce respect.
L’inhumation traduit cette douceur, par le retour progressif du corps à la terre, et l’accompagnement qui s’y rattache, tout comme le fœtus arrive progressivement au terme de la gestation pour gagner notre monde. C’est un processus on ne peut plus naturel. La décomposition du corps n’a rien de sale. Il est « biodégradable » et donc tout à fait « écologique ».
En revanche, on peut voir la crémation comme un geste de destruction, de main d’homme, qui trahit une forme de violence. S’agissant des endeuillés eux-mêmes, le deuil doit pouvoir se vivre progressivement et, symboliquement, sous forme d’accompagnement du retour du corps à la terre, et de la montée de l’âme dans le monde divin. A contrario, le caractère expéditif de la crémation est susceptible de nuire au travail de deuil, voire de l’éluder.
[*Bien que le rabbin ne puisse officier à une crémation, le défunt ne doit pas être privé des honneurs funèbres. Une cérémonie pourrait être envisagée lors de la levée du corps ou lors du Chivâ.*]
Pour un responsum récent concernant la crémation, voir aussi : David L. Abramson, « Concerning Cremation, One’s Rabbi’s Perspective » in : Conservative judaism, Vol. LI, 1°, fall 1998.
Cérémonie en cas de crémation :
Dans le cas ou la famille tient absolument à respecter la volonté du défunt qui aurait clairement exprimé sa volonté de se faire incinéré, un rabbin Massorti acceptera en principe de conduire une cérémonie à la levée du corps et assistera bien entendu la famille dans son deuil.
Les cendres devront ensuite être enterrées dans un caveau juif, familial ou communautaire. Un psaume et éventuellement un kaddish sera alors prononcé. Un peu de terre devra symboliquement être mêlée aux cendres.
Toutes les règles de deuil classiques s’appliquent aux endeuillés.
La crémation en augmentation en France
La moitié des Français ont désormais l’intention de se faire incinérer. Il est évident que cela concerne une part des personnes de confession juive.
Aujourd’hui, selon l’Association française d’information funéraire (AFIF), la crémation est choisie dans près d’un tiers des décès ; un chiffre qui dépasse 50 % dans certaines grandes villes alors que cette pratique ne concernait que 0,4 % des défunts en 1975.
Autorisée par l’Eglise catholique après le concile Vatican II en 1965, la crémation est toujours prohibée par l’islam, le judaïsme ou l’Eglise orthodoxe . Elle reste davantage privilégiée par les non croyants (60 % y songent, selon un sondage Ipsos réalisé pour les services funéraires de la Ville de Paris [SFVP] auprès de 1 016 Français) mais elle est désormais également envisagée par 40 % des croyants.
Les motivations sont principalement de deux ordres, selon François Michaud-Nérard, directeur général des SFVP : 35 % des personnes qui choisissent la crémation souhaitent ne pas être une charge pour leurs proches qui, dans le cas de la dispersion des cendres, n’auront pas de tombe à entretenir ; 24 % avancent des préoccupations écologiques. Le coût de la crémation reste bien inférieur à celui de l’inhumation.
Messages
vous oubliez une raison déterminante, qui n’exclut pas les autres, pour choisir la crémation en tant que juif ; marquer notre solidarité de destin avec nos parents et tous ceux qui portaient le nom de juif, assassinés et brulés dans des fours crématoires. Symboliquement, nous partagerons leur sort et ce choix délibéré de partir en fumée redonne à leur disparition une dignité qui leur a été déniée.
Je choisirai la crémation et suis d’ailleurs totalement athée et hostile à une tradition qui mégote le droit des femmes à exercer les mêmes fonctions et responsabilités que les hommes
Bonjour,
Le corps n’appartient pas au defunt mais a Dieu,
Si Dieu tel que l’affirme l’article prohibe (interdit) la cremation sa volonte est superieur a celle de l’homme qui habitait son corps.
N’aillons pas peur de le dire tout fort meme si nous ne sommes pas pratiquant.
Je souhaite vraiment être incinérée après ma mort. J’aimerais avoir la démarche à suivre de mon vivant afin de laisser les directives à mes proches.
Et quand l’heure sera venue de partir tranquille. L’idée d’être enterrée me fait blemir et l’incinération pour moi est ce que je désire ardemment. Merci de me donner les renseignement demandés.
Cordialement
Jacqueline
je souahaite etre incinéree